Quand on tombe dans l’eau, la pluie ne fait plus peur. ( Prio Mataï ) - abandon

C'était vraiment parti pour être une journée foireuse. Et dire que le matin même, notre jeune protagoniste pensait qu'il pourrait enfin passer un jour sans qu'une malchance fortuite lui tombe dessus. Et bien non mon pépère, encore une fois tu feras encore une connerie qui te mettra dans de sales draps. Ajani avait commencé comme tous les matins : Lever en fanfare en même temps que ses maîtres et leur petite boîte métallique qui criait. Les bipèdes appelaient cela « un réveil », lui, la surnommait plutôt la boîte infernal. Avec ça, pas moyen de roupiller le matin... Aucun matin même. S'il en avait eu le courage, il l'aurait balancer par-dessus la fenêtre, histoire d'en être définitivement débarrasser. Mais faut dire que le courage avait tendance à lui faire défaut ces derniers temps. Il avait parfois le sentiment d'être blasé... Blasé par sa vie alors qu'il avait la chance de jouir d'un confort que les chats errants n'avaient pas. Pourquoi se plaindre ? Il avait la bouffe, un toit sur la tête et des coussins à gogo pour se prélasser toute la sainte journée s'il le voulait. Alors pourquoi le vide qui résidait en lui s'agrandissait un peu plus chaque jour?

Ajani secoua la tête, peu désireux que ses pensées tournent autour d'idées dépressives. Assit sur le buffet du salon, il observait ses maîtres partirent comme chaque matin travailler. Depuis jeunot, il avait eu largement le temps d'observer les coutumes des humains. Tout tournait autour du travail. Sans travail, pas d'oseilles, et sans oseilles, t'es rien dans ce monde pourri. Et le matou blanc avait de la chance que les siens étaient plutôt bien armé pour cela. Ils avaient d'ailleurs fait des folies en lui achetant toutes sortes d'arbres à chats design pour « qu'il se sente plus à l'aise ». Sauf que... Bah c'est de la merde. Une horrible odeur s'en dégage et puis rien de mieux que de monter sur un vrai arbre, et pas un truc pareil. Ajani attendit le bruit de la porte se refermant avant de passer dans la cuisine et de quitter la demeure par la chatière.

Une fine pluie l'attendait dehors. Un peu ronchon, le matou continua son chemin et quitta le quartier à pas de loup. Il voulait changer d'air et surtout explorer un peu plus les environs. Son territoire s'agrandissait avec le temps. Le félin arriva au bout d'un moment près d'un étang un peu reculé du reste des habitations. Il pouvait contempler la pluie se noyer dans l'eau. Il crut percevoir durant un bref instant un poisson s'approcher du bord. Ajani sourit, se disant qu'il pourrait s’entraîner un peu pour pêcher par ses propres moyens. Idée foireuse une fois de plus... En essayant de l'attraper, le malheureux tomba dans l'eau glaciale de l'étang... Quelle journée pourrie...

Alors là, lui qui pensait que les choses ne pouvaient pas s'empirer, il s'était une fois de plus mis le doigt dans l'œil. Ou plutôt les deux dans ce cas-là. Toujours à faire trempette dans l' étang et essayer de se sortir d'une mélasse crado, Ajani n'avait pas entendu le rire tonitruant d'un autre chat pas loin de lui. Le matou se redressa subitement, sortant de l'eau à toute hâte pour se réfugier sur le gazon encore humide de la rosée du matin. C'était un félin pas plus grand que lui. Il avait la particularité d'avoir des yeux similaires à deux joyaux verts. Deux foutus cailloux brillants qui se foutaient de sa gueule devant lui en plus ! Rageant et pestant en se redressant, Ajani l'entendit prendre la parole d'une voix moqueuse, toujours accompagnée d'un rire toujours aussi bruyant. Fronçant les sourcils, et commençant à faire une toilette improvisée, il répondit sans même un regard pour son congénère :

« Vas-y continue de te foutre de moi le croulant, ça te fera au moins une distraction pour aujourd'hui... »

Il tenta bien temps que mal d'enlever les différentes taches brunâtres et qui parsemait son pelage pourtant si beau quelques instants auparavant, et finit par abandonner au bout d'un moment. Journée de merde, vraiment. Il soupira avant de reporter son attention sur le matou qui l'observait à présent en silence. Faut dire que notre jeune protagoniste n'était pas vraiment connu pour être amusant, sauf dans le cas ou il se taule comme un gros nigaud. Bon, c'est vrai que généralement, il cessait de se montrer poli et sympathique avec les félins qu'il croise, mais aujourd'hui, c'était juste le mauvais jour et surtout le mauvais endroit. Toujours silencieux, il le dévisagea un instant avant de soupirer une nouvelle fois et de répondre d'une voix plus douce :

« Bon... À part te foutre de la gueule des autres, qu'es ce qui t'amènes ici à une heure pareille ? »

C'était un peu sa façon à lui de faire la conversation. Il n'avait jamais vraiment été doué pour se sociabiliser avec les autres. Lui, c'est un peu le mec relou qu'on évite, soit parce qu'il est trop chiant, soit parce qu'il est d'un ennui mortel. Et ce matou aux yeux vert finirait par s'enfuir à toute jambe, comme les autres...