boys don't cry // naange - end

Mais oui kiddo, je serai fier de toi, tu vas être un grand guérisseur, si t'avais pas cette putain de peur du sang par contre...

Il avait l'air heureux, sans doute pour une de ses raisons complexes et tantriques d'enfant-araignée, il a les yeux qui s'exorbitent et les vertèbres bousillées. Un jour d'apprentissage normal avec Naange, en somme.

Je claque ma langue sur mon palais histoire de recentrer le désaxé. Le foie n'attendra pas toute une vie de moniale que le tigré se décide à le charcuter dans les règles de l'art.

OK Naange, maintenant tu presses l'organe, préalablement disposé sur cette pierre aux bords arrondis, d'accord ? En fout pas partout. Tinquiètes, pas de sang.

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Le mot « presser » avait l'effet de petites piques dans ses petites oreilles et il ne voulait pas percer les organes. Si ils étaient là, c'est que y avait une fonction dedans, et il fallait pas faire les presser, sinon ils allaient surtout se vider. Naange ne voulait pas vider d'organe, parce que ça se faisait pas surtout. Il fit non non de la tête avec la détermination d'un enfant estropié à qui on aurait donner des grèves complètes. Le soucis c'est qu'il sentait que si il faisait pas ça bah Esprit Soucieux allait être triste. Sourire de lune qui chiale, Nuage Ensoleillé voulait satisfaire les esprits vivants et morts, et son mentor en était un. A défaut de lui éclairer le cœur de hérisson, il pourrait lui éveiller sa fierté. D'une voix penaude, le petit tigré eut la voix d'un ours rouillé en se ramassant sur lui-même, se prenant dans ses bras squelettiques d'enfant des Etoiles.

« D'accord … Mais promis il a pas mal hein ? Hein ? »

Il ne fallait pas tout salir, sinon ils allaient devoir nettoyer et l'idée lui mettait de sales coups de poings dans l'estomac. Des pas trop fort, sinon il allait vomir et en mettre de partout, justement. Tremblant, il toucha le foie du bout de la griffe pour le presser doucement.
Et là, le drame.

L'organe se perça, laissant la bile s'extraire de manière anarchique sur la pierre. Les yeux soudainement vides, Nuage Ensoleillé eut le haut-le-coeur devant un tel acte. Paniquant, il regarda son mentor et sa vision périphérique lui dépeignait du sang. Du sang. Encore. Partout. Sa patte droite en était imprégnée. C'en était trop. Sa vision tourna au noir et l'apprenti se sentit défaillir.

Nuage Ensoleillé s'éteint, black-out, malaise.

Naange est vraiment un enfant charmant, très mignon. Doux. Gentil. Putain de peureux. Je souffle doucement, il commence à me fatiguer. C'est pourtant pas si simple de putain ouvrir une putain de souris morte sa mère et d'en extraire son ridicule petit foie et d'appuyer dessus pour qu'en sorte cette putain de bile dont on a besoin pour soigner nos vieux. Merde, il est cute le kiddo, mais pas facile à vivre. Petit filet de voix et grands yeux étoilés, il me demande si la souris a mal. Elle est morte. Morte. Il en mange tous les jours. Mais il me demande si elle a mal. Cet enfant est bizarre. Je soupire, ferme les yeux.

Non Naange, elle n'a pas mal, je te rappelle que d'une part elle est morte, et que d'autre part son foie est détaché de son corps.

Je rouvre les yeux, fentes sur le monde, miroirs de l'âme noyé sous un nuage d'encre. Les fenêtres de l'araignée se ferment, tourbillon violent sous les globes, il vire, tangue, tombe. La bile se répand en une flaque odorante et anarchique par terre. Je jure.

Faut-il vraiment que je le réveille ? Nouveau soupir, imprécations aux Étoiles, je m'approche de lui, et lui donne des petits coups de museau dans les côtes. Je vais quand même pas le sortir de ses cauchemars aqueux à chaque fois, cette fois je ne lui lancerai qu'une corde de secours, un fil d’Ariane qu'il devra saisir avec ses pattes pataudes prises dans un scaphandre rouge. Grandis putain, ton Clan a besoin de toi, pas d'une chialeuse.

Il flottait dans du coton et pour lui c'était peut-être le mieux à faire. Dans le coton, on avait pas mal, car les mantes religieuses, c'était gentil dans le coton. Dans son monde tout fait de blanc, Naange était très content. Il n'avait pas l'impression d'avoir blessé des foies ni d'avoir offensé Esprit Soucieux. C'était sympa. Il aurait pu y rester un petit moment mais non il entendait des bruits qui lui venaient. Ses yeux s'étaient soudainement couverts de noir, et nuit en plein tigré, il avait décidé d'établir le sol comme lit, le ciel comme rideau. Le soucis, c'est que nous étions de jour, et que tomber par terre en pleine journée, c'était mal vu. Il sentait une légère douleur au niveau de sa tête, mais le coton réglait tout. Il semblait empreint d'alcool à 90% pour paraître si doux et si amer, là où des frissons lui parcouraient le corps à chaque bruit extérieur.
Sauf que le bruit, c'était pas du bruit. C'était la voix d'Esprit Souciex. Les coups qu'il sentait dans ses côtes, c'était pas les météorites qui gravitaient autour du soleil, mais ton museau qui commençait à s'impatienter de le voir profiter de son petit monde de coton.

« Aïe, j'ai mal. »

C'était probablement les deux seuls mots qui arrivaient à prononcer, tandis qu'il prenait peu à peu conscience de son échec critique. Il avait conscience que sa phobie de nuire à autrui allait l'handicaper dans son travail. Il avait besoin de blesser, ne serait – ce qu'un peu, même sans faire exprès.
S'il le faisait pas exprès, c'était ok, c'était pour le Clan des Etoiles, c'était ce qu'il fallait se dire, sauf que Naange il s'en fichait par les Etoiles elles allaient pas être très très contentes.

« Eh eh mais ça serait bien qu'on reprenne, plus tard, non ? »

Dans sa proposition sonnait beaucoup d'ordre gentil. Il ne fallait pas qu'il continue, sinon, il allait devenir tout blanc. Il préférait sonner la fin de son entraînement plutôt que sonner le glas.

Aïe, j'ai mal.

Paye ton apprenti. Un carton si mignon, ce Naange. Je soupire, encore, encore, encore.Au sol, la pierre est intacte, les reste de la souris se vident de leur substance, s'évanouissent dans la lueur qui filtre l'entrée de mon antre. On ne devient pas guérisseur en un jour.

Il me demande de s'arrêter là. J’acquiesce en silence, le regard sur le reste de l’entrainement. Je baille un coup, me décroche la mâchoire, ça me fatigue ces conneries. Je grogne mon approbation à Nuage Ensoleillé, puis ramasse le corps disloqué, et sors l'enterrer - il est inapte à la consommation dans cet état. Je trempe mes pattes dans l'eau, les essuie sur mon doux tapis de mousse, et indique de la queue à l'apprenti liseur d'Étoiles le même lit de verdure.

Nettoie toi les pattes. Tu peux te reposer, je sors vérifier si nos reines ont besoin de quelque chose.

Parfois, il se sentait comme un arc-en-ciel dans un trou noir.