(LUNAR POD) Could live, could die - end

Eyes of the wolf, The Witcher 3: Wild Hunt OST

J'attends avec impatience le signal de ma sœur. A côté de deux insectes, je suis postée en embuscade, j'attends l'imposant chef de la Rivière. Le jauger à vue d’œil ne me suffira sans doute pas à prédire ses capacités au combat, mais savoir à qui j'ai affaire et à sa stature sont d'ores et déjà de précieuses informations.

J'entends des bruits de combat au loin, mais je ne me jette pas dans la mêlée. Je suis sûre qu’Éos se débrouille parfaitement, je vais la laisser s'amuser un peu ... Quand soudain, j'entends un hurlement inhabituel, qui ressemble pourtant à la voix de ma sœur. D'un bond, je surgis de notre cache, et je file comme une flèche vers le gros félin gris-bleu. Un instant, je me sens vaciller. Le visage d’Éos est en sang, elle n'arrive pas du tout à maîtriser le félin ! Je l'ai sous-estimé, et il a touché assez mortellement ma sœur.

Mes pupilles se dilatent, je dégaine griffes et crocs, et je me glisse du côté aveugle du mâle. Je me projette sur lui avec force, dépliant toutes ma puissance pour le surprendre. Mon avantage est sans conteste ma souplesse, alliée à ma rapidité. Cependant, je veux laisser le temps à mes acolytes de surgir dans mon dos. Je me glisse ensuite derrière lui, enfonçant une de mes pattes dans ses côtes, côté aveugle. Tout en reculant, je susurre en souriant :

« Que tes Etoiles te gardent, Etoile de Pierre ! Elles ne seront pas capables de protéger tout le monde ... »

Je laisse ensuite l'assaut aux membres de ma Famille, et je m'interpose entre le combat qu’Éos a l'air de vouloir mener contre l'autre féline, enceinte jusqu'au cou. Je ne m'inquiète pas trop, mais je garde un œil sur les mouvements lents de la future mère. Je ne voudrais pas qu'elle abîme elle aussi ma sœur ...

Le félin n'eut pas le temps de savourer sa petite victoire sur la femelle qu'un nouvel assaillant l'attaquait de son côté aveugle. Surprit, il vacilla et se retourna pour faire face à l'ennemi. Au début, tout fut confus. La féline qui était sous ses pattes... était aussi à côté de lui? Puis il se remémora la jumelle, et une impression dérangeante surgit dans sa poitrine lorsqu'il vit Éos s'enfuir de son emprise pour se rapprocher de la reine. Furieuse, presque folle. Elle était enragée et allait se venger.

Étoile de Pierre aurait voulu la rattraper. Il essaya tant bien que mal de s'interposer à nouveau, mais on lui coupa la route. D'autres chats arrivèrent pour l'en empêcher. Les chats de la lune. Ils étaient organisés. Tout était prévu depuis le début. Aigue-Marine allait mourir.

Alors que la fatigue et la soeur d'Éos l'attaquaient et que les autres Lunar rejoignaient la bataille, la panique dessinait sur le visage du meneur. Il n'était plus le meneur imposant à l'horrible cicatrice qui décorait sa face stoïque. Il était redevenu le petit Nuage Bleu qui regardait impuissant ceux qu'il aimait s'en aller. Sans pouvoir rien faire.

Il n'essaya pas d'attaquer les autres. Il n'essaya pas de faire le plus de dégâts possibles. Tout ce qu'il voulait, c'était sortir de là, se dégager de cette emprise, pouvoir rejoindre celle qu'il aimait, blottir son visage contre le sien et savourer la chaleur de son corps. Écouter ses ronronnements doux, l'écouter rire et se complaire de ce merveilleux sourire sur son visage.

Son magnifique trésor.

Les griffes, les crocs, le sang, la douleur, le poids des corps et la fatigue avaient raison de lui. Tout cet ensemble l'écrasait, comme un poids sur ses épaules qui refusait de s'en aller. Il essaya, pourtant. Mais seules les larmes s'échappaient. Pas lui.

Que les Étoiles te gardent... les Étoiles n'étaient pas là. Les Étoiles riaient, sans doute. Il en était presque certain, Étoile du Corbeau devait rire aux éclats au milieu de ses ancêtres. "J'avais raison!" clamait-il sans doute. Il tenta d'implorer les Étoiles de la garder. Elle, si belle et si fragile. Qu'avait-elle fait, pour mériter pareil traitement. Qu'avait-il fait lui, pour se la voir enlevée ainsi?

C'était sa faute. Elle allait mourir et c'était sa faute. Il aurait du refuser. Il n'aurait pas du accorder cette sortie. Il n'aurait jamais du faiblir face à ses jolis yeux. Il aurait du écouter sa raison. Le premier sentiment qui lui était venu à l'esprit. Il aurait du prononcer un "non" ferme digne d'un meneur, imposer sa volonté, quitte à ce qu'elle le déteste pour l'avoir enfermée dans la pouponnière. Il aurait préféré qu'elle le haïsse qu'elle ne meurt si jeune.

Étoile de Pierre faiblissait. Ainsi que son espoir. Il savait qu'il était désormais inutile de se débattre, mais il luttait malgré tout. Chaque coup de griffe, chaque coup de croc lui rappelaient l'imminence de ce qui allait arriver.

Les secondes étaient terriblement longues. Chaque pas d'Éos vers Aigue-Marine lui semblait être une éternité. Une douleur éternelle dont il ne se séparerait jamais. Pourtant, avec son seul oeil, il ne la quitta pas du regard. Il regardait sa compagne, lui suppliant de s'en aller. Lui suppliant de vivre.

Ô Clan des Étoiles, prenez ma vie. Prenez mes vies. Mais épargnez la sienne. Je vous en supplie.

Un hurlement de rage et de tristesse s'échappa de la gorge du félin lorsque la féline des Lunar Pod leva la patte sur Aigue-Marine.

Could live, could die.

Je retient un grondement, Ether et Eos ont tenu à ce que je vienne et ça suffit à ce que je prenne sur moi. Mais c'est dur, si dur d'attendre que ses imbéciles disent non et qu'Eos vienne par ici pour nous donner le signal. Pourtant je me tait, je reste allongé, espérant que mes pattes ne vont pas bouger toutes seules. Ether surgit d'un coup après une plainte de sa soeur et je me redresse d'un bond. Il était temps !

Je m'avance vers le borgne avec un sourire mauvais aux lèvres, hors de question qu'il passe voir sa belle. D'ailleurs, pourquoi ne pas le lui dire tout simplement ? Tu penses faire le poids ? Tu vas rester sagement assis là, à la regarder se vider de son sang en te suppliant d'agir ... Je fini ma phrase tout en levant une de mes grosses pattes, sortant les griffes pour l'abattre en direction de l'oreille du matou. Respecter le plan ... Si les jumelles ne faisait pas parti du cercle, je serai intervenu depuis longtemps mais Krov n'aurait jamais accepter ça. Je sens la colère et la frustration dans mes veines, ça boue et je me met à feuler. En un instant, mon poil noir est dressé sur mes épaules et j'ai presque triplée en taille, enfin doublée tout du moins. Impressionnant non ?

Mes crocs se referme sur la peau de son échine et je le secoue un peu, sentant un goût métallique, léger et si plaisant envahir ma gueule. Mais il faut que je reste lucide, ne pas le tuer lui. Je repense à Krov, notre abbesse et à son lien avec la lune. Ça me tient suffisamment lucide pour ne pas secouer encore plus le sac à puce chouineur entre mes pattes. Je sens une douleur dans ma patte, il a encore de l'énergie ? Je gronde sans lâcher ma prise sur sa peau, donnant quelques coups de pattes au hasard. Tu as perdu, t'as pas comprit ? Je me retient de le dire, ça voudrait dire le lâcher or malgré les blessures qui s'ouvrent dans ma chair, je refuse de lâcher prise. Je suis plus gros, plus fort, trop pour lui non ?

Je bondis alors. Masse de chair armée de couteaux effilés, tranchants comme des rasoirs qui ne demandaient qu'à couper, cisailler, percer. Ma nouvelle cécité m'affaibllissait hautement, c'est pourquoi la jeune chatte gestante réussit, pendant un court instant, à prendre le dessus. Mais grâce aux mécanismes d'attaques et de défenses acquis avec l'expérience et la pratique, je finis par la maitriser. Là seulement commençait mon jeu. Je m'amusai alors à la fatiguer, de plus en plus, en sautillant à droite, à gauche, en lui balançant de vilains coups traîtres. Visage, épaules, hanches, flancs, rien n'était oublié. Ce n'était que lorsque le corps de la femelle était quadrillé de coupures que je me décidai à en finir. Je la projetai au sol. Sa tête tomba lourdement, la sonnant probablement. Elle haletait, elle était fatiguée, elle était à ma merci. Je m'arrêtai quelques instants pour la toiser. Elle gisait là, au sol, le pelage poisseux de son sang.

Je me plaçai juste au-dessus d'elle, répartissant parfaitement mon poids de manière à ce qu'elle ne puisse aucunement bouger. Son ventre était totalement vulnérable, et un sourire ô combien sadique étira mes lèvres. Je levai mon unique oeil vers le mâle pour lancer, d'une voix si cruelle qu'elle vous en glace le sang :

"Regarde la Étoile de Pierre. Savoure cet instant précieux... Ce jour où tu as commis ta plus grande erreur... Ancre ces souvenirs dans ta mémoire, ils te hanteront à jamais... Regrette ce jour où tu as dis non aux Lunar Pod. Ce jour où tu as tué ta compagne et tes enfants. "

Mon sourire s'agrandissait de plus en plus, et je baissai la tête pour plonger mes yeux dans ceux de la femelle. Je me baissai vers elle, l'empestant de mon haleine de chacale pour lui susurrer un Bienvenue en enfer... on va bien s'occuper de tes enfants, ne t'inquiète pas... enfin, s'ils survivent... Et oui les Lunar Pod allait bientôt rafler tous les bébés poissons pour en faire de fiers soldats...

Je plantai alors une griffe dans le ventre de celle qui aurait pu devenir mère.... Tranchant lentement la chair molle de son abdomen avec un sourire. Une seconde, deux secondes, trois secondes... Une fois arrivée au niveau de sa cage thoracique, je virevoltai pour lui donner un coup dans l'estomac, et plantai mes crocs dans sa gorge... Elle allait ainsi mourir dans les prochaines minutes. Je me délectai quelques instants du spectacle, puis tournai les talons, sans lui accorder davantage d'attention. Je m'arrêtai non loin du meneur désespéré, afin de le détailler de la tête aux pattes. Pauvre chéri, il était triste. Je ricanai, et lançai le signal du repli.

Nous bondissâmes alors, en nous éloignant furtivement. Étoile de Pierre n'allait certainement pas nous suivre. Le coeur léger et satisfait, nous pouvions rentrer... Le clan des écureils, d'après ce que j'avais compris, n'allais pas tarder à rappliquer pour se venger des poissons. Mais notre tâche à tous les quatre était accomplie, et il était temps de rejoindre les nôtres.

Au fur et à mesure que nous nous rapprochions de notre campement, l'adrénaline et la folie du combat s'apaisait en moi. A la place de ces derniers, une douleureuse et déchirante sensation foudroyait mon corps entier. Mon oeil me faisait atrocement souffrir. Je m'appuyais de plus en plus sur ma soeur, Éther, en serrant les dents. J'appréhendais maintenant ce que dirait Krov sur mon cas... Une borgne ne vaut plus rien... Combien de sans-oeil avais-je exécuté sans l'ombre d'un remord??

Spoiler:

- Regarde la Étoile de Pierre. Savoure cet instant précieux... Ce jour où tu as commis ta plus grande erreur... Ancre ces souvenirs dans ta mémoire, ils te hanteront à jamais... Regrette ce jour où tu as dis non aux Lunar Pod. Ce jour où tu as tué ta compagne et tes enfants.

Il essaya encore. Encore, encore et encore de s'extirper de la masse. Mais les poids, les griffes, les crocs... Il ne pouvait rien faire d'autre que feuler, impuissant, réussissant partiellement à se libérer quelques secondes, avant que les Lunar Pod ne reprennent le contrôle.
Éos avait raison. Il l'avait tué. Il les avait tué. Ses choix avaient mené à cette décision. C'était sa faute... non, c'était la faute du traitre. Ce fichu traitre qui avait parlé à Krov de la situation du Clan et d'Aigue-Marine. Il y en avait un, il en était sûr. Et peu important qui il était, il lui ferait payer.
Mais pour l'instant, toute sa rage n'était pas tourné vers ce possible chat. Elle était tournée vers lui-même, vers Éos, vers les solitaires tout entiers. Et la rage dansait avec la tristesse.

Il ne voulait pas y croire. Alors il essayait encore. En vain. Ça ne pouvait pas arriver, pas vrai? Un an plus tôt, sa compagne et lui chassaient un renard après le blizzard. Quelques heures plus tôt, ils mangeaient un poisson ensemble à côté des roseaux. La veille, elle avait rit aux éclats, et il avait sourit tendrement face à la beauté de son visage, lorsqu'il était illuminé par la joie. Et là, il écoutait ses cris de douleur, impuissant.

Comment en étaient-ils arrivés là? Que c'était-il passé? Était-ce un cauchemar? Le choc, la dureté de la réalité lui faisaient perdre la raison. Il savait, mais ne savait plus. Le temps lui sembla long, alors qu'il avait cessé de se débattre, paralysé par une fatigue et une douleur qu'il n'avait encore jamais connu.
Il n'essayait plus.

Il n'écoutait même plus. Il ne regardait même plus. Ses yeux et ses oreilles étaient bien tournés vers la scène, mais les informations passaient sans s'arrêter. Les larmes aussi passaient sans s'arrêter. Quelques sanglots, quelques sons incompréhensible s'échappaient de manière incontrôlée. Étoile de Pierre ne contrôlait plus rien. Pas plus son Clan et la situation que lui-même.

Il avait toujours imaginé les chefs forts, puissants et inatteignables quand il était petit. Des créatures presque légendaires qui ne flanchait jamais. Et il était là, pathétique, écrasé par un tas de pourritures vivantes, forcé de regarder sa compagne se faire arracher sa vie. Sa seule et unique vie.
Il aurait aimé être à sa place. N'avait-il pas neuf vies pour protéger? Était-il un chef si médiocre? La seule réponse qui lui vint était un oui.

Enfin, la libération. Les poids s'en allèrent, et la scène lui revint. Face à lui, presque soudainement, Aigue-Marine ensanglantée. Il ne pouvait pas y croire, quand bien même la scène s'était-elle déroulée sous ses yeux. Il alla même jusqu'à se demander comment tout ça avait pu arriver, alors qu'il n'avait pas oublié. Difficilement, il se leva. Chaque mouvement lui faisait mal, mais il ignorait la douleur.

Il s'approcha doucement d'elle, la voix tremblante, appelant son nom. Elle ne pouvait pas mourir.
- Tout va bien se passer Aigue-Marine... aller, viens, il faut... il faut rentrer maintenant. Tu dois... il y a les patrouilles et... et si on rentre pas Étoile du Corbeau va...
Le sang coulait, encore encore et encore. Il essaya de poser ses pattes sur les plaies, mais elles étaient trop nombreuses, et le faible miaulement de douleur qui s'échappa le força à arrêter. Il essaya de lécher le sang pour la nettoyer, mais il y en avait trop, et il avait peur de lui faire mal.
- On va... on va rentrer, Aigue-Marine. Je demanderai à Nuage d'Abeille de te faire un joli nid dans mon antre on pourra dormir ensemble. J'irai... j'irais pêcher et t'apporter du poisson... une truite comme tu les aimes...
Elle respirait encore faiblement. Comme quand elle dormait. Si vulnérable et précieuse dans son petit nid de mousse, contre lui. Sa respiration lente et la sensation de son souffle chaud sur sa nuque...
- Je sais que... que tu es fatiguée. Mais il faut partir. On dormira plus tard... il faut prévenir les...

Son ventre se secoua soudainement violemment. Les contractions. Les chatons. Oui, avec Aigue-Marine, il allait avoir des chatons.
Il releva la tête, perdu. Il ne situait même plus les événements, trop déboussolé pour s'y retrouver. Il chercha autour de lui. Il était seul. Et soudain, enfin.

Écaille d'Or.

Il chercha les mots, son nom, ce qu'il devait dire. Il savait qu'il devait dire quelque chose, que le temps comptait. Mais quoi?

- Nuage d'Écailles! s'écria-t-il enfin, va... va chercher Coeur de Neige, dépêche toi!

Ses erreurs ne le perturbèrent même pas. Il ne regarda pas son ancienne apprentie partir. Ses yeux étaient déjà revenus sur Aigue-Marine. Il savait qu'elle allait mourir. Il le réalisait enfin. Les Étoiles étaient déjà là, même s'il faisait jour.

Elles n'avaient pas été là pour l'aider, mais elles étaient là pour les prendre. Il les insulta silencieusement, leur souhaitant de souffrir comme sa lieutenante avait souffert.

- Ne part pas Aigue-Marine, pas maintenant... lui souffla-t-il en enfouissant doucement son museau dans sa fourrure.

Mais il réalisa que les mots ne la ramènerait pas. Il se contenta de lui parler pour la maintenir près de lui, consciente, en attendant l'arrivée de Nuage des Ruisseaux et Écaille d'Or.

- Tu as été forte... accroche toi juste encore... quelques secondes...

Aigue-Marine ne combattait plus ; elle savait. Inévitablement, la femelle appartenant à cette drôle de troupe avait fini par prendre le contrôle du combat. La guerrière de la Rivière s'était bien défendue, mais sa grossesse lui ôtait si rapidement ses forces et son endurance que la Lunar Pod ne tarda pas à l'épuiser totalement, jusqu'à l'allonger au sol et à s'appuyer sur elle. Cruellement, elle se tourna vers Étoile de Pierre et le nargua, sans ciller, sans songer à ces vies qu'elle allait ôter, ces vies qui ne lui avaient rien fait. Était-ce les chatons à venir qui leur avaient dit non ? Bien sûr que non ; mais cette troupe n'avait ni foi ni loi.
Aigue-Marine ne se débattait plus. Elle avait désormais le visage tourné vers son unique amour, ce puissant mâle gris-bleu dont la seule vue lui arracha un sourire malgré la situation. Elle était aux prises d'une chatte sanguinaire, elle allait mourir, et pourtant, l'amour incommensurable qu'elle ressentait dans son corps en regardant Étoile de Pierre était là, et aurait pu déplacer des montagnes. Elle lui souriait, elle lui parlait silencieusement : Ne sois pas triste, mon amour. Nous nous retrouverons, mon amour. Rien ne nous séparera jamais, mon amour. Je te veillerai de là-haut, mon amour, et j'attendrai avec impatience que tu me rejoignes, mon amour. Là-haut, tu verras, mon amour. Elle aurait voulu se lover contre lui une dernière fois, dormir sous les étoiles avec lui une dernière fois, débattre avec lui des noms de leurs futurs chatons, s'imaginer vieillir ensemble et imaginer un avenir glorieux à leur Clan. Mais elle ne pouvait pas, et elle profitait des dernières minutes qu'elle avait pour lui insuffler toute sa force, tout son amour, cette puissance qui les dépassait tous les deux et qui, en ce jour, les faisait atrocement souffrir.

Et la Lunar Pod passa à l'action. Enfin, pensa Aigue-Marine, qui appréhendait tellement le moment où elle sentirait ses chairs se déchirer qu'elle était impatiente que ça commence, pour qu'enfin ça se termine.
La douleur fut atroce ; mais finalement si douce, à côté de la douleur mentale. Aigue-Marine criait, suppliait, et ses pensées allaient autant vers Étoile de Pierre que vers ces vies qui remplissaient son ventre et qui allaient certainement mourir elles aussi. Le Clan des Étoiles gagnerait de nombreux membres, en ce funeste jour.

Puis tout s'accéléra. En un instant, la troupe sanguinaire avait disparu, seuls restaient Étoile de Pierre et Aigue-Marine. Ensemble, tous les deux, amoureux, comme c'était le cas avant que les Lunar Pod débarquent, il y avait seulement quelques instants.
La douleur d'Étoile de Pierre rendit celle de la femelle encore plus insupportable. Elle aurait tant eu envie de le réconforter, de lui dire que tout irait bien. Mais elle savait que ça ne serait pas le cas. Elle se sentait mourir, et elle n'avait pas imaginé que ses chatons avaient pu survivre. Étoile de Pierre avait tout perdu, et cette pensée faisait encore plus mal à Aigue-Marine que l'idée de mourir.
Écaille d'Or fit une apparition et disparut aussitôt ; la femelle brune ne comprenait plus rien à ce qui se passait. Elle se sentait étourdie, faible, et voilà qu'elle tremblait et qu'elle était agitée de soubresauts. C'était la fin. Oui, ces spasmes étaient ceux d'un mourant.

À moins que... Des contractions !
Comme par enchantement, le corps d'Aigue-Marine rassemblait ses dernières forces pour mener à bien sa dernière mission, sa dernière volonté. Les petits naîtraient. Avec soulagement, Aigue-Marine sentit des mouvements dans son ventre déchiré. Les petits vivaient ! C'était un miracle. Étoile de Pierre ne serait pas seul.
Mais le temps pressait. Elle mourait. Il fallait arracher les petits de ce corps qui risquait de devenir leur tombeau. Vite, vite.

« Oh... m... mon amour... Nous... all... allons les avoir... nos... nos bébés... » Un sourire maternel et meurtri s'afficha sur les babines d'Aigue-Marine. Les Lunar Pod avaient pris une vie. Mais ils n'auraient pas celles qui s'apprêtaient à commencer. Ils avaient essayé, mais ils avaient échoué. Et ces petits seraient une revanche à eux tout seuls.
L'avenir.

HRP:

Could live, could die.

J'attends cet instant ou Éos va prendre la vie de la femelle, me souvenant brièvement comment j'ai tué ma propre mère jadis. Mais s'était une autre vie et ça n'a plus rien a voir. Sous moi, le chef de cette bande de faible commence à ce débattre de moins en moins. Bien. Le bougre a enfin compris la leçon. Un sourire carnassiers se dessine sur ma gueule alors que j'attends. Éos traîne passage tant que ça, même si avec moi, ça aurait été plus rapide. Pas vrai ? Puis vint le signal, je relâche ma proie d'un coup puis je m'éloigne. Je jette un regard a Éos, on dirait bien qu'une place va se libérer dans le cercle de Krov. Je ronronne malgré moi, heureux.

Le matin s'est levé, comme tous les matins derniers. Je suis maintenant habitué à mon rythme d'étude. Après mon passage à la Pierre de Lune, après la prise des neuf vies d'Etoile de Pierre, la routine s'est installée. Maman a mis bas à une portée des plus importantes. Sept petits!! Rien que ça. Je lui donne tous les jours des feuilles de bourrache, mais mon stock diminue, il faudra que je remplisse mes stocks et que j'aille faire un tour sur ces terres que je hais, les terres du Tonnerre. Deux Lunes se sont écoulées et ma blessure se referme petit à petit. J'ai parlé des mots d'Etoile du Corbeau à mon chef actuel. Mais c'est bien trop vague, bien sûr. Bon, je pense que ça ira pour aujourd'hui, mais demain, j'irais quérir Nuit Hivernale pour lui demander une cueillette de bourrache sur ses terres. Je soupire, il m'en faudra absolument, puisqu'en plus de ma mère, Eau Turquoise, une nouvelle Reine allait bientôt arriver. Aigue-Marine, la compagne d'Etoile de Pierre. Elle arrivait à terme et d'après mes observations, il y aurait au moins quatre Petits. Mauvais moment pour avoir des chatons qu'en cette fin de Saison des Feuilles Mortes, mais tant pis. Mes leçons avec Esprit Soucieux se passaient bien. J'allais le voir une à deux fois tous les quarts de lune et pour le moment, j'avais demandé à orienter mes cours sur la mise bas et le bien être des Reines, après être passé par un inventaire des herbes et de leurs effets. J'avais désormais 8 Lunes et j'avançais sur la voie des Guérisseurs d'une manière que j'estimais satisfaisante. J'étais doté d'une bonne mémoire et ça m'aidait énormément à devenir de plus en plus indépendant. J'entendis une voix m'appeler depuis l'extérieur tandis que je rangeai mes herbes. Il y a peu, lorsque j'étais revenu, j'avais trouvé certains de mes remèdes à terre, donc deux plantes hors d'usage. Un tige de prêle et une feuille de cerfeuil. Je grognai à ce souvenir. J'avais demandé à ma mère de bien prévenir ses enfants, mes petits-frères et petites-soeurs de ne JAMAIS venir dans mon Antre lorsque je n'y étais pas. Perdre un remède, quel qu'il soit, à cette période... Bref, je sors donc dehors pour me retrouver face à un Apprenti. Quel est son nom déjà? Peu importe. Il semble un peu terrifié. Suis-je si effrayant que ça? Peut-être, je m'en fiche, je m'approche, attendant qu'il parle. Il me montre alors sa patte, où une épine est plantée. je soupire et m'approche. Je lèche le coussinet, jusqu'à ce que l'intrus se relève assez pour que je la sorte. Je l'attrape entre les crocs, m'aprête à la sortir, lorsque mon nom est hurlé tellement fort que je sursaute, retirant l'épine, heureusement entièrement. Je fusille la nouvelle venue, avant de me rendre compte de l'état d'anxiété avancée d'Ecaille d'Or. Elle m'explique de son mieux, à bout de souffle et apparemment traumatisée. Aigue-Marine... Mourante et sur le point de mettre bas. ni une ni deux, je prends des remèdes au plus vite en criant au novice de se lécher la patte en attendant mon retour. puis, je m'efforce de suivre la Guerrière rousse. Je sais que j'arrive avant même de voir le couple. Le sang imprègne l'air. La panique me gagne un peu, mais je la refoule. Je dois être calme, Esprit Soucieux me l'a dit. Un Guérisseur doit être le calme même, s'il est angoissé, ses patients le seront. Et paniqué un Guérisseur ne réfléchit pas assez. Calme Nuage des Ruisseaux. J'arrive enfin à ma patiente et j'écarquille un instant les yeux face à ses blessures. Puis je respire.

"Etoile de Pierre, pose Aigue-Marine ici, je m'en occupe, trouve moi des toiles d'araignée, TOUT DE SUITE. Ecaille d'Or, file au Clan du Tonnerre et trouve Nuit Hivernale, j'ai besoin d'aide. Aigue-Marine, tu m'entends? Surtout ne bouge pas trop, tout va bien se passer, d'accord?"

Je posais la patte sur son ventre, jusqu'à sentir les contractions. C'est bon, ils étaient vivants. Au moins un et il voulait sortir. Je sortis de mes affaires une baie de Genièvre. J'aurais préféré du pavot, mais je n'en avais pas et ça risquait d'assomer la Reine. Je lui présentais la petite baie noire, préalablement réduite en une bouillie de pulpe. J'attrapais les toiles d'araignée et les appliquais sur les blessures. Ce ne serait pas suffisant pour le moment, mais je ne pourrais rien faire de plus dans l'instant.

"Etoile de Pierre, viens là et appuie ici, ne laisse pas tomber la toile, d'accord?"

Je n'attendais pas sa réponse et portais mon attention sur les contractions de la femelle. Je pris une voix douce que je ne t'utilisais que pour ma soeur, habituellement.

"Aigue-Marine, tu m'entends? Tu vas respirer profondément et lentement. Quand je te le dirais, tu pousses. tes chatons arrivent, et ça va aller, je te le promets. je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour vous aider, toi et tes chatons. Tu es prête? iL faut pousser, maintenant!"

Et je laissais la Reine pousser encore et encore. Je ne prêtais attention qu'à ce que je devais faire, mais le sang que je voyais se former sous les pattes d'Etoile de Pierre m'inquiétait. Sans aide supplémentaire, elle allait rejoindre nos Ancêtres avant la fin. Pitié Clan des Etoiles faites que Nuit Hivernale arrive bientôt! En attendant, j'attrapai la première boule de poils sortant. Je l'aidai à sortir, léchai le chaton et un soulagement me fit trembler lorsque je sentis sa respiration. Au plus vite je le collai prè du ventre de sa mère, au chaud. Merci Esprit Soucieux pour tes cours! Je posai ma patte contre le ventre de la mère, attendant les prochaines contractions.

"Aigue-Marine? Ton premier chaton est né, c'est un mâle et il se porte très bien. Tu peux te reposer un peu, la prochaine vague va arriver. Tout se passera bien."

Aigue-Marine n'était plus qu'un tas de poils et de sang à l'agonie. Ses flancs se soulevaient avec difficulté, secoués par des spasmes qui arrachaient un rictus de douleur à la jeune guerrière. Elle n'essayait plus de combattre la souffrance. Elle avait relâché ses muscles, avait laissé sa tête se poser au sol, contre l'herbe tendre, qui, à présent, était imbibée de son sang et de ses larmes. Seuls ses yeux étaient encore ouverts, preuves que la vie n'avait pas encore quitté ce corps brun strié de taches de couleur. Ces yeux azur qui étaient rivés sur Étoile de Pierre et qui ne le quittaient plus une seule seconde. La jeune guerrière ne mourrait pas seule ; son amour était là et elle l'emporterait avec elle, d'une certaine façon.
Écaille d'Or revint bientôt, accompagné par Nuage des Ruisseaux. Le jeune mâle tacheté avait déjà pris de l'assurance dans son rôle de guérisseur ; les ordres qu'il lança à Écaille d'Or et à Étoile de Pierre le prouvaient. Aigue-Marine l'en aurait félicité si la mort ne la menaçait pas. Tout s'enchaîna avec la même rapidité : Écaille d'Or disparut à nouveau, allant chercher du renfort du côté de la guérisseuse du Tonnerre ; Étoile de Pierre s'affairait autour de sa bien-aimée, tâchant de la garder en vie à coups de toiles d'araignée ; Nuage des Ruisseaux s'occupait du premier-né, un jeune mâle vigoureux et qui avait un aspect solide. Aigue-Marine ne s'était pas sentie le délivrer, mais elle l'apercevait désormais contre elle, forte petite boule de poils qui ne comprenaient rien à ce qui se passait ; qui comprenait quelque chose, après tout ? C'était trop tragique, trop soudain, trop horrible.

Aigue-Marine n'écoutait pas les paroles de Nuage des Ruisseaux, mais elle l'entendait parler d'une voix lointaine, comme si elle se trouvait déjà dans un autre monde. Elle se sentait partir, mais elle résistait, elle résistait du mieux qu'elle pouvait, il lui fallait mettre au monde tous ses petits avant de flancher. C'était sa dernière volonté.
Alors, elle tâcha de rester concentrée, de porter toute son attention sur les contractions qui agitaient son corps ; mais elle avait du mal à déceler lesquelles étaient contractions, lesquelles spasmes d'un mourant. Bientôt, les naissances s'enchaînèrent ; Nuage des Ruisseaux faisait un travail remarquable. Il ne pourrait pas sauver la mère, il l'avait certainement compris dès son arrivée ; mais les petits, eux, vivraient certainement.

D'ailleurs, une deuxième boule de poils vit le jour. Dans le monde sombre dans lequel Aigue-Marine évoluait, cette petite tache de couleur rousse eut l'effet d'un éclair dans la nuit obscure. Un sourire faible mais heureux naquit sur les babines de la guerrière, et elle regarda, attendrie, la boule de feu rejoindre son frère, près d'elle. Là où était leur place. Entre leur mère et leur père. Dans une bulle d'amour éternel.
Aigue-Marine laissa à nouveau tomber sa tête sur le sol, épuisée. Elle regardait Étoile de Pierre, inlassablement, souffrant de souffrir, souffrant de le voir souffrir, désespérée de devoir le laisser, d'avoir à les laisser. Mais il fallait être forte, encore un peu. Elle sentait encore plusieurs vies en elle. Elle n'avait pas le droit de lâcher, pas maintenant. Il fallait qu'elle soit encore en vie lorsque tous ses petits seraient nés ; ils avaient droit à leur premier amour, à cet amour d'une mère avec laquelle ils ne grandiraient pas, mais qu'ils auraient connue, une fois, et qui les accompagneraient toute leur vie.