Le soleil s'était couché sur les landes avec une lenteur laissant présager l'arrivée du printemps et des températures clémentes. Pour un instant, la meneuse se demanda ce que ce changement signifiait pour ceux du Vent, pour leur territoire. Ce n'était pas la première fois qu'elle posait les pattes sur ces terres, mais comme elle ne l'avait jamais fait outre que pour châtier des voleurs de proies (ou en voler elle-même), elle ne s'était jamais attardée assez longtemps pour admirer les beautés du paysage. Elle n'avait pas plus l'intention de le faire en cet instant, mais il fallait avouer que les circonstances n'étaient pas pareilles. C'était une différente sensation, que d'avoir le droit d'être présente sur un territoire ennemi. D'être sous la protection du Clan des Étoiles. De pouvoir mielleusement rétorquer son droit d'exister, lorsque des Guerriers du Vent tenteraient de les chasser de leurs terres. De pouvoir se balader la queue haute et le poitrail gonflé, à l'abris d'attaque.
De pouvoir entretenir son inépuisable suffisance.
Fort heureusement, Étoile de Suie était accompagnée de Songe Lunaire, un contrepoids fort nécessaire à la vanité de la chatte. Beaucoup plus prudente et connaisseuse du chemin, malgré sa jeunesse, la Guérisseuse les avait menées efficacement au travers des territoires. Son principal atout était quand même sa politesse, chose qui ne manquerait de les sortir du pétrin si le caractère bouillant de la meneuse venait à les mettre en danger. Autant Étoile de Suie ne voudrait pas admettre l'utilité de la petite chatte tigrée et se contentait de chialer sur sa lenteur, autant elle devrait bien finir par reconnaître sa nécessité. Enfin, dans la mesure où Songe Lunaire ne se faisait pas l'avocate d'un Clan des Étoiles en colère de la mort d'Étoile du Lion.
Bien qu'elle ne l'avouerait jamais tout haut, l'idée d'entrer aux Hautes Pierres la terrorisait. Qu'est-ce qui se passerait si les ancêtres refusaient de l'accepter? Réfutaient sa prise de pouvoir? L'accusait de meurtre et traîtrise? La privaient des vies supplémentaires qui lui revenait de droit? La tuaient? Non, ils ne pouvaient pas la tuer. Ils n'étaient que des esprits. Ils ne pouvaient rien faire dans le monde réel. Elle était plus forte qu'eux. Et plus forte que Songe Lunaire, s'ils décidaient de l'utiliser comme leur arme. Elle réussirait à la contrôler. À leur arracher les 9 vies qu'elle méritait. Mais... Si le Clan des Étoiles informait la Guérisseuse des circonstances de sa prise de pouvoir? S'ils la retournaient contre elle? S'ils la dotaient de la mission sacrée de miner l'emprise d'Étoile de Suie sur le camp? Ou si, pire, ils informaient également Esprit Soucieux, qui se rendait pareillement converser avec ses ancêtres? S'ils donnaient un avantage au Clan de l'Ombre, dans l'espoir de destituer la chatte? Non... Étoile du Serpentaire ne pouvait pas être favorisé par leurs ancêtres. S'il avait été capable d'accéder au pouvoir et de le maintenir, elle n'aurait pas de problème à faire de même. Elle s'inquiétait pour rien. Oui.
Au rythme de la lourdeur de ses pensées, Étoile de Suie s'était levée de sa couche improvisée et éloignée de Songe Lunaire, au risque de la réveiller (... ou de la blesser). Agitée comme jamais, elle avait laissé l'autre chatte au creux des racines entortillées où elles avaient trouvé refuge. Non loin, le chemin du Tonnerre brisait l'étendue des plaines, se dressant entre elles et leur but. Demain, elles traverseraient probablement, esquivant les monstres de fer pour aller rejoindre le territoire de leurs ancêtres. Demain, elle paraîtrait devant les Hautes Pierres. La pensée suffisait pour la tenir éveillée malgré l'heure, faisant les cents pas sur un territoire qui n'était pas le sien.
Le blizzard que tant de chat maudissait, avait fini par se calmer. Comme si le Clan des Étoiles avaient subitement tendu l’oreille vers les incessantes oraisons des Guerriers qui les imploraient de faire cesser ce temps. Voilà que tout était revenu tout simplement normal, comme avant, comme une banale fin de saison des neiges, rien d’alarmant en somme et rien qui ne laissait présagé ce qui s’était réellement passé. C’était un peu comme si rien ne s’était passé. Comme il était si soudainement apparu, le vent gelé avait cessé de souffler, ne laissant plus qu’une brise coutumière se dodeliner le long des landes désertes. La neige avait cessé de poindre de partout comme la plus virulente des épidémies et les quelques flocons qui avaient trouvé refuge sur le sol fondaient déjà à vue d’œil. Le blanc perdait de ses droits sur les terres, laissant ainsi un moment de répits à la verdure qui avait tant souffert. Se relèverait-elle ? En serait-elle seulement capable ? C’était à se demander si le blizzard n’avait pas causé bien plus que de simple dégât en amont. Si un début de renouveau s’annonçait déjà, tant sur les températures qui remontaient que sur les jours qui s’allongeaient de nouveau, tout n’était pas encore fait. Serait-il seulement aussi joli que les précédents ? Les fleurs qui perçaient d’habitude à même la neige semblaient pourtant en retard, prémices d’une saison tardive ou bien bête et hasardeux retard. Etoile de Sable y croyait. Tout du moins, elle voulait y croire, tentait de se convaincre. Ne serait-ce que pour le bien du Clan qu’elle menait. Si ses Guerriers n’avaient pas flanché sous le poids du blizzard, leur corps avait suffisamment souffert des récents événements pour que la possibilité de souffler leur soit gracieusement offerte. Ils méritaient chacun un instant de répit, un moment de flottement, de vague, ne serait-ce que l’histoire de quelques jours, afin de souffler, de combler ces horribles creux qui se dessinaient entre chacune de leurs côtes, de pouvoir reposer leurs muscles tétanisés et leur esprit en vogue à de bien sombres machinations. Si les félins du Clan du Vent n’étaient déjà pas épais, mêmes quand les proies courraient à profusion dans les landes, l’état dans lequel les avait réduits le zéphyr était pire encore. Rendant grâce au Clan des Étoiles d’avoir ravalé ce qu’elle prenait pour une mise à l’épreuve, Etoile de Sable n’avait cessé de trembler pour l’avenir des siens. Si la famine avait duré quelques jours de plus, seulement une ou deux journées, elle aurait certainement fait des ravages dans les rangs, déciment les plus faibles, réalisant une bête et pourtant juste sélection naturelle. Combien serait tombé ? Combien serait encore debout ? À l’heure des comptes, la femelle au pelage couleur sable se trouvait bien incapable de répondre à une pareille énigme. Si tenté que les réponses aux questions qui emplissent le crâne de la meneuse existent, seul le Clan des Étoiles doit les détenir. Seul Clan et seule divinité capable d’appeler un vivant à rejoindre les morts et à épargner son prochain. Il restait cependant muet, comme il l’avait toujours été.
Si la journée de la meneuse avait été longue et rythmée de bien des animations, elle peinait à trouver le sommeil. Roulée en boule, dans une litière de fortune que bien peu avaient à disposition, ses veines tentatives pour trouver Morphée semblaient sans effet face à l’insomnie qui la frappait de pleins fouets. Et ce n’est pas faute d’essayer de le trouver de bien des façons, pas faute de tenter d’user de la force pour garder clause ses paupières de longues minutes, réel supplice des insomniaques en manque d’idée. Ses yeux finissaient toujours par reprendre le dessus sur sa volonté et se rouvrir malgré tout, fixant de leur couleur émeraude, les quelques étoiles qui se détachaient de la Toison Argentée. Têtue et réelle acharnée, Étoile de Sable mit un long moment avant de s’en remettre au cours des choses, tentant encore une dernière vaine fois, de trouver le repos qu’elle pensait mériter. Si elle en avait désespérément besoin, le Clan des Étoiles lui refusait cet accès aux bras de Morphée, lui imposant une longue et difficile nuit à venir. Soupirant bruyamment après avoir pris conscience que rien n’y ferait, la femelle se relève, quitte sa litière et secoue son fin pelage nimbé de rayon de lune. Si elle ne se sent pas d’attaque à supporter une mauvaise compagnie, elle ne désire pas passer les longues heures à venir seule avec ses pensées. Balançant son regard dans le camp endormi, elle finit par trouver ce qu’elle cherchait. Deux mirettes d’un rouge sanguin nettement mis en évidence par un pelage blanc comme neige que la lune rendait presque luminescent. Se créant un chemin parmi les corps endormis, la Chef finit par rejoindre sa subornée et lui propose, sans un mot, de la suivre dans la lande. Si son Apprentie acceptait de la suivre pour une petite sortie nocturne, ce serait peut-être l’occasion d’apprendre à se connaître davantage et surtout de lui apprendre à la servir davantage pensa Etoile de Sable. Prenant une allure de croisière, elle s’enfonça dans la lande, ne prêtant que peu d’attention au fait de savoir si l’autre la suivait ou non. Elle aurait suffisamment de temps à lui consacrer durant cette nuitée qui promettait de s’étendre sur une éternité. Si tout était calme, Etoile de Sable n’en gardait pas moins une attention toute particulière pour chacune des ombres et des formes qu’elle croisait. Ce qui de loin pouvait ressembler à un terrier éventré pouvait à la lumière des étoiles se révéler être bien autre chose. Repérant ainsi une forme compacte qu’elle n’avait jamais vu auparavant, elle s’en approcha, le pas assurée, mais gardant à l’esprit qu’il pouvait s’agir de n’importe quoi. Qu’elle ne fut pas la surprise de la meneuse que de sentir l’effluve répugnant du Clan du Tonnerre au moment même où ses yeux distinguèrent les contours peu nets d’un félin un peu trop bien portant qu’elle peinait à reconnaître malgré le pelage écaille de tortue qu’elle portait.
« Oh la grassouillette ! T’as intérêt à avoir une raison valable pour être ici, sinon ton gras pourrait bien servir à nourrir les miens. »
Le dégel arrivait lentement. C'est l'heure de vérifier les frontières, pensait Alby, nuit et jour. Elle voulait se réapproprier son territoire, ne plus craindre les invasions ennemies. C'était le cœur léger qu'elle prenait conscience de sa proximité avec Etoile de Sable. Ces dernières avaient pas mal patrouillé ensemble durant le blizzard, et c'était fière comme un paon que l'apprentie le faisait remarquer aux autres novices. Elle se sentait spéciale, privilégiée. Son tutorat, mené par la cheffe, la remplissait déjà de joie, mais elle était également remplie de doutes. Et si elle n'était pas assez digne d'Etoile de Sable ? Elle tenta de chasser ces pensées néfastes de sa tête. Elle était persuadée d'être la meilleure des apprenties, et c'était la démarche légère qu'elle se lançait à la poursuite de la cheffe quand cette dernière vint la chercher pour patrouiller. Bondissant à ses côtés, elle était enjouée et n'attendait que ce genre de moment pour faire connaissance avec sa cheffe. Qui sait, peut – être que cette dernière allait la trouver intéressante, voire même … cool ? Elle agita la tête de gauche à droite et se calma d'un coup. Non. Il fallait la jouer mature. Elle n'était plus un chaton, après tout. Il fallait avoir la démarche digne, le regard blasé, le sourire étiré pour former une lune. D'un air pathétique, elle se mit à jouer son rôle, lui donnant une figure peu naturelle et une démarche ridicule. Tant pis, Nuage d'Albatros se trouvait particulièrement classe comme ça, et c'était avec son regard déformé d'elle même que la gamine continuait son petit bout de chemin. Il fallait désormais trouver quelque chose à lui dire. Elle devait paraître sympathique pour Etoile de Sable. Elle devait sympathiser avec. Il fallait avoir le respect de sa cheffe. Absolument. Pour la soif de reconnaissance d'Alby, c'était indispensable. En réfléchissant trop, elle ouvrit la gueule lorsque Sable semblait particulièrement attirée par un terrier. Dressant ses oreilles sur sa tête, Nuage d'Albatros braqua ses deux yeux écarlates en direction de son mentor. Fronçant les sourcils, c'était avec une moue perplexe qu'elle la suivit. Son regard s'écarquilla quand elle vit une masse de poil dans un terrier. Ça sentait le sapin. Dans tous les sens du terme. Ça sentait l'écureuil. Ça sentait le bois. Le Tonnerre. Alby grogna, dévoilant ses crocs. Qu'est – ce qu'un foudroyé foutait ici ? Etait – ce une drôle de manie de tous les Clans, de venir se cacher dans les terriers de lapin ? Elle éprouvait un peu de pitié pour ces derniers, si jaloux de leurs beaux lapins qu'ils venaient jusqu'à se cacher pour en attraper en cachette. Ridicule.
« Oh la grassouillette ! T’as intérêt à avoir une raison valable pour être ici, sinon ton gras pourrait bien servir à nourrir les miens. »
Nuage d'Albatros sursauta, surprise par le ton de sa cheffe. Aveuglée par son admiration, elle la regarda avec des yeux plein d'étoiles. Etoile de Sable était si courageuse ! L'autre chat paraissait si immense. Jamais Alby ne l'aurait provoqué ainsi sans avoir peur de se livrer à un combat. Plus tard, elle serait comme elle, aussi courageuse, aussi calme, aussi belle. Avec un grand sourire, l'apprentie se sentait revigorée par l'agressivité de sa cheffe. Elle voyait dans son discours une annonciation d'un futur combat. Elle avait envie de se battre. Elle ne s'était pas battue du blizzard, réellement. Les deux chattes pourraient utiliser leurs techniques, uniquement connues du Vent. Son cœur s'emballa. Elle voulait se battre aux côtés d'Etoile de Sable, qu'elle soit fière d'elle. Elle pouvait presque l'imaginer murmurer des compliments sur l'apprentie, plaçant peut – être même des espoirs en elle. L'albinos entrouvrit la bouche, exaltée par ses espérances.
« Nos terriers sont confortables, ça va ? »
Elle avait voulu faire une blague sur son poids, mais elle jugeait qu'elle ne ferait jamais aussi belle provocation que celle de sa cheffe. Elle se contenta d'esquisser un sourire mesquin, regardant l'autre. Elle ne connaissait pas cette femelle, mais on voyait ses muscles se mouvoir à travers son pelage. Elle faisait confiance en Etoile de Sable pour la défendre, et elle serait prête à donner sa vie pour son Clan. Elle allait montrer ce qu'elle valait. Elle allait impressionner Etoile de Sable. C'était absolument nécessaire.
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Saffy ▬ Guerrière
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Alors que la nuit avançait, elle emportait dans sa course le mince croissant de lune qui jetait une faible lumière dans l'obscurité. Pas que la féline en eusse particulièrement besoin, les landes dégarnies offrant une vue imprenable sur le territoire. La chatte ne comprenait pas comment des félins pouvaient vivre sur ces terres pauvres, encore moins un clan entier. Être à la merci de tout vent et prédateur, incapable de trouver abris sous le couvert des arbres pour se camoufler et surprendre... Pas qu'il lui fallait vraiment se cacher, avec sa taille, ou qu'elle eusse une quelconque habilité à la chasse, camouflage ou non. Mais ce territoire restait le plus aux antipodes de son être. Remarquez, cela ne lui enlevait pas le plaisir malin qu'elle prenait à fouler les terres venteuses de ses sales pattes d'intruse, et tant mieux si une patrouille venait à suivre sa piste.
Au fil de ces jolies pensées, toujours autant emplie de suffisance, la chatte était parvenue à mettre derrière elle les craintes qu'elle entretenait sur le Clan des Étoiles. Pas qu'elle les eusse réellement chassées, puisque évidemment ses phobies étaient trop profondes pour être résolues par des divagations nocturnes. Mais elle était tout de même parvenue à se changer les idées, et cela était assez satisfaisant pour lui permettre d'envisager le sommeil à nouveau. Il était temps de rejoindre Songe Lunaire, avant que celle-ci ne se réveille et ne s'inquiète du départ de la meneuse (ou pas). Le pas redevenu lourd de fatigue, la femelle se dirigea vers le terrier où elles avaient élu domicile pour la nuit. Rien de bien confortable ─ qu'est-ce qui l'était sur ces pauvres terres? ─, mais c'était suffisant pour les quelques heures de repos dont elles avaient besoin.
Dans un silence plus ou moins total (surtout moins en fait), Étoile de Suie se glissa à nouveau dans l'embrasure du tronc. Au fond, la silhouette argentée de la guérisseuse se détachait des racines entremêlées. Si elle eut conscience du retour de sa comparse de voyage, elle n'en montra aucun signe. Cette absence de réaction allant bien à la meneuse, celle-ci se cala grossièrement contre l'écorce. Ramenant ses pattes sous son gros ventre, la féline tenta de retrouver le sommeil. Évidemment, elle n'eut pas l'occasion de le trouver, puisque de sales odeurs ne tardèrent à lui monter aux narines. Des éventés. C'était à prévoir. Elle avait quand même espéré grappiller un peu de sommeil avant que les troubles-fêtes ne s'amènent, mais tant pis.
Grommelant à mi-voix, le matou se redressa légèrement, pas au point de se relever, mais assez pour boucher une bonne partie de l'embouchure de la tanière. Ses yeux ambrés ne tardèrent à trouver la source de l'odeur qui l'avait assaillit: deux silhouettes se détachaient dans la nuit, l'une particulièrement plus petite et blanche que l'autre. Si elle avait été d'un autre genre, Étoile de Suie aurait probablement essayé de fuir, attaquer, ou simplement aller à la rencontre des nouvelles-venues. Mais comme elle était par-dessus tout arrogante, la féline demeura bien en place, roulée en boule dans l'obscurité, attendant que la visite vienne à elle. Et qu'elle visite c'était: ni plus ni moins que la grande Étoile de Sable, la nouvelle meneuse du clan. Aussi plaisante avec les étrangers que la rumeur lui voulait, constata l'écaillée sitôt que la femelle eut prit parole. À ses côtés se trouvaient une gamine albinos, qui tentait de combler son manque de grandeur par des paroles cyniques. Une bien jolie patrouille qui venait les accueillir, alors. Étoile de Suie ne daigne pas de se lever pour les saluer.
─ Oé, merci d'ton inquiétude, mais mon cul bien gras a connu mieux qu'vos terriers plein de ronces. Elle grommela avec sarcasme, puis changea de ton, adoptant l'attitude mielleuse de celle qui se croit au-dessus de toutes attaques. ─ Et ranges tes griffes, Étoile de Sable, on est sous la protection des Étoiles.
Si Etoile du Sable pensait passer une banale nuit de patrouille, une nuit sans embûche, sans escarmouche et sans croiser âmes qui vivent, voilà qui mettait en déroute totale tous ses songes. Mettant un peu d’amertume dans le calme qui avait que trop régné depuis quelque temps, il fallait bien que quelque chose comme cela arrive. Les chats des autres Clans étaient tout bonnement incapables de prendre pour sérieuses les frontières du Clan du Vent. Si du temps d’Etoile Fauve, et même avant lui, certains auraient pu passer entre les mailles du filet et sans aller sans trop rien recevoir qu’une piètre menace, ce ne serait pas le cas aujourd’hui. Ce ne serait plus le cas durant le règne d’Etoile de Sable. La meneuse au corps élancé paraissait bien chétive face à la boule de poils grasse qui s’étendait devant ses yeux. Et pourtant, la sablée n’avait pas froid aux yeux comme jamais elle n’aurait peur de l’adversité. Si elle savait son corps faible et lâche, son esprit et son envie implacable d’étreindre le monde à sa propre justice suffisait bien souvent à faire le job. Est-ce qu’elle n’était pas allé chercher un peu plus fort qu’elle ? Est-ce que l’autre ne pourrait pas l’écraser d’un revers de patte potelée ? Si ces doutes pouvaient perler dans bien des esprits conscients d’une telle scène, rien de cela n’avait sa place dans le flot de colère qui trouvait place nette dans la cervelle de la meneuse. Si elle s’était contentée de laisser filer sa façon de penser à haute et intelligible voix, elle ne s’attendait certainement pas à une intrusion du côté de l’Apprentie qui l’accompagnait. Et pourtant, c’est bien sa petite voix qui, bercée par une admiration dégoulinante, avait décidé de sortir de sa gueule blanche.
« Nos terriers sont confortables, ça va ? »
Si en d’autres circonstances, elle aurait pu rabrouer l’Apprentie pour sa prise de parole, devant la silhouette qui devenait de plus en plus nette au fur et à mesure des pas d’Etoile de Sable, elle n’en fit rien. Elle lui en tiendrait peut-être deux mots après l’entrevue qu’elle voyait déjà comme presque finie avec la médisante Guerrière du Clan du Tonnerre qui se dessinait plus en détail sous ses pupilles vertes. Dans le regard de la Cheffe ne flottait qu’un profond mépris, une haine certaine et un brin de colère naissante. Si elle pensait être venue ici en toute quiétude, si elle pensait être venue sans rien risquer, son gros derrière allait certainement en prendre un coup. Etoile de Sable n’en était pas à son coup d’essai dans les affrontements, elle n’en était pas à sa première prise de gueule avec un félin d’un Clan rival et rien ni personne ne semblait lui faire froid aux yeux lorsqu’il était question de protéger les siens. La présence d’aucun félin autre que ceux du Clan du Vent n’était souhaitée sur ces terres et la femelle sable comptait bien écouter l’excursion de l’écaille de tortue dont le nom ne lui revenait pas. Si elle avait eu un quelconque grade au sein de son Clan, elle aurait certainement pris la peine de lui offrir autre chose que les complaisantes paroles qui avaient fusé de sa gueule. Quoi que. La diplomatie ne l’aurait peut-être rattrapé qu’après coup et elle aurait peut-être dû jongler pour ne pas paraître totalement versatile. Sur son visage fin, rien ne prenait le dessus. Aucune émotion ne la parcourait, rien de plus qu’une neutralité inquiétante. La lueur dans ses yeux, seule, trahissait son état d’esprit. La tension dans ses muscles commençait à s’accumuler, appelant ainsi l’autre à faire le bon choix, à déguerpir rapidement si elle s’estimait assez rapide. Avec le gras qui parsemait son corps, la meneuse doutait de sa capacité réelle à la course. Et ce n’est pas son manque total d’activité qui vint contrecarrer ses arrières-pensées. Loin de sembler tétaniser par la peur, semblant même plutôt d’une passivité provocante face aux circonstances, l’autre ne daigna pas lever son derrière qui devait peser une tonne pour accueillir celle qui était pourtant la propriétaire légitime de ces lieux.
« Oé, merci d'ton inquiétude, mais mon cul bien gras a connu mieux qu'vos terriers plein de ronces. Et ranges tes griffes, Étoile de Sable, on est sous la protection des Étoiles. »
Si les premiers mots de l’écaille furent pour Nuage d’Albatros, le ton qui perçait de son atroce voix était très mal venu. Puis, comme si elle avait eu envie de prendre des pincettes avec la hiérarchie, elle avait laissé son timbre acerbe, s’était radoucie, pour tenter d’ordonner ce qui sonnait délicatement faux aux oreilles de la meneuse. Si par la protection des Étoiles, elle songeait au Clan des Étoiles lui-même, c’est qu’il devait se passer quelque chose de louche au Clan du Tonnerre et pour qu’une simple Guerrière comme elle soit envoyé, c’est qu’Etoile de Lion devait tomber bien bas. Si Etoile de Sable ne s’inquiétait que trop peu du ressort du matou roux, elle s’acharnait pourtant sur la présence de l’autre. Plus les secondes filaient, plus les mots sortaient de sa gueule et plus son inactivité se faisait ressentir. La tension ne faisait que grimper dans chacun des muscles de la meneuse qui se tenait à présent juste sous le museau de la Guerrière écaille, droite comme un mur, la dévisageant de toute sa hauteur. Si elle pensait pouvoir séjourner ici sous prétexte qu’elle rendait visite au Clan des Étoiles, elle se fourrait la patte dans l’œil. Si elle accordait un droit de passage, comme il en était coutume, à une poignée de félins désireux de filer voir leurs ancêtres, elle n’acceptait pas qu’ils prennent leur aise. Et c’est clairement ce que cette chatte grasse faisait, piétinant de son lourd derrière des terres qui n’étaient pas les siennes. Ne laissant pas le temps à l’autre de sortir davantage de sornette de sa vile gueule, la sablée prit parole dès que l’autre arrêta de geindre, de sa voix ne perçait qu’un imposant mur de glace, de froid, une distance qu’elle mettait entre elle et l’autre.
« Garde-toi donc de me donner des ordres. Si tu as un droit de passage pour aller à la rencontre des Étoiles, tu n’es pas autorisé à poser ton sale cul pour faire une pause. Je plussoie, ça doit être du poids à porter, mais chacun sa merde. Allez, dégage avant que je regrette de ne pas mettre fait les griffes sur ton corps gras. »
La présence de la guerrière agaçait l'albatros. Elle la voyait comme un parasite à écraser sous sa chaussure, à laisser crever dans les gouttières de la ville. Elle n'allait pas broncher si sa meneuse l'envoyait attaquer le colosse, même si elle savait pertinemment que son petit corps fragile n'arriverait à rien. Bombant le torse, elle jeta un regard furtif et brillant à la femelle sable avant de s'asseoir et bomber le torse pour l'imiter. Son visage devint inexpressif comme celui de la meneuse, tandis que son cerveau tournait à mille à l'heure.
« Oé, merci d'ton inquiétude, mais mon cul bien gras a connu mieux qu'vos terriers plein de ronces. Et ranges tes griffes, Étoile de Sable, on est sous la protection des Étoiles. »
L'albinos sentit un grognement lui monter à la gorge. Elle se prenait pour qui, celle là, à se plaindre ? Non seulement elle venait poser son gros cul dans leurs terriers, et elle faisait l'offense de jurer dans une phrase incluant le Clan des Etoiles. Au bord de la syncope devant tant d'hérésie, la fanatique qu'était Nuage d'Albatros sentit son regard rougeâtre s'emplir de haine. Elle était laide d'habitude, l'appréhension ne l'aidait pas. Pleutre sur les bords, elle décida de se taire. En effet, l'apprentie s'était rapprochée pour être au plus près de sa mentor, non seulement pour l'imiter du mieux possible, mais également pour pouvoir sauter dans la bataille si Etoile de Sable lui en donnait l'ordre. Gentil pantin de bois, elle sentait ses membres totalement contrôlés par les mots de sa mentor qu'elle érigeait en soleil. Eh puis, merde. Le Clan des Etoiles ne protégerait jamais une femelle aussi grasse. Elle était prête à parier qu'elle avait régulièrement mangé des proies seule pendant des patrouilles pour être aussi grosse. Pleine d'une grossophobie primaire et particulièrement gerbante, Alby voulut rire intérieurement. Contre sa chef et elle, l'ego de l'albinos était prêt à parier que la guerrière du Tonnerre n'avait aucune chance. Elle devait être lente, tandis que les femelles venteuses étaient axées sur l'esquive et la vitesse. Elle devait sûrement mentir. Après tout, pour l'apprentie, il n'y avait que le Vent qui mentait jamais. Les autres, c'était des parjures, des judas, prêts à sacrifier le Clan des Etoiles entier pour leur bien personnel.
« Garde-toi donc de me donner des ordres. Si tu as un droit de passage pour aller à la rencontre des Étoiles, tu n’es pas autorisé à poser ton sale cul pour faire une pause. Je plussoie, ça doit être du poids à porter, mais chacun sa merde. Allez, dégage avant que je regrette de ne pas mettre fait les griffes sur ton corps gras. »
Et toc! Gamine comme elle était, Nuage d'Albatros se retint de tirer la langue vers la meneuse dans un geste de moquerie et de provocation. Néanmoins, elle aurait trop peur de se faire arracher la langue à peine sortie. Un frisson la parcourut, elle pariait que le colosse pouvait le faire rapidement, en un gros de patte. A défaut d'être enfantine, la future guerrière sourit narquoisement, griffes sorties et muscles tendus, prête à esquiver aux cas où les coups partaient. Etoile de Sable avait témoigné de suffisamment d'agressivité pour agacer la guerrière adverse, et c'est en prenant cette information en compte que l'albinos trouvait plus prudent de se préparer à des éventualités d'esquive et de roulés boulés dans l'herbe. En tout cas, à sa place, elle se serait battue. Il était inutile de préciser qu'à la place de beaucoup de gens, même dans des situations pacifistes, Alby se serait battue. Elle était un ouragan de coups et de griffes, une furie qui s'épuisait au moindre coup. Qui sait, la guerrière était peut – être plus sage qu'elle ne le prévoyait ? Elle priait pour que ce ne soit pas le cas. C'est vrai, quoi. Ca fausserait toutes ses prédictions, et on entendait son ego hurler d'ici.
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La fureur qu'elle voyait bourdonner derrière le regard d'Étoile de Sable lui amena un fin sourire aux babines. Si les circonstances avaient été inversées, nul doute que la femelle aurait bouillonnée d'autant de colère, sinon plus. Et qu'elle n'aurait pas hésité bien longtemps avant de sauter à la gorge des imprudents qui osaient traverser son territoire et la provoquer ainsi. Si un solitaire ou voyageur n'avait rien à apporter au clan, alors il n'avait rien à faire sur ses terres, point final. Mais, une chance pour elle, Étoile de Sable semblait avoir un peu plus de retenue et l'habileté de parler avec ses mots plutôt que ses crocs. Diplomate, va.
N'empêche, lorsque le silence se fit de plus en plus pesant entre les trois, Étoile de Suie se mit à se demander si elle n'avait pas mal jaugé la meneuse beige. La tension qui parcourait ses muscles était perceptible pour tous: l'envie de chasser la dissidente sans plus d'hésitation devait la ronger. Auquel cas Étoile de Suie regretterait de n'avoir levé son cul lorsque le moment était approprié, plutôt que de recevoir la féroce guerrière en étant couchée dans un terrier étroit. Bah. Trop tard pour reculer. Et puis, le combat ne lui faisait pas peur. Elle avait déjà surpassé un meneur; en ajouter une autre à son tableau de chasse ne lui semblait pas mauvaise idée. Néanmoins, pour l'instant, Étoile du Sable se garda d'attaquer, préférant à nouveau les mots :
─ Garde-toi donc de me donner des ordres. Si tu as un droit de passage pour aller à la rencontre des Étoiles, tu n’es pas autorisé à poser ton sale cul pour faire une pause. Je plussoie, ça doit être du poids à porter, mais chacun sa merde. Allez, dégage avant que je regrette de ne pas mettre fait les griffes sur ton corps gras.
Le sourire d'Étoile de Suie s'allongea dans un petit rire. Elle assumait parfaitement la grosseur de son derrière et l'image que cela projetait aux autres. N'empêche, ça intimidait, se retrouver face un adversaire de cette taille. Elle pouvait le voir dans le cerveau de la gamine blanche, derrière la furie dégagée par son regard rubis. Et pourtant, elle se tenait prête, aussi tendue que la meneuse, apte à lui sauter à la gorge dès le moindre commandement et se faire remballer aussitôt. Qu'est-ce que c'était con, des chatons. À tout faire pour plaire. L'écaillée reporta son attention vers la sable, un air de plus en plus suave au visage.
─ J'aurais volontiers répondu à tes désirs et dégagé en temps normal, mais vois-tu, cette pause n'est pas pour ménager mon sale cul, mais pour épargner un peu la pauvre Songe Lunaire.
Suivant ses mots, la grosse féline s'étira, bien tranquillement, osant même faire poindre un bâillement à ses babines. Dans le mouvement, elle se leva finalement, emplissant le petit tunnel de toute sa masse. Elle jeta un bref regard vers l'arrière, où était couchée ladite femelle. Baissant le ton, comme pour ne pas la réveiller, l'écaillée poursuivit:
─ Tu sais, la tigrée, l'argentée, la guérisseuse du clan? La pauvre est épuisée après le voyage. Tu ne m'en voudras pas de lui avoir trouvé un endroit un peu plus douillet pour se reposer qu'aux abords du chemin du Tonnerre.
