✿Première sortie | Regard de Braise ✿ - end

Prenant les paroles du mince guerrier au mot, Nuage de Rosée prit le temps d'humer l'air, de guetter les environ puis se mit en route, les muscles bandés. Il fut un instant satisfait puis s'aperçut qu'à ce rythme là ils n'iraient pas bien loin. Le matou eut un grognement bref mais la laissa faire. Premier croisement de chemin, elle se dirigea vers la rivière, bon instinct c'était bien un pur produit du clan de la rivière, il se rengorgea, prenant son mal en patience. Second croisement, encore la rivière. Très bien sa mère avait dû l'y emmener, et elle se souvenait du chemin. C'est un point positif, ô combien de fois il avait entendu des guerriers feuler à propos du sens de l'orientation déplorable de leurs apprentis.

"Voilà, j'ai trouvé une frontière, celle qui nous sépare du Clan du Tonnerre je suppose? Berk, qu'est ce que je sens là? C'est horrible, on dirait un troupeau de blaireaux."
Regard de Braise l'ignora un instant pour s'accroupir histoire de boire de l'eau fraîche. Ensuite, il lui prit délicatement le poisson de la gueule et l'enterra.
"Faudra que tu le retrouves au retour d'accord?
Alors, nous sommes effectivement face au clan du Tonnerre et ils n'ont pas l'odeur d'un troupeau de blaireau, essaye de te concentrer." Fit-il dubitatif, les oreilles légèrement écartées sur le côté. Il se lécha le torse en jetant un coup d'oeil à son reflet dans l'eau:
"Ils ont une forte odeur de terre humide et d'humus, on sent aussi plutôt bien une odeur de fougère et de fleurs de sous-bois. Leur territoire n'est pas en prise au vent comme le notre, l'odeur est plus acre et forte, ce qui te donne cette impression de "lourdeur"." Regard de Braise termina son exposé par un baillement qui découvrit ses longs crocs. Il espéra qu'elle avait comprit le principe et procéderait ainsi à la prochaine frontière, sinon ce serait terriblement long. Le matou renifla la surface de l'eau.
"Généralement ils se tapissent au sol pour avoir le moins de prise au vent possible, il faut nous même renifler au ras du sol pour avoir une chance de les sentir." Excellent, il avait finit son petit discours, ils allaient pouvoir passer à plus amusant. Le mâle roux se détourna vivement afin de voir Nuage de Rosée :
"Oooh!!" sa patte glissa sur la berge dans son mouvement et le poids de son corps le précipita dans l'eau.

"Nuage de Ro...!!!!" et tout son corps fut submergé par la rivière. La tête sous l'eau il avait les yeux fermés et la gueule grande ouverte de ravissement. Ahah la bonne blague, il allait pouvoir jauger véritablement son apprentie. Etait-elle courageuse? Téméraire? Rusée? Tête brulée? Allait-elle plonger pour le rejoindre? La rivière n'avait l'air de rien mais le courant était particulièrement puissant dans cette zone là, car elle précédait les chutes de quelques centaines de mètres. Seul un adulte entrainé pouvaient y nager sans encombre et sur une courte distance. Ils avaient le temps et Regard de Braise pouvait nager vers la rive d'un coup de patte dès qu'il le voudrait, il n'était pas inquiet. Il continuerait de faire semblant d'être emporté par le courant jusqu'au dernier moment. D'un puissant coup de rein, le guerrier remonta un instant pour respirer puis se laissa à nouveau sombrer dans les eaux luisantes sous le soleil de midi.

Des petites frappes lui indiquèrent que sa protégée l'avait rejoint. °Des tripes en acier, un coeur en or... et pas de cerveau.° Conclut-il, d'un autre côté, ce serait plus évident à gérer qu'un cerveau de génie et pas de tripes. Courageux et stupide, malin et lâche, ces traits de caractères qui allaient régulièrement de paire faisaient tourner le monde. Il remonta pour avaler un grand bol d'air,gardant les yeux mi-clot :
"Ouf, il respire, il est encore vivant! je l'ai sauvé! Oh merde..."

Il étouffa un rire qui s'estompa lorsqu'il senti la petite chatte s'agripper à lui de toutes ses forces. °Dans dix lunes, je lui refais le même coup° se promit le matou, s'imaginant un instant son apprentie une fois adulte.
Il bougeait discrètement pour se tenir hors de l'eau, avec les remous, ce n'était pas bien difficile de laisser Nuage de Rosée s'imaginer qu'elle faisait tout le travail. Il fut légèrement agacé et inquiet en la sentant lutter contre le courant alors qu'il était beaucoup plus lourd qu'elle. Toute jeune, elle était encore loin d'être une nageuse avertie. Non entrainée, le petite chatte ne faisait que suivre son instinct lui dictant d'agiter les pattes, comme le ferait a peu près n'importe quel félin, de la rivière ou non. Seule, elle aurait bien eu du mal à se tirer de la rivière. Alors avec, toute modestie mise à part, un énorme et viril mâle à escorter c'était la noyade assurée. Il la ramena vers la rive, elle se débattait tant dans l'eau qu'il pu juger, à ses râles, qu'elle n'avait pas encore saisit qu'il était conscient. Finalement, ils s'échouèrent sur le bord de la rivière, encore bien loin des chutes et elle le rabattis d'un coup sec hors de l'eau. Cette fois, il fut pleinement satisfait des efforts de la petite, elle avait de l'énergie à revendre :

"Regard de Braise? Tu m'entends? Tout va bien, tu es hors de l'eau maintenant.... Regard de Braise....?" Il mima la mort quelques secondes avant de craquer
"Hahaha!" Il ouvrit les yeux, la scruta de son regard le plus charmeur:
"Tu sais que tu ne ressembles à rien quand tu es mouillée?""

"Tiens prend ça espèce de mentor ingrat!" Les oreilles de Regard de Braise esquissèrent de se retourner d'agacement. Mais, la vision de la minuscule petite chatte s'ébrouant sur lui alors qu'il était déjà trempé l'attendrit au plus haut point. Il s'assura cependant de rester de marbre, agitant légèrement les oreilles pour feindre le mécontentement.
" Comment aurais-je pu croire à ta simulation alors qu'un peu plus tôt tu m'attaques dans mon propre campement, j'aurai du te laisser à l'eau pendant que moi j'aurai profité du soleil! La prochaine fois ne compte pas sur moi pour t'aider! Brrrr, tu as de la chance que j'aime l'eau. Et puis toi aussi tu es moche et pas seulement mouillé, ahah, et toc! "
Regard de Braise avait, comme la majorité des matous de la rivière souffert d'un entrainement dur, implacable et dans l'absolu, relativement hors de propos. Il avait apprit à nager comme une otarie et se battre comme un tigre enragé. A coup de crocs et de remontrances, on lui avait inculqué le fait de n'avoir peur de rien ni de personne et de mourir à la seconde où son devoir le lui réclamerait. Oui, même le sens du sacrifice avait été créé de toute pièce dans le corps mince de Regard de Braise, a 14 lunes, il était devenu une parfaite machine de guerre. C'était il y a deux été, il lui avait fallut tant de lunes, tant d'années avant d'apprendre à réfléchir par lui même, avant d'apprendre à être libre et que son courage ne soit pas un pur réflexe conditionné, mais un brasier qui palpitait de vie au fond de ses tripes. Même si ses méthodes d'entrainement semblaient pleines de chahut, il ne faisait que la mettre face à des situations qui arriveront un jour ou l'autre dans sa vie. Ce n'était qu'un jeu factice:

"Suis moi" gronda-t-il.
Il n'était pas en colère contre la petite chatte, il ne faisait que la feindre pour qu'elle comprenne qu'elle n'agissait pas bien. Regard de Braise voulait qu'elle prenne sérieusement tout ce qu'il lui faisait faire. Elle avait le droit de s'amuser, ce n'était encore qu'un chaton et il ne lui proposerait dans leurs premiers entrainements que des situations légères. Oui, elle avait le droit de s'amuser, mais devait comprendre que le but de leur exercice n'était pas le jeu. C'était aussi de sa faute à lui, il avait rigolé avec elle avant d'être sérieux, alors que l'inverse était de rigueur. Etre parfaitement sérieux, mais permettre l'amusement tant que la petite était concentrée. Il la mena le long de la rivière jusqu'à un guet, ici la rivière rétrécissait et les bords de l'eau étaient couverts d'épaisses racines où il était aisé de s'accrocher. La plupart d'entre elles résistaient à un poids très lourd et descendaient sous la surface de l'eau, permettant de se hisser à la surface même si la personne était initialement submergée.

"Qu'est-ce que tu vois?" Demanda-t-il, d'un ton toujours sérieux mais plus doux que tout à l'heure. Allait-elle comprendre ce qu'elle aurait dû faire au lieu de se jeter à l'eau sans réfléchir? Neuf drames de noyades sur dix avaient toujours le même scénario : Quelqu'un sachant mal nager essayant d'en sauver un autre et le rejoignant dans la rivière, condamnant ainsi la première personne et parfois sacrifiant inutilement la seconde.