SAY10 // trash - end

Un profond ennui le paralysait, glaçait son sang, gerçait son cœur qui avait été si prompt à s'emballer devant les promesses du Serpentaire. Maintenant, femme abandonnée pathétique, déchet jeté au tout-à-l’égout, baudruche crevée dans les soirs de juillet, il regrettait, lui qui se pensait toujours dans son bon droit, lui qui n'aimait pas penser à lui, ses actions, son esprit étriqué, voilant ses mauvais choix et actions regrettables sous le vernis d'une vie libre ; mais les contraintes donnent des ailes.

Au haut de sa liste des merdes qu'il avait choisi de s'infliger, on trouvait l'entrée dans le Clan de l'Ombre. La bouffe était là, mais dégueu. Il fallait bosser, pour les autres, pour des gens qu'il ne connaissait pas. Il fallait leur parler, ou faire semblant de ne pas entendre leurs murmures de vierges effarouchées dans son sillage. Ça faisait quelques lunes qu'il n'avait pas baisé. Son fils lui manquait, son fils con et grand et baraque, son putain de gamin - il lui manquait le matin quand il se faisait réveiller par les mioches d'une des putes du chef, il lui manquait quand il mangeait seul, il lui manquait quand il chassait avec les remarques acerbes de ces fier guerriers entrainés depuis leurs six lunes, il lui manquait le soir, quand il se sentait seul, si seul dans la tanière bien peu communautaire.

Mort dans l'âme et faim au ventre, il trainait des pattes jusqu'au Verger, et si un chat de son putain de Clan venait lui casser les couilles, il sortirait les griffes. Les frustrations étaient trop grandes là-bas, il étouffait. Il voulait un bol d'air frais couleur charbon, un air qui sonnait fautes de français.

Trash ?

Il avançait lentement, cherchant le vent nouveau d'un espoir de retrouvailles.

Trash ! Eh, Trash ! TRASH ! GAMIN, DAD EST REVENU ! VIENS ME VOIR PUTAIN !

+:

♪ Nothing is fun
Not like before

Je suis sur le muret qui fait la frontière entre le Verger et la Lande.
Chez moi et chez les autres.
Je dors sans vraiment dormir du fait que je dois surveiller. Que personne vienne. Vous comprenez, si les "Clans" ont un territoire je vois pas pourquoi moi je pourrais pas faire pareil.

Mais être seul sur un muret, dans le froid et sans personne à qui parler, avec juste la lande qui change pas à voir, c'est vite chiant si vous voyez ce que je veux dire.
Alors je dors sans dormir.
A moitié dans la réalité, à moitié dans un monde où tout semble pas pour de vrai.

Et puis là je suis à 100% dans la réalité à cause que le vent m'apporte une odeur.
Une odeur d'un chat de Clan.
Je me mets debout et j'ouvre la gueule pour mieux sentir. Et là putain c'est l'odeur du Clan de Toucan, celui qui pue les marais, qui pue l'odeur de son connard d'alpha.
C'est lui ? ( Peut-être ? ) Le connard qui m'a prit Toucan qui est revenu voir si il pouvait pas prendre autre chose à moi.
Bordel, si il me fait le plaisir d'être là, je vais pas le rater. Croyez moi. Je le raterais pas.

Je saute du muret et je cours, à moitié je rampe, invisible, les muscles qui pulsent prêt à s'élancer sur n'importe quoi, par exemple cette silhouette, cette forme qui crie :

Trash ! Eh, Trash ! TRASH ! GAMIN, DAD EST REVENU ! VIENS ME VOIR PUTAIN !

Mais trop tard trop tard, je suis déjà dans les airs, déjà le le percute et je le fais basculer sous mon poids, trop facile, il est déjà cloué au sol.
Et c'est pas du tout le connard.
C'est Toucan.
Et je suis venu voir daddy.

COMME CA, CONNARD ??

Il est revenu, il est revenu. J'en reviens pas, après avoir disparu sans me dire qu'il allait disparaître, il revient sans me dire qu'il allait revenir.
Je suis tellement, en colère.
J'ai envie de frapper ce visage que le temps a presque effacé de ma mémoire, ce gris couleur pierre, et faire mal à ce coeur qu'est vraiment de la pierre.
Mais je suis juste là, au-dessus de lui, à baver de rage et à être figé dans un rictus de haine.

Dégage putain ! C'est chez moi ici ! je HURLE. Tu crois quoi ? Que tu peux me jeter comme un PUTAIN de DÉCHET ???

Spoiler:

Une masse le percute, un bloc de basalte percute un parpaing grisâtre, les murs se fissurent, Toucan tombe à terre, écrasé par le poids de son fils, son cher fiston, son putain de gamin. Il jure, les dents serrées. Il ne s'attendait pas à un accueil particulièrement chaleureux, mais Trash n'y mettait décidément pas les formes ; non, il préfère gueuler, baver sa rage et cracher sa haine, qui macule le haut du poitrail de Toucan. Il sourit dans son mal être, expulsant ses craintes dans un rire de crécelle enfumée, un rire rauque qui s'échappait en ricochets. Il était heureux de se sentir en vie ; ça faisait un bail que ça ne lui était pas arrivé, dans ce Clan par delà les marais.

Il se tortille, tente de s'échapper de l'étreinte de Trash, grogne un peu, échoue. Il inspire. Il a les poumons du grand méchant loup, prêt à souffler sur des bougies éternelles et à vomir un torrent de mots. Logorrhée mon amour, quand tu nous tiens.

OH OH OH TRANQUILLE GAMIN ! C'est chez moi aussi, eh, rappelle toi, hein, quand t'allais crever dans la flotte, et quand t'étais encore jeune hein, là t'as grandi, et pas moi, j'suis juste devenu un vieux con, mais, mais, mais UN VIEUX CON QUI T'AIME putaaaain.

Il en aurait eu les larmes aux yeux. Qu'il lui casse la gueule si ça lui permettait de se sentir mieux, il préférait encore ressentir de la douleur que cet effoyable sentiment de vide, de creux, qui lui hantait la poitrine depuis quelques temps.

Il était à la maison.
Et ferait tout pour y rester.

JE TE DOIS RIEN !! RIEN ! je dis tellement fort que l'air se courbe sous ma voix.

Bordel comment il ose me faire croire que j'ai une quelquonque dette envers lui ? Comment il essaie de me faire culpabiliser avec ses 'jt'ai sauvé la peau' et 'je t'aime'.
Je bute un peu. Même si je veux pas le croire, et lui re faire confiance.
A cause que la confiance c'est ce que vous pouvez utiliser pour faire mal aux autres.
Et j'ai mal là.


Même si je veux qu'il parte, je le lâche pas. Je peux pas m'empêcher de repenser à avant. Quand j'étais pas seul tout le temps, quand j'avais quelqu'un à qui parler et on s'engueulait des fois, et on rigolait bien, on partageait la bouffe, c'était sympa.
Et il est parti.
Et il revient avec un "qui t'aime putain".

Je sais pas si je peux le croire. Est-ce-que je suis vraiment quelqu'un qui compte pour lui ? Ou est-ce que je suis une putain de bête de foire amusante jetable et recyclable ?

T'es toxic Toucan. je dis. Pourquoi si les gens comptent pour toi tu leur fais du mal ?

Je le lâche pas.

Je le lâche.

Je recule je le regarde.

Trash crie, hésite, se perd dans ses pensées, le serre, le lâche, l'observe. Toucan reçoit tout ce que son fils dit, toutes ses insultes car enfin, enfin, il el retrouve, enfin quelqu'un lui prête de l'attention, il n'est plus l'ombre d'une âme errant dans un Clan qui l'ignore, il est là, il est en chair, il est en vie, on l'engueule. On peut le toucher, lui fracturer son sourire suffisant, lui arracher des excuses en lui tordant le corps, son petit corps. Il est enfin heureux.

Trash lui parle, lui ouvre son cœur ; le sien se brise et il ravale son sourire.

Fils, si je sais même pas prendre soin de moi, comment veux-tu que je m'occupe des autres ? Regarde ce corps, regarde ma gueule : je suis rien putain, rien du tout, j'ai besoin des autres et ça me tue de l'admettre, et putain, oui, putain de putain, j'ai besoin de toi.

Sa voix se fait brouillard, il roule des pierres entre ses mots. Parler est un acte dangereux, il dépiaute son cœur. Il gratte toute la gangue noirâtre qui l'entoure, ça fait mal, il ne veut pas voir le fruit en décomposition qui lui tient lieu de place forte des sentiments ; si sentiments il a. Rhétorique, capable de souffrir il sent bien plus qu'il ne le souhaiterait. Point d'amour en revanche, son séjour à l'Ombre ne lui aura pas ouvert de nouveaux horizons.

Là bas c'était horrible. Tu m'as manqué.

Fils, si je sais même pas prendre soin de moi, comment veux-tu que je m'occupe des autres ? Regarde ce corps, regarde ma gueule : je suis rien putain, rien du tout, Ouais mais .. je tente de le couper dans son discours sans plus de procès à cause que je peux pas écouter cette liste d'apitoiement sur lui.
J'ai besoin des autres et ça me tue de l'admettre, et putain, oui, putain de putain, j'ai besoin de toi.

- ...

Il a besoin de moi ? Ca aussi je suis tenté de pas y croire et déjà j'ouvre la gueule prêt à cracher mon venin et
Je peux pas -
Je peux juste pas.
Sa voix se casse, son regard se brouille et ça me fait mal putain de le voir souffrir. Toucan qu'à l'air d'en avoir rien à foutre de rien, me dis qu'il a besoin de moi et que je lui manque.
Et le masque se fissure et je réalise qu'en fait Toucan, c'est peut-être pas qu'un paquet d'hormones, pas qu'un gars qui sait parler et qui a tout ce qu'il veut, mais un mec, un peu paumé, qui fait tout ce qu'il peut pour se sentir en vie.
Pour pas se sentir vide.
Je peux pas l'enfoncer alors qu'il a l'air vraiment vrai.

Je sais pas si je peux lui pardonner non plus.
Alors je fais quoi ?
Je fais quoi, putain?

Même si tu reviens, je dis. tu vas abandonner les gens avec qui t'étais avant.

Pas que j'en ai grand-chose à foutre.
Mais Toucan -
Tout ce qu'il touche, ça finit par saigner.
J'ai peur ( vos gueules ) qu'il me lâche encore et encore.
Je veux juste pas revivre une trahision.

Faire confiance et être blessé à cause de ça.

V̵̧͜͝ą͟-̷͜͏̀͢t͏̶͘'̷͘e͢͞͡͏́n̶̸͝.̛͘͟.͡҉͏ je dis, mais ma voix est juste un paquet de mots qui grincent et qui se chauvauchent.

Va-t'en.
S'il te plait.
C'est plus facile comme ça.

Miroirs déformés l'un de l'autre, la perdition se lisait sur leurs visages. Trash semblait ému, Toucan l'était, heureux de voir son fils, heureux de parler, d'être entendu. Heureux de sentir des choses papillonner dans le fond de son âme. Heureux d'avoir retrouvé un cœur, cœur qu'il avait pensé donner à un grand oiseau sombre, là-bas, dans le clan de l'Ombre. Il ne supportait plus cette odeur, et aurait voulu s'arracher la peau.

Et il lui dit qu'il va encore abandonner des gens, et il a raison, évidemment, il a une raison pure et concrète, sans faille, sans brèche. Et Toucan le sait, qu'il n'apporte pas le bonheur dans son sillage, qu'il est une souillure qui se traîne dans la forêt, un baril de déchet enterré dans le Sahara, un site de lancement de missiles nucléaires, la tâche de sang sur la clé qui ne part pas, jamais. Il détruit ce qu'il touche, il corrompt ce qu'il aime - aimer, un bien grand mot pour ce petit chat, un mot si grand, si fort qu'il manque de lui crever le cœur, de lui tordre et de le faire imploser. Un ver de cœur, son fiston. Il lui creusait un trou dans le palpitant.

Brouillard de mots entre les lèvres de Trash, Toucan s'avançait dans cette brume, colla sa truffe contre le poitrail sombre du grand chat, se demandant quand il était devenu si grand, un arbre qui le cachait, qui l'englobait. Qui le protégeait.

S'il te plait, fils. On sera un petit Cercle tout les deux.

Ma voix tremble et meurt dans son propre gragouillis de mots. C'est pas ferme comme je le voulais. Je détourne les yeux à cause que je veux pas craquer.
Et ça a l'effet inverse.
Toucan se rapproche de moi en enfouit son museau dans les poils de mon poitrail. Je me raidis.
Mes muscles se contractent et je suis tétanisé de ce contact.
S'il te plait.

Fais chier. je dis.

Je peux plus dire non -
Je peux plus le repousser -
C'est comme si tout ce qui avait été mauvais, tous les non qui me font dire que je veux pas, existaient plus et que seuls il restait les bons souvenirs, les comment il m'a manqué, comment on s'ennuyait pas, comment on s'amusait bien, comme on était proches. Et pas trop malheureux.

T'es quand même un gros enfoiré. je dis, je m'en veux déjà à moi même de lui avoir pardonné.

Je recule d'un pas, et je regarde Dad en essayant vraiment fort de plus lui en vouloir sur rien ( c'est bon ) et de lui faire confiance.
Confiance à nouveau.
Je grimace à cause que non?

Reste, pars, crève j'en ai rien à foutre.

Je fais demi-tour vers la cabane, me forçant à pas me retourner. pour savoir si il vient ou non.
Il va me falloir du temps.
Mais pas le temps qui referme les plaies à cause que c'est des conneries.
Dans le meilleur des cas ça fait des cicatrices et sinon ça suinte et ça brûle toujours.

Et là, quelque chose de beau se passe, bien trop beau pour lui et ses manœuvres sordides, sa marche sur les cœurs, ses sales paroles et ses piques habituelles : il se sent accepté, il sent l'affection de son fils l'entourer comme un grand duvet, il se sent bien, et se laisse à pleurer un peu, des sanglots doux-amers silencieux, petits hoquets de joie étouffés.

T'es quand même un gros enfoiré.
Moi aussi je t'aime.

Puis Trash recule, le regarde. Voit-il les larmes asséchées au coin de l’œil de Toucan ? Pile ou face auquel le galet n'a pas la réponse. Il ravale ses éclats de voix et ses barbelés dans la gorge, sa trachée lui fait mal, il avale des lames. Il sait que les choses ne seront plus exactement comme avant, peut être plus fragiles. Il n'en a que faire pour l'instant, il est heureux, heureux à en crever - ce que lui suggère le fiston.

Attend moi, Trash. J'y retourne, je leur dis d'aller bien se faire foutre, et je reviens. Promis, c'est l'affaire de quelques jours ; de demain.

J'écoute pas.
Je suis parti.
Je me retourne pas.
J'entends pas.

Mais si j'entends tout à cause que ses mots percutent mes tympans, puis mon cerveau puis mon coeur.
Alors je serre les crocs et je continue de marcher d'un pas décider vers la cabane. Même si mes pattes pèsent lourd que c'est difficile de les lever.
Est-ce qu'il le voit ? Est-ce qu'il le voit que j'ai du mal à lever mes pattes ?
Est-ce qu'il est parti ?
Il est parti putain ?

J'imagine son regard qui me fixe, qui me suit et sa me brûle la peau.

Je me glisse sous les planches, dans le petit passage en grognant. Là dedans il fait chaud et on entend le vent hurler.
Je me laisse glisser contre le mur et je m'assois lourdement.

Demain.
Demain il a dit.
Même si c'est sûrement des conneries et juste des belles paroles.
( Hein ? )
Je peux pas m'empêcher d'y croire.
Et d'attendre.