[LP] Magicarpe utilise trempette - C'est inefficace... Ft. Merle -end

Et ensuite, tout alla très vite. Nuage de Merle l'envoya valser quelques queues de souris plus loin, et Petite Émeraude sentit son corps glisser lourdement sur le sol poussiéreux de la pouponnière. Elle eut à peine le temps de comprendre qu'elle n'arriverait pas à se relever seule, trop affaiblie, quand l'apprenti se jeta sur elle, l'immobilisant à l'aide de ses pattes et la fixant très durement des yeux. Il avait un air mauvais sur les babines, un mélange d'orgueil et de haine. Vraisemblablement, il détestait la rouquine - c'était désormais réciproque, mais il y avait aussi autre chose... Son dédain ne semblait pas uniquement porter sur elle. C'était quelque chose de bien plus large. Et Petite Émeraude eut soudainement très peur du félin au poil sombre : un pressentiment affreux lui indiqua que l'avenir du Clan était menacé par Nuage de Merle.
Tu n’as toujours pas mûrit à ce que je vois. Toujours une vraie petite plaie, bête et insupportable. Il va falloir que tu apprennes qu’il ne faut pas s’en prendre à ses compagnons. Ou es-tu trop stupide et influençable pour le comprendre ? Petite Émeraude fixait sans ciller son adversaire, mais des larmes lui étaient montées aux yeux. Des larmes de colère et d'humiliation. Elle avait su dès le début qu'elle aurait peu de chance face à l'apprenti ; mais encaisser la défaite était tout de même douloureux, et elle se jura instantanément qu'il y aurait une revanche, et que cette fois-là, Nuage de Merle ne s'en sortirait pas. Son souhait de tout donner dans ses entraînements lorsqu'elle serait apprentie se renforça encore. À mesure que le temps avançait, sa détermination grandissait et devenait insondable.

« C'est parce que je suis du même Clan que toi que tu t'es montré si faible ? » dit-elle, faisant tout pour conserver un minimum d'honneur. « Tu as peut-être gagné, mais tu m'as prouvé que tu ne brillais pas par tes prouesses au combat... Ton entraînement se révèlerait-il... insuffisant ? » Elle rit insolemment. Elle savait que son père, Étoile de Pierre, faisait la vie dure à l'apprenti, et au vu de son comportement, Petite Émeraude approuvait totalement cette attitude - sans parler du fait qu'elle n'aimait pas Nuage de Merle. « Tu devrais retourner t'entraîner, parce qu'il s'en est fallu de peu. Minable. »

La peur que Nuage de Merle lui assène un coup très douloureux voire fatal étreignait les boyaux de Petite Émeraude ; mais elle n'avait pu s'empêcher de provoquer encore son adversaire, désormais presque ennemi. Elle savait qu'il ne l'avouerait jamais, mais elle s'était bien défendue, et elle avait la prétention de croire qu'elle lui avait prouvé qu'il ne devait pas la sous-estimer.
À charge de revanche, pensa-t-elle, riant d'avance de se confronter un jour à nouveau à Nuage de Merle.

Nuage de Merle ne réagit pas si mal que ça à la provocation ouverte de Petite Émeraude, alors qu'elle l'avait touchée là où ça faisait mal - ça se voyait à sa mâchoire serrée. Malgré tout, il resserra ses griffes autour de la gorge de la rouquine, la toisant du regard. Il la méprisait, cela sautait aux yeux comme une puce sur le dos d'un chien galeux. Et cette haine était réciproque. Tu es bien naïve ma pauvre. Si j'avais voulu, je t'aurais tranché la gorge avant même que tu ne puisses pestiférer de ta voix insupportable. Tu te crois invincible, mais tu n'es qu'un bout de chou... une petite... petite... petite femelle. Voir Nuage de Merle chercher ses mots fit sourire Petite Émeraude un instant, se moquant de son manque de répartie ; mais lorsqu'il se contenta de relever le fait qu'elle était une femelle, avec le même dédain dans la voix que s'il avait parlé d'une crotte de souris, son sang ne fit qu'un tour. Sa marraine, Écaille d'Or, lui avait déjà parlé du traitement que réservait autrefois le Clan de la Rivière aux femelles ; les choses s'étaient arrangées depuis qu'Étoile de Pierre avait accédé au pouvoir, mais les vieilles rengaines ne s'oublient pas facilement... Et cette injustice, qui avait fait souffrir Aigue-Marine, sa mère, lorsqu'elle était jeune, irritait profondément Petite Émeraude, prenant de plus en plus de place dans son esprit à mesure qu'elle grandissait. Elle sentait que cela devenait une cause majeure dans sa vie, et qu'il lui fallait se battre pour ses droits et ceux de ses amies ; que Nuage de Merle ne rejoigne pas ce combat et, pire encore, se place comme adversaire à lui, n'étonnait pas vraiment Petite Émeraude ; ça la confortait dans le choix de sa lutte. Elle serra la mâchoire, accusant le coup.
Si je t'avais tuée, ton idiot de père m'aurait jeté dehors. Et je ne suis pas assez idiot pour risquer ça. Toi par contre, j'ai l'impression que ta petite cervelle n'est pas plus développée que celle d'un moineau. Tu apprendras que foncer aussi bêtement te mènera à bien des surprises. Après tout, je suis ton compagnon de clan non ? Nous devrions nous entendre... du moins, c'est ce que veut ton père... Nuage de Merle avait relâché l'étau, mais il la maintenait au sol, la dominant de toute sa hauteur et - la petite devait bien l'admettre -, de toute sa force. Elle l'écouta lui dicter sa petite morale en haussant les épaules, ses yeux exprimant clairement ses pensées : Cause toujours. Mais elle voyait bien le petit manège de Nuage de Merle ; elle avait compris dès qu'il avait commencé à parler qu'il était en chemin pour envoyer du lourd, du blessant. Et cela ne tarda pas ; et ce fut pire que tout ce que Petite Émeraude avait imaginé. Tu ne voudrais tout de même pas le décevoir à nouveau... si ? Après tout, tu n'as pas aidé ta mère lorsqu'elle est morte... si ça se trouve, c'est même toi qui l'a tuée. Mais tu serais prête à le blesser à nouveau... ? Ça serait triste... et pas très très gentil.
Petite Émeraude ouvrit des yeux grands comme des galets. Elle ressentit une rage puissante l'envahir, et se dandiner sous les pattes de Nuage de Merle pour essayer de se dégager de son étreinte. Elle n'avait certainement pas l'intention de laisser passer l'outrage qu'il venait de lui faire. Si elle avait su toucher son talon d'Achille, l'apprenti, digne héritier d'Étoile de Corbeau, venait de faire de même. Sans qu'elle ne puisse le contrôler, elle sentit ses larmes lui monter à nouveau aux yeux. L'une d'elle roula sur sa joue, humidifiant son pelage ensoleillé.

« Je n'ai pas tué ma mère » lança-t-elle d'une voix ferme, voulant s'en persuader bien plus qu'elle ne souhaitait convaincre Nuage de Merle. Mais le fait qu'Aigue-Marine était morte au moment de sa naissance avait toujours chagriné Petite Émeraude : peut-être que si elle ne les avait pas portés, elle et ses frères et sœurs, Aigue-Marine aurait survécu à l'attaque ? « Et je suis certaine que tu fais bien plus honte à Étoile de Pierre et à tous nos ancêtres réunis, que moi à mon père. »

Elle continuait à se dandiner sous le corps massif de Nuage de Merle. Elle ne s'avouerait pas vaincue. Ses mots continueraient toujours à la défendre, à se battre contre ce perfide apprenti qu'elle détestait plus que tout. Son corps, aujourd'hui, n'avait pas permis de lui donner une leçon, mais cela arriverait, elle se l'était promis. D'ici là, elle se contenterait de lutter contre lui avec ses mots.

Ça m'est bien égal. Les yeux de Nuage de Merle étaient plantés dans les siens, et ils dégoulinaient de haine et d'orgueil. Petite Émeraude soutenait ce regard intensément mauvais, elle le faisait sans ciller, mais elle sentait des frissons d'horreur la parcourir toute entière. Plus elle se plongeait dans les prunelles sombres du novice autrefois vénéré, plus elle semblait lire en lui toute la haine du monde : elle comprenait que Nuage de Merle était dangereux, et que plus il grandirait et plus il le serait. Rien ne pourrait plus arrêter cette tempête, cette furie des éléments prête à tout pour poursuivre son ascension, même aux pires choses. Nuage de Merle n'avait pas su trouver sa place au sein du Clan, sa haine l'avait aveuglée et avait fini par convaincre la communauté de le rejeter ; il s'en était certainement senti peiné auparavant, mais désormais, il semblait qu'il avait trouvé un dessein suffisamment alléchant pour continuer à se lever et à s'entraîner chaque matin. Petite Émeraude avait l'intuition que tout cela finirait mal. Et elle le sentait dans l'indifférence de Nuage de Merle face à son rejet par tous : il se complaisait dans sa solitude et cela ne présageait rien de bon.
Finalement, l'apprenti au poil de jais la relâcha et s'éloigna d'elle, tout en continuant à la fixer de son air mauvais et supérieur. Petite Émeraude se releva et s'ébroua, se débarrassant de la poussière qui couvrait son pelage roux et sentant la moindre parcelle de son corps se noyer dans la douleur. Elle grimaça et s'éloigna de Nuage de Merle en direction de l'entrée de la pouponnière. Elle n'avait qu'une envie : aller se cacher dans un coin où personne ne viendra ni la déranger, ni lui demander des explications à son état. Un endroit où pleurer l'avenir incertain qu'elle venait de lire dans les prunelles de Nuage de Merle. Mais avant de franchir l'entrée de la tanière, elle se retourna vers l'apprenti.

« T'es complètement taré. »

Sa voix trahissait sa crainte de l'apprenti ; mais ce n'était pas pour sa force qu'elle le redoutait, ni pour ses paroles aussi blessantes que du verre. Non, elle le craignait parce qu'elle sentait le mal en lui, et qu'elle savait pertinemment qu'on ne l'arrêterait plus.
Elle frissonna encore en voyant Nuage de Merle lui sourire avec son air atroce ; et elle sortit, clopin-clopant.

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