[LP] Complexe d'Œdipe - end

Sa première tentative avait lamentablement échoué, et ce même si il avait reçu le soutien et l’appui de sa tante Alby. La réalité était qu’il n’avait jamais osé offrir son présent à sa mère, trop terrifié qu’elle le trouve trop fleur bleue, ou bien que le cadeau ne lui plaise pas. Alors, tandis qu’il n’était encore qu’un chaton, il avait caché la jolie jonquille fraîchement cueillie derrière la pouponnière, bien dissimulée par un tas de feuilles pour que personne ne puisse la trouver, attendant de rassembler assez de courage pour se jeter à l’eau.
Mais hélas, les événements qui suivirent ne lui permirent jamais d’achever la chose. D’abord son baptême, puis son accident, puis les Lunar Pod… il n’avait pas adressé la parole à Cœur Givré depuis des lunes et cela lui avait semblé être une éternité… Oh comme elle avait du être inquiète quand il s’était fait percuté par le monstre. C’était sans doute la raison pour laquelle elle n’était pas venue lui rendre visite, dans la tanière des guérisseurs, alors qu’il était encore alité car incapable de marcher : elle avait sans doute eu peur de le voir dans un tel état. Et comme il s’en voulait de lui avoir causé de telles frayeurs ! Ainsi que d’avoir causé sa probable déception quand elle avait su qu’il ne serait jamais guerrier.

Aujourd’hui, il allait rattraper ses bêtises : il irait voir Cœur Givré, présenterait ses excuses, lui offrirait un joli cadeau et lui dirait de ne plus s’inquiéter pour son avenir : Cœur Fleuri et Nuage d’Alcidés s’occuperaient de tout. Et peut-être même que lui, Nuage Silencieux, deviendrait un grand guérisseur et qu’il trouverait un moyen de soigner « lalby-nosse » de sa mère et sa tante.
Enfin ça, c’était la théorie. Parce qu’en réalité, rien ne se passait comme prévu, avec Cœur Givré.

Il avait alors d’abord été tenté d’aller récupérer sa vieille fleur, derrière la pouponnière, mais un éclair de lucidité lui indiqua qu’elle était probablement fanée à cette heure ci, voir même décomposée. Alors, il profita de sa balade matinale pour aller en cueillir une nouvelle.
La fleur jaune fut relativement rapide à trouver. Il la saisit entre ses crocs avant de s’en retourner vers le camp, aussi vite que sa hanche blessée le lui permettait.

Son cœur s’emballa quand, une fois rentrée, il distingua très nettement la fourrure blanche de sa mère, qui se détachait non loin. Il voulut faire demi tour, une nouvelle fois, pour ravaler cette boule d’angoisse qui lui enserrait la gorge et lui tordait les tripes, mais il n’en fit rien, se forçant à aller jusqu’au bout de sa démarche.
Alors, se plaquant au sol, queue et oreilles basses, il s’approcha de l’albinos en rampant.

« M-m-m-m-ma-man ? » Bégaya-t-il maladroitement, avant de déposer la plante au sol, la poussant de la patte vers sa mère, n’osant pas s’approcher plus d’elle. « C-C’est pour m-moi. Enfin je veux dire t-t-toi. C’est p-p-our t-toi. » Ses yeux fuirent le regard de sa mère, alors qu’il tentait de se justifier, d’une voix presque inaudible : « C-c’est... C-c-omme le soleil il est méchant avec ta peau, m-m-oi je t’amène un p-petit s-s-soleil q-qui fait pas-p-pas mal. »

"Le petit soleil qui ne fait pas mal" était bien évidemment une référence à la belle jonquille qu’il avait déposé à ses pattes. Sa couleur jaune éclatante lui rappelait celle de l’astre diurne, lorsqu’il était à son Zénith. Et la forme rigolote de la fleur avait été conseillé par les soins de sa tante, bien des lunes plus tôt.

Tout pour plaire à sa mère… Ou pas.

Drôle de sensation qui envahissait le corps du petit, à chaque fois qu’il se trouvait dans un rayon proche de sa mère. L’amour et l’admiration se lisaient dans ses yeux, mais la peur tordait ses entrailles et paralysait ses entrailles. Et comme si sa langue était toute engourdie, il ne parvenait plus à prononcer un mot.

Il fallait dire que Cœur Givré ne faisait rien pour arranger la situation. Alors qu’elle avait enfin remarqué la présence de son fils, le surplombant de toute sa hauteur, elle écarquilla tellement les yeux que Silence eut l’impression que ses globes oculaires allaient sortir de leurs orbites et tomber sur lui, laissant un trou béant à la place des iris rouges de sa mère. Le petit se tassa un peu plus, comme pour échapper à l’emprise fantomatique de l’albinos. Et les battements accélérés de son cœur se répercutaient dans la terre meuble.

« Une fleur soleil ? » Pouffa Cœur Givré.

Et, rassuré par une telle réaction, les babines de Nuage Silencieux – redevenu Petit Silence l’espace un instant – s’étirèrent en un large sourire. Il se redressa doucement, laissant ses hanches blessées choir sur le sol. Cri des Albatros avait eu raison au sujet de la plante ! Elle avait apporté bonheur et rire à sa maman et là, tout de suite, l’apprenti se sentait très fier de remonter dans l’estime de sa mère.
Mais ce ne fut qu’une interprétation faussée de la réalité et le ton glacial qu’employa Cœur Givré par la suite lui fit comprendre son erreur :

« Est-ce qu'elle donne des pouvoirs magiques ? » Miaula-t-elle d’une voix tranchante.

Et Nuage Silencieux vint rapidement reprendre sa place de serpillière, tout contre le sol, grimaçant suite à la douleur qui irradia sa hanche, provoquée par l’action.
Non, non, sa plante ne donnait pas de pouvoir magique et la réponse aurait pu être simple. Mais l’apprenti se dandinait, gêné par la question qu’il ne savait pas comment prendre, flairant le piège.
Alors, ses yeux navigant entre ses pattes et le menton de Cœur Givré, il ne se décida à répondre qu’au bout d’un moment, pressé par le regard insistant – et sanglant – de sa mère :

« Euh… J-Je… N-Non ? » Et avant de s’attirer les foudres de l’albinos, il se hâta à vendre les bienfaits de la fleur offerte : « M-Mais elle peut te rendre jol-- E-Enfin tu es déjà très très très jolie m-maman. M-mais si tu-tu tu la mets derrière ton oreille – enfin si tu en as envie hein, bien sûr – ben ça pourra sûrement t-te rendre encore p-p-plus b-belle... »

Il ferma un œil, levant timidement l’autre vers l’ombre blanche de sa mère, qui le surplombait. Et sa dent vint mordiller sa lèvre inférieure, attendant sa sentence.

Les signes d’exaspération que démontraient sa mère ne rebutèrent en rien le jeune apprenti. Bien au contraire, plus elle le repoussait, plus il voulait se montrer grand et important à ses yeux, sans se rendre compte que toutes ses actions ne faisaient que l’éloigner encore plus de cette fierté qu’il recherchait, au fond de ses yeux sanglants.

Mais le chaton resta bien en place, fixant sa génitrice avec des yeux presque larmoyants. Si il avait pu s’accrocher à ses pattes, pour qu’elle le regarde. Tant pis si elle le blâmait, lui crachait toutes les horreurs du monde à la figure, il s’en moquait bien. Il préférait le mépris à l’ignorance, se confortant dans l’idée qu’elle était dure avec lui, simplement pour lui forger le caractère. Maladroite dans l’expression de ses sentiments, elle devait sans doute peiner à lui dévoiler son amour, alors, sa cruauté n’était que le témoignage de son affection maternelle, dissimulée derrière le dicton « Qui aime bien, châtie bien. »

Hélas, si seulement cela avait pu être vrai.

Cœur Givré finit toutefois par réagir au cadeau offert par son fils, permettant à ce dernier de reprendre sa respiration, qu’il avait retenue jusque là tant le suspens était intense.

« Je crois que tu t'es trompée de destinataire, ce n'est pas à moi que tu dois offrir cette... Fleur-soleil. » Le gamin la fixa sans comprendre, apeuré, alors qu’elle continuait. « J'ai vu Nuage de Mousse il y a deux levers de soleil. Il t'aime bien, tu devrais lui offrir des fleurs à lui aussi. »

« … !! »

L’apprenti immaculé se décolla un peu du sol, abasourdi et bienheureux d’une telle attention de la part de l’albinos. Il avait raison, depuis sa naissance : Cœur Givré se souciait de son bonheur, lui donnant des conseils pour chérir son ami.
Mais son euphorie fut de courte durée, la jonquille fraîchement cueillie atterrit sur son museau, grâce à un lancer parfaitement maîtrisé de Cœur Givré. Et le sourire béat du gamin se referma sur les pétales à demi collées sur sa langue, piégées par sa salive gluante.

« Tu essayes de m'acheter ? C'est lui qui te l'a demandé j'en suis sûre ! » Cracha l’albinos.

Voir soudainement sa fleur-soleil si près de son nez le fit sursauter et le ton qu’employa sa mère n’arrangea rien. Il se recula brusquement, sa hanche handicapée se coinçant sous l’action brutale, ce qui eut pour effet de le faire basculer en arrière, tombant sur son coccyx puis sur sa colonne dans une formidable roulade arrière. La douleur irradia son bassin, lui arrachant une plainte et lui faisant monter les larmes aux yeux.
Il fixa sa mère entre ses cuisses postérieures, les quatre pattes en l’air, et sa pauvre fleur – dans un sale état, à présent – toujours suspendue à sa babine.

Nuage Silencieux n’osa même pas se relever, tant il se sentait honteux. Il secoua négativement la tête, très énergétiquement comme si cela allait convaincre sa mère, et sa jonquille s’en alla valser un peu plus loin, accompagnée par quelques postillons qui maintenaient auparavant la fleur en place.

« N-non maman ! Je-Je l’jure ! » De nouveau, sa tête vint s’agiter tellement fort, qu’il crut que son cerveau allait finir en bouillie, la dedans. Il s’arrêta pour reprendre, jetant un coup d’œil à la fleur écrabouillée. « E-Elle n'est plus très-très j-j-olie. M-mais je peux aller en ch-chercher une autre. Ou c-ce qu-que tu v-veux. » Cette fois-ci, il hocha la tête avant de miauler timidement. « J-Je suis devenu Ai-Aide-G-G-Guérisseuse, d-dis mm-moi tout ce que tu veux, j’apprends à reconnaître les p-plantes… je vais faire ce que tu veux... »

Il apprenait, oui. Et c’était là le problème : hormis les jonquilles, les pissenlits et les feuilles de chêne, il ne savait pas encore associer le nom des autres plantes et leur forme.

Tapi au sol, le pauvre Silence ressemblait plus à une tâche de neige en plein campement qu’à un véritable chat. Si il continuait ainsi, il pourrait peut-être fusionner avec la terre et ainsi avoir le privilège de cheminer toujours près de Cœur Givré sans risquer son courroux.

« Tu soigneras tout le monde, toi ? »

La présentation de son nouveau rang semblait au moins avoir fait son effet et apaisé quelque peu la tempête. Pourtant, Nuage Silencieux garda la position, terrifié, tandis qu’il bégayait d’une voix indécise :

« O-Oui ? »

« Je ne sais pas si je dois te croire... » Le jeune aide guérisseur déglutit bruyamment. « Les guérisseurs sont snob comme pas permis ! Ils ne soignent rien du tout et pire, te prennent de haut ! Comment tu peux supporter des... Des anti-fun pareils ?! »

Il se tassa un peu plus – qui aurait cru qu’il pourrait encore ? -, décidé à se faire le plus petit possible, comme si cela allait apaiser la fougueuse Cœur Givré.
Ses oreilles s’affaissèrent de chaque côté de sa figure triangulaire, perdu entre ses mentors et sa mère et ne sachant quel camp rejoindre. Il était vrai que Nuage d’Alcidés et Cœur Fleuri n’étaient pas axés sur l’humour, mais ils faisaient quelque chose d’utile, non ? Sans eux, le clan compterait bon nombre de malades.

Gêné de la situation, il ne savait pas où se mettre. Il ne voulait pas prendre parti, mais la dernière chose qu’il souhaitait, c’était bien froisser sa mère, alors il se risqua au bluff :

« O-oui, t-tu as raison... » Bégaya-t-il. « Je-Je vais aller les divertir ! »

Alors, reculant lentement vers la tanière des guérisseurs, tout en restant tapi au sol sans quitter Cœur Givré des yeux, il finit par disparaître dans l’antre, pas mécontent d’échapper à tout ce stress.