• Exploration d'un nouveau terrain

- Petit Charbon s'éclipsa de la pouponnière aussi furtive qu'une ombre. Sa mère ne l'avait apparemment pas vue puisqu'elle ne l'entendit pas crier son nom, elle devait sûrement être occupée avec sa soeur qui ne cessait de poser des questions sur tout. La dernière fois qu'elle s'était aventurée trop loin du camp à la découverte du territoire, une patrouille l'avait vue et l'a ramenée à sa génitrice qui se faisait un sang d'encre. Depuis, elle était destinée à rester coincée dans la tanière des reines sous surveillance vingt-quatre heures sur vingt-quatre jusqu'à temps qu'elle comprenne qu'il était trop dangereux de jouer aux petits aventuriers, que des chatons du même âge que la femelle brune striée de noir ont disparus, se sont perdus ou ont étés tués par des rats du charnier, le point commun de tous ces petits sont qu'ils étaient peut-être téméraires mais surtout qu'ils ont rejoint la Toison Argentée. Ca fait je ne sais combien de fois que je sors du camp et je n'ai pas eu une égratinure ! Si les mises en garde des anciens et de sa mère sont vraies, qu'il a fallu une seule escapade à ces p'tits pour se faire tuer, c'est qu'ils étaient trop bêtes ! se dit-elle en son for intérieur. Elle se demandait d'ailleurs pourquoi Petite Plume, sa soeur, ne venait pas découvrir en sa compagnie les terres du Clan de l'Ombre puisqu'il n'y a visiblement aucun danger. Bon d'accord, ça ne faisait que la seconde fois que Petit Charbon découvrit l'étendue de ses terrains... Toujours est-il qu'elle est encore là !

Le chaton ne croisa aucune patrouille bien qu'elle marcha des heures, elle ne pouvait se lasser des différents paysages sur lesquels elle posait les pattes. Elle vit des grenouilles vivantes faire des grands bonds et plonger dans l'eau des marécages - c'était la première fois - et également des lézards courir se cacher sous des pierres lorsqu'ils l'apercevaient. Malgré qu'elle se refusait à l'entendre, Petit Charbon frissonnait ; sa fourrure n'était guère longue et des vents glaciales lui fouettaient le visage. Mais l'appel de la forêt était plus fort. La jeune femelle entendit des vombrissements non loin. Ce doit être sûrement le Chemin du Tonnerre, pensa t-elle. La chatte n'avait encore jamais vu ce chemin où les monstres passaient à une vive allure. Elle sentit son estomac se tortiller, beaucoup de félins s'étaient fracassés la nuque à vouloir le traverser. Plus le chaton s'approcher de l'endroit redoutés de tous les félins des quatre clans, plus l'odeur puante des monstres la faisait tousser. Et puis elle s'arrêta au bord du sentier gris. Un monstre courra juste devant elle à une telle vitesse qu'elle n'a à peine eut le temps de ne serait-ce que de distinguer sa couleur exacte, d'un ton plutôt métallique. La puissante de telles créatures l'effrayait. Le chaton sombre allait repartir, de peur qu'une autre des inventions des bipèdes ne dérape de son chemin et la percute, quand elle remarqua une ombre béante non loin d'elle. A pas lents et tous les sens en alerte, elle vit que le trou était un tunnel. Prudente, elle s'y engagea. Un monstre passa au dessus d'elle, Petit Charbon feula puis courut jusqu'à la sortie. La femelle se retrouva dans une clairière et continua sa route, pressée d'être hors de portée de ces engins.

L'air se fit plus doux et moins nauséabond. Le chaton au pelage sombre apprécia le décor pastoral dans lequel elle se trouvait. Au bord d'une falaise mais celle-ci faisait moins peur que les pics vertigineux que racontaient les anciens à son camp et à l'horizon pointaient des montagnes dont le sommet étaient encore recouvert de neige. Elle s'approcha pour regarder le fond de la paroi rocheuse. S'applatissant sur elle-même, elle passa la tête par dessus l'extrémitié de la falaise. Elle vit que la pente descendait à pic... Quand ses griffes glissèrent. Le chaton perdit l'équilibre. C'était comme si tout son corps était aspiré. Petit Charbon ferma les yeux. Elle ne pensait à rien à ce moment-là.

La lumière s’immisçant dans l’abri des guerriers extirpa Cœur d’Épine de son sommeil, coupant court a ses songes, ou plutôt ses angoisses habituelles. Elle s'était une nouvelle fois laissée emportée par ces rêves - devenus une véritable obsession - ou elle se remémorait la mort de Nuage Agile. Tant bien que mal, elle se dirigea vers le seuil de sa tanière, laissant son esprit revenir peu à peu à la réalité. Devant elle s'étendaient à perte de vue les landes, désertes. Les rafales de vent balayaient la vaste plaine. Le froid prit peu à peu possession d'elle. Cœur d'épine traversa rapidement une partie du territoire, profitant de cette sensation de liberté procurée par le vent derrière elle.

Cœur d’Épine s'arrêta à proximité d'un terrier de lapin, quelques proies supplémentaires ne feraient pas de mal à son clan. Elle s'installa face au vent, tapie dans les broussailles surplombant la tanière, de façon à ne pas se faire remarquer. Patiemment, elle attendit qu'une proie décide a montrer le bout de son nez. Le calme autour d'elle lui permettait de s'évader, échappant ainsi aux troubles occupant d'ordinaire son esprit. Ne pensant plus à rien, son attention pouvait uniquement se focaliser sur sa future proie. La guerrière du vent pouvait percevoir une certaine agitation en dessous d'elle : la chasse ne tarderait plus à commencer. Les yeux rivés sur la sortie du terrier, elle ne tarda pas a voir sortir le gibier. Une fois suffisamment éloignés de leur cachette, elle bondit agilement sur le premier, l'achevant d'un coup de mâchoire. La panique régnait a présent chez les rongeurs, la guerrière devant leur tanière, il leur était dorénavant impossible de faire demi tour. Ne pouvant tous les attraper, elle se décida a poursuivre un jeune lapin désemparé dans la plaine. La course poursuite ne dura pas bien longtemps. N'ayant pas le courage de débusquer les autres, elle pu donc enterrer ses deux proies dans les buissons avant de continuer tranquillement son chemin dans les landes.

A la sortie du territoire du vent, elle se dirigea vers les falaises, c'était devenu une habitude pour elle de s'y isoler, observant le paysage face à elle depuis le sommet de celles-ci. Elle longea la paroi tout en restant à une distance raisonnable du bord, un faux pas et elle se retrouverait étendue au fond, comme de nombreux chats avant elle et serait alors bonne à rejoindre ses ancêtres. Dans un sens, cela ne lui déplairait pas totalement, elle pourrait alors retrouver Nuage Agile... Une odeur désagréable la tira de ses pensées, l'odeur du clan de l'ombre. Elle ne vit pas tout de suite le chaton à quelques longueurs de queue d'elle, ce ne fut que lorsqu'il perdit l'équilibre que le bruit de cailloux tombant le long de la falaise attirèrent son attention. Un court instant, elle hésita à le laisser sur place, après tout, il n'était pas de son clan... Avec difficulté la guerrière l'attrapa tout de même par la peau du cou, évitant d'être a son tour entrainée, ses griffes plantées comme elle le pouvait dans la roche. Elle posa alors le petit plus loin, ne sachant que lui dire.

- Une mâchoire se referma avec vigueur sur la nuque de Petit Charbon, cette dernière n'osait pas ouvrir les yeux. Pendant un moment, elle resta suspendue dans le vide. Entre son avenir et une mort certaine. Le chaton regarda alors jusqu'où s'étendait le précipice. Son cœur fit un bond dans sa poitrine, ses poils se hérissèrent et son souffle s'accéléra. Son sauveur recula puis déposa son fardeau plus loin, ou plutôt sa sauveuse. La chatte était d'un brun très foncé, presque noir comme le frère de la femelle tigré, Petit Rat. Elle semblait maigre mais rapide et très agile, Ses grands yeux étaient verts-pommes. Vu son corps fin et élancé et ses poils ras, ce devait être une guerrière du Clan du Vent. Celle-ci restait muette. La chatte du Clan de l'Ombre se dit que la guerrière ne devait sans doute pas savoir quoi faire. Est-ce qu'elle va me ramener à mon camp ? se demanda-t-elle. Le chaton se fera très sévèrement réprimandé si c'était ce qu'entreprendrait la noiraude, Fleur de Lierre la punirait pour des lunes et des lunes, Echo des Ombres refusera de faire des sorties avec elle et Etoile Infernale refusera de faire d'elle une apprentie. C'est la pire chose qui puisse arriver ! Déjà que Petit Charbon s'ennuyait à mourir dans la pouponnière et qu'elle était depuis toujours férocement attirée par la liberté... Le chaton regarda ses pattes tremblantes comme des feuilles, elle était encore sous le choc. Qu'aurait dit ma sauveuse à ma mère ? Et a mon frère et ma sœur ? Aurait-elle seulement prévenu mon clan de ma mort ? se questionna-t-elle. Finalement, la petite effrontée leva les yeux puis murmura en bafouillant à la chasseuse en face d'elle ;

« M... Merci. Si tu n'avais pas été là... Euh... Merci. »

Le regard de Petit Charbon se tourna vers la falaise, vers l'endroit précis où elle allait tomber... Et y trépasser. Aurais-je été acceptée par le Clan des Etoiles malgré mes nombreuses infractions au Code du Guerrier ? Est-ce que le Code du Guerrier s'applique à partir du moment où on est novice ? se dit-elle en son for intérieur. Des tas de questions se bousculaient et tourbillonnaient dans sa tête. Ses oreilles bouillonnaient tellement elle avait eu peur, ses muscles étaient encore contractés, impossible de les relâcher. La femelle du Clan de l'Ombre était effrayée rien qu'à l'idée de rejoindre ses ancêtres. Quel gâchis cela aurait été ! Et Petite Plume ? Et Petit Rat ? Ils étaient comme les doigts de la patte, unis pour toujours et par le sang. Si l'un d'eux était absent définitivement ou temporairement, c'était un vrai déchirement perpétuel. Petit Charbon dit à l'attention de la guerrière, fixant toujours la paroi rocheuse ;

« Tu n'étais pas obligée de me sauver, tu es d'un clan différent et nous sommes en terres libres je présume... Euh, comment tu... T'appelles ? »

Petit Charbon n'avait senti aucune odeur de chats en arrivant ici et les traces paraissaient tenues. De plus, aucun clan n'aimerait vivre près d'une falaise.