I like blue... You're kinda blue, i guess we could be friendly - end

- Où vas-tu encore cette nuit, Nuage d'Or?
Le félin roux se tenait comme une ombre devant l'entrée de la tanière des apprentis. Il les pensait tous endormis, pouvant s'éclipser sans laisser de trace, et revenir au petit matin comme si tout allait parfaitement bien. Mais Nuage Bleu avait le sommeil léger en ces temps là. Et il s'inquiétait pour son ami.
Nuage de Coton dormait lovée contre lui. Sa soeur ne se rendait compte de rien. Il lui en voulait pour cela. Il lui en voulait, de faire du mal à sa soeur, prenant des risques inconsidérés pour aller rencontrer une femelle d'un autre Clan. La politique de l'époque n'était pas aussi sévère que celle d'Étoile du Corbeau, mais les relations interclaniques étaient naturellement bannies. Un jour, tout finirait par se retourner contre lui.

S'épargnant toute logique temporelle et spatiale, comme les rêves le font souvent, Nuage Bleu se retrouva à la frontière du Clan du Vent, Nuage de Pluie dressée en face de lui, le visage apeuré. Croc Acéré cracha, honteux, et d'un coup de patte violent, creva l'oeil de l'apprenti. Puis plus rien.

Lapis Lazuli se réveilla en sursaut. Un cauchemar dont il avait l'habitude, mais la douleur qui lui frappait l'oeil abimé et le crâne dans ces moments là était toujours aussi désagréable. Il était de toute manière l'heure de se lever. Le soleil et ses rayons faisaient leur première apparition, il fallait planifier les patrouilles de l'aube.

Étoile du Corbeau l'avait temporairement exempté de l'apprentissage de Nuage d'Écailles. Le temps que la petite fasse son deuil, et que le lieutenant s'accoutume à ses nouvelles fonctions, il n'avait plus à prévoir aucun apprentissage.
Il irait donc chasser aux chutes, appréciant le bruit de l'eau qu'elles engendraient.

- Hiiiish!!! AÏE!!! SAC DE BOIS DE MERDE!, entendit-il lorsqu'il parvint enfin à l'endroit voulu.

Coeur de Ronce se trouvait là. Ce félin s'éclipsait souvent sans prévenir, à l'abri des regards. Il lui rappelait Nuage d'Or. Il lui rappelait celui qui lui avait couté un oeil et des lunes d'entrainement. Celui qui avait fait pleurer Plume de Coton et fait la honte de son Clan. Il lui rappelait cette flopée de mauvais souvenirs qu'il aurait préféré oublié. Mais il essaya d'en faire abstraction, quand bien même une part de son esprit refusait de s'y soustraire.

- Si ta patte te fait mal, fit-il en constatant un mauvais appui sur cette dernière, va voir Coeur de Neige. Te blesser inutilement n'aidera personne, les tensions entre les Clans sont toujours présentes depuis l'assemblée, il nous faut des guerriers pour combattre en cas d'attaque, pas des boiteux invalides.

Il avait bel air, à parler d'invalide, avec son oeil en moins qui lui lançait comme des éclairs dans le crâne.

- Tu sais, Coeur de Ronce, pesta-t-il, ce n'est là qu'une simple égratignure, mais peu importe à quel point ta volonté sera forte, quand on t'aura tranché la gorge parce qu'une patte blessée aura eu raison de toi et de ta capacité à réagir lors d'une bataille, je doute que tu pourras te relever.

C'était une hyperbole, mais il voulait que le guerrier se rende compte. Chaque plaie était une potentielle infection. Chaque blessure était un handicap qu'il fallait éviter, puisqu'il pouvait nous couter une seconde. Une seconde de réaction, qui pourrait permettre d'éviter tant de choses. Une seconde de réaction qui pouvait avoir raison de toute l'issue d'une bataille.
De plus, Coeur de Neige avait assez à faire comme ça. Et sa réserve de toiles d'araignées n'était pas infinie. Les utiliser pour soigner de telles blessures insignifiantes, qui auraient pu être évitées, était une perte de temps et de fourniture considérable.
Pour un chaton ou un apprenti, il serait passé au dessus. Mais il avait en face de lui un guerrier, et depuis qu'il était lieutenant, il prenait de plus en plus conscience de la valeur des choses.
Lorsque l'hiver arrivait, et que les toiles d'araignées et graines de pavot venaient à manquer, on regrettait toujours amèrement de les avoir utilisé inutilement quelques lunes plus tôt. C'était l'une des raisons de son agacement. Et sa ressemblance avec Nuage d'Or ne l'aidait guère à se calmer. Il allait craquer.

- Le deuxième chat le plus loyal? Laisse moi rire! Prouve le nous donc, Coeur de Ronce! Comment veux-tu que nous fassions confiance à un félin absent les trois quart du temps, lors de la vie au camp? On ne peut pas, tout simplement.

L'image de Nuage d'Or lui revenait en tête, encore et encore. Son oeil lui faisait toujours plus mal, accentuant sa furie davantage.

- Il y avait un chat comme toi, du nom de Nuage d'Or, lorsque j'étais apprenti. Et aujourd'hui, ce chat est mort. Il est mort, car il a pêché, aimé une féline d'un Clan ennemi. Et sais-tu ce qu'il nous disait, Coeur de Ronce? Il nous disait qu'il partait s'entrainer pour être le meilleur des chats. Alors non, je ne peux pas te faire confiance. Ni même te juger fidèle. Je peux faire confiance à Aigue-Marine - il sentit son coeur s'apaiser lorsqu'il prononça son nom -, à Nuage d'Écailles, Nuage de Groseille ou même Museau Gris, mais toi, je ne peux pas, et j'en suis navré.

Il se décida finalement à s'asseoir dans un coin, observant les chutes qui coulaient non loin. Il se concentra sur leur flot, doux, agréable mais aussi puissant. C'était ici même que l'on avait retrouvé le corps de son ami d'enfance, une quarantaine de lunes plus tôt. Il repensait à la vie, après ça. Aux nombreuses lunes passées dans la tanière de la guérisseuse, à combattre l'infection qui avait failli l'emporter, lorsqu'il avait perdu son oeil. Aux lunes qui avaient suivi, lorsqu'il lui avait fallu tout réapprendre, avec un oeil en moins. Réapprendre la chasse, le combat, la nage et la confiance. Le lieutenant soupira, reprenant son calme habituel. Ce n'était pas Nuage d'Or qu'il avait en face de lui. Il lui fallait se le remémorer, non sans mal.

- Tu es encore jeune, Coeur de Ronce. Tu n'as que 19 lunes, et à ton âge, je recevais seulement mon nom de guerrier. Si tu as serieusement des problèmes au combat ou à la nage, tu peux tout simplement reprendre un apprentissage tout en conservant ton statut de guerrier. Tu seras dispensé des corvées traditionnelles réservées aux apprentis, mais tu pourras suivre leur entrainement. Ça t'aiderait davantage que... taper dans un arbre pour se couper une patte.

Cela lui permettrai aussi de pouvoir garder un oeil sur les agissements du guerrier, qui pourrait dans le même temps bénéficier d'un entrainement un peu plus fructueux. Et, qui sait, un jour pourrait-il peut-être lui accorder sa confiance.