[INNONDATION] Mieux vaut tard que jamais | Etoile Foudroyante

La petite Tempête devenu Nuage de Colère s'attendait à se faire réprimander. Il ne savait trop comment, à dire vrai. Un coup de patte, une remarque blessante- N'importe quoi qui aurait pu donner raison à ses battements de cœur incessants.

A la place, Le Foudroyé ne lui offrit qu'une sorte de rictus et un air que Nuage de Tempête ne sut pas lire.

« ....... Nonobstant complètement que tu viens tout juste de me prouver raison, je crois qu'il y a méprise. Je te disais que je te voulais comme diplomate afin de tisser, auprès de moi ou non, des liens solides avec nos voisins. »

Le félin grisâtre se stoppa. Il cessa de bouger, cessa même de respirer.
Venait-il de se ridiculiser à ce point ?

C'était bien pire que ça. Le Nuage déglutit à peine, la gueule entrouverte et les yeux écarquillés dans une expression qui aurait pu passer pour de l'indignation mais qui, en réalité, n'était que le reflet de la soudaine honte qui l'envahissait. Il n savait plus où se mettre.

« Je croyais que ça te ferait plaisir... Je me suis trompé ? » Il fit non de la tête, vivement.

Son arrière-train s'arque bouta tout seul, le faisant s'asseoir sans même qu'il n'y pense. Les oreilles en arrière, il observa ses pattes qui lui semblèrent soudainement bien plus intéressantes que son mentor.

« Je-... Je suis confus. » Dit-il, bredouillant, imbécile. « Je- Je n'avais pas compris... » Avoua-t-il à demi-mots. Puis, il détourna le regard, observa derrière lui, le tronc, puis l'étang sablonneux, sous eux.

C'était une mauvaise idée.

« Je-... Cela me fait plaisir, si. Mais je ne crois pas... Je ne crois pas que ce soit une bonne idée » Il grimaça. Cela lui arrachait la gueule d'avoir à le dire, mais il se redressa pour forcer sa voix à se faire plus forte. « Si... Si je réagis comme je viens de le faire, je ne ferais que briser des liens. Nuage Soufflant est plus-... Enfin. »

Tempête avait dégrisé si vite qu'il avait presque pris la teinte charbon de son mentor.

Il secoua vivement sa tête et toute la branche rebondit, sans affecter le bengal qui demeurait complètement indifférent dans sa position. La queue de l'apprenti cessa de battre. Il tombait des nues autant qu'il tomba assit, triant tout l'Univers que lui ouvrait Étoile Foudroyante avec rien que cette toute petite mise en contexte sur ce simple mot qu'il avait mal interprété.

— Je-... Je suis confus.
— Ça, pour l'être...! le taquina le bengal d'un souffle.
— Je- Je n'avais pas compris...

Ce que Tempête ne remarquait peut-être pas, à l'instant, était sa rapidité de s'admettre avoir eu tort. Il retombait si vite sur ses pattes, lui qui se laissait autrefois consommer par le feu d'une justice dont il était le seul à en connaître les paramètres... Il baissa les yeux sur l'étang sablonneux où il venait tout juste de faire trempette. Sa rapidité à plonger sous les eaux puis de se hâter vers les cieux - ne s'en rendait-il pas compte? Avant, Nuage de Tempête n'arrivait même pas à s'aggripper à un tronc.

— Je-... Cela me fait plaisir, si. Mais je ne crois pas... Je ne crois pas que ce soit une bonne idée

Étoile Foudroyante ne cilla pas. Il regarda son apprenti redresser son dos afin de mieux faire porter les mots dans sa voix.

— Si... Si je réagis comme je viens de le faire, je ne ferais que briser des liens. Nuage Soufflant est plus-... Enfin.

Le candidat qu'il proposa fut chassé de l'autre patte.

— Nan, on est d'accord. Je m'étais dit que si tu refusais, je proposerais la place à Nuage de Feuille. De toute votre tanière, c'est bien l'apprentie qui vadrouille le plus.

"Feuille Fugueuse", c'était quand même pas mal...

Pour épargner à Nuage de Tempête un nouveau quiproquo, Étoile Foudroyante se départit de son masque de bonhommie et dilata les pupilles dans ses yeux comme l'obturateur d'une caméra s'ajustant au seul sujet qui l'intéressait.

Il lui parla franchement:
— Je n'aurais jamais du devenir chef, et Dame de Coeurs n'aurait jamais du entraîner Lycaon. Mais cet antagonisme m'attire. Ferais-tu un bon chanteur? Tout porte à croire que non.

Il retourna sa patte. Sur le revers, il y posa son menton, plus pour lui glisser une confidence que pour réellement se mettre à l'aise.

— Le - hic -, ses babines se retroussèrent sur des dents carnassières, c'est que j'adoOore prouver le contraire ♡...

Un frisson de plaisir lui parcourut l'échine, se dispersant agréablement dans un roulement d'épaules.

— Si tu n'es pas intéressé, je ne vais pas t'y forcer. Même si je doute que te cloitrer au campement permettra à tout ton potentiel de s'épanouir, je ne veux pas injustement te lier les pattes à affronter sans cesse le reflet de ta propre frustration.

Depuis ton accident, disons qu'elle ne m'amuse plus autant...

_________________

« Nan, on est d'accord. Je m'étais dit que si tu refusais, je proposerais la place à Nuage de Feuille. De toute votre tanière, c'est bien l'apprentie qui vadrouille le plus. »

Il serra la mâchoire, piqué à vif.

« Je n'aurais jamais du devenir chef, et Dame de Coeurs n'aurait jamais du entraîner Lycaon. Mais cet antagonisme m'attire. Ferais-tu un bon chanteur ? Tout porte à croire que non. » Nuage de Tempête le savait bien et il se demandait, à cet instant, à quoi jouait son mentor. Il grimaça, blessé un peu plus, et fuit encore une fois ce regard aux pupilles sombres.
Alors qu'Etoile Foudroyante prit une posture de confidence, Tempête releva à peine les yeux, méfiant.

« Le - hic - c'est que j'adoOore prouver le contraire ♡... Si tu n'es pas intéressé, je ne vais pas t'y forcer. Même si je doute que te cloitrer au campement permettra à tout ton potentiel de s'épanouir, je ne veux pas injustement te lier les pattes à affronter sans cesse le reflet de ta propre frustration.

Depuis ton accident, disons qu'elle ne m'amuse plus autant... »

Ses crocs grincèrent malgré lui. Il connaissait Foudre et lorsqu'il avait voulu du lui comme mentor, il s'était préparé à être un peu bousculé.

Mais là, cette bousculade lui donna la nausée.

C'était peut-être encore trop tôt et Tempête se sentait faible d'être un grand garçon terrifié par un spectre du passé. Ce chat noir, il était certainement mort, depuis le temps - il l'espérait. Il prit le temps nécessaire à la réflexion pour chasser de son esprit cette image qui le brouillait et puis, prit le temps de bien comprendre les paroles d'Etoile Foudroyante.

Il se redressa alors, fièrement, en bon soldat. Assit, dos presque droit, il fronça à peine les sourcils.

« Il n'y aurait rien qui ne me fasse plus plaisir que de t'être utile, Etoile Foudroyante. » Puis, passé cette démonstration de sa ferveur, il se ratatina une nouvelle fois, les oreilles basses.

« Mais je... N'suis pas sûr de comprendre. Crois-tu en moi ou cherche tu seulement une... Une distraction ? »

Oui, c'était sans doute trop lui proposer en si peu de temps. Son apprenti se prit tout à la fois la vexation, la flatterie, la confusion, la colère et la réflexion. Quand Étoile Foudroyante se tut, quelque chose avait brillé dans les yeux de Nuage de Tempête, qui, une fois de plus, dut s'affairer à trier toutes ces nouvelles idées.

Étoile Foudroyante ne cessait de se fasciner de la vitesse de son apprenti à prendre les coups et les encaisser. Ah - il se moqua de lui-même, maudissant son esprit tordu, ses dents longues et sa propre absence de partenaire depuis que le Clan pataugeait dans la flotte. Son oreille battit l'air, déçu de ne pas pouvoir partager le pigeon entre ses pattes auprès de son Moineau Chantant adoré...

Souple comme un roseau, Nuage de Tempête se redressa, la carrure sans défaut.

— Il n'y aurait rien qui ne me fasse plus plaisir que de t'être utile, Etoile Foudroyante.
— Tiens, je ne suis plus Le Foudroyé?
— Mais je... N'suis pas sûr de comprendre, lui dit-il alors. Crois-tu en moi ou cherches-tu seulement une... Une distraction ?

Les yeux du bengal s'arrondirent, miroitant à son apprenti le faciès d'un matou à la dentition forte et aux joues remplies qui n'était plus celui d'un enfant.

— Et toi?

Tu veux vraiment savoir ce que je pense, ou tu cherches plutôt à me tirer de la bouche les mots que tu aimerais tirer de celle de ton père?

La question était aussi sérieuse qu'intentionnellement épineuse; il pesa même l'intensité de son regard, s'assurant de faire comprendre à l'apprenti que s'il tenait à être son égal, cela entendait aussi de ne plus retenir leurs coups.

« Et toi ?

Tu veux vraiment savoir ce que je pense, ou tu cherches plutôt à me tirer de la bouche les mots que tu aimerais tirer de celle de ton père ? » Acéré, comme à son habitude. Ses paroles étaient des serres de rapaces qui frappaient violemment, comprimaient et puis, repartaient aussi sec dans les airs sans laisser le temps à sa pauvre victime le loisir de répliquer.

Nuage de Tempête tiqua, c'était une évidence. Il serra un peu la mâchoire et se redressa, ombrant un peu plus ses iris bleutés d'un froncement de sourcil désapprobateur. Foudre voulait jouer à ça ? Soit. Tempête ne rentrerait pas dans son jeu. Il n'avait aucune envie de lutter contre son mentor et, surtout, il n'avait pas envie de plonger dans ce sujet en particulier.

« Tu n'es pas Queue de Lézard. Tu ne le seras jamais. » Cela constituait, à son sens, une réponse suffisante, mais il se permit d'étayer son propos, qu'il n'y ait pas la possibilité d'un quiproquo. « De lui, j'ai cessé d'attendre quoi que ce soit, en fait. De toi, c'est différent, mais je n'attends pas des mots qu'il aurait dû dire. »

Il prit une grande inspiration, retrouvant son calme sans pour autant baisser sa garde. Lorsqu'il souffla, ce fut sèchement, rapidement, avant de reprendre la parole d'un air indifférent.

« Tu es mon mentor et mon modèle. J'aimerais entendre ta fierté, mais l'attendre ? Non.

Tu ne me dois rien. »

Il ne comptait pas laisser les serres s'échapper comme ça, cette fois.

Ah, ce tic. Étoile Foudroyante pencha sa tête, sentant le sang dans l'eau. Tempête avait serré la mâchoire, froncé les sourcils - l'attaquerait-il? Ce n'était pas l'opportunité qui manquait. De par sa position plus près du tronc, les appuis de Nuage de Tempête étaient tout de suite plus stables que ceux du bengal qui s'était couché presque au bout souple de cette branche. Il aurait pu la lui casser, ou plus simplement encore, bondir dessus et renvoyer le rebond au bengal afin de le désarçonner. Lui et son pigeon s'écraseraient comme des merdes dans la boue, et Nuage de Tempête serait ainsi vengé.

— Tu n'es pas Queue de Lézard. Tu ne le seras jamais, lui sortit l'apprenti. De lui, j'ai cessé d'attendre quoi que ce soit, en fait. De toi, c'est différent, mais je n'attends pas des mots qu'il aurait dû dire.
— Oh ?

Il ne manqua rien de la grande respiration que prit l'apprenti afin de retrouver son calme.

— Tu es mon mentor et mon modèle. J'aimerais entendre ta fierté, mais l'attendre ? Non. Tu ne me dois rien.
— Hmmm...

La queue du bengal balança depuis sa branche. Puis, elle se souleva, suivant le mouvement de sa croupe et ses jarrets qui se défléchirent. Étoile Foudroyante s'abaissa afin de bien s'étirer les muscles du dos.

— Belle contenance. Pas la moindre griffe sortie de son fourreau.

C'était cet avantage qu'il appréciait particulièrement chez Tempête. Celui d'avoir un visage naturellement impassible, des expressions faciales presque aussi émoussées que les siennes. Elles lui donnait cette intransigeance qui, depuis qu'il avait pris du coffre, dégageait un type de charisme qu'il était de nos jours plutôt rare de voir au sein des quatre Clans. Le seul chat auquel il pouvait comparer l'apprenti était feu Brasier Glacial, un ancien lieutenant de la Rivière.

— Bien que ta question m'ait vexé, laisse-moi explorer l'intérieur de la plaie.

Étoile Foudroyante se pencha, se saisissant de la carcasse de son pigeon par l'aile qui lui restait. Puis, il se mit en marche: un pas à la fois, comme un funambule sur son fil, il s'avança sur sa branche en se rapprochant, lui et tout le fumet émanant de son repas, de son apprenti, défiant le vide qui menaçait de l'avaler. Tout en bas son reflet à l'envers ondoyait sur la surface trouble de leur combe innondée.

— Si, en effet, tout ça ne sert qu'à m'amuser, qu'est-ce que ça change pour toi? Tout en contournant son interlocuteur, Étoile Foudroyante le bouscula d'un petit coup d'épaule. Tu dis vouloir m'être utile, non? Tu prétends te modeler à moi? Et si tout ce en quoi j'oeuvre vraiment ne servait, au final, qu'à une bête distraction...?

Deuxième round. Il lui envoya même sa queue au nez pour bien couronner la pique.

« Belle contenance. Pas la moindre griffe sortie de son fourreau. » Il s'étira, le vieux chef de clan. Nuage de Tempête se garda de lui signaler que c'était tout à fait naturel : il avait toujours respecté l'autorité. De fait, il ne se souvenait pas s'être déjà emporté fortement contre un chat qui n'était pas du même rang que lui.

« Bien que ta question m'ait vexé, laisse moi explorer l'intérieur de la plaie. » Il s'avança, trimbalant son drôle d'oiseau dans la gueule. Tempête grimaça, son odeur était à la fois étrange et attrayante, le fumet du sang et des entrailles lui mettait l'eau à la bouche, mais elle se mêlait à quelque chose d'autre qu'il n'appréciait pas.

« Si, en effet, tout ça ne sert qu'à m'amuser, qu'est-ce que ça change pour toi ? Tu dis vouloir m'être utile, non ? Tu prétends te modeler à moi? Et si tout ce en quoi j'œuvre vraiment ne servait, au final, qu'à une bête distraction... ? » Le coup d'épaule fit grimacer l'apprenti. Il claqua sa langue contre son palais, agacé, et releva un patte. Puis, le bout de la queue de son mentor lui fouetta le nez, achevant d'irriter le jeunot.

Il reprit son souffle, comme lorsque l'on sort de l'eau, pour ne pas se laisser noyer par l'émotion vive qui l'inondait. Sans bouger plus que de raison, il suivit Foudre du regard, les oreilles en arrière. Son corps se contorsionna, souple, il posa sa patte levée derrière sa cuisse, relevant l'autre.

« Tu n'as pas compris. Ou plutôt, c'est moi qui n'ai pas été clair. » Souffla-t-il. Comme pour ajouter de la force à ses propos, il se leva comme un ressort, se déroulant pour être face au tronc et à Etoile Foudroyante. « Ce n'est pas à toi que je veux être utile, Etoile Foudroyante, mais au clan. Comme chaque chat, je vis pour le servir, parce que tous ensemble, lorsque nous faisons corps, nous faisons un, et c'est ce qui nous permet de perdurer. »

Il marqua une pause, relevant le museau. Ses sourcils froncés et ses lèvres pincées laissaient carrément voir son agacement. Son expression était subtile, mais parfaitement lisible.

« Je sais que tu fais au mieux pour le clan. Du moins, c'est l'image que j'ai de toi... Si te moquer de moi sert le clan, je l'accepte. En fait je-... C'était blessant. Mais si je veux être en accord avec mes principes, je crois que je dois apprendre à laisser mon égo de côté. » Et cette réflexion lui arracha une grimace. « En revanche, si cela ne sert que toi, alors je me serais tromper et tu ne serais pas vraiment digne d'être chef. »

Nouveau souffle - Nuage de Tempête le contint, sèchement, dans son diaphragme, ne se permettant plus une patte de travers en n'offrant à son référent que d'yeux accusateurs.

Étoile Foudroyante lui répondit de son plus joli sourire.

— Tu n'as pas compris, souffla Nuage de Tempête. Ou plutôt, c'est moi qui n'ai pas été clair.
— Je t'écoute.

Nuage de Tempête se releva d'une volte, faisant face au bengal qui ne le regardait plus que par-dessus son épaule.

— Ce n'est pas à toi que je veux être utile, Étoile Foudroyante, mais au clan. Comme chaque chat, je vis pour le servir, parce que tous ensemble, lorsque nous faisons corps, nous faisons un, et c'est ce qui nous permet de perdurer.

Quoi qu'on en dise, il avait d'la verve, maintenant, le p'tiot. Il ne l'appelait jamais par son sobriquet au complet que lorsqu'il voulait peser ses arguments, alors pour l'épargner, pour lui donner une chance, Étoile Foudroyante releva le nez et échappa son sourire pour laisser son apprenti voir toute la froideur analytique s'emparer de ses yeux d'habitude rieurs.

— Je sais que tu fais au mieux pour le clan. Du moins, c'est l'image que j'ai de toi... Si te moquer de moi sert le clan, je l'accepte. En fait je-... C'était blessant.

N'est-ce pas? Le bengal releva un peu plus le menton, pesant son propre non-dit à son apprenti.

— Mais si je veux être en accord avec mes principes, je crois que je dois apprendre à laisser mon égo de côté.

Les paupières du bengal se plissèrent, et ses pupilles se dilatèrent pour se ficher aussitôt sur la grimace.

— En revanche, si cela ne sert que toi, alors je me serais trompé et tu ne serais pas vraiment digne d'être chef.

Une bonne riposte, il devait avouer. Étoile Foudroyante descendit son poids dans l'échine, dans sa queue, et s'assied à nouveau, présentant une pleine vue des sombres marbrures en aquarelles sur son dos.

— Tu ne m'as pas écouté? Je viens de te dire que je n'aurais jamais du l'être. Étoile Foudroyante écrasa son butin contre le tronc de l'arbre, l'y clouant avec les griffes. De sa gueule, il arracha quelques plumes à l'oiseau, puis un gigot de sa cuisse, tordant le cou et rentrant les postérieurs afin de jeter la récompense à l'intention de l'étudiant derrière lui.

— Quelle différence entre me servir moi-même et servir le Clan? Tu oublies peut-être, Nuage de Tempête — à l'aide de ses deux pattes, il déploya grande l'aile qui restait au pigeon, prenant le soin de bien admirer le mouvement de toutes ses plumes — que mon Clan, c'est les Quatre.

« Tu ne m'as pas écouté? Je viens de te dire que je n'aurais jamais du l'être. »

Pour Tempête, cela ne changeait rien. Le destin n'existait pas réellement, il n'était qu'une excuse pour justifier des actes ou bien, des non-actes. Sans destinée, Foudre était parfaitement à sa place, ou bien, il ne l'était pas du tout, c'était à ses actes, ses compétences d'en juger.
Nuage de Tempête ne disait rien, se contenta d'observer son chef dépecer cet oiseau étranger contre le tronc de l'arbre. Il prit le temps d'admirer ce dos qui s'offrait à lui, ces marbrures sombres sur ce pelage si sombre. Il lui sembla logique qu'il soit à sa place, justement, car Etoile Foudroyante était intriguant de toute part, jusque dans ses marques qui couraient sur son corps.

« Quelle différence entre me servir moi-même et servir le Clan? Tu oublies peut-être, Nuage de Tempête que mon Clan, c'est les Quatre. »

Bien sûr, Tempête réprima l'envie de ses poils de nuque de se soulever. Il glissa sa queue contre sa cuisse pour la contraindre au moins de mouvement parasite possible, il ne fallait pas se trahir. Il était difficile pour lui d'accepter les autres clans comme son clan, ils étaient une menace. Et, au fond, il était convaincu que le Tonnerre valait bien mieux qu'eux tous.

Mais pragmatiquement, il ne pouvait nier l'avantage qu'une telle philosophie pouvait revêtir. Les problèmes des uns impactaient systématiquement les autres.

L'apprenti était partagé.

« Qu'importe. On se moque pas mal de si tu aurais dû ou pas être chef ou bien, quelle est ton idéologie farfelu, tant que cela profite au clan. Bien sûr, je ne suis pas d'accord avec tout ce que tu dis ou tout ce que tu fais... Mais notre clan n'en demeure pas moins prospère - autant qu'il peut l'être - alors, en fait, tout ça, c'est du détail. » Il détourna le regard, pudique, retenant un grimace agacée.

Le jeu, il ne l'amusait pas et il commençait sérieusement à s'en lasser.

— Qu'importe.

Qu'importe la différence entre se servir ou servir le Clan ou bien qu'importait que Foudre serve les Quatre?

— On se moque pas mal de si tu aurais dû ou pas être chef ou bien, quelle est ton idéologie farfelue, tant que cela profite au clan. Bien sûr, précisa aussitôt son apprenti, je ne suis pas d'accord avec tout ce que tu dis ou tout ce que tu fais...

Étoile Foudroyante se désintéressa de son oiseau afin de verser tout son superbe au blanc-bec derrière lui.

— Mais notre clan n'en demeure pas moins prospère - autant qu'il peut l'être - alors, en fait, tout ça, c'est du détail.
— Du détail! s'esclaffa-t-il, faisant fi de toutes les boules de frustration qu'avalait et ravalait son apprenti.

Tempête avait même collé sa queue contre sa cuisse pour la retenir de s'agiter - de grands sacrifices, pour quelqu'un d'aussi téméraire et avec la langue aussi affûtée.

— Dis-moi, Tempête — Étoile Foudroyante pianota des griffes — Tu sais comment on prive un oiseau de ses ailes?

La gigot qu'il lui avait lancé avait raté sa cible, plus tôt.

Maintenant il sombrait dans la vase, en contrebas.

— Il n'est pas nécessaire de les lui arracher, tu sais? Surtout si le but est de le maintenir en vie...

Le pigeon des villes, cloué contre l'écorce, ne put broncher à cette explication. Il ne soufflait plus et ne pouvait donc pas se plaindre de l'aile qui lui manquait. La seconde, complètement indemne, était encore souple et propice à la démonstration.

— Chacune de leurs plumes ont une utilité. Rapproche-toi-- regarde-les bien. Vois-tu leurs différences? Là — il traça d'une griffe le corps de l'oiseau — elles sont plus courtes, plus larges près de leurs épaules — remonta la courbe de l'aile — mais elles s'affinent aux extrémités.

En s'étirant le cou, Étoile Foudroyante pinca le bout de ses incisives sur une rémige primaire à l'oiseau. D'un mouvement sec de la tête, à peine perceptible, il arracha ladite plume et la recracha, marquant un interstice visible dans la silhouette de l'aile.

— Une seule plume. La plume virevolta au dela de leur branche, bercée par sa légèreté. C'est tout ce qu'il suffit pour qu'un oiseau effrayé ne puisse plus s'envoler.

Mais à quoi pouvait bien servir d'empêcher un oiseau de s'envoler sans même le croquer...?

— Sous-estime l'importance d'un "détail", et c'est à toi qu'on privera les ailes.

Il pensa à Elle, et son sourire se meurtri de nostalgie, heureux et triste à la fois, furieux et calme. Dans sa tête se déchaînait le blizzard mais son corps externe, lui, demeurait immobile. Presqu'impassible - presque.

— ...Tu m'as demandé si je croyais en toi, ou si je me jouais de toi. Je te répond qu'il n'y a pas d'opposition.

Je crois que pour tisser des liens forts, il faut des fortes personnalités. Des esprits aiguisés comme des griffes, qui ne vont pas toujours dans mon sens. Je suis là pour échauffer les autres et les provoquer; à l'inverse, ton intransigeance te donne une apparence de stabilité. Si tu me demandes, c'est un atout.

En d'autres mots, je n'ai pas besoin de ronces à ma palissade. Ce que je désire réellement, ce sont des plumes aux extrémités de mes ailes.

Unes à une, les plumes de celle du pigeon se firent arracher, voletant au vent.

— Toutes mes entourloupes, - une plume - mon chantage, - une seconde - ou mes bouffoneries - une troisième - ne serviront à rien lorsque j'aurai épuisé mes vies.

Un jour il mourrait et tout ses savoirs avec lui. C'était la responsabilité de Tempête de lui arracher tout ce qu'il savait avant que ce jour n'arrive, mais Tempête avait aussi un choix à faire: accepter, ou refuser. Comme quoi ses yeux ne s'illuminaient plus d'une constellation d'étoiles quand il regardait son grand-père.

Peu à peu, suivant les cycles d'entraînements ainsi qu'une variété de mentors, depuis qu'il avait pris du coffre et avait gagné en addresse, Tempête pouvait enfin voir au travers du "mystique" qu'il avait attribué au bengal.

Tempête pouvait enfin comprendre que toutes ces questions faisaient réellement partie de son évaluation.