[LP] Je n'oublie pas d'où tu viens... || PV. Graine de Tournesol -abandon

Il n’avait pas eu grand-chose à faire la veille. Enfin, il avait bien été contraint d’aller chasser durant l’après-midi et de se joindre à la patrouille orchestrée au crépuscule, mais rien de réellement fatiguant et contraignant à ses yeux. Remarque, il valait mieux pour lui. Si on ne venait pas le chercher, il n’avait pas franchement besoin de se défiler. Au-delà de ça, il avait clairement passé le reste de son temps à se pavaner en grand prince, alors qu’il n’en avait pas même le titre. Il était comme ça. Toujours dans un coin du Camp, à avoir l’œil sur tout et sur n’importe quoi. Il déblatérait au fil de ce qui se passait, au fil de ceux qui daignaient passer juste sous son museau. Il avait la critique facile le blanc. Et c’était même peu dire. Il s’agissait là d’un de ses crève-temps favori. Prendre pour partie les faiblesses et les erreurs des uns, pour les railler. Pourtant, s’il se penchait sur sa propre personne, il ne manquerait certainement pas de matière. Mais encore fallait-il ne pas avoir ce brin de fierté, cet élan d’orgueil pour voir clair en soi. Chose que, bien évidemment, notre cher matou refusait de voir. Et on avait beau le lui faire remarquer, il n’en démordait pas. Il trouvait toujours le moyen de retourner la situation à son avantage, verbalement parlant du moins. S’il n’avait pas besoin d’y mettre les griffes et les crocs, tant mieux pour lui. Les joutes verbales avaient quelque chose de notoirement plus sympathiques à ses yeux. Et si physiquement, il pouvait lui arriver de lâcher facilement le morceau, sur les mots, il n’était pas le dernier à en redemander. Il ne fallait d’ailleurs généralement pas grand-chose pour que le mécanisme se mette en route et inutile de dire que, chez lui, la rouille n’avait guère le temps de s’installer.

Roulé en boule dans sa litière, bien loin de l’entrée de la tanière, son thorax se soulevait au rythme lent de sa respiration. Plongé dans un sommeil profond, il n’eut pourtant aucun mal à en sortir lorsque l’heure sonna pour lui. Vautour Fauve l’avait désigné comme dirigeant de la patrouille de l’aube, un honneur dont il ne pouvait se passer et sur lequel il jubilerait probablement toute la journée. Ce qui, pourtant, n’avait rien d’étonnant au vu de la composition de ce même détachement, étant donné qu’il en serait l’aîné, le plus âgé de tous et celui qui, en toute théorie, devait être le plus expérimenté de tous. Ouvrant une à une ses paupières, le matou au pelage presque totalement immaculé se laissa quelques secondes pour retrouver ses esprits. Prenant son temps pour étirer un à un ses membres, le Guerrier finit par se redresser en position assise et faire un brin de toilette. Profitant du silence de mort qui planait dans la tanière des Guerriers alors que tous étaient guettés de près par le sommeil, seul le bruit de friction entre la langue et le poil de Patte Noire fut perceptible en cette fin de nuit pour lui et en ce tout début de matinée. Finissant sa toilette en passant un ou deux coups de langue sur les poils de son poitrail, le matou finit par lâcher un discret bâillement, marquant bel et bien la fin de cette nuit de sommeil, qui avait été, somme toute, bien agréable. Usant de toute la souplesse qui le gagnait parfois, il esquiva un à un ses camarades endormis, et parfois même les bouts de pattes ou de queue dépassant de ci, de là, jusqu’à sortir complètement de la tanière. Rejoignant le coin où il aimait s’adonner à ses jets de venin, il profita bêtement du calme environnant et de la fraîcheur de ce début de journée. Et finalement, avant même que les premiers oiseaux se mirent à chanter, il décida d’aller chercher celui qui devait l’accompagner pour cette patrouille, au pied de sa couchette. Se glissant de nouveau dans la tanière, il n’en ressortie qu’après avoir poussé l’énergumène du bout de la patte et l’avoir sommé d’une voix sérieuse :

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C’était Vautour Fauve qui avait choisi cette étrange composition pour une patrouille. Sérieusement, qu’est-ce qui lui était passé par la tête pour mettre ces deux-là ensemble ? Une langue de vipère et un ancien domestique à la grosse tête. Autant dire que cette patrouille promettait de faire quelques étincelles, si ce n’est un véritable feu. Patte Noire ne tenait pas spécialement le matou en grippe, somme toute, il avait finalement mérité son rang de Guerrier, mais il n’en restait pas moins un chat au sang impur. Un de ces chats que le Guerrier préférait nettement voir aux abords de leur nid étrange de bipède, sur leur clôture bien trop nette, si ce n’est carrément sur leur carré d’herbe bien tondu pour que celle-ci ne soit pas trop dure avec leurs coussinets délicats. Il avait beau ne pas apprécier les gênes, ni le personnage sous le nom de Graine de Tournesol, le matou avait été bel et bien contraint d’accepter de partager sa tanière au moment où ce dernier avait reçu le titre prestigieux de Guerrier. Est-ce que pour autant il le méritait ? Selon le noir et blanc, pas franchement. Pour Patte Noire, les aptitudes seules ne donnaient pas lieu à un tel prestige. Non. Pour lui, il fallait bien plus que cela. À commencer par être né au sein du Clan. C’était le b.a.-ba du Code du Guerrier, l’essence même de ce dernier et des Clans. Comment est-ce qu’un vulgaire chat domestique avait-il pu intégrer le Clan ? Comment est-ce qu’Étoile de Suie avait-elle pu intégrer un chat avec des origines pareilles au sein de son Clan ? Pas étonnant que le Clan du Tonnerre apparaisse comme un ramassis de chats aux sangs impurs… Et pourtant, la vieille et grosse chatte écaille continuait d’affirmer qu’ils avaient tort et que l’apport de ce nouveau sang était quelque chose de tout à fait louable…

Penché sur le Guerrier encore endormi, le matou noir et blanc ne ressentit aucune once de camaraderie ou d’une quelconque loyauté envers le matou. Depuis l’arrivée du jeune chat, il n’avait pas spécialement pris la peine de lui causer, si ce n’est des échanges légitimes ou imposés. Il n’avait pas ressenti l’envie ou même le besoin de le faire. Après tout, il était bien mieux dans son coin, à cracher sur ce qui n’allait pas et sur ce qui ne lui convenait pas, pour se préoccuper d’un simple chat domestique. Et finalement, l’animal finit par ouvrir l’œil, se débarrassant de la patte qui écrasait son museau pour poser des yeux stupides sur Patte Noire. Et après avoir lâché un grognement mécontent, la bestiole ose pointer ses petits crocs. Ne gagnant, en retour, qu’un regard des plus méprisant de la part du noir et blanc, le bougre prend son temps à sortir de sa torpeur. Et s’il ne voulait pas franchement participer à cette patrouille aux côtés du matou, autant accélérer les choses en le tenant d’un coin de l’œil. Et si le Guerrier songeait à un départ des plus rapide, il n’était pas au bout de ses peines. Sous ses yeux, l’autre se prélassa longuement avant d’entamer une toilette. Comme si la forêt allait l’épiler au pied levé. La plupart de leurs camarades dormaient encore à poings fermés et rien ne viendrait les tirer de leur sommeil, si ce n’est le son insupportable de la voix de l’ancien domestique qui vint faire vriller les tympans du matou qui perdait patience de secondes en secondes. Et devant le retour à sa toilette du tigré, le noir et blanc laissa un soupir s’échapper de sa gueule avant de faire volte-face, sortant de la tanière d’un pas légèrement plus lourd. Inutile de tenter de le raisonner ou de le presser, il avait décidé d’être le plus intelligent et le plus mature sur ce coup-là. Finalement, après quelques minutes à patienter dans l’aube paisible, Patte Noire entrevit le bout du museau de Graine de Tournesol et n’y tenant plus, le noir et blanc sortit du Camp, incertain de l’attitude de l’autre, mais ne voulant pas prendre plus de retard que cela. Ses pas prirent la direction de la frontière avec le Clan de la Rivière, frontière choisie par le Lieutenant cette fois encore. Et lorsque ses oreilles vibrèrent de nouveau sous la complainte de l’autre, il ne prit pas de pincettes pour lui répondre, ni même pour arranger le timbre froid de sa voix :

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Et s’il se comportait de la sorte avec celui-là, c’est qu’il en faisait plus ou moins de même avec les autres. Et il ne valait guère mieux que les autres à ses yeux. Si ce n’était même plutôt l’inverse. Être un chat domestique de naissance n’était pas pour améliorer son palmarès. Ses origines souillées ne faisaient, au contraire, qu’ajouter une impression de distance entre les deux, du moins, aux yeux du Guerrier noir et blanc. Il ne voyait pas le pourquoi du comment le Clan du Tonnerre avait pu accepter un domestique. Il fut un temps, il n’aurait pas été permis d’agir ainsi. Les intégrations de ce genre étaient toujours mal vue part les autres Clans, renvoyant une image de faiblesse certaine du Clan d’accueil. Et Patte Noire, même s’il avait vécu la situation en interne, n’y voyait pas différemment. Il ignorait encore ce qui avait fait franchement penché la balance en la faveur de ce matou tigré là. À en voir ses airs princiers et les rumeurs qu’il pouvait bien entendre émaner de son être et de son caractère « royal », il n’y avait franchement pas grand-chose d’enviable ou de glorieux. Enfin, la décision ne lui appartenait pas. Elle ne lui avait d’ailleurs jamais appartenu. Et comme bon nombre de ses camarades, il n’avait rien eu à dire à l’intégration de celui-ci. Et il n’aurait probablement rien à dire aux prochaines qui se feront. À moins de prendre suffisamment de galon d’ici-là. Et si les yeux de Patte Noire ne s’attardèrent que quelques secondes tout au plus sur le corps de l’autre qui l’accompagnait, il put néanmoins entrevoir ce mouvement de babines, le retroussement de ces dernières, laissant entrevoir des petits crocs bien blancs. Et si quelques autres auraient pu prendre la mouche facilement, mordre à l’hameçon de la provocation que cela renvoyait, Patte Noire se contint de faire toute remarque, n’ayant tout bonnement pas envie d’en arriver à l’usage de ces crocs.

Et finalement, c’est lorsqu’il décrocha son regard pour le reporter sur leur mission primaire, que l’autre ouvra de nouveau sa gueule, laissant une sorte de provocation de bas étage atteindre le système auditif de Patte Noire. Est-ce que les mots du pseudo-Guerrier l’atteignaient ? Est-ce qu’ils avaient un quelconque pouvoir sur l’humeur ou bien même l’estime de soi que pouvait avoir le Guerrier plus âgé ? Certainement pas. Si ces mêmes remarques étaient venus d’un autre parti, d’un vrai membre de son Clan, d’un félin au sang pur et aux vraies valeurs, alors peut-être. Peut-être qu’il l’aurait pris d’avantage pour lui. Mais à l’heure actuelle, au vu de l’image qu’il se faisait de Graine de Tournesol, il n’y avait franchement pas de quoi se prendre la mouche pour une telle réflexion. Il fit donc l’usage de la réflexion et décida d’ignorer tout bêtement ce qu’il venait d’entendre. D’ailleurs, l’avait-il franchement entendu ? Non. Il ne l’écoutait même pas. Du moins, il s’en était à présent persuadé. Les yeux bloqués sur le paysage qui défilait sous ces derniers, sur la rivière qui séparait leur territoire avec celui du Clan de la Rivière, Patte Noire guetta également avec son museau les odeurs. Et si l’odeur des chats-poissons lui parvint, c’est de l’autre côté de la rive que cela empestait. Il y a peu, Étoile de Suie avait dérobé des chatons à ce Clan, dont l’un était mort et les autres gardés en sorte d’otage pour je ne sais quel plan qu’elle avait en tête. Et alors qu’il songeait à ces boules de poils qui devaient certainement ne rien comprendre et être totalement perdue, et au peu de réactions qu’avaient les Guerriers de ce Clan pour les récupérer, le tigré le sorti de ses pensées, en y faisant pourtant bien écho. Et comme s’il trouvait soudainement un quelconque intérêt à ce chat, Patte Noire le dévisagea sans le masquer, tenant pour une fois un discours plutôt en accord avec celui de l’autre, du moins, ne le rabrouant pas directement :

« Si tu crois que je suis d’accord avec les agissements de notre Meneuse, tu te trompes amplement à mon sujet. Avant d’être loyal à Étoile de Suie, je suis loyal à mon Clan et au Code qu’il devrait s’efforcer de suivre. »

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