Whatever it takes ~ ft. Cœur Maudit -end

Les matinées se faisaient plus froides ces derniers temps, le vent plus mordant, le tapis d’aiguilles se recouvrait d’une fine rosée et il n’était pas rare d’observer un épais brouillard dès les premiers rayons du soleil. Ce matin n’y échappait pas, Raven ouvrit les yeux sur ce spectacle silencieux et saisissant. Le solitaire s’était endormi la veille entre les racines d’un vieil arbre face au fameux cèdre calciné du territoire du Clan de l’ombre. Il avait marché un jour entier sans rien avaler pour atteindre ces terres et ce fut la faim qui le tira du sommeil.

Malheureusement l’arrivée de la mauvaise saison rimait souvent avec absence de gibier et la silhouette du solitaire en pâtissait déjà. Pourtant il n’allait pas s’avouer vaincu aussi vite, il était venu chercher des réponses à ses questions et il comptait bien en trouver, si cela impliquait de passer la journée sur le territoire du Clan de l’ombre et d’y chercher de quoi se nourrir il en serait ainsi. Le solitaire n’allait sûrement pas mourir de faim et il se moquait complètement des lois en vigueur ici, ces terres n’appartenaient à personne en dépit de l'avis des félins qui y avaient élu territoire.

Après avoir tenté de discipliner son pelage gris sans succès, Raven se faufila en dehors de son abri et observa longuement le cèdre dissimulé dans la froideur du matin. L'image en était plus que troublante, ses hautes branches noueuses tendues vers le ciel semblaient agoniser dans la brume. Raven aurait presque pu sentir la chaleur des flammes léchant le tronc et entendre les craquements sinistres du bois carbonisé. Lui qui avait une très bonne mémoire visuelle écarta bien vite son regard de ce paysage de désolation, préférant l'oublier, en vain. L'image trottait encore dans sa tête des minutes plus tard mais il avait reprit sa resting bitch face et ne laissait rien paraître de son trouble. Afin de se changer les idées il décida de se mettre à la recherche d’un repas, son ventre criait famine mais ses muscles encore raides ne suivaient pas le mouvement.

Le solitaire s’étira, réchauffa son corps puis renifla le sol à la recherche d’une piste qui pourrait le mener vers son déjeuner. Ça empeste le chat de clan partout… grimaça-t-il, malgré tout, ces odeurs rappelaient à Raven la raison première pour laquelle il était là. Il espérait croiser un membre, un guerrier peut-être qui pourrait le renseigner, ses chances d’obtenir des réponses étaient infimes, de plus, son dégoût des clans et de leurs règles restait prononcé mais il pouvait tout de même faire des rencontres intéressantes et pour Raven cette perspective effaçait tout le reste.

Museau au ras du sol, gueule entrouverte, oreilles à l’affût du moindre déplacement du plus petit rongeur mais rien n’y fait, Raven ne trouve rien. Le solitaire arpente les environs depuis plusieurs minutes déjà et il ne sent plus que le fumé puissant du Clan de l’Ombre, si bien qu’il ne fait pas la différence lorsque un félin s’approche de lui par derrière. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire l’inconnu lui saute dessus, l’écrasant de tout son poids, Raven sent son cœur redoubler de battements et son abdomen s’enfoncer dans le tapis d’aiguilles sèches mais ce qu’il sent par dessus tout c’est le coup de patte qui fait pression sur sa nuque. Le solitaire tente de miauler mais son souffle en reste bloqué. Le félin empeste lui aussi, il est à n’en pas douter, un membre du clan. Raven se souvient à contre cœur des entraînements de son père et sait que si cet inconnu est loyal il ne le tuera pas, il le dissuadera de revenir mais il ne lui ôtera pas la vie sans une très bonne raison. Le solitaire sait qu’il a une marge de manœuvre mais il sent bien vite le souffle de l’inconnu contre ses moustaches.

« Toi la vermine, si tu ne veux pas que ta jolie petite bouille finisse en charpie, tu ferais mieux de filer d’ici. »

Clair et concis s’amuse Raven, mais pas assez pour le faire décamper. Le membre de l’ombre s’écarte du solitaire et prend place non loin de lui, il émane encore de lui une certaine rage toute contenue qui hurle à Raven de ne pas le provoquer. Le vagabond se décale lui aussi, reprend contenance et détaille son agresseur, son pelage brun tigré de noir témoigne d’une bonne santé et ses yeux vifs de son intelligence. Il est tout en muscle, plutôt imposant contrairement à son vis-à-vis qui fait pâle figure à côté mais Raven remarque également une blessure à l’épaule du brun, la cicatrice encore visible et boursouflée semble récente. Si le félin venait à attaquer de nouveau ce serait un point faible à utiliser, un coin de l’esprit du solitaire garde en mémoire cette information un peu malgré lui; il n’a pas envie de s’engager dans un combat mais il sait qu’en présence d’un chat de clan mieux vaut être préparé. Comme en réponse à ses pensées l’inconnu miaule sèchement.

« Dégage. Vite. »

Raven l’observe sortir les griffes pour appuyer ses propos mais ne fait pas un seul geste en retour. Il se contente d’observer la lente ascension du soleil dans le ciel, sa lumière propulsant les ombres sinistres des conifères sur le sol. Il jauge encore le chat de clan du regard et déclare calmement.

« Ça ne va pas être possible. »

Raven sait qu’il devrait décliner sur le champ son identité et les raisons pour lesquelles il est ici mais il n’a pas envie de se soumettre tout de suite aux règles en application.

Visiblement le membre de l’ombre ne peut déjà plus se passer des charmes de Raven puisqu'il s’approche de nouveau malgré la distance que le solitaire a pris soin d’instaurer entre eux. Mais c’est maintenant à son tour de juger son interlocuteur et Raven constate qu’il n’aime pas ce qu’il regarde, ses yeux ne sont que dégoût et haine pure. Tant pis, en tant que solitaire il est habitué à être traité comme un moins que rien mais lui sait ce qu’il vaut et c’est tout ce qui importe à ses yeux. Et voilà qu’il s’énerve tout seul en plus! pense-t-il en voyant le poil du félin se gonfler et ses traits se durcir. Il déclare d’une voix rauque.

« Pars. Maintenant. »

Et de son propre chef il s’avance jusqu’à presque toucher son museau, ce que le vagabond trouve parfaitement détestable mais Raven est passé maître dans cette catégorie alors il ne bouge pas non plus. Il se contente simplement de se décaler lorsqu’il observe l’inconnu rabattre de nouveau sa patte sur sa gorge. Pas deux fois s’amuse-t-il, bien sûr il est tout à fait compréhensible que le chat de clan veuille poser ses coussinets sur un être aussi intrigant que Raven mais il y a des limites. D’ailleurs ce ne sont pas justes des coussinets que remarque le solitaire, l’inconnu a bel et bien sorti les griffes, dommage qu’il ait raté son coup, Raven a envie de sourire mais il s’abstient, il est imprudent mais tout de même pas sans cervelle.

S’il veut rester sur ses terres et obtenir des réponses il va falloir la jouer fine mais le temps que le solitaire se dégage l’inconnu à déjà changé d’expression et son regard carnassier a disparu, remplacé par un léger sourire et une étonnante sympathie. Le brun pousse alors Raven comme s’il venait de faire un excellent trait d’humour « haha quelle magnifique entrée en matière, tu as vu ça ? C’est ma tête de méchant que je t’ai servi en réalité je suis un exemple de bonté ». Le solitaire, toujours bien campé sur ses pattes malgré la secousse, n’y croit même pas une seconde et il a raison car la voix toujours rauque du félin trahie ses intentions lorsqu’il annonce.

« Enfin mon grand, c’est un conseil que je te donne. Tu sais que si mes camarades te voient ici, tu risques de mourir par manque de soin au vu des blessures qu’ils t’infligeront, et il ajoute en toute ironie, C’est un conseil d’ennemi. Ce serait tellement dommage de retrouver ton corps sur la longue bande noire. Tu ne trouves pas ? »

Parfait, au vu de la dureté et du discours de l’inconnu, le père de Raven ne pouvait avoir été qu’un de ces félins du Clan de l’Ombre, son caractère correspondait en tout point. Le solitaire se demande alors si son interlocuteur et lui n’ont pas reçu le même entraînement, après tout il avait été élevé dans les règles du même clan par un félin qui y avait sûrement longuement vécu. Heureusement je n’ai pas hérité de leur bêtise et de leur outrecuidance, se félicite le gris. Il observe son vis-à-vis, le guerrier n’a plus cette lueur mauvaise dans le regard et même si Raven sait que ce n’est qu’une ruse il décide de saisir l’opportunité. Il décide d’ignorer les réflexions du félin et répond.

« Merci pour ta sollicitude, c’est très touchant. En fait, je ne suis pas là pour souiller ou envahir la terre que vous pensez détenir, je suis seulement à la recherche de réponses. Si tu ne veux pas m’écouter aujourd’hui je reviendrai demain, je croiserai d’autres membres de ton clan et crois-moi, je peux être encore plus chieur que maintenant. »

Voilà qui annonce la couleur et de toute manière Raven n’a que cette idée en tête. Ce félin peut bien tenter de lui faire peur autant qu’il le veut il commencera à s’inquiéter quand il apprendra que l’on tue de la «vermine» au centre du camp de l’Ombre.

Raven remarque le doute qui semble s'emparer de son vis-à-vis, il pèse sûrement le pour et le contre et il fait bien d'y réfléchir car le solitaire peut être une vraie épine dans la patte quand il le veut. Au bout d'un moment l'expression du brun change et son attention se reporte sur Raven, il instaure une bonne distance entre eux et s'assoit à quelques longueurs de queues. Raven reste à sa place, ses griffes sont toujours plantées dans la terre froide, il tente de se calmer mais ne parvient pas à trouver une position pour discuter, la perspective d'être à quelques questions de la vérité le met dans un état de nervosité tel qu'il est compliqué de le dissimuler. Malgré les battements de son cœur et la boule qui lui tombe dans la gorge il parvient à se contenir, du moins pour un œil extérieur. De toute manière l'inconnu n'en a cure et miaule d'une voix rauque.

« Je te promet de répondre à tes questions, seulement si tu me fais le serment de quitter MES terres ensuite. » 

Le terme dérange Raven qui reste intimement convaincu que ces terres ne sont à personne mais il se garde d'en faire part à son interlocuteur de peur qu'il retire son offre et se contente d'acquiescer rapidement, pas sûr lui-même de pouvoir honorer cette promesse muette. Il observe le cèdre caclciné à sa droite et la lumière du soleil entre les arbres, il s'interroge sur le nombre de félins qui ont foulés les terres de l'Ombre par le passé. L'attitude des chats de clan l'excède, il sait bien que chacun est différent et il est persuadé qu'il pourrait faire de belles rencontres parmi eux mais, de manière générale, leur façon de parler de ces lieux lui déplaît. Raven a appris tôt à profiter des plaisirs simples: courser May dans les plaines, parcourir avec elle les sous-bois rafraîchissant lors des saisons chaudes, apprécier les différents gibiers sur tous les territoires, il connaissait tous les lieux par cœur, était capable d'en décrire les moindres détails et irait sûrement plus loin que n'importe quel chat de clan n'ayant pas chassé plus loin que ses frontières. Il estime que cette connaissance de la diversité des territoires est un droit dont devrait jouir chaque félin. Raven est conscient de sa vision quelque peu utopiste mais n'est-il pas exagéré de se battre pour un franchissement de frontière ? Bien sûr le gibier était d'autant plus une denrée rare en ces périodes de froid mais ne vaut-il mieux pas justement partager plutôt que de s'élever et faire survivre un clan au détriment d'un autre ? La voix sèche et impatiente de l'inconnu tire le solitaire de ses pensées.

« Qu’est-ce que tu veux savoir. »

Beaucoup trop de choses... soupire-t-il mentalement. Soudain une grande fatigue s'empare du gris et il baisse les yeux, il se demande s'il n'est pas vain de chercher des réponses, de vouloir à tout prix lever le voile sur le passé de son père, après tout il ne s'agit là que de vieilles réminiscences. Raven repense soudain à Sugar et à leur discussion, il sait qu'il doit maintenant se porter sur le présent mais il sait aussi que pour cela il doit avoir fait la lumière sur son ancienne vie. Le solitaire relève la tête, il affiche une expression sincère.

« J'aimerai des renseignements sur un félin qui aurait peut-être était un guerrier de l'Ombre par le passé. Raven marque une pause, il ne sait pas comment expliquer la situation, lui toujours si enclin à parler en a perdu ses mots. Il préfère seulement ajouter son nom et attendre une réaction du brun, Je suis son fils, Raven. J'imagine que ma requête n'est pas banale mais si je pouvais avoir seulement quelques instants pour en discuter avec toi ? »

Il sait quelque part que le brun n'est pas mauvais, ennemi des solitaires, peu enclin à leur venue sur ces terres mais près à écouter malgré tout. Raven n'espère pas une grande compassion de sa part mais il se sent capable de poser ses questions à cet inconnu. Le tutoiement s'est d'ailleurs imposé de lui-même et Raven ne sait pas vraiment pourquoi; il trouve enfin une position décente, calme sa nervosité et patiente.

Tandis que Raven tente de calmer sa nervosité le chat de clan l’observe d’un air suspicieux mais malgré cela il semble remettre en question son jugement un peu hâtif. Son expression change à mesure qu’il réfléchi aux paroles du solitaire et il paraît intrigué.

« Je t’écoute. Mais je n’ai pas que ça à faire, alors fais vite. Mon clan a besoin de moi, je n’ai pas à m’absenter aussi longtemps. »

Ce problème n’a pas vraiment effleuré l’esprit de Raven, ce félin est peut-être très haut gradé, son clan compte sur lui et il en sait sûrement bien plus que ce qu’il en laisse paraître. Ou alors il est simplement ennuyé de devoir parler à la «vermine» comme il le dit si bien. Peu importe sa place au sein de l’ombre, les titres ne veulent rien dire pour le solitaire, tout ce qui intéresse Raven c’est qu’il a ici une opportunité d’en savoir plus et il va la saisir, il devine que l’inconnu ne veut pas d’un chat comme lui dans ses rangs, il utilise donc cet argument en miaulant calmement.

« Ton clan patiente mais je sais que tu écouteras. Tu n’as sûrement pas envie que je mène mon enquête moi-même et pose une patte dans ton cher camp, alors mieux vaut répondre à mes questions ici. »

Raven, sentant la situation pencher dans sa faveur, se détend et ravale sa salive. Son regard se pose quelques instants sur le paysage encore froid du matin, il ne sait pas comment interroger l’inconnu, son histoire est bien plus vieille que lui et le brun n’en saura probablement rien.

« Bien, y a t-il eu dans votre clan un félin de mon apparence, en plus grand et robuste, quelque chose de plus sauvage dans le regard…? Il devait être un guerrier et...pas des moindres. »

Oh que non pas des moindres… pense t-il. Ses raclées sentaient l’entraînement des clans à plein museau. Raven préfère oublier ce détail et reporte son attention sur le félin en face de lui.