L'Ombre paniquée rencontre le Tonnerre éclatant. [Prio Esprit Soucieux] - end

Après le repas du midi, une fois ma grive dévorée en compagnie d'Esprit Lent, qui me racontait avec fougue et moult détails sa partie de chasse épique - contre des mouches - et m'expliquait par le menu la vilenie de ses adversaires - une sombre histoire d'aveuglement - j'étais parti faire le tour des anciens et de la pouponnière. Saluant Douce Ancolie, je m'aperçus vite que ses chatons étaient particulièrement turbulents, et paillaient comme des foutus moineaux, avec leur grande grande ouverte. Je dévisageais Petit Fauve, et m'approchais de lui pour le renifler quand sa mère m'expliqua qu'elle n'avait pas eu assez de lait pour les nourrir.

Retour en arrière dans mon antre, recherche active de bourrache, mais point de fleurs bleues pour secourir Ancolie. Esprit Lent n'était pas libre pour en chercher, je voyais sa queue battre joyeusement la mesure tandis qu'elle passait l'entrée du Camp, et je n'avais pas le temps pour partir en cueillette maintenant, pas avec trois nouveaux-nés et une jeune mère sur les bras. Un bref instant je fermais mes yeux, et l'image d'un grand pin flotta derrière mes paupières. Le Clan du Tonnerre. Songe Lunaire. Elle me doit bien ça.

♦ ♦ ♦

Une fois arrivé au Camp, j'annonçais ma venue, et me dirigeais droit vers la tanière de Songe Lunaire, quand une petite, sans doute une apprentie, me vit et se précipita dans l'antre de la guérisseuse. A mon tour, j'y passais la tête, puis mes grandes pattes décharnées. Pas de signes de Songe Lunaire, mais une autre apprentie tripatouillait des plantes - sa relève sans doute.

– Bonjour, je suis Esprit Soucieux, guérisseur du Clan de l'Ombre. Une de nos reines vient de mettre bas mais ne produit pas assez de lait, et je suis en rade de bourrache, il me faudrait quelques fleurs, tu peux me dépanner kiddo ? Songe Lunaire n'est pas là ?

Le débit de parole rapide et les paupières comme des clignotants, je me tus et fixa l'apprentie, dans l'attente desdites fleurs.

Les deux gamines n’avaient pas l’air à l’aise. Celle couleur crème devait être l’apprentie-guérisseuse, et l’autre, vu sa tête, sans doute de son âge, voire de sa famille. La première partit vers ce qu’il doit être la réserve, l’autre ne bougea pas, comme une petite statue de sel. J’avançais un peu dans la tanière, histoire de placer l’intégralité de mon corps dans son obscurité douce. Dans l’atmosphère calme et les odeurs de fleurs séchées, les rayons du soleil perçaient de manière plus forte encore mon oreille trouée, et mes cicatrices se fondaient dans ma pelisse. Non, parce que je me fais pas d’illusions, je sais que ça les fait flipper, ça, les gosses. Mon corps. Ou ma tête. Enfin, pas grand-chose à foutre, je suis là pour faire mon taf, et c’est tout, pas pour me pavaner devant les bouffeurs de pissenlits.

L’apprentie revint vite, le soupir entre les dents, et se planta en face de moi, le dos droit, le port altier et le regard froid.

— Veuillez nous excuser Esprit Soucieux. Mais j'ai bien peur que nos réserves de bourrache soient trop faibles. Nous avons également des reines et il est impératif de les garder, elles et les chatons, en bonne santé. J'espère que vous comprendrez mes peurs.

Je reçois la nouvelle. Je ne bouge pas. Les secondes s’égrainent, une minute passent deux. Je suis bon à fixer les choses, et les chats encore plus. Elle ne bouge pas non plus. Je continue. Elle finit par se pencher un peu, signe de respect pour mon rang. Elle jette un coup d’œil derrière moi, je suppose que l’autre est toujours là.

─ Ça m’embête ce que tu dis, car tu vois, je la sens d’ici la bourrache ? Je te demande pas beaucoup hein, juste de quoi aider une jeune reine pour la journée – jeune reine qui vient à peine, il y a seulement quelques jours, de mettre bas. Oh, et ai-je précisé qu’il s’agissait des premiers-nés d’Étoile du Serpentaire ? Enfin, j’imagine que je devrais m’adresser à ta mentor plutôt, elle sera plus apte à prendre des décisions.

Je dresse mes oreilles trouées bien haut sur mon crâne, et me déplie, pour occuper plus de place, mais sans être spécialement menaçant. Je suis sans doute plus entrainé que la gamine, mais les guérisseurs se doivent d’être non-violents, et je ne souhaite pas en venir aux coups. C’est pas de mon ressort, ces conneries. C’est plus de mon ressort.

─ Surtout qu’elle me doit bien ça, mais tu ne dois pas le savoir, Nuage de… Tu ne t’es pas présentée, je crois ?

— Je me nomme Nuage Hivernal.

Wow. Tapes toi la prétention de la formulation. Excuse moi Princesse, m’offrir la grâce d’entendre ta dénomination doit t’avoir tant coûté. Elle a le temps de causer l’apprentie, mais moi il me fait ces putains d’herbes, les chatons n’attendent pas.

—Mais là n'est pas le sujet. Je ne vous l'expliquerai guère une autre fois. Nous n'avons pas assez de bourrache pour plusieurs reines. Je prends cette décision pour mon Clan. J'imagine que vous pouvez comprendre ?
— J’comprends surtout que tu veux pas lâcher deux brins de bourraches, ouais , je marmonne pour moi.
—Si j'arrivais chez vous et qu'une de vos reines manquait de lait. Nous en donnerez-vous ? Je crains que non malheureusement... C'est ainsi. Je m'en excuse à nouveau, mais ce ne sera guère possible.
— On s’excuse pas, on présente ses excuses, je marmonne de nouveau. Je te prêterais mon apprenti pour t’aider à en cueillir au moins, histoire de prendre une décision plus adulte. Enfin, c’est sûr, pour l’instant, c’est toi l’apprentie. Je propose donc qu’on attende ta mentor, ou, si elle ne se trouve pas dans le coin, un plus haut gradé. Des êtres d’amour tels que nous ne sont pas faits pour souhaiter la guerre, mais si je retourne chez mon chef sans pouvoir nourrir ses premiers-nés, la pugnacité de mon Clan pourrait se saisir de ce malheureux désaccord.

Souvent, ma patience étonne les chats, au regard de mon corps souvent agité de tics – clignements d’œil impromptus, agitation de la peau, oreilles hypermobiles et queue tressaillante – mais depuis ma nuit passée hors du Camp, sous la bénédiction des Étoiles, alors que je devais rejoindre la tanière des futurs guerriers, je peux rester immobile des heures durant. Tranquillement, je m’assis donc. Elle peut bien me foudroyer du regard si ça lui chante, je ne quitterais pas son Camp avant d’avoir reçu ma foutue bourrache, ou avant de mettre plaint à tous les Foudroyés.

+:

Qu’est-ce que Songe Lunaire pouvait aimer la forêt. Lieu calme, elle y passait de longues après-midis à chercher différentes herbes. C’était suite à l’angoisse de pénurie survenue pendant le blizzard que Songe Lunaire avait commencé à se réfugier dans la forêt. A la fois pour se détendre et pour avoir du stock, constamment.
Souvent les récoltes n’étaient pas énormes, mais ça suffisait à avoir quelques herbes de côté et d’avance pour le clan. Puis, ça donnait à Songe Lunaire une bonne excuse pour rester seule à rêvasser, loin des tumultes du clan. Ce n’est pas qu’elle n’aime pas les autres chats, non loin de là, simplement sa maladresse et sa timidité l’empêchent d’être elle-même, sereine. Au moins dans la forêt, Songe Lunaire souffle et peut faire vagabonder son imagination. Peut-être pour trop longtemps cet après-midi là. Quand elle releva le bout de son museau, le soleil commençait lentement à se coucher le long de l’horizon.

Ni une, ni deux Songe Lunaire pris le chemin qui mène au clan aussi vite qu’elle le pouvait. Un fois dans le clan, tous les chats semblaient attelés à leurs activités. Ouf, pensa Songe Lunaire, rien de grave ne s’est produit. « Même si j’ai trainé un peu longtemps, j’ai récolté un bon nombre d’herbes et de feuilles. Ça me sera utile, j’ai encore du temps pour commencer à les préparer ce soir ! Une soirée tranquille, sans tumultes, c’est plaisant tiens ! En plus je suis un peu fière de moi. Quand même. » Se dit-elle en traversant le clan pour rejoindre sa tanière.

Mais alors, Songe Lunaire en s’approchant remarqua, ou plutôt entendit du bruit. Pourquoi vers sa tanière ? Seule Nuage Hivernal y allait sans sa présence, mais à moins qu’elle ne soit mise à parler aux murs ou aux plantes, la situation n’était pas habituelle.
Pas à pas, elle reconnut la voix de... Quoi ? Esprit Soucieux ? Mais, que faisait-il là ? Une autre voix se détacha. Il y avait bel et bien Nuage Hivernal.

« Ne pas paniquer, ce n’est peut-être rien. Il faut que je rentre, m’assurer que ce n’est pas grave. Allez. »

Non sans inquiétude, Songe Lunaire mis une patte hésitante à l’intérieur de sa

« B… Bonjour, je peux savoir ce qu’il se passe ? Tout va bien Nuage Hivernal j’espère ? »

Sa voix tremblante intrigua Esprit Soucieux qui se retourna alors vers elle pour lui exposer la situation. Toute la situation. Puis, un sourire se dessina sur la tête abimée d’Esprit Soucieux.

« Tu me dois bien ça non ? »

Songe Lunaire ouvrit alors de grands yeux. Elle ne voulait surtout pas que cette erreur passée, cet instant de faiblesse soit connu de son apprentie. Avant qu’Esprit Soucieux ne continue de plus bel, Songe Lunaire s’empressa de répondre : « Bien sûr. Evidemment, même, je euh… veux dire. Nuage Hivernal aurait dû mieux t’accueillir et je m’en excuse pour elle, mais comprend sa méfiance, elle est jeune… » Sa voix se serrait au fur et à mesure, tandis que Nuage Hivernal la regardait d’un air surpris. « Esprit Soucieux, Nuage Hivernal n’a cependant pas eu l’affront de te mentir, nous n’avons plus de bourrache en stock. Mais si tu nous aides à en chercher on te donnera la quantité dont tu as besoin. »

Songe Lunaire s’approcha plus près d’Esprit Soucieux, d’un pas assuré ce qui surpris le chat. « A condition, je t’en prie que tu ne dises rien de ce qu’il s’est passé. Je ne peux pas perdre ma crédibilité de guérisseuse. S’il-te-plaît. » Murmura-t-elle.

Songe Lunaire entra enfin dans son antre, comme une princesse malhabile de retour d'exil, le pas peu assuré, la démarche bancale, la voix hésitante. Oui, c'était bien sa collègue un peu gauche, un peu perdue, mais certes charmante - retire toi ces images pernicieuses de la tête kiddo, marié aux étoiles, vierge ad vitam aeternam. Avec ses explications bafouillées, elle parvient pourtant à calmer le jeu ; parce que je t'avoue que la petite gamine là, elle me tapait bien sur les nerfs. Perfusion de plomb dans les veines et envies éclectiques, le guérisseur ne bouffe pas que des pâquerettes et la violence émousse parfois sa raison. Mais bon. Pas en camp ennemi. Je sais bien que ce sont des petites raclures inaptes au combat, mais tout de même, ayons un semblant de jugeote.

Elle aussi a envie de garder la face, vis-à-vis d'Hivernal. Je ne la pensais pas capable de venir se coller à un autre chat, voire de demander quelque chose à un autre chat, mais j’acquiesce d'un signe de tête rapide. Je crache rien, tu m'aides, affaire réglée, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes et Douce Ancolie reçoit sa putain de bourrache pour que ses putains de petiots soient nourris, cajolés, aimés, chauffés. Je m'ébroue, et pars en direction en de la sortie, vers la lumière.

— Bon les meufs, on attend quoi ? Que l'une de vous tombe enceinte ? J'ai du taff moi.

A voir sa gueule, la gamine n’avait pas l’air ravie de la tournure que prenaient les événements. Pauvre chose, va falloir qu’elle apprenne la vie.

— Désolée mais j'aimerai qu'on fasse vite. Je ne veux pas avoir à passer la nuit dans la forêt pour un guérisseur qui n'est même pas capable de fouiller correctement son territoire.

Je grimace, partagé par l’amusement, le mépris et une sorte de tristesse pour cette petite, trop étroite d’esprit pour savoir quand la fermer. C’est beau les jeunes, ça se rêve empereur parmi les décombres et souhaite avaler le monde le ventre encore plein de lait.

— J'espère juste que nos efforts ne seront pas vains et que les chatons du chef n'auront rien.

Tout sourire, je me retournais alors vers Songe Lunaire. Après tout, Nuage Hivernal pouvait bien se plaindre dans son coin, rien à battre, petite princesse dans sa tour d’hiver avec une couronne en plastique, elle n’aura son mot à dire qu’une fois le ciel vidé de cumulonimbus.

— Songe Lunaire, très chère, nous sommes donc partis ? J’ai des gosses à soigner perso, et pas le temps pour des jérémiades.

Sur ces doux mots, je me glissais hors de la tanière.

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