Oh, bouge-toi l'cul ! ft. Chant du Toucan - end

La veille au soir, Petit Fauve n'avait pas eu la permission d'aller à la rencontre des novices et guerriers qui rentraient tardivement de l'Assemblée des Clans. Le petit matou tigré avait pourtant eu la folle envie d'être mis au courant de tous les potins, et surtout qu'on lui décrive une énième fois l'allure des autres meneurs et ô combien son géniteur les devançait de loin et en tout point. L'animal noir avait tenté, au beau milieu de la nuit, de s'inviter chez les guerriers mais il avait rapidement été attrapé et à peine grondé. Alors, très tôt le lendemain matin, c'est l'excitation qui le réveilla.

Il avait passé sa nuit lové contre la paroi de la pouponnière, alors principalement constituée de boue séchée. Depuis quelques temps, le chaton se refusait à dormir contre sa mère, excédé par son amour pour le petit d'une autre reine; Petit Feulement. Plein de jalousie et de frustration, le mâle au regard d'or n'avait pas eu trop de regrets à quitter le nid chaleureux pour s'aventurer dans le Camp. Maintenant qu'il avait grandi et que son baptême ne tarderait plus, on le laissait gambader plus librement. Cela dit, le regard anxieux qu'Esprit Soucieux lui porta lorsqu'il le vit s'extirper de la pouponnière prouvait qu'il avait encore des protecteurs qui s'inquiétaient pour lui. Il faillit sourire à cette idée. Qui aurait pu croire que le guérisseur loufoque serait bientôt le seul à se tracasser pour lui ?

Le fait est que l'enfant-roi du Clan de l'Ombre n'avait pas perdu son objectif de la veille : avoir un retour de l'Assemblée. Aussi se dirigea-t-il sans gêne dans la tanière des guerriers, sachant pertinemment que celle des novices était vide depuis le baptême de Langue de Vipère. Elle porte bien son nom au moins, songea-t-il. Pénétrant dans l'espace réservé aux adultes, Petit Fauve commettait une faute grave, et il en avait conscience. Mais les fautes, ça lui passait au dessus de la tête, après tout il était le premier fils du meneur, qui oserait lui mettre la patte dessus, hein ?

Sans réfléchir, il approcha du premier corps assoupi. Il s'agissait d'un petit matou gris et blanc à l'odeur étrange, avec un petit quelque chose qui ne lui était pas familier. Le chaton reconnut alors Chant du Toucan, le solitaire qui venait récemment d'intégrer le Clan. Sa mère lui avait fermement interdit d'approcher de trop près l'animal. Mais franchement, quel genre de chaton en colère contre sa génitrice écouterait son avis ?

« Hé, debout ! Faut qu'tu te lèves dans les premiers sinon on va croire que t'es un flemmard. » souffla-t-il en découvrant une oreille.

Oh, ce matou était un ennemi ? Il ne fallait pas l'approcher ? Il devait disparaître, que tout le monde le haïsse encore plus ? Parfait, alors il serait son nouvel ami. De toute façon, on ne pourrait jamais lui reprocher d'appuyer les décisions du chef, si ?

A l'appui, il tapota répétitivement la partie la plus souple de l'oreille, espérant réveiller son homologue adulte.

HRP:

Perdu dans son rêve, Toucan dérive dans des océans troubles et des arc-en-ciels de sable mou, il voit les figures des chefs tourbillonner devant lui dans une danse de jeux de pouvoir. De l'extérieur, il a l'air aussi calme qu'un enfant mort-né. Tellement immobile qu'on vient lui tapoter les oreilles pour qu'il bouge son charmant fessier. Le galet n'est pas aise, il bouge ses membranes, pour que le tapotement cesse. Échec. Il ouvre un oeil, puis deux, et puise ses puits de noirceur droit dans les pupilles dorées d'un petit noiraud, un peu tigré. Le gamin de Serp. Putain.

Il referme les yeux, espérant que le gamin se casse. Jouer le mort. Évidemment, ça ne marche pas. Il se lève et s'étire paresseusement.

Qu'est-ce tu veux petit merdeux ?

+:

L’ancien solitaire s’étire. Enfin ! Petit Fauve s’agite davantage, impatient que l’adulte se tire enfin des bras de Morphée pour commencer les hostilités.

« Qu'est-ce tu veux petit merdeux ? »

Sourcils froncés. Il est vexé. Il fait la moue un instant, outré qu’on l’appelle à l'aide de propos aussi ingrats.

« Hé, déjà parle-moi autrement. Je suis pas un bouseux, et puis je n'suis pas petit. Toi, t’es petit. Et t’es un merdeux, parce que t’es pas du coin. Alors bouge-toi l’cul, petit merdeux, sinon les autres guerriers ne vont pas apprécier te voir dormir toute la matinée tel le sale solitaire que tu es. »

Beaucoup trop de mots pour pouvoir nier qu'il n'était pas touché.

C’était lui, le patron. C’était lui, qui insultait et qui rabaissait ses interlocuteurs. Alors oui, il était très jeune, et ses petits airs de chef prenaient souvent une tournure comique aux yeux des chasseurs du Clan de l’Ombre. Mais son caractère de cochon lui valait au moins d’être craint par ses camarades de pouponnière. Puis, il n’allait tout de même pas se défaire devant un intrus. Car oui, Chant du Toucan restait un inconnu, un étranger dans l’esprit du mâle noir tigré.

HRP:

Chant du Toucan se relève paresseusement, agoni sous le flot des paroles de Petit Fauve - qui aurait vraiment dû s'appeler Petit Perroquet, vu comme il jacasse. Il se passe lentement les pattes derrière les oreilles, tout engourdi par le blabla incessant du gamin. Il n'aime ni le matin, ni les enfants. La journée commence très mal pour lui. Le regard mauvais, il observe le corps du noiraud, et le compare au sien : non, il est tout de même plus grand qu'un chaton. Avec humeur, il décoche une réplique cinglante au fils du chef - Toucan n'en avait rien à faire de sa filiation, et Petit Fauve allait bien vite le comprendre.

Tu viendras me parler de ma taille quand t'auras engrossé une femelle, hein. En attendant, t'as qu'à me dire ce que je suis sensé foutre aussi tôt, monsieur "je suis né ici je sais tout".

Il ponctue cette phrase d'un battement nerveux de la queue, faisant voler un peu de poussière dans l'espace clos de la tanière des guerriers, sa toute nouvelle maison.

Trash était quand même un enfant plus intéressant que ce morveux qui empeste le lait.

+:

Le regard que lui rendit l'ancien solitaire en disait long sur sa pensée. Mauvais, noir, il existait des tas d'autres adjectifs pour exprimer ô combien l'adulte semblait agacé. Et allant de pair avec les éclairs que lançaient les yeux, les paroles de Chant du Toucan tonnèrent :

« Tu viendras me parler de ma taille quand t'auras engrossé une femelle, hein. En attendant, t'as qu'à me dire ce que je suis sensé foutre aussi tôt, monsieur "je suis né ici je sais tout". »

Sa queue fouettant l'air marquait d'autant plus son agacement.
Petit Fauve cligna des yeux, à plusieurs reprises. Il était dépassé par les événements. Pour qui est-ce que ce sombre intrus se prenait-il ? Entre lui et cet étranger, Étoile du Serpentaire aurait vite tranché ! Il était un élément précieux, plus précieux que ce simple morceau de chair posé sur un squelette aussi peu impressionnant. Lui, lui monsieur, était le fils héritier, le premier-né oui oui oui, le premier-né et il n'avait pas besoin qu'un matou mal-aimable lui demande pour donner des ordres. Avec un ton de petit chef, le chaton noir tigré répondit :

« T'es bête en plus ?! Va chasser pour le Clan. Quand ils verront que tu t'es levé très tôt pour nourrir les autres guerriers du Clan, ceux qui avaient des préjugés sur toi changeront surement d'avis. » Il fit une pause avant de poursuivre, plongeant son regard doré dans le noir de son aîné. « Toi, t'as pas le droit de dormir tard. Ou de ne pas savoir quoi faire. Toi, tu seras toujours la raclure de solitaire aux yeux de tous. »

Comme il avait l'impression de récupérer la crédibilité que le guerrier venait de manger à l'instant, Petit Fauve se redressa tout fièrement, prenant soin de bomber le torse. Dans son élan de confiance en lui, le petit tigré enchaîna.

« Tu devrais remercier ton prince de prendre de son temps pour s'occuper de ton cas. En échange de ma clémence, fais-moi dont un résumé de l'Assemblée. »

Oui, oui, le minuscule petit mâle sombre venait d'ordonner à l'ancien solitaire sans foi ni loi un résumé de la cérémonie. Et si nombre de chats auraient implosé de rire devant cette scène, Petit Fauve, lui, se sentait le plus audacieux des chatons. Et ça se lisait sur son visage satisfait.

HRP:

Petit Fauve avait l'air consterné. Il ne devait pas souvent se faire remettre à sa place de sale gosse, immunité royale oblige. Toucan soupira bruyamment, couvrant les paroles autoritaires du chaton tigré. Celui qui lui dirait quoi faire de sa vie ou de ses fesses n'était pas encore né. Il dodelinait de la tête en écoutant d'un oreille le rejeton de Serpentaire, montrant ostentatoirement des signes de désintérêts profonds. Quand le petit eut finit, il lui asséna, sans la moindre pression aucune, un sale coup dans les pattes, ce qui envoya bouler l'enfant au sol.

Calme ta joie, la raclure va finir par te bouffer sinon. J'ai pas de soucis pour te raconter le truc là, l'assemblée, mais casse pas les couilles comme ça. On t'a pas appris à demander gentiment ?

Oui, Chant du Toucan n'avait aucune honte à proférer un telle hypocrisie : ce qu'il voulait, de manière générale, il ne prenait même pas la peine de le demander, il l'arrachait par la force.

Un bien bel exemple pour la jeunesse.

Mais alors que le petite mâle sombre à la pelisse tigrée se dressait fièrement juste devant l'ancien solitaire, un coup de patte habile de ce dernier le délogea sans vergogne. N'y étant pas préparé, la boule de poils sombres roula quelques queues de souris plus loin, se redressant sur ses quatre pattes de chaton en rugissant sa haine.

« Calme ta joie, la raclure va finir par te bouffer sinon. J'ai pas de soucis pour te raconter le truc là, l'assemblée, mais casse pas les couilles comme ça. On t'a pas appris à demander gentiment ? »

La terreur du Clan de l'Ombre, la tempête noire, le Fauve au regard d'or bouillonnait. Quel manque de respect ! Quelle sauvagerie ! Quelle odieuse provocation ! Point un simple soufflet, c'était une infâme attaque dont il était victime ce matin. Et cette terrible infamie serait réparée à coup de griffes et de crocs, et si les Étoiles elles-mêmes l'en empêchaient, Petit Fauve s'en prendrait à elle et les terrasserait tant son courroux était grand.

« Sauvage ! Si j'en parle à Étoile du Serpentaire, toi tu... tu vas... TOI TU VAS RETOURNER BOUFFER TA PROPRE MERDE. » Il était fou de rage. Ses pupilles réduites à deux fentes, les paupières plissées, il ajouta. « Vu comment t'es p'tit c'est sûr que c'est c'que tu mangeais, sac à caca. »

Tout à coup, l'Assemblée et ses ragots lui semblaient bien loin. Et il bondit sur le félin bicolore, persuadé de vaincre l'ennemi avec aisance.

HRP:

Le rejeton royal sauta sur Toucan, petit corps contre petit corps, mais le guerrier si seul le repoussa sans trop de mal, et vint coller sa tête grise à celle noirâtre du chaton, presque truffe contre truffe. Il souffla lentement son dédain à la gueule de Fauve, espéra qu'il se bouffe des blizzards plus glacés que ses exhalations. Que le petit comprenne que son sang ne prouvait pas grand chose, et qu'il devrait apprendre à fermer sa petite gueule avant que quelqu'un ne s'en charge pour lui, plus ou moins violemment. Nul besoin de rappeler que Toucan choisirait bien vite la méthode forte.

Tsss gamin, ferme donc ta petite gueule, tu me feras plaisir. Ou va donc demander à ton père pourquoi je suis là, tiens, bonne idée. Pas sûr que t'aimes la réponse. J'aurai pu aller me caler dans le harem si tu vois c'que j'veux dire. Oups, c'était un secret.

IL avança encore le crâne, donna un petit coup avec à Fauve puis recula et se rassit, la queue sur les pattes. Il agita un peu les oreilles, bailla à s'en décrocher la mâchoire, et se tassa plus confortablement sur son maigre squelette, qu'il tapotait doucement du bout de la queue.

+:

Mais la réalité fut plus cruelle avec le chaton tigré, et il se trouva rapidement cloué à même le sol, Chant du Toucan le dominant de sa (moindre) hauteur. L'animal bicolore vint alors coller son crâne à celui du plus jeune, et bientôt Petit Fauve put capter les exhalations du guerrier à cause de son seul besoin de respirer. Cette position, dans laquelle le chaton était soumis à l'adulte, déplut grandement à l'enfant qui se tortillait déjà rageusement.

« Tsss gamin, ferme donc ta petite gueule, tu me feras plaisir. Ou va donc demander à ton père pourquoi je suis là, tiens, bonne idée. Pas sûr que t'aimes la réponse. J'aurai pu aller me caler dans le harem si tu vois c'que j'veux dire. Oups, c'était un secret. »

Quelques secondes s'écoulèrent avant que Petit Fauve ne puisse se redresser sur ses quatre pattes. Mais ce temps ne lui suffit pas à digérer les informations délivrées par son aîné. Harem ? Qu'était-ce ? Il n'en avait pour l'instant encore aucune idée. Oh, il avait remarqué qu'un certain nombre de femelles suivaient très fidèlement son père, ou encore qu'il avait un demi-frère. Mais après tout, Petit Fauve ne connaissait pas la fidélité amoureuse, ni même la monogamie parce que pour dire vrai, le sexe n'avait pas encore fait irruption dans sa vie, du moins pas de façon conséquente.

« T'es nul. Je veux que tu partes, et vite. T'es même pas foutu de résumer une Assemblée, ni même de chasser ou de te battre. Et ça, c'est même pas moi qui le dit ! J'te donne même pas trois lunes ici avant de repartir pleurnichouiner chez tes Bipèdes. »

Enfant parmi les enfants, Petit Fauve tira la langue au demi-étranger des lieux et lui tourna le dos, décidé à se plaindre auprès de Douce Ancolie, attisant la haine de la reine envers l'ancien solitaire.

HRP: