Les Enfants de la pluie. [Prio Maudit] -abandon

"A toute à l'heure Douce Ancolie." fit platement la chatte crème en laissant son fils endormie à la belle tricolore. Elle la fixa un instant de ses yeux verts et vides, rien ne vint dans son regard, elle se détourna alors pour partir chasser. Depuis qu'elle avait son fils, elle se voyait obligée de se caler à nouveau sur des horaires dirunes: elle ne pouvait plus dormir toute la matinée participer à la patrouille du soir puis chasser la nuit. La reine n'aimait pas cela. Les pupilles étrécies par la lumière de l'aube et les secondes paupières encore mi-close, elle attrapa une grenouille sur le tas de gibier qu'elle brisa dans sa gueule et avala en deux goulées.
Une fois son déjeuné gobé, mollement, fixant ses pattes, la guerrière se dirigea vers les marécages. Arrivant dans les herbes hautes elle se retrouva instantanément mouillée jusqu'au ventre. Fleur Noire retourna vers le camp sans s'ébrouer; cela mettait son pelage totalement en désordre et elle préférait encore dégouliner d'eau rance. Elle n'avait aucune envie de parler à qui que ce soit mais elle ne pouvait se permettre que quelqu'un se rende seul dans les marais avant qu'ils n'aient mesuré l'étendue de l'inondation et déterminés quels passages étaient empruntables sans risquer de s'enliser.

Passant l'entrée du camp, elle leva les yeux vers le cèdre calciné. Là devait cogiter son chef et amant. Bien que si elle devait vraiment parler à quelqu'un, c'est à lui qu'elle aurait aimé s'adresser, elle préféra le laisser tranquille. Apercevant leur lieutenant, elle leva la queue pour lui demander quelques secondes d'attention. Le grand tigré se tourna vers elle, la regardant avec les yeux Fleur Noire: la première, la vraie. En effet, Fleur Noire était également le nom de la mère de Coeur Maudit, elle avait été la mentor de Nuage de Fleurs. Alors qu'elle était décédée peu de temps avant le baptème de la chatte crème, il y a maintenant quarante lunes de cela, l'élève avait été honorée du nom de son maître. Parfois, ce regard doux, posé et inquisiteur la faisait frémir, parfois, elle ne le reconnaissait pas.
"Il y a eu une inondation dans les marécages." l'informa-t-elle.

Elle baissa la queue et fit demi-tour lorsqu'il lui demanda de lui montrer. La féline s'avança sans hésiter là où elle s'était mouillée tout à l'heure, s'approchant le plus prêt possible de la rive. C'était l'unique chemin pour accéder aux marécages, là où ils pourraient cartographier les chemins à prendre pour chasser. Toutes les proies les empruntaient aussi; traquer les jours où les eaux montaient dangereusement était une parfaite occasion de ramener beaucoup de nourriture.
Une fois qu'elle eut de l'eau jusqu'au cou et un frisson de froid elle se retourna vers Coeur Maudit:

"Tu veux faire le grand tour?" S'il voulait qu'ils parcourent tous les marécages, elle allait sans doute le faire s'appuyer sur son dos lors de la traversée de la marre pour éviter que lui aussi ne soit totalement trempés. Contrairement aux chats du clan de la rivière, ils n'étaient pas fait pour rester longtemps mouillés et lors de patrouilles, il était fréquent que quelqu'un se dévoue pour servir de guet aux autres. Les chats trempés rentraient se sécher au bout d'une ou deux heures tandis que les autres pouvaient alors chasser toute la journée sans risquer d'attraper la mort.

Lieutenant. Je suis à présent le lieutenant d’Etoile du Serpentaire. Un grade d’honneur, et je compte bien prouver ma valeur plus qu’il ne le faut. Lieutenant. Mon clan devient alors mon unique priorité, le défendre, unir les miens, les rendre forts. Je ne suis plus ce jeune chat fragilisé par la mort de sa seule famille, je suis devenu Cœur Maudit, lieutenant, probablement un jour chef du clan de l’ombre. Je suis choisi pour être le remplaçant au trône si jamais mon chef mourrait. En vérité, le deuil que je faisais de mes parents est à présent terminé. Au bout de 30 lunes à me morfondre des souvenirs qui m’ont rendu froid et brisé, j’ai réussi à voir le bout du tunnel. C’est une aube nouvelle, un jour nouveau, une vie nouvelle pour moi, et je me sens bien.

Et puis là, je vois se diriger vers moi, Fleur Noire. Une des reines du chef. Fleur Noire… Aussi le nom de ma mère, ma douce et tendre mère. A chaque fois que je croisais cette guerrière, je pensais à l’honneur qui lui a été fait de porter le nom de celle qui m’a donné la vie. Elle obéissait, elle était exemplaire puis un jour… Elle a disparut, malheureusement. Elle n’a pas pu voir ce que je suis devenu. Peut-être que de là-haut, elle me regarde, veillant à ce que je devienne le meilleur. Je suis aussi un souvenir de votre vie, je ne suis pas Cœur Maudit pour rien, je porte votre nom. Et mère, je porte ton regard. J’ai ses yeux, ce même vert émeraude brillait dans ses belles mirettes. Enfin, si la reine vient me voir, ce n’est pas pour rien.

« Il y a eu une inondation dans les marécages. »

Une inondation ? Hum… J’aimerais voir ça de plus près, ça pourrait être dangereux et les zones de chasses sont surement affectées. Il ne manquait plus que ça. Fixant la minette, je lui demande me montrer ce qu’elle a vu, pour voir l’étendu des dégâts. Fleur Noire…
Me reprenant, je suis la minette qui me conduit au marais. En arrivant au lieu en question, je remarque toute cette eau. Hum. La féline crème n’a pas hésité un seul instant à passer en avant, même si ça signifiait se mouiller les pattes et même plus. Je n’ai pas eu le temps de l’arrêter pour passer en avant. Elle avait de l’eau jusqu’au cou à présent. Je n’aimais pas bien ça. C’est une mère, elle ne doit pas attraper un mal.

« Tu veux faire le grand tour? »

Je ne veux pas que tu choppes la mort surtout. Je réfléchis en vitesse sur ce qui serait intelligent de faire. Déjà qu’elle sorte d’ici c’est une bonne chose. J’essayais de me faire un peu plus grand et de tendre le cou pour voir le plus possible l’étendue des dégâts, mais c’était impossible, il valait mieux avoir juste le bout des pattes mouillés et regarder les chemins praticables. Mon regard se pose sur Fleur Noire et je lui dis :

« Pour le moment, j’aimerais juste que sorte de la, ne va pas chopper le mal. Je pense que c’est une bonne idée de faire le tour, histoire de ne pas se retrouver tremper, et pour voir quels sont les terrains praticable ou non. »

C’était la bonne solution. Vérifier à partir d’où s’était dangereux de chasser. En attendant je ferais mieux de renvoyer la pauvre minette au camp pour qu’elle puisse se sécher correctement pour ne pas attraper froid. Je lui lance de manière douce :

« Tu ferais mieux de retourner au camp pour te sécher… A moins que tu veuilles vraiment me suivre ? »

J’avais changé d’avis. Ce n’était pas ma mère, mais elle portait son nom. Si elle pensait pouvoir continuer, sa compagnie sera la bienvenue. Je pourrais apprendre à mieux la connaitre probablement, sauf si elle est aussi bavarde que moi. Et puis maintenant, je suis le lieutenant du clan, je me devais d'être proche de ma tribu pour pouvoir tous les satisfaire.

« Pour le moment, j’aimerais juste que sorte de la, ne va pas chopper le mal. Je pense que c’est une bonne idée de faire le tour, histoire de ne pas se retrouver tremper, et pour voir quels sont les terrains praticable ou non.
- J'ai peur qu'on se fasse tremper de toute façon.» Fit-elle sans exprimer le fond de sa pensée, le reste des marais étaient un peu en contre-bas et l'eau y était plus profonde. Même si on pouvait parfois traverser à l'aide de racines ou de troncs d'arbres, ils s'enfonçaient au fure et à mesures qu'on y marchait. Même les meilleurs équilibristes du clan se retrouvaient régulièrement à la baille et elle préférait encore traverser à la nage plutôt que de risquer l'humilation de glisser devant Coeur Maudit.

" Tu ferais mieux de retourner au camp pour te sécher…" son ton doux surprit un peu la féline bicolore. Son regard se reporta sur le tigré.
"A moins que tu veuilles vraiment me suivre ? " Fleur Noire agita doucement les moustaches, une fois de plus surprise de la sollicitude de Coeur Maudit. Elle avait l'impression qu'il avait changé depuis qu'il était monté en grade. Enfin, elle ne se souvenait plus vraiment. Revenant vers son lieutenant elle ralenti à sa hauteur, amena ses vibrisses en avant, faible signe de satisfaction puis eut un frisson pour s'ébrouer légèrement dans la direction du tigré. Elle se sentait vaguement amusée; laisser quelqu'un seul dans les marécages quand l'eau y était aussi haute relevait de la tentative de meurtre, elle ne pouvait dans tous les cas pas rentrer au camp. Finalement, la démarche souple et la queue dans le prolongement de l'échine, elle prit le chemin des marécages les plus profonds.

Arrivés devant l'étendue verte, elle inspecta les environs. Apparement il fallait traverser l'eau sur une vingtaine de queues de renards, puis il y avait à nouveau des zones d'herbes.
Elle s'assit : "Au fait, ils savent nager les apprentis?".
Puis elle attendit patiemment que Coeur Maudit décide de ce qu'ils allaient faire, soit tenter de traverser maintenant à l'aide de gués fait de troncs, de racines et de sol sablonneux soit aller encore plus loin pour tenter de contourner l'étendue immobile. On pouvait s'enfoncer et se noyer dans le sable dans certaines zones, mais tous les guerriers connaissaient ces emplacements mortels par coeur. Les vrais dangers était quand l'eau montait comme aujourd'hui, d'abord, tout se ressemblait et ensuite on pouvait se prendre toute sortent de branches ou d'algues sous l'eau suceptible de blesser et d'entraver. La guerrière se lécha une patte, attendant les ordres.

C’est fou comme la seule évocation du nom d’un de mes parents me rendait calme et doux. Au final, Fleur Noire était un souvenir elle aussi. Un souvenir, tout comme moi. Je me sentais proche d’elle, bien que se soit d’une manière assez sombre. Plus âgées de quelque lune, elle était l’évocation même de ma mère…

Reprends-toi Maudit à la fin ! Ce n’est qu’une guerrière de ton clan, non ta génitrice. Certes. Je la vois alors avancer, devant moi, elle prend la tête de notre duo, me laissant à mes pensées. Il semblerait qu’elle a décidé de m’accompagner dans ce monde inondé. Je la rattrape rapidement pour me mettre à son niveau. Je voulais être prudent là où l’on mettait les pattes. Il ne faudra pas que la terre meuble se dérobe sous notre poids. Il y avait de l’eau partout, impossible de contourner sans se tremper. J’étais en train de réfléchir aux diverses résolutions à prendre pour ne mettre personne en danger, que la guerrière s’arrête devant l’étendue verte du territoire. De l’eau partout, dans tous les sens. Je soupirais face à cette vision. Il y aura forcément des problèmes, des chats vont être en danger. J’hésitais entre continuer notre tour, ou tout simplement essayer de traverser cette terre recouverte d’eau en passant sur un pont d’arbre et de racine.

« Au fait, ils savent nager les apprentis? »

C’est une excellente question. Il va falloir qu’ils apprennent et vite s’ils ne veulent pas se retrouver bloqués dans l’eau et se noyer. Une des résolutions à prendre, apprendre la nage aux jeunes pour éviter au maximum les noyades, ça devient important. Peut-être même le mettre dans les critères d’évaluation ? Il faudra que j’en parle à Etoile du Serpentaire. En attendant, je vais tenter de traverser l’inondation en passant sur un tronc d’arbre.

« Je ne pense pas, mais je vais en parler à Etoile du Serpentaire, ça serait intéressant que les jeunes apprennent à nager. »

Je cherche du regard un vieux tronc d’arbre tombé sur lequel traverser. A quelques longueurs de queue de renard d’ici, j’en repère un qui ne semble pas trop endommagé. Je m’approche de ce dernier et lance à la minette qui m’accompagne.

« Je vais essayer de traverser avec cet arbre pour voir si c’est possible de passer de l’autre côté. En attendant, essaie de te réchauffer un peu.»

Je restais bienveillant avec elle. Elle te rappel trop ta mère… me dis-je. Bon, je tente le pont. Je grimpe en douceur sur l’arbre, plantant mes griffes dans l’écorce humide, pratiquement moisie. Au cours de ma traversée, je sens à certains endroits le bois s’affaisser sous mon poids. Il n’est pas solide du tout. J’avance prudemment. *Crac*. J’entends le bois, et d’un seul coup, un morceau tombe dans l’eau. Bon, ce n’est décidément pas praticable. Je fais marche arrière, tout en restant très prudent et je reviens vers la guerrière.

« Ok, le tronc d’arbre, c’est pas bon. On va continuer à faire le tour, voir si c’est possible de traverser ailleurs, sinon, les jeunes n’échapperons pas à la baignade. »

Cette fois, je prends la tête de notre duo. J’avais envie de lui parler de ma mère. Elle faisait partie des seules avec qui je pouvais vraiment l’évoquer. Et puis, ça me permettrait de parler un peu… Même si c’est d’une guerrière qui est dans les étoiles maintenant. Enfin je pense, jamais je ne l’ai vue encore…

« Tu… Tu as des souvenirs de Fleur Noire ? Ma mère je veux dire. »