Faisons plus ample connaissance |LP| -abandon

Le soleil était déjà bien haut dans le ciel. Pour une journée de saison froide, celle-ci était agréable. Ce matin, la lieutenante avait participé à la première patrouille de la journée, elle s'était donc levée tôt. Celle-ci venait de finir sa sieste au soleil, elle ne se dorait pas la pilule loin de là, disons qu'elle se reposait avant de continuer sa journée en pleine forme. Elle bailla à s'en décrocher la mâchoire avant de s'étirer de tout son long. Le clan lui était bien actif, chacun faisait ce qu'il avait à faire dans son coin. En voyant son clan se réparer un peu plus des blessures qu'il avait subies lors de la bataille, la lieutenante ne pouvait réprimer un ronronnement de satisfaction. D'ailleurs, elle aussi avait à faire, et rester là assise n'allait pas faire avancer les choses et elle en prit vite conscience. D'un bond, elle se releva et lissa sa longue fourrure qui était ébouriffé à cause de sa sieste. Elle prit la direction de la sortie du clan, lorsqu'elle croisa sur son chemin Museau Bleu, une femelle qu'elle connaissait peu, mais la lieutenante savait qu'elle pouvait passer un bon moment en sa compagnie.

« Museau Bleu ! » lança-t-elle à l'intéressée « Je pars chasser un peu, ça te dit de venir ? »

Après tout, la chasse c'est toujours mieux à plaisir. Et puis comme ça, la lieutenante allait pouvoir faire plus ample connaissance avec la guerrière.

Installée près de l'entrée du camp, Museau Bleu savourait les pâles rayons du soleil d'hiver caressant sa fourrure beige et grise bleutée, pelisse de sable et d'écume, comme elle la décrivait souvent, tout en observant son Clan, empli d'animation, dans le vent frais qui jouait avec la boule de mousse des chatons. Tout juste revenue d'une patrouille, elle sourit en voyant chacun travailler à la reconstruction et la réparation du Clan. Les blessures seraient soignées, guéries, et ils parviendraient à veiller les uns sur les autres. Plus personne ne mourrait ou ne disparaîtrait, ils récupéreraient les petits. Apaisée par cette pensée et cette jolie journée, la jolie guerrière ferma une seconde les yeux, puis les rouvrit, prunelles vert jade étincelantes de détermination, son regard se parant de tendresse en passant sur ses enfants - qui le seraient toujours et qu'elle aimait, bien que tous l'ignorent. Ce fut une voix posée et gentille qui la ramena totalement à la réalité, des prunelles douces et calmes qu'elle leva vers son interlocutrice avant de se lever, comprenant la proposition et reconnaissant sa lieutenante, Douce Orchidée.

« Museau Bleu ! Je pars chasser un peu, ça te dit de venir ? »

Malgré sa patrouille, la guerrière n'était pas fatiguée, et préférait se rendre utile autant que possible. Elle hocha alors la tête, esquissant un petit sourire, étirant ses pattes et son dos, puis suivit la nouvelle lieutenante - nommée après la mort d'Aigue-Marine. La pensée de la reine tuée par les Lunar Pods serra le cœur de la Fille de la Rivière, mais elle conserva son expression posée et paisible, chassant soigneusement ces pensées de sa tête. La chasse lui ferait du bien, et aiderait un peu le Clan... Elle pourrait peut-être emmener une proie à la pouponnière et aider Eau Turquoise avec les chatons. Oui, pourquoi pas. Sa joie retrouvée, l'intéressée sortit du camp et, se mettant en marche aux côtés de sa camarade, demanda, pour engager la conversation :

« Tout va bien avec la charge de lieutenant ? Ça va, toi ? »

Museau Bleu était un peu plus âgée que Douce Orchidée, et le fait que celle-ci soit devenue lieutenante avant elle rendait les choses bizarres. Au fond, Museau Bleu méritait autant qu'elle son titre de lieutenante, la savant très bonne guerrière. Peut-être que la lieutenante espérait devenir amie avec elle, comme pour lui dire 'pardon' pour avoir obtenu ce poste à sa place. Et de toute façon, en tant que personne devenue importante pour le clan du jour au lendemain, Douce Orchidée avait envie de faire plus ample connaissance avec les membres de son clan. Elle voulait être là pour chaque membre. Les deux femelles sortirent du camp, et ainsi la femelle tâchée engagea la conversation avant même que Douce Orchidée le fasse, elle qui détestait le silence.

« Tout va bien avec la charge de lieutenant ? Ça va, toi ? »

Elle se mit à réfléchir, elle n'était lieutenante depuis peu et à vrai dire tout se passait pour le mieux. Les patrouilles, l'organisation, pour le moment elle gérait bien et elle adorait son poste qui impliquait de nouvelles responsabilités. Seulement, elle n'aurait jamais pensé avoir affaire à une bataille sanglante quelques jours après sa nomination. La guerre entre le clan de la Rivière, le clan du Tonnerre et ces chats de la lune avait affecté son clan et par la suite, la lieutenante s'était sentie impuissante. Egalement, durant la bataille elle a laissé Petit Quartz tout seul en dehors du camp, et celui-ci n'a encore jamais été retrouvé par la suite. Surement kidnappé, Douce Orchidée ne s'en remettait toujours pas. Aujourd'hui encore, si elle le pouvait elle reviendrait en arrière pour réparer son erreur. Malheureusement, c'était impossible.

« Oh oui ça va, je suis vraiment très contente d'être la nouvelle lieutenante du clan de la Rivière. Même si je ne serais jamais aussi bonne qu'Aigue Marine. C'est difficile de prendre la place de quelqu'un qui était vraiment apprécié du clan. La peur de ne pas être à la hauteur... Et toi ça va ? »

La jolie guerrière blanche tourna son visage gris vers sa camarade à la pelisse beige et bleutée, celle-ci lisant dans le regard vert face au sien comme une sorte de gêne. Le sujet du poste de lieutenante semblait-il délicat, aux yeux de son interlocutrice ? Museau Bleu ne le savait pas. Mais elle savait que même si elle était plus âgée que Douce Orchidée, et tout aussi bonne guerrière, elle ne lui enviait pas du tout son poste, pour diverses raisons. Au contraire, si la nouvelle lieutenante - leur future Étoile un jour lointain, également, souhaitait l'aînée qui espérait voir son Clan trouver sa paix et ne plus être déchirée par la mort horrible d'une des membres les plus importantes - avait besoin d'aide, la féline à la fourrure de sable et d'écume serait toujours là, pour un conseil ou une épaule sur laquelle s'appuyer, une personne vers qui se tourner. Elle ne voulait que le bien de son Clan, et si elle ne connaissait que peu la jolie fleur qui marchait à ses côtés, elle la savait gentille. C'en était assez pour elle. D'autant que cette période n'était pas simple à gérer... Non, vraiment, la femelle aux prunelles de jade perlées n'aurait pas voulu de ce rôle. Entre la mort d'Aigue-Marine, la perte de vie d’Étoile de Pierre, les Lunar Pods, le Clan du Tonnerre et les enlèvements, le poste de lieutenant était bien peu enviable, et aucune jalousie n'animerait jamais la plus grande des deux guerrières, qui aimerait, au contraire, se rapprocher de sa cadette. Discuter, chasser avec elle, patrouiller un peu. Partager, de temps en temps. Juste s'en faire une amie. La voix de la plus jeune, du reste, s'éleva pour répondre, et Museau Bleu se focalisa sur cela pour faire taire la mélancolie qui criait en elle le nom de Petite Ambroisie. Les membres du Clan ignoraient qu'elle était mère, de toute façon, du chaton ainsi que de Petit Blaireau et Petite Méduse. Alors elle passerait son chagrin dans le silence et dans la solitude. Mais pas maintenant.

« Oh oui ça va, je suis vraiment très contente d'être la nouvelle lieutenante du clan de la Rivière. Même si je ne serais jamais aussi bonne qu'Aigue Marine. C'est difficile de prendre la place de quelqu'un qui était vraiment apprécié du clan. La peur de ne pas être à la hauteur... Et toi ça va ? »

Museau Bleu esquissa un sourire encourageant à sa cadette, comprenant bien que la disparition de l'ancienne lieutenante, un modèle de guerrière et une personne très importante, gentille et appréciée, avait laissé un vide difficile à combler. Douce Orchidée s'en sortait très bien... Elle, comment elle allait ? Aussi bien qu'on puisse aller avec son petit aux pattes de l'ennemi aurait été sa première réponse, mais elle n'était pas physiquement blessée, était fière de son Clan, qui se remettait, de sa lieutenante, et elle aimait son entourage. Alors sa réponse, si elle laissa de côté le plus obscur, était parfaitement sincère, et le miaulement mélodieux qu'elle adressa, toutes deux continuant à marcher vers la rivière, s'accompagna de gentillesse et de joie.

« Ça va, même si... les petits me manquent. Mais tu sais, je pense sincèrement que tu n'as pas à avoir peur de ne pas être à la hauteur. Même si Aigue-Marine nous manque à tous, tu t'en sors très bien avec ton rôle et c'est une chance de t'avoir dans le Clan. »

Que de compliments ! S'étonnant elle-même, l'aînée eut un mouvement d'amusement qui ne se vit pas, adressé à sa propre personne, et resta silencieuse un moment, légèrement gênée, attendant une réponse. Un peu comme Douce Orchidée, elle n'aimait pas vraiment le silence. Et si elle aurait voulu se confier à la lieutenante, elle n'était pas sûre que ce soit possible. Alors pour l'instant, elle s'en tenait à des sujets plus faciles, légers ou éloignés. Parce que c'était plus simple que garder le masque.

Douce Orchidée espérait que son aînée la comprendrait. La féline blanche qui, lorsqu'elle venait d'avoir ses 40 lunes, passait lieutenante. Elle était encore jeune pour ce poste, et n'aurait jamais pensé l'obtenir un jour. Même si elle avait été honoré, pour réussir au mieux son rôle elle voulait avoir des conseils venant des personnes plus vieilles qu'elle. Et museau bleu faisait partie de ces personnes.


« Ça va, même si... les petits me manquent. Mais tu sais, je pense sincèrement que tu n'as pas à avoir peur de ne pas être à la hauteur. Même si Aigue-Marine nous manque à tous, tu t'en sors très bien avec ton rôle et c'est une chance de t'avoir dans le Clan. »

Oui. Les petits manquaient terriblement aussi à la lieutenante. Elle aurait tant voulu aller les chercher, quitte à y aller seule, mais c'était totalement inconscient de sa part. Elle ne pouvait pas laisser son clan à côté, et surtout si c'était pour risquer la vie des chatons bêtement. Elle savait bien que les chatons pouvaient être utilisés comme arme de dissuasion, vu comment le clan du Tonnerre était sans pitié. Néanmoins, la suite des paroles de Museau Bleu la rassurèrent un peu. Elle n'était pas Aigue Marine de toute façon, elle ne pouvait donc pas devenir comme elle ou être une aussi bonne lieutenante qu'elle. Elle serait la lieutenante Douce Orchidée, tout simplement.

« J'espère que nous retrouverons les petits.. » murmura-t-elle, une pointe de tristesse dans la voix «  Je te remercie, je ne suis encore qu'une débutant et je ferais de mon mieux ! Mais je suis sûre que toi aussi tu aurais faits une très bonne lieutenante. » ronronna-t-elle à son aînée.

| Désolé c'est extrêmement nul QQ |

Museau Bleu continuait de marcher aux côtés de sa nouvelle lieutenante, voyant se dévoiler à elle une féline qu'elle connaissait peu mais qui, en réalité, quand on l'observait et la fréquentait, lui semblait attachante. Doux visage gris, longue pelisse de neige, Douce Orchidée était jolie, presque angélique, dans ce paysage hivernal dont elle était la neige et la glace tandis que son aînée portait sur sa fourrure l'écume et le sable. Et les yeux verts de se répondre. Une lueur peinée, douloureuse, scintillait dans le regard de la plus jeune à la mention des petits: ils devaient lui manquer terriblement, à elle aussi. Et la plus âgée des deux guerrières savait bien que, malgré son envie de reprocher à tout le monde les disparitions, ce n'était pas leur faute; elle aurait voulu reprocher l'inaction de tous, mais ce choix, fait par leur meneur et leur lieutenante, valait mieux, elle le savait. Pourtant... Elle aurait donné n'importe quoi, fait n'importe quoi pour les revoir. Si la lieutenante l'avait voulu, elles auraient combattu tout le Clan du Tonnerre à elles deux pour récupérer les chatons. Mais laisser le Clan de côté était impensable, et cette idée de sauvetage, trop dangereuse pour les vies des tout-petits.

« J'espère que nous retrouverons les petits.. »

Le murmure de Douce Orchidée, paré d'un liseré de tristesse, résonna dans le cœur de Museau Bleu avec force. Oui, elle aussi l'espérait... Mais il valait mieux ne pas s'éterniser sur ce sujet douloureux. Le ronron suivant de sa jolie camarade de Clan fit sourire la Fille de la Rivière au visage bleuté, qui appréciait le dévouement de la cadette et aussi le compliment qu'elle lui adressa. Oui, peut-être...

« Je te remercie, je ne suis encore qu'une débutant et je ferais de mon mieux ! Mais je suis sûre que toi aussi tu aurais faits une très bonne lieutenante. »

Peut-être aurait-elle fait une bonne lieutenante. Elle avait des connaissances, elle était appréciée et plutôt importante dans le Clan, et elle remplissait le pré-requis d'avoir déjà été mentor. Mais... Au fond d'elle-même, elle se disait qu'il y avait peut-être des raisons pour expliquer un autre choix. Douce Orchidée faisait preuve de qualités, et se montrait excellente dans ce rôle. Museau Bleu en était heureuse. Ce fut sur un ton léger et rieur qu'elle ronronna:

« Je ne suis pas convaincue qu'Etoile de Pierre aurait eu très envie de faire de moi sa lieutenante. »

Et je ne peux pas vraiment lui en vouloir.

Non pas qu'en disant cela, Douce Orchidée voulait montrer qu'elle détestait et ne méritait pas son poste, loin de là, mais en ce moment elle ne possédait pas assez de forces pour pouvoir se montrer digne de ce poste de lieutenant. Elle se sentait trop nulle, misérable et surtout trop seule pour pouvoir surmonter, et ses problèmes personnels, et les problèmes que son clan vivait actuellement. Ainsi, il était évident pour elle que Museau Bleu aurait été une lieutenante bien plus aguerri et surtout bien plus forte pour ce rang qui n'était pas de tout repos.

« Je ne suis pas convaincue qu'Etoile de Pierre aurait eu très envie de faire de moi sa lieutenante. »

Douce Orchidée n'était pas convaincue par les paroles de sa coéquipière. Elle en était certaine, son ainée aurait été une bien meilleure lieutenante, avec bien plus de qualité que de défauts que Douce Orchidée. Museau Bleu avait des amis sur qui compter, et surtout elle avait de l'expérience à revendre auprès du clan de la Rivière. Tandis qu'elle, elle avait perdu tous ses amis ou alors n'en avait jamais réellement eu, l'état de son chef pesait sur son état moral à elle et surtout elle ne se remettait toujours pas des actes du clan du Tonnerre envers eux. C'était trop difficile à supporter pour ses toutes jeunes épaules. Pour elle, elle n'était pas prête, tout simplement.

« Je suis sûre que si. Tu as bien plus d'expériences que moi, je ne me sens pas bien dans ce rôle comme si le clan n'acceptait pas que je puisse succéder à Aigue Marine. Elle au moins, c'était une grande lieutenante. »

HRP:

Douce Orchidée ne semblait guère convaincue par les paroles de son aînée, ce qui fit intérieurement sourire la guerrière à la pelisse de sable et d'écume, toutes deux continuant d'avancer tout en discutant. La jeune lieutenante ignorait forcément une part de l'histoire qui liait Museau Bleu à Étoile du Corbeau, ce lien étant en soi une raison pour qu'elle soit tenue à l'écart de son nouveau chef. Ce dernier avait trop de passé difficile en mémoire par rapport à son prédécesseur, et devoir surpasser la mort de sa compagne n'aiderait pas... Aigue Marine manquait sincèrement à la vétérane, au Clan tout entier, mais surtout, bien sûr, à leur meneur, et même si elle n'en avait aucun droit, Museau Bleu avait souvent été tentée d'aller voir Étoile de Pierre pour lui dire à quel point elle était désolée et à quel point elle comprenait sa détresse.
Elle aussi avait perdu quelqu'un, après tout.
Sa coéquipière ne pouvait bien sûr deviner tout ce que cachait la femelle à la fourrure beige et grise bleutée, et quelles blessures du cœur, n'ayant pas encore cicatrisé, pouvaient la déchirer. Quels autres tourments de l'âme, plus récents, auraient été trop lourds à porter en plus de ce rôle de lieutenante. Oh, bien sûr, Douce Orchidée devait elle aussi souffrir de l'état de leur chef, de la trahison du Clan du Tonnerre, de l'enlèvement des petits ! Mais en cet instant, face à la disparition de ses enfants parmi les chatons capturés, l'aînée savait qu'elle n'aurait sans doute pas eu la force de continuer, d'assumer ce rang, ce devoir. Elle ferait son possible pour aider sa cadette, bien sûr. Mais elle devait avant tout lui faire comprendre une chose : si la jeune guerrière avait été choisie, alors c'était pour son mérite, ses qualités et parce qu'elle était assez forte pour affronter tout cela.


« Je suis sûre que si. Tu as bien plus d'expériences que moi, je ne me sens pas bien dans ce rôle comme si le clan n'acceptait pas que je puisse succéder à Aigue Marine. Elle au moins, c'était une grande lieutenante. »
« C'est vrai, Aigue Marine était une lieutenante extraordinaire. Mais, Douce Orchidée, si tu as été choisie, c'est que tu peux le faire, que tu as les qualités nécessaires. Je ne manque pas d'expérience, c'est vrai, mais c'est mieux pour tout le monde que je ne sois pas devenue lieutenante. Étoile de Pierre a fait un choix sage en me refusant cela, compte tenu du passé. »

Courte pause. Museau Bleu tenta de réunir ses pensées, et, insufflant toute la douceur possible à sa voix, reprit pour sa cadette, ronronnant doucement comme les reines le faisaient pour rassurer des chatons :

« Ecoute-moi, s'il te plaît. Le passage d'un lieutenant à l'autre est toujours compliqué, d'autant plus avec le deuil, mais tu n'as rien à prouver. Tu seras une grande lieutenante, je pense. Et si parfois ton rôle te semble trop lourd... Tu n'es pas seule, d'accord ? Tu ne seras jamais seule. »

La vétérane avait hésité, après cette phrase. A continuer. A poser la question qui lui brûlait la langue. Peut-être était-ce l'influence de la Rivière, vers laquelle leurs pas les avaient menées, son doux chant se faisant désormais entendre, sa fraîcheur cristalline scintillant sous le pâle soleil hivernal aux yeux vert jade de la guerrière, en un rappel de ce lieu où elle s'était toujours mieux sentie qu'ailleurs ? Elle osa le faire. Peut-être que Douce Orchidée ne voudrait pas répondre, mais après tout, qu'avaient-elles à perdre ?

« Tu es sûre que ça va ? »

« C'est vrai, Aigue Marine était une lieutenante extraordinaire. Mais, Douce Orchidée, si tu as été choisie, c'est que tu peux le faire, que tu as les qualités nécessaires. Je ne manque pas d'expérience, c'est vrai, mais c'est mieux pour tout le monde que je ne sois pas devenue lieutenante. Étoile de Pierre a fait un choix sage en me refusant cela, compte tenu du passé. »

Douce Orchidée était entièrement d'accord avec son ainée, Aigue-marine avait été une lieutenante exceptionnelle. Respectée et adulée, elle avait même été nommée avant l'âge requis c'est-à-dire lunes, preuve encore qu'elle avait amplement mérité ce titre. Chose que Douce Orchidée n'avait pas eue, elle n'avait pas eu tout ce respect depuis sa nomination et voyait bien que son titre ne plaisait pas à tout le monde. Elle savait évidemment qu'elle ne pouvait pas plaire à tout le monde, mais elle voulait au moins se sentir un minimum respecté, et malheureusement pour elle, elle ne le sentait pas plus que ça, et surtout de la part des mâles. Ce qui la dégouttait le plus, c'était de devoir encore sentir les partisans du régime d'Étoile du corbeau sexiste la fixer trop souvent. Matin embrasé ne l'avait absolument pas respecté lui non plus. Depuis, elle était toujours stressée à l'idée de commencer la journée pour après se sentir observée et critiquée. Le ronronnement de museau bleu la fit revenir à la réalité, à la dure réalité.

« Ecoute-moi, s'il te plaît. Le passage d'un lieutenant à l'autre est toujours compliqué, d'autant plus avec le deuil, mais tu n'as rien à prouver. Tu seras une grande lieutenante, je pense. Et si parfois ton rôle te semble trop lourd... Tu n'es pas seule, d'accord ? Tu ne seras jamais seule. »

Les paroles de la guerrière semblaient si douces et si réconfortantes, cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas entendu de si jolies paroles. Elle ne sera jamais seule, vraiment ? Pourtant, en ce moment la solitude lui pesait terriblement. Le fait de ne même pas pouvoir s'appuyer sur son propre chef la faisait terriblement souffrir, et surtout le fait de ne pas avoir réellement d'amis.

« Tu es sûre que ça va ? »

Non. Non ça n'allait pas, elle en était certaine. Chaque matin elle se levait avec la boule au ventre, celle qui provient du stress que l'on éprouve lorsqu'on a peur de ne pas être à la hauteur.

« A vrai dire, non. Tout va mal j'ai l'impression, je ne peux même pas compter sur mon chef. Je me sens tout le temps seule face à tous ces événements et surtout je me sens terriblement impuissante. » miaula-t-elle faiblement. « Et si Étoile de Pierre venait à mourir ? Imagine, personne ne voudrait avoir un chef comme moi ! Je n'en ai pas les capacités, je ne me sens pas respectée comme l'était notre ancienne lieutenante. »

Elle se sentait nulle et si triste.

« A vrai dire, non. Tout va mal j'ai l'impression, je ne peux même pas compter sur mon chef. Je me sens tout le temps seule face à tous ces événements et surtout je me sens terriblement impuissante. »

La guerrière à la douce pelisse de sable et d’écume en aurait pleuré, face à la détresse perceptible de sa cadette, vibrant dans sa voix, scintillant dans ses yeux, s’échappant de chaque mot qu’elle prononçait. Pauvre petite orchidée. Pauvre petite fleur. La jeune lieutenante blanche au visage gris et aux yeux d’émeraude semblait frêle, à cet instant, fragile, comme une poupée de verre, fissurée, le moindre geste pouvant la briser. Et cette pureté, cette transparence, cette sincérité laissant passer la lumière… Ils l’avaient laissée seule, c’était vrai : peu d’amitiés, des liens distendus par les félins brisés par les évènements, chacun s’enfermant dans la solitude pour tenter de panser ses blessures. Mais ils avaient oublié, ce faisant, qu’elle était encore jeune guerrière, et qu’elle n’avait pas les armes pour résister seule et être responsable d’un clan à la dérive. Un clan dont le meneur en deuil, lui aussi, avait fait des erreurs, se murant dans sa peine. Et Museau Bleu n’avait pas oublié qu’elle aussi avait délaissé les autres. Elle aurait du prêter attention à la féline de neige et de cendre, dont la fourrure toute douce cachait des blessures d’âme. Elle aurait du être là, simplement ; ils auraient tous du.

« Et si Étoile de Pierre venait à mourir ? Imagine, personne ne voudrait avoir un chef comme moi ! Je n'en ai pas les capacités, je ne me sens pas respectée comme l'était notre ancienne lieutenante. »

Dans les yeux de jade de l’aînée, il y avait une lueur d’inquiétude, se mêlant à une infinie tristesse, sage et douloureuse ; elle ne pleurait pas, elle ne craquait pas, mais en elle aussi, tout s’effondrait ; les amis sont le miroir de l’âme : en chacune, l’autre discernait certaines blessures. Museau Bleu se sentait nulle et triste. Elle aurait aimé promettre à celle qui lui faisait face qu’elles seraient amies, qu’elle serait là pour elle, que tout irait bien. Mais c’était tellement difficile… Ravalant sa peine, emplissant sa voix de douceur et de calme, elle souffla, lentement :

« Etoile de Pierre ne va pas mourir de sitôt. Tu as encore du temps avant de devenir notre meneuse, du temps pour obtenir de nouvelles capacités, et perfectionner celles que tu as déjà. Du temps pour faire tes preuves, et pour gagner le respect de tous. C’est encore difficile, se faire une place en temps que femme dans les hauts rangs, aux yeux de certains, et le Clan est encore empli de souffrance. Ca nous rend fermés aux autres… Mais ça ne signifie pas que tu n’es pas respectée et appréciée. Tu es une bonne lieutenante, je suis sûre que tu feras une meneuse extraordinaire ; et moi, je voudrais d’une meneuse comme toi, quand le moment viendra. Moi, je te suivrai. Mais surtout, un jour, tu seras heureuse. »

Elle ronronna doucement, rassurante et très tendre. Mais malgré tous ses efforts pour camoufler sa propre détresse, elle ne put rien faire contre les petites larmes qui, s’échappant des orbes jade, roulèrent sur le visage beige et gris bleuté, taché d’une nuance plus foncée ; même les masques les plus réalistes et jolis finissent par se briser.