[LP] La peur et l'espoir {Écaille d'Or} -abandon

Aigue-Marine avait été tirée de son sommeil par une boule dans son ventre, qu'elle connaissait trop bien : c'était l'angoisse. Elle l'avait rencontrée, la première fois, lorsqu'elle s'était installée dans la tanière des apprentis : elle avait stressé à l'idée de cette nouvelle vie, qu'elle attendait depuis si longtemps, mais dont elle ne savait pas si elle allait bien se passer. La boule d'angoisse était revenue lorsqu'elle avait été nommée guerrière : peu sûre d'elle, elle ne se sentait pas digne de ce rang, et l'ère machiste qu'avait connu le Clan de la Rivière sous Étoile du Corbeau l'avait confortée dans cette basse opinion d'elle-même. La boule de stress ne l'avait ensuite plus quittée, même lorsqu'elle était tombée amoureuse de Lapis Lazuli, le lieutenant du Clan, et que cet amour s'était avéré réciproque : cela aurait dû être une grande joie, mais la menace qu'Étoile du Corbeau apprenne cette liaison les avait plongés tous deux dans une angoisse constante. Leur couple avait tout de même tenu bon. Et finalement, la boule d'angoisse avait disparu en même temps que le meneur quittait cette Terre, emmenant sa terrible menace avec lui.
Cela faisait donc quelques temps qu'Aigue-Marine vivait sereine, profitant de son idylle sans se préoccuper du reste, prenant à cœur son nouveau rôle de bras-droit du chef - Étoile de Pierre, anciennement Lapis Lazuli - et appréciant les moments passés avec les siens, particulièrement avec Écaille d'Or, l'ex Nuage des Écailles : les deux femelles étaient aujourd'hui très proches.

Mais alors, pourquoi la boule d'angoisse revenait-elle soudainement hanter les entrailles d'Aigue-Marine ? Était-ce un mauvais présage ?
Aigue-Marine se leva et s'étira longuement, tentant de chasser l'inquiétude de son esprit en planifiant la journée dans sa tête ; mais elle dut se rendre à l'évidence, quelque chose avait changer. Ou allait changer ? Elle n'en était plus trop sûre. Après un long bâillement, elle se dirigea vers la sortie de la tanière des guerriers, et c'est lorsqu'elle arriva dans le centre du camp et qu'elle vit Étoile de Pierre donner quelques ordres qu'elle eut la révélation.
Aussitôt, elle retourna dans la tanière des guerriers et, presque instinctivement, chercha Écaille d'Or du regard. La jolie chatte rousse dormait encore, mais Aigue-Marine avait trop besoin d'elle pour se préoccuper de ça. Elle la secoua doucement du bout du museau, avant de la presser de la suivre. L'air préoccupé de la brunette ne manquerait pas d'inquiéter la rouquine.

Le chemin se fit dans le silence le plus total, ce qui n'était pas dans leurs habitudes. Aigue-Marine marchait d'un pas pressé et sentait son cœur battre la chamade. Elle avait compris, en voyant Étoile de Pierre s'affairer au camp. Elle savait ce qui avait changé en elle. Elle savait ce qui l'attendait, tout en ignorant complètement la suite des événements. Drôle de paradoxe.
Les pas d'Aigue-Marine la conduisirent machinalement vers la rivière, ce territoire qu'elle portait particulièrement dans le cœur. C'est près de là qu'elle s'était révélée, lors du combat pour les Rochers du Soleil ; c'est ici-même que Lapis Lazuli lui avait déclaré son amour ; sa vie était intimement liée à la rivière, elle le sentait au plus profond d'elle.

« Écaille d'Or, mon amie, j'ai une grande nouvelle à t'annoncer. Tu es la première à qui je le dis. » Étoile de Pierre lui-même n'était pas encore au courant. Il le serait très rapidement ; mais Aigue-Marine s'était d'abord sentie de l'annoncer à sa plus chère amie, sûrement par volonté de solidarité féminine. Elle savait qu'Écaille d'Or serait toujours là pour elle, et pour ces choses-là, une présence féminine était plus qu'une nécessité. « Je l'ai senti ce matin en me réveillant. J'attends des petits. Étoile de Pierre et moi attendons des petits. » La précision n'était pas utile, Écaille d'Or connaissait mieux que quiconque la relation qui unissait la guerrière brune et le meneur au poil gris-bleu.

Le cœur battant, l'esprit tiraillé entre l'inquiétude et une joie profonde, Aigue-Marine observa minutieusement son amie, attendant avec anxiété sa réaction.

La réaction d'Écaille d'Or ne se fit pas attendre et, si au début, elle fut de surprise, elle ne tarda pas à se transformer en une joie profonde, et qu'Aigue-Marine sentait sincère. Comment aurait-il pu en être autrement ? Écaille d'Or et Aigue-Marine étaient très proches, et cette dernière s'en voulait presque d'avoir ressenti du stress à l'idée de lui annoncer la grande nouvelle : elle voyait mal sa confidente, sa petite protégée, ne pas se réjouir de l'annonce. Et après tout, quelle raison aurait-elle eu à ne pas en être heureuse ?
Dans tous les cas, elle était sincèrement heureuse pour le couple, pour le Clan, pour la jolie vie qui s'annonçait devant eux, et Aigue-Marine répondit avec joie à l'étreinte que la rouquine lui donna. Elle pouvait enfin se laisser complètement aller à sa joie - même s'il lui restait encore à l'annoncer au principal intéressé, Étoile de Pierre.

« Pas encore. J'avais envie d'une présence féminine pour entrer dans ce nouveau monde qui s'offre à moi. » Aigue-Marine coula un regard heureux et complice à son amie. Elle se sentait chanceuse de l'avoir dans sa vie, et elle ne regrettait pas de l'avoir mise dans la confidence avant Étoile de Pierre ; la maternité, c'était avant tout une affaire de femelles. L'une des seules. « Mais je dois le lui dire, maintenant que tu le sais, et que je sais au fond de moi que lui aussi partagera ma joie. Tu m'accompagnes ? »

Elle donna une lèche pleine de toute sa tendresse sur l'épaule d'Écaille d'Or. Elle se sentait légère, profondément heureuse. Elle ne voyait que du bon pour la suite de leurs vies à tous.