Venin | Etoile Foudroyante

[justify]La stupeur dans les yeux de son apprenti se miroita sur son visage, et le bengal abaissa ses oreilles avant de détourner le regard, quelque peu embarrassé d'avoir commis un autre faux-pas. Il s'éclaircit la gorge, retenant à sa queue le réflexe de se retirer. Ah, tout faire de travers. Ça ne lui avait pas manqué...

Mais Nuage de Tempête n'avait pas besoin de sa réserve, ou de son espace. Nuage de Tempête s'assied, tout près, très près même, s'asseyant presque sur la patte de son grand-père qui rondit un peu les yeux et s'empressa d'enrouler sa queue à la hanche de son petit fils au cas où il perde l'équilibre.

— J'm'en fiche d'en avoir besoin... C'est-... Je fais de mon mieux, en fait, je te le jure.

Le pensait-il croire le contraire...? Étoile Foudroyante pencha sa tête, tout ouïe à son ressentiment.

— Je fais vraiment de mon mieux ! insista Tempête, mais quoi que je fasse... Que ce soit pour grimper aux arbres ou ne pas revenir en sang au camp, quoi que je fasse, c'est systématiquement de la m-... Un échec.

— Tempête,...

Ou bien sa voix l'avait piqué, ou c'était autre chose... Aussi vite s'était-il rangé contre lui que Nuage de Tempête s'était relevé, avait détourné sa tête, cachant ses larmes et sa frustration à son référent comme s'il croyait l'indisposer. Étoile Foudroyante se leva aussi, par mimétisme, pour aller coller son flanc chaud contre celui couvert de son petit fils.

— Eh-- Allons, c'est normal d'échouer... Tu as besoin de maîtriser l'échec avant de maîtriser tes victoires.

À nouveau, il s'appuya sur une patte avant pour se pencher, cherchant à glisser sa tête sous le menton de l'apprenti renfrogné.

— Tu crois que je me suis jamais pris des pattes en pleine tronche? Que j'ai jamais glissé du haut de ma branche?

C'est comme ça qu'on apprend, Tempête.

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« Eh-- Allons, c'est normal d'échouer... Tu as besoin de maîtriser l'échec avant de maîtriser tes victoires. » Il s'était approché, collant son flanc à celui de l'apprenti avant de venir glisser sa tête sous son menton. Nuage de Tempête ne fuit pas le contact, il ne s'y soustrayait pas. Il savait d'instinct qu'il en avait besoin, de cette chaleur réconfortante.

« Tu crois que je me suis jamais pris des pattes en pleine tronche? Que j'ai jamais glissé du haut de ma branche?

C'est comme ça qu'on apprend, Tempête. » S'il eut un instant la volonté d'exprimer son désaccord avec violence, en se reculant, en faisant le dos rond, Tempête n'en fit rien. Plutôt, il grimaça péniblement, se rasseyant dans la neige, comme s'il ne tenait pas sur ses pattes. Il se détacha une seconde de son grand-père pour venir plutôt coller sa tête contre son épaule.

« C'est peut-être vrai pour tout le monde, ça, mais alors j'comprends pas ! Pourquoi c'est si difficile à vivre ? Pourquoi j'ai toujours la sensation de pas être à la hauteur ? » Il grimaça encore, serra les dents une nouvelle fois avant de poursuivre. « Je-... J'ai eu peur, j'ai essayé de ne pas fuir... Mais que vaut le courage si c'est pour revenir en perdant ?!... Je m'en fiche d'apprendre, je veux que ma mère soit fière de moi maintenant !... »

Il baissa les yeux, hésitant, puis il déglutit un peu, laissant l'épaule de Foudre le soutenir.

« Mais le pire c'est même pas ça... Le pire c'est que je suis inutile. Je- Je n'apporte rien à personne. Seulement des soucis en plus- Je ne veux plus jamais être la cause de leurs inquiétudes. Je ne veux plus jamais lire la terreur et la douleur dans leurs yeux, Foudre. Ca me donne la nausée. » Et il avait cracher ce dernier mot, illustrant dans son expression malade toute l'ampleur qu'il revêtait.

C'était une réalité difficile, surtout pour des chats qui étaient convaincus qu'ils devaient s'aiguiser les griffes et mutiler toutes leurs envies pour s'assurer une bonne place dans leur - bien réel - après-vie. Source Fleurie n'aurait jamais enseigné une pareille connerie à ses enfants, mais qu'en était-il de leur père, Queue de Lézard, lui-même élevé par Coeur de Puma? Étoile Foudroyante avait appris à connaître ce-dernier, depuis les cycles de haine, de peine et de reconstruction, aussi il ne lui avait jamais parut aussi zélote que les fanatiques de la Lune, mais... Tout comme lui, les enfants absorbaient ce qu'on leur disait et, même s'ils ne s'en rappelaient pas, certaines paroles se coinçaient, quelque part entre leurs deux oreilles, s'embobinant comme une étrangleuse autour de l'écorce de leur identité encore jeune.

Nuage de Tempête ne repoussa pas son rapprochement, se résignant à se rasseoir, puis, à glisser sa tête pour la ficher dans l'épaule de son grand-père. Ce-dernier fut frappé d'un souvenir d'un Bec Croisé à la pointe de son deuil.

— C'est peut-être vrai pour tout le monde, ça, mais alors j'comprends pas ! Pourquoi c'est si difficile à vivre ? Pourquoi j'ai toujours la sensation de pas être à la hauteur ?

Désirait-il la vérité crue ou la douceur d'un mensonge? Étoile Foudroyante ne put qu'abaisser légèrement ses oreilles, aussi impuissant qu'il l'avait été quand Bec avait versé des larmes dans son poil.

— Je-... J'ai eu peur, j'ai essayé de ne pas fuir... Mais que vaut le courage si c'est pour revenir en perdant ?!... Je m'en fiche d'apprendre, je veux que ma mère soit fière de moi maintenant !...

Étoile Foudroyante sourcilla. Qu'est-ce qui faisait donc penser à Tempête qu'ils n'étaient pas, lui et tous ses frères et soeurs, la prunelle dans les yeux de leur mère...?

— Mais le pire c'est même pas ça... continua Nuage de Tempête, tout son poids basculant contre son épaule, dissuadant au bengal de s'asseoir à son tour. Le pire c'est que je suis inutile. Le mot fut à peine soufflé. Je- Je n'apporte rien à personne. Seulement des soucis en plus- Je ne veux plus jamais être la cause de leurs inquiétudes. Je ne veux plus jamais lire la terreur et la douleur dans leurs yeux, Foudre. Ca me donne la nausée.

— ... Tu n'es inutile à personne si tu es mort, Nuage de Tempête. C'est ton grand-père, Coeur de Puma, qui m'a dit ça.

Sa queue trouva le dos du jeune chat, y pesant son soutien.

— Le Clan du Tonnere ne voulait pas de moi comme chef, alors je leur ai dit que si j'obtenais les vies, je leur ferais mes preuves en m'enlevant publiquement une vie. Au final, même si Coeur de Puma a su me faire entendre raison, les Étoiles m'ont foudroyé quand même.

Depuis sa position tout contre lui, Nuage de Tempête ne put voir le brouillard affadir son regard.

— Je... ne crois pas qu'une défaite fasse de toi un perdant. Comment veux-tu le triomphe d'une victoire sans le vertige de l'échec? Tu commences tout juste à t'habituer à tes pattes et à ta queue, comment espères-tu pouvoir me renverser sans n'avoir jamais connu ma force?

Ni ses pupilles se dilater dedans, et ses commissures se crisper sur le sursaut d'un sourire féroce.

— Ton agresseur n'est pas aussi... invulnérable qu'il aime se le faire croire. Et moi non plus.

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« ... Tu n'es inutile à personne si tu es mort, Nuage de Tempête. C'est ton grand-père, Cœur de Puma, qui m'a dit ça. » Coeur de Puma. Tempête respectait sa parole presque autant que celle de Foudre.

« Le Clan du Tonnere ne voulait pas de moi comme chef, alors je leur ai dit que si j'obtenais les vies, je leur ferais mes preuves en m'enlevant publiquement une vie. Au final, même si Coeur de Puma a su me faire entendre raison, les Étoiles m'ont foudroyé quand même.

Je... ne crois pas qu'une défaite fasse de toi un perdant. Comment veux-tu le triomphe d'une victoire sans le vertige de l'échec? Tu commences tout juste à t'habituer à tes pattes et à ta queue, comment espères-tu pouvoir me renverser sans n'avoir jamais connu ma force ? » Finalement, Etoile Foudroyante n'était pas si mauvais en ce qui concernait trouver les mots. Nuage de Tempête l'écoutait, silencieux. Il tâchait de ne pas laisser les sursauts émotifs qui parcouraient son corps interrompre son mentor.

« Ton aggresseur n'est pas aussi... invulnérable qu'il aime se le faire croire. Et moi non plus. »

Il mentait.

Il mentait, mais Tempête ne lui en voulait pas. Il comprenait pourquoi ce mensonge était nécessaire, ce que son mentor tentait de faire. Focaliser sur sa propre vision troublée, sur son propre souffle erratique, il déglutit légèrement et tenta de reprendre son souffle. Sans même s'en rendre compte, il avait laisser quelques sanglots discrets le gagner.

Il ne savait que penser de toute cette histoire, de la foudre et de ces précieux conseils. Il s'imagina que tout deviendrait clair une fois l'émotion passée, comme s'il fallait attendre que l'eau retrouve son calme pour voir au travers.

Tempête songea à tout ce qu'il pourrait répondre. Contredire son mentor, aller dans son sens. Promettre de devenir meilleur, plus fort, être capable de vaincre. Tout ça lui passa par la tête, rapidement et puis, rien de concret ne vint. La gueule entrouverte, les yeux à demi-clos, comme d'épuisement, tout ce qui s'échappa d'entre ses crocs fut :

« ... Merci. »

Lui qui se démenait à aller de l'avant, à faire fi de tout ce qu'il avait été, encouragé par les trous dans sa mémoire et la déflagration de sa propre identité, se rendit compte que ce qui avait éteint le tourment de son apprenti était de lui ressasser son passé. D'une anecdote banale de sa vie.

— ... Merci.

Son sourire s'adoucit, et, tout blotti contre Nuage de Tempête, Étoile Foudroyante haussa une épaule, à la légère.

— Je te l'ai dit, non? Ça viendra.

Il profita toutefois de la proximité de l'apprenti pour lui souffler de l'air chaud sur le crâne, entre les deux oreilles, avant d'y aplatir sa langue et débuter une toilette dans son poil. L'envie de se saisir de ceux qui se rebiquaient de ses oreilles et de les arracher comme de la mauvaise herbe le saisit aux tripes, comme si quelque part sous le pergélisol à sa tête, une graine de frayeur tentait de germer dans la glace quant à l'idée que quelqu'un puisse avoir envie d'émuler qui il était (Qui était-il?) sans ne vraiment le connaître...

En raidissant le dos, il sortit de son immobilité pour étirer une patte dans la neige, écarter les phalanges et sortir les griffes. D'un battement de la patte il rapprocha le mulot congelé.

— ... Tu as faim?

« Je te l'ai dit, non? Ça viendra. » Il sentit le souffle de son grand-père au sommet de son crâne, puis sa langue râpeuse. Il clôt ses paupières, un instant, profitant encore un peu de cette proximité. Son corps était brûlant, mais ses membres froids. Un ronronnement s'échappa avec légèreté de sa gorge, comme s'il cherchait à se convaincre de s'apaiser.

« ... Tu as faim ? » en rouvrant les yeux, Tempête vit que Foudre avait rapprocher le mulot durcit par le froid d'eux. Il s'écarta à contre-coeur, lentement, de son mentor. Son corps était encore faible et fatigué. Il se sentait comme vidé de toute énergie, de toute substance.

Il se pencha au dessus de sa victime et arracha un morceau de chair en grimaçant- le froid faisait mal aux dents. Il l'avala en la mâchant à peine, son estomac lui semblait garnit d'un kilos de sable qui, lourdement, le contraignait à des gestes lents.

Il ne trouva rien à dire, rien à répondre. Il se concentra sur le fait de manger, les yeux à demi clos, rougis par les larmes. Il était épuisé.

Pas de oui ou non - comme pour le précédent échange martial, Nuage de Tempête s'exécuta machinalement, en silence, quitte à se mettre les dents dans une proie passée depuis longtemps son seuil de fraîcheur (ironique, puisqu'une proie n'avait sans doute jamais été aussi "fraîche"). Étoile Foudroyante vit bien que le repas goûtait la défaite, et que vidé de son énergie combattive, vidé de sa colère, vidé de tout ce venin alimentant son sang chaud son apprenti s'était tellement refroidi qu'il devait partager la même température corporelle que ce pauvre mulot. La défaite, perdre, ou manger un repas moins frais (trop froid) ne devait pas être la Rivière à Boire, cependant. Ou, si elle l'était, il s'assurerait de l'aider la boire à deux.

C'est pourquoi Étoile Foudroyante se pencha, plantant les griffes dans le mulot, l'y plaquant au sol pour en arracher des lambeaux qu'il mâchait en grimaçant.

Le portrait de l'adversaire de Tempête attendrait. Le venin qu'on lui avait injecté l'affectait encore, et lui embrouillait l'esprit. On ne se remettait pas d'une fracture (d'un os ou de l'ego) en une nuit; tout n'avait pas besoin d'être dit en un jour. Surtout ce qu'Étoile Foudroyante savait déjà sur lui...