Epilogue [PV Lapis, puis le Clan] - end

Non.

Lapis Lazuli se dirigeait vers la tanière de son chef, pressant le pas. Il venait tout juste de rentrer de patrouille, quand Poil de Hérisson était venu le chercher.
- Étoile du Corbeau... s'était-il contenté de dire, et le lieutenant avait comprit.
Leur chef se mourrait. Depuis quelques jours déjà. Il était rentré, mal en point, avec Patte des Ruisseaux, mais avait refusé de se soigner. Par honte, peut être. Ou par fierté, il n'aurait su dire. Mais le résultat était le même.
Et le félin gris-bleu eut la nausée lorsqu'il aperçu son chef couché sur le sol de sa tanière, les côtes presque visibles, le souffle rauque. L'odeur de la mort était présente partout, impatiente de pouvoir ôter au félin noir sa dernière vie. Il avait représenté la force, la vigueur et la réussite de son clan, et Lapis Lazuli avait désormais l'impression de voir tout ces éléments s'éteindre avec lui.

Non.

Il faudrait se montrer fort, vaillant, comme le Clan l'avait toujours été. Il fallait offrir à Étoile du Corbeau une dernière vision du Clan de la Rivière, forte et fière comme jamais. Lorsqu'il pousserait son dernier soupir, le nom d'Étoile serait à lui. Il frissonna en repensant à toutes les responsabilités qui l'attendaient, mais secoua la tête pour mettre ces pensées de côté. Il ne serait pas seul.
Doucement, sans un bruit, il vint s'asseoir aux côtés de son chef. Il lui semblait froid, comme si la vie le quittait déjà.

- Ça y est... Je suis appelé par mes ancêtres... Ils... Ils me veulent... Je vais mourir... Cette nuit, je vais mourir...

Il aurait aimé lui dire que c'était faux, aller chercher Coeur de Neige, mais même un chaton innocent aurait pu constater l'état du meneur et sa mort imminente. Il aurait aimé aller chercher Patte des Ruisseaux et Petite Abeille, afin qu'ils puissent lui adresser un dernier au revoir, mais il n'y avait sans doute plus le temps, et qui savait si ces petits désiraient vraiment voir leur père dans cet état, gravant dans leur mémoire un dernier souvenir de lui la mort à ses côtés.
Au lieu de cela, il se contenta de baisser la tête, en signe de respect.

- Notre Clan ne vous sera jamais assez reconnaissant pour tout ce que vous avez entreprit, Étoile du Corbeau.

Une agitation peu commune venait de prendre le camp. Une effusion particulière, qui était habituellement due à une assemblée de Clan ou à une annonce particulière : Clan ennemi repéré, prédateur sur le territoire... Mais cette fois-ci, il ne s'agissait pas de cela : tous les regards étaient tournés vers la tanière du chef, Étoile de Corbeau. Tous avaient compris que l'heure était grave, alors même que le meneur avait tout fait pour cacher sa chute aux yeux de son Clan. Aigue-Marine, tout comme la plupart au Clan, ignorait que le grand mâle corbeau s'était fait attaquer par Étoile de Suie quelques jours auparavant, et elle était loin de se douter que cette attaque lui avait valu une mort imminente.
Pourtant, malgré l'absence de signes avant-coureurs, tous avaient deviné qu'Étoile du Corbeau était mourant. Les râles qu'on entendait désormais provenir de sa tanière ne laissaient plus aucun doute ; les regards entendus et perdus des membres du Clan entre eux confirmaient le doute commun, bientôt devenu certitude. Étoile du Corbeau mourait.

Aigue-Marine avait vu Lapis Lazuli se diriger vers sa tanière. De longues minutes étaient passées et il n'en était pas sorti. Aucun indice visuel ; seulement la voix meurtrie et meurtrière du meneur, qu'on entendait rire, tousser, cracher et ricaner en même temps. La guerrière au poil tigré devina à ces intonations que la discussion ne devait pas être agréable.
Elle affichait une mine grave, sentant un poids énorme s'abattre sur ses épaules. La mort d'un meneur, qu'il soit aimé ou détesté, fichait toujours un sacré coup au moral des troupes. Elle s'en rendait compte aujourd'hui, alors pourtant qu'elle était loin de porter Étoile de Corbeau dans son cœur.
Et, en même temps qu'elle sentait un poids l'écraser, elle le sentait également la libérer. Elle n'était plus sûre de ce qu'elle ressentait, mais elle avait l'impression d'éprouver davantage de soulagement que de dépit face à la mort imminente de celui qu'elle haïssait et craignait depuis de nombreuses lunes désormais.

Elle eut une pensée pour Lapis Lazuli. Ils maintenaient une relation en secret depuis quelques temps ; une entreprise périlleuse, qui les mettaient tous deux en danger. Elle ne savait pas que le meneur les avait découverts ; l'idée qu'elle pourrait désormais vivre son amour en paix la consolait et lui faisait finalement voir la mort d'Étoile du Corbeau comme une bonne chose. Pour elle, et pour tout le Clan.

Quand Étoile du Corbeau s'efforça de lui parler, malgré la douleur et sa voix rauque, Lapis Lazuli cru que le meneur avait perdu la tête. Mais le regard qu'il lui lança failli le faire reculer. Pourtant, il resta assit à ses côtés, droit, bien que sans pouvoir retenir le frisson glacé qui parcouru son échine.
Il lui avait menti, oui. Il aimait Aigue-Marine, et non pas un chaton. Mais qu'y pouvait-il? Il n'avait pas décidé vers qui son coeur se porterait. Cependant, il avait promis.

Quand Étoile du Corbeau se mit à cracher du sang en certaines quantités, il aurait voulu lui dire d'arrêter, ou peut-être l'étrangler pour abréger ses souffrances - et aussi le faire taire. Mais il n'en fit rien. Il resta là, silencieux, à regarder le meneur mourir à petit feu. Peut-être était-il réellement devenu fou, au final. Avec la trahison de Rivière Sombre et de quelques guerriers à la fin de sa vie, son esprit s'était peut-être brisé.
Il ne le savait pas, et ne le saurait jamais. La rage du meneur ne durerait plus longtemps.

Quand Étoile du Corbeau fut emporté par le Clan des Étoiles, il ne resta plus que lui et le silence au sein de la tanière du meneur. Le nouveau meneur. Il lui avait fallu plusieurs secondes avant de se rendre compte que le dernier souffle l'avait quitté, car même par delà la mort, son regard était le même. Doucement, sans un mot, il ferma les yeux de son ancien chef, le déplaçant légèrement. Ainsi, il aurait l'air de s'être endormi dans son sommeil. Une mort plus "présentable" pour ses enfants qui viendraient lui adresser un dernier au revoir.

Il ne savait pas si c'était l'odeur de la mort ou les dernières paroles du matou noir qui lui donnait à nouveau la nausée, mais cette sensation s'apaisa lorsqu'il se mit à marcher jusqu'à la sortie de la tanière. Il se dirigea jusqu'au promontoire. La plupart des guerriers devaient probablement comprendre l'état des choses en voyant leur lieutenant se diriger là où se tenait normalement leur chef.

- Étoile du Corbeau est mort, clama-t-il. Il a rejoint le Clan des Étoiles, et chasse désormais aux côtés de nos ancêtres.

Il hésita, dans ce qui lui sembla être une éternité, avant de poursuivre.

- Il repose dans sa tanière. Nous l'enterrerons à la nuit tombée. D'ici là, vous pouvez aller le voir. Aigue Marine, appela-t-il.
Le choix de lieutenant lui semblait déjà tout trouvé. Elle était la femelle fidèle au milieu de nombreux traitres, l'une des seules à qui il pouvait véritablement faire confiance.
- Elle me secondera en tant que lieutenante. En tant que guerrière, elle a mainte fois fait ses preuves malgré son jeune âge. Puisse le Clan des Étoiles veiller sur elle.

Il lui semblait pouvoir entendre Étoile du Corbeau hurler à l'idée de voir une femelle devenir lieutenante.
Le roi est mort.
Vive le roi.

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