Freeeedooom || PV. Nuage d'Émeraude - END

Des yeux embués par la fatigue, un bâillement qui vous barre la vue, une attention absolument pas activée, un éclair noir qui lui jaillit dessus et quelques roulades plus tard, Nuage d'Émeraude se demandait toujours ce qui avait bien pu se passer pour qu'elle se retrouve allongée au sol, de la poussière emplissant sa bouche et un poids mort - enfin, pas tout à fait - qui l'écrasait de tout son long. Elle cligna plusieurs fois des yeux et ce n'est que lorsque l'intrus la laissa se relever qu'elle reconnut Nuage de Nuit, la sœur de Nuage de Blaireau, ancienne compagne de pouponnière, actuelle compagne de tanière. Mais contrairement à Nuage d'Émeraude, elle était loin d'être trop occupée à s'entraîner et elle semblait même terrassée par l'ennui, comme en témoignait le sketch qu'elle lui faisait désormais : Émeeeee raconte moi tes entrainement avant de laisser mon pauvre corps pourrir d'ennui dans ce campement, je veux m'entraaaainer, se lamenta-t-elle en se roulant par terre et en exagérant ses mouvements dans une volonté de traduire son désespoir. Nuage d'Émeraude leva les yeux en ciel en éclatant de rire. Nuage de Nuit était toujours si... exagérée... Elle aimait bien se plaindre ! Une philosophie que ne partageait pas vraiment la rouquine, mais cela n'empêchait pas les deux femelles de s'entendre.

« Arrête ton char ! » pouffa-t-elle en poussant Nuage de Nuit du bout de la patte, la faisant rouler sur elle-même. « J'ai pas grand chose à t'apprendre en plus, apparemment, vu la façon dont tu m'as eue ce matin ! Fauchée dès le réveil, t'es redoutable ! »

Tiens, elle aussi commençait à tomber dans l'exagération... Décidément, Nuage d'Émeraude aimait bien entrer dans le jeu des autres !

Nuage de Nuit usa d'une autre ruse pour que Nuage d'Émeraude se retrouve au sol, une fois de plus. Les deux femelles roulèrent dans la poussière, encore. Mais Nuage de Nuit se redressa et aida la rouquine à se relever à son tour ; elle se passa ensuite un coup de langue sur son pelage noir - quelle maniaque ! - et, chose plus étonnante, commença à toiletter son amie rouquine, qui se dégagea d'un bond, les oreilles plaquées contre la nuque.

« Oh, lâche-moi, maman ! » dit-elle en se moquant à moitié de la femelle et de son incapacité à supporter la moindre petite poussière. Nuage d'Émeraude, elle, se fichait bien d'avoir le poil ébouriffé ou légèrement sale ; généralement, plutôt que de se fatiguer à se le lisser ou le nettoyer, elle se dirigeait vers la rivière et y plongeait. Cela suffisait.

Plus sérieusement, comment se passe ton entrainement ? Tu t'entends bien avec Écaille d'Or ?
« Tu rigoles, j'espère ? J'ai la meilleuuuure mentor de la forêt ! Écaille d'Or est trop chouette, et puis c'est elle qui a tué Étoile de Suie avec l'aide de mon père, alors tu imagines bien qu'elle gère et qu'elle va faire de moi la meilleure guerrière de tout le Clan ! » s'emporta-t-elle en sautillant sur place et en se pavanant, le poitrail bombé, à peu près comme à chaque fois qu'on lui parlait de sa famille ou qu'elle parlait de son entraînement. Cela sautait aux yeux qu'elle ne vivait que pour cet objectif : devenir la meilleure. « Et toi alors, qu'est-ce qui t'arrive ? Pourquoi tu t'ennuies tant ? »

Oui, parce que l'ennui, c'était quelque chose que Nuage d'Émeraude avait du mal à concevoir : elle s'était rarement ennuyée dans sa vie, et si peu qu'elle en oubliait toujours de quoi était fait ce sentiment. Elle, elle était toujours en mouvement, elle trouvait toujours quelque chose à faire, elle ne restait jamais là à ne rien faire, et si elle n'avait rien à faire, cela ne durait jamais longtemps. Elle était clairement hyperactive. Cela était encore plus vrai désormais qu'elle était apprentie : elle manquait presque de temps pour elle ! Mais cette vie survoltée et très occupée lui correspondait parfaitement et elle ne s'en plaignait jamais ; on pouvait même dire qu'elle n'avait jamais été aussi heureuse.

Eh bien héhé... Tu sais j'ai plus de mentor..
« Je le sais, ça, banana ! » répliqua la rouquine du tac au tac. Qui ignorait la mort de Matin Embrasé ? Le guerrier roux prenait une assez grosse place dans le Clan auparavant, avec son humour si particulier. Nuage d'Émeraude l'avait beaucoup détesté lorsqu'il avait été responsable de l'enlèvement de Petit Blaireau par les Lunar Pod ; mais le bicolore était ensuite rentré au camp et la rouquine avait fini par oublier sa rancœur, et même par apprécier le guerrier. Elle ne pouvait pas dire qu'elle pleurait sa mort, car elle n'en était pas plus proche que cela, mais elle la regrettait, évidemment, et d'autant plus que Nuage de Nuit, sa presque-sœur, l'aimait beaucoup, elle. Elle était triste pour elle ; et évitait d'en parler. Alors elle enchaîna : « Mais ça n'explique pas que tu t'ennuies ! Il y a teeeellement de choses à faire ! De territoires à découvrir ! D'autres Clans à connaître ! C'est la liberté, Nuage de Nuit ! » Et elle s'enflamma, encore.

Et puis, je crois que personne n'est capable de me supporter excepté Matin Embrasé.. Nuage d'Émeraude éclata de rire ; c'était tout à fait vrai. Nuage de Nuit avait elle aussi son petit caractère bien à elle, et son humour si particulier ; elle était très souvent cynique, comme Matin Embrasé de son vivant. Les deux-là s'étaient bien trouvés... Mais c'était terminé, désormais, et Nuage de Nuit devait se retrouver bien seule.
« Ouais, c'est clair que ton prochain mentor aura tiré le gros lot... de pas-de-chance... » répondit-elle avec un ton sérieux pour la première partie, espiègle pour la seconde.

Mais je suis sûre que j'ai appris assez ce chose pour devenir une excellente guerrière, je vais juste avoir besoin de quelqu'un pour peaufiner ma perfection et je pourrais te regarder de haut ! Et, joignant le geste à la parole, Nuage de Nuit se dressa sur ses pattes arrières. C'est vrai que levée de la sorte, elle paraissait bien grande ; mais Nuage d'Émeraude ne se laissait pas facilement impressionnant, casse-cou et fière comme elle était.
« C'est plutôt moi qui te regarderai de haut quand je trônerai sur le promontoire, à la place du chef ! » répliqua-t-elle en imitant Nuage de Nuit : dressée sur ses pattes arrières, Nuage d'Émeraude était moins grande, mais son corps était plus imposant. Elle avait encore des airs de chaton bourru et bouboule.

Nuage d'Émeraude se retrouva à nouveau coincée entre le sol et les pattes robustes de Nuage de Nuit, qui la dominait de tout son long après l'avoir renversée par terre - encore. Intérieurement, la rouquine eut envie de lui crier d'arrêter ça, exprimant par la même occasion sa frustration de se voir ainsi dominée par sa sœur de lait ; elle était vexée de voir que Nuage de Nuit, même au repos forcé, continuait à la dominer au niveau des techniques de combat. C'était pourtant logique - elle était passée apprentie avant elle - mais Nuage d'Émeraude se laissait souvent prendre par l'adversité et surtout, elle voulait être la meilleure. Sans vouloir écraser les autres, il lui était nécessaire d'avoir le dessus sur eux, et non pas l'inverse.
Malgré ce qui bouillonnait intérieurement en elle, Nuage d'Émeraude se contint et ne dit rien, se contentant de rire lorsque Nuage de Nuit la traita subtilement de grosse.

« C'est que du muscle d'abord ! » répliqua-t-elle en lui tirant la langue, jouant à la vexée. Mais elle ne l'était pas le moins du monde, et elle était consciente de son aspect rondouillard de chaton. Elle avait commencé à le perdre, son corps se façonnait petit à petit au gré des entraînements, mais elle faisait encore jeune.

J'rigole, j'rigole oh votre majestééé Étoile d'Émeraude ne me châtiez pas ! Nuage de Nuit finit par lâcher sa sœur et celle-ci ne se fit pas prier pour se relever, s'ébrouant instinctivement et éclaboussant au passage l'apprentie de jais d'un nuage de poussière et de quelques brindilles qu'elle avait récupéré du sol.

« Tu feras moins la fière quand je passerai guerrière alors que toi, t'auras toujours pas repris l'entraînement, ha-ha ! » Et hop, les pattes dans le plat, le sel dans la blessure ; Nuage d'Émeraude savait faire des blagues, mais elle était aussi pataude qu'un éléphant essayant d'éviter des fourmis dans une prairie.

T'inquiète pas, j'aurais très vite un mentor, pas le temps de rester en place. Le jour ou tu passeras guerrière je serrais déjà une mentor exemplaire digne d'être lieutenante ! Nuage de Nuit ne s'était pas laissée démonter par sa sœur de lait mais son air contrarié n'échappa pas - pour une fois - à Nuage d'Émeraude qui remua les oreilles dans tous les sens, l'air un peu préoccupé et désolé. Ce n'était pas la première fois qu'elle était maladroite - trop maladroite - dans ses paroles. Si cela avait généralement de faibles conséquences lorsqu'elle était chaton, c'était différent aujourd'hui : plus elle grandissait et plus elle se rendait compte de la réalité des choses autour d'elle, et elle était alors plus à même de mettre les pattes là où il aurait fallu qu'elle ne s'aventure pas.
Heureusement, Nuage de Nuit me lui en tint pas rigueur et elle ne semblait pas plus vexée que cela ; ou en tout cas était-ce ce que Nuage d'Émeraude se racontait pour se sentir moins coupable et passer outre cet épisode malheureux. Elle observa l'apprentie noire se lustrer le pelage avec un air mi-gêné, mi-amusé, se demandant quelle autre occasion elle allait bien pouvoir trouver pour lui sauter dessus et la faire rouler-bouler encore une fois. Mais, à la surprise de la rouquine, Nuage de Nuit n'en fit pas tant : elle se leva et tira court à la conversation : Eh bien Émeraude c'était sympa de papoter avec toi mais j'ai une annonce de mentorat à poster moi, essaye de me rattraper un jour et surtout occupe toi bien de mon Blair' chéri ! Nuage d'Émeraude sentit immédiatement une chaleur incommodante lui monter aux joues et elle fit fi de la première partie de la phrase de Nuage de Nuit, se concentrant sur la deuxième.

« Que... Blair'... Je... Hein... Bah... Quoi ? » balbutia-t-elle en se dandinant sur ses quatre pattes, l'air visiblement mal à l'aise.

Nuage d'Émeraude était habituée à ce qu'on lui parle beaucoup de Nuage de Blaireau ; ils étaient amis, et inséparables, pratiquement depuis qu'elle était née, et ils étaient connus comme un duo infernal depuis leur tout jeune âge. Mais à mesure qu'ils grandissaient, l'intérêt et les regards qu'on portait sur eux se modifiaient et devenaient plus insistants, ils avaient même un air que Nuage d'Émeraude n'appréciait pas vraiment, comme s'ils étaient deux rats de laboratoire qu'on observait et sur lesquels on effectuait quelques tests...
L'insinuation que venait de faire Nuage de Nuit rappelait cette situation incommodante et la gêne de Nuage d'Émeraude fut immédiate.