Flickering Hopes [Feat. Envol des Fées] - end

En s'éloignant de la Lande, la tête basse, le ventre rasant la neige et la sloche mouillée de la chaussée Rusty s'était pourtant borné à traîner son gros sac de croquettes avec lui. La douleur lui embrumait tellement la tête qu'il ne s'était même pas rendu compte que ses pattes l'avaient fait traverser l'autoroute - sans doute pendant un rare moment d'accalmie. Comme un coup de chance pour équilibrer son malheur mais même en arrivant de l'autre côté, où pouvait-il aller?

Il leva le nez vers le ciel - à ce temps-ci de la journée, aucune Étoile visible, et encore moins derrière les nuages qui l'en recouvraient, donc le mouvement ne lui fut d'aucun réconfort. L'Abyssin s'entendit soudain tousser, s'arrêta de marcher une fois certain d'être sauf sur l’accotement et ses oreilles se pivotèrent, il tourna la tête, et il put voir les petites gouttelettes de sang qui s'échappaient de ses plaies tracer la neige fondante de son passage. Elles pointillaient une ligne depuis le côté de la Lande à celui des terres humides du Bourbier, et pendant une seconde, il s'était vu lâcher le sac et s'y sauver. Mais comme pour la Lande il s'agissait du territoire des chats se regroupant en Clans, il n'avait aucune autorisation d'aller y marcher et peut-être tomberait-il sur un autre Guerrier, un autre Lieutenant, un autre Chef de Clan qui voudrait brûler sa peau d'un autre avertissement.

Il se dit qu'il allait reprendre son souffle. C'est pourquoi il s'était couché, dans la neige, se nouant en petite miche de chat pour fermer les yeux et contrôler sa respiration histoire de ne plus s'affoler à la vue de la blessure. Tout irait bien. Tout irait bien. Tout irait bien - il aurait pu jurer ressentir les doigts du Père lui caresser la tête et lui cajoler dessous le menton et il pouvait presque s'imaginer le fauteuil dans lequel ils s'installaient pendant que la boîte à sons jouait de la musique, jusqu'aux petites heures de la nuit...

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La boîte à sons continuait de jouer de la musique dans les oreilles de son esprit et il se laissait peu à peu alourdir par la chaleur à son cœur. Sa tête s'alourdissait sans même qu'il ne puisse s'en rendre compte et les secondes de conscience s'espaçaient. Ce n'est pas vraiment la profondeur de la blessure qui l’assommait de la sorte - Tache d'If l'avait dit, il ne mourrait pas, c'était du chiquet, trois estafilades et rien d'autre mais tout ses efforts dépensés à traîner le sac dans la neige joints à la violence de la peur avaient activés son instinct qui cherchait à le calmer d'un sommeil réparateur, sur un ronron réparateur.

Il ne se rendit même pas compte qu'il ronronnait, et dans la berlue, il entrouvrit les yeux, et une ombre dansa devant lui en s'approchant avant de gratter ses oreilles par une voix au ton louvoyant, rouillée par l'âge.

— « Eh bah Rusty-boy, qu'est-c'que tu fais là!
L'abyssin dressa une oreille, puis l'autre, tentant de se hisser de sa position couchée mais les forces lui manquaient.
— « ... Madame Fée?...
— « Tu t'ennuyais de moi et d'la boue, c'est ça?!

C'est mimi d'avoir refait l'trajet depuis la ville pour me voir! »

Elle ne croyait pas si bien dire, en fait il avait fait le trajet deux fois, et deux fois avec un sac de croquettes - le premier s'étant fait éventrer par un raton-laveur après l'avoir laissé derrière le temps de trouver un point d'eau et boire. Mais madame Fée lui insufflait ce sentiment de familiarité qui le fit se sentir tout de suite à la maison, offrant à son aînée sourire meurtri par sa précédente leçon:

— « Madame Fée...

Veillant à mieux paraître devant elle, il sortit le nez de la neige, ancra ses griffes au sol et tâcha de se hisser à quatre pattes, exhibant ainsi et à son insu surtout la plaie des trucs griffures qui lui zébraient le poitrail, chevauchant l’acromion de son épaule.
Comme si de rien n'était, hissant avec peine sa queue au-dessus de sa croupe, la mouillant des gouttelettes qui tombaient dessus:

— « J'aurais aimé revenir plus tôt, mais, j'ai été chassé... J'avais eu peur que,
Ses yeux étaient bouffis par toutes les larmes qui avaient coulées plus tôt.

Que, qu'il aient eus votre peau... »

Il voulait tout lui dire, qu'il avait rencontré son neveu, Espresso - ou Esprit Soucieux, et que ce-dernier avait stoppé le sang qui coulait de son épaule, et il avait rencontré un "Écureuil" de la forêt qui l'avait attaqué, et une plus jeune qui avait voulu s'aventurer en ville -- il avait vu leur cheffe, et heureusement Waffle l'avait sauvé et il voulait tout lui dire mais la voix de son esprit s'interrompait sans cesse et il perdait le fil, et il ronronnait autant de ravissement de voir une vieille amie que pour réparer sa blessure.

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Madame Fée avait sans doute compris qu'il ne voulait pas parler de sa blessure, car elle fit comme s'il n'en avait pas, comme si elle n'était rien (car une fois les lèvres des plaies désinffectées et refermées la cicatrice ne serait plus si grosse).

— « Ehhh bah mon mignon ! Elle rit et il rit avec elle, faiblement, sa queue, très haute, signe de politesse, s'affaissant peu à peu derrière lui comme le reste de sa bonne humeur.

— T'as pas chaumé ! Tu veux dev'nir un vrai Guerrier, c'est ça? »

On aurait dit que même au travers de sa folie elle parvenait à être plus lucide qu'autrui. Rusty baissa les yeux, les oreilles à plat de chaque côté de sa tête, véhiculé d'une certaine culpabilité. Il ne voulait pas devenir un Guerrier (vider les étrangers de leur sang comme le faisait le Clan du Vent, selon leur lieutenante, lui arracha un frisson de dégoût), il voulait une Famille. Sa famille, et, pas si secrètement, se trouvant bien moins amène en y repensant, leur famille.

— « Ma peau? » Qu'elle n'avait pas laissée.

« Oh bah j'en ai laissé des bouts un peu partout, faut pas s'inquiéter pour ça! » P-pas comme ça, mais Rusty redressa ses oreilles car dans la confusion de cette conversation il redécouvrait la vieille chatte qui l'avait aidé dans le bourbier. « Et avec Bouboule Nerveuse - que les Étoiles la gardent - j'me suis fait une armure de boue, alors ça va, ma peau s'porte bien! »

Les Étoiles, le déité de Madame Fée - Tatie Fée - donc de son Neveu, Espresso, Esprit Soucieux. Il grimaça de douleur, levant sa patte à sa poitrine tout en abaissant sa croupe et en posant l'arrière train au sol, ou presque, tâchant de rassembler ses postérieurs le plus près possible et d'affûter sa forme.

— Madame Fée, je suis confus, les Étoiles gardent votre amie?... Il abaissa la tête, les yeux, et son courage n'était plus. Est-... Pensez-vous qu'elles auraient une place de plus?...

Rien qu'une toute petite place pour rien qu'un chat pas si petit, qui avait tout perdu. Il n'était pas méchant - il était même bon! Il était juste - du mieux qu'il tâchait de l'être et il se pensait plutôt de bonne compagnie mais il comprenait qu'il essayait de se boucher les oreilles, autant les siennes que celles de son esprit, pour ne pas avoir à faire face à ce qu'il avait perdu.

Ses repères, son père, et, somme toute, toute son innocence.

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Que sa requête prit de court Madame Fée prit de court Rusty : il n'avait plus eu mention des Étoiles depuis sa visite (malencontreuse) (accidentelle surtout) chez elle et il en avait oublié un détail.

Pouvait-on vraiment lui en vouloir? L'explication de Madame Fée il y avait deçà quelques saisons avait été aussi révélatrice qu'emmêlée.

— Qu-- Bah ouais, la vieille aîné fit quand même l'effort de répondre à son protégé, la Toison Argentée c'est super grand, Elles ont toute la place, mais qu'est-ce que tu me racontes à vouloir y aller? ... Les grandes oreilles de Rusty à l'écoute d'autrui s'agitaient toutes les deux des deux côtés. Tes griffures sont pas si profondes que ça, reprit Madame Fée, fais pas la chochotte, tu vas pas clamser pour ça! »

Il se rappelait des Étoiles.

Elles étaient tout - tout pour Madame Fée et son neveu Esprit Soucieux, tout pour les Clans ou selon elle, tout ce qui donnait raison à la création de ces-derniers. Il avait juste oublié un détail, celui qu'Elles s'agissaient de « chats valeureux décédés avant [eux], et ils veillaient sur [eux] d'en haut (dans la Toison Argentée.) ».

Les Étoiles ce n'était pas un nom de Clan, comme le Clan de l'Ombre, ou celui de la Rivière, ou du Vent ou du Tonnerre - ceux qui « rejoignaient les Étoiles » ou qui étaient « gardés par les Étoiles » étaient morts - la Bouboule Nerveuse était morte.

« N-... »

Rusty ouvrit sa gueule, pointa le bout de ses oreilles très haut et sursauta des moustaches sur un gazouillis de protestation, avant de claquer les dents ensemble. Ses oreilles se pivotèrent à sa négation:

— « Non! Un cri du cœur. Ce n'est pas ce que je voulais dire !

Cœur marqué de trois griffures.

Le mal était fait toutefois, et les yeux de son Esprit visualisèrent une seconde l'image du Père qui se dissociait en centaines de poussière d'étoiles pour être balayé par une vive bourrasque de vent, piquant Rusty à secouer vigoureusement sa tête pour chasser ces sombres songes.   Il se retenait d'y penser.   Que la place qu'il voulait auprès des Étoiles n'était pas pour lui.

Un hoquet, sa gorge se noua, il prit quelques secondes avant de pouvoir formuler ses mots - d'oser dire à Fée ce qu'il n'osait plus se cacher : --seulement que, depuis un moment, ma maison est vide ... »

Un demi-sourire face à son état pitoyable, ses oreilles s'aplatirent au possible sur sa tête et il souleva ses épaules sans grande énergie, plissant une paupière au mouvement qui fit s’enflammer ses plaies à vif dans le froid frisquet du printemps.

— « Je suis tellement stupide...

Il lorgna derrière lui, vers le sac de Croquettes qu'il avait traîné dans la neige.

Tout le monde se fiche de ma bonne attitude et de mes intentions, il n'y a que les griffes qui les intéressent... »

Mais lui ne se fichait pas de l'attitude ou des intentions d'autrui - Madame Fée, voire Sugaar ou Waffle ou Trash ou même Toucan, ils leur avait tous laissé une chance, et même la petite Frimousse du Vent s'était laissée aider lorsqu'ils avaient été tout deux trouvés par la chatte toute gonflée du Clan de la Rivière.

Il sortit ses griffes dans la neige, baissant ses yeux dessus, las, fatigué, engourdi par le froid de la neige et la douleur à sa poitrine.

Serait-il capable un jour d'infliger à un autre les trois ou quatre marques que lui avait infligées Tache d'If ? Ou bien romprait-il le Cycle en le déterrant à sa racine comme l'avait faite Madame Fée de la digitale qu'il avait trouvée?

Une plante dangereuse, mortelle, qu'elle avait su manipuler avec prudence et avec soin. Peut-être que sa situation demandait la même chose de sa part. Du soin.

« ... Vous avez faim? »

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hrp:

OUI  elle avait faim, et lui aussi, et ce point commun aussi maigre que la vieille chatte fut pour Rusty l'équivalent d'une petite victoire. Il la regarda trottiner sans peur aucune vers son sac de croquettes, affaissé et figé dans la neige, et lorsque le regard de la vieille s'illumina, celui du Domestique reluit aussi.

— « Des croquettes ! Elle s'exclama. Oh la chance ! »

La scène et l'enthousiasme de Madame Fée se juxtaposèrent dans les yeux de son esprit à celle de Tache d'if et sa mauvaise foi

« Nous n'avons pas besoin de toi. »

« Si tu continues d'en ramener tout plein comme ça, même Soucisoucieux pourra pas pas t'aimer, tu s'rais presque un chasseur! »
« Si tu veux me rendre service, ne revient plus jamais ici. »

Rusty força ses commissures dans un sourire faux en toute bonne politesse, tentant de puiser la meilleure volonté qu'il put (qu'il lui restait?) pour se hisser sur ses quatre pattes tremblotantes et se lever, pointillant le sol de gouttelettes de sang qui s'espaçaient.

— « Ce ne sont pas n'importe quelles croquettes, il commença alors, le ton comme vieilli. Ce sont des super-croquettes, molles sous la dent mais pas trop, qui m'ont données la force de transporter à deux reprises un sac lourd comme celui-ci sur toutes les longueurs qui séparent la Ville de votre Bourbier.

Il s'arrêta juste devant, baissant les yeux sur le sac.

— Je voulais juste les partager, vous savez.

Puis sur ses plaies.

— On m'a attaqué pour ça.

Il sortit les griffes et les tendons de son avant-main se nouèrent distinctement sous sa fourrure pour faire ressortir non plus l'apparence de rien-qu'un-petit-chat, mais celle d'un athlète qui s'entraînait depuis des mois. Il leva la patte:

« On m'a attaqué pour ça! »

Mais affaibli par ses plaies, sa tentative de griffer le sac lui fit rater sa cible et la force de l'élan le faucha par terre, tombant sur le coude, l'impact de la chute lui arrachant un petit pépiement de stupeur - de douleur ensuite.

Sa respiration était courte, « Hh_-Hh » cette montée de rage n'avait rien donné et l'avait même affaibli. Il mit ses grandes oreilles à plat sur sa tête, poussa un long soupir, et s'avoua vaincu.

Pourtant, il prit la peine de sortir sa patte d'en dessous de lui pour la monter sur le sac, les griffes toujours sorties, traversant la carapace du sac d'une lente coupure verticale dans le "découper-ici" qui ouvrit son trésor de super-croquettes à l'air libre. Il ôta sa patte d'un geste défaitiste, un « servez-vous » au bord des lèvres qu'il n'avait même plus l'énergie de dire.

HRP:

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