Soir ou matin ? (avec Boule Orangée) - abandon

Avant l'aube, comme à son habitude, Mat avait patrouillé le long des frontières du Clan de la Rivière. L'été arrivait bientôt, et la menace des Lunar Pod avait été levée. Petit Blaireau était revenu parmi eux. Perche Farouche semblait l'aimer et il avait quatre jolis chatons qui l'inspiraient. Son apprentie Nuage de Nuit progressait de jour en jour. Le rouquin avait tout pour être heureux. Et pourtant, une inquiétude commençait à croître en lui, prenant la forme d'une blessure dans la bouche qui au lieu de se refermer, semblait s'étendre lentement jusqu'au crocs et rester anormalement douloureuse.

Ce jour-là, Nuage de Nuit était envoyée en patrouille de chasse sans lui. De temps en temps il fallait bien les séparer un peu si l'on voulait que la petite demeure intelligente. Mat avait hâte de lui apprendre à se bagarrer efficacement, mais cela viendrait plus tard. Apaisé, il décida d'aller voir l'autre gamine de sa vie, sa fille, qui à cette heure-là, était sans doute réveillée, en train de donner des consignes très fermes à ses frères sous le regard approbateur de Perche Farouche.

" Devinez qui c'est qui c'est qui arriiiiiive ?! " lança le rouquin, prenant la voix exagérée de quelqu'un d'autre, et entrant théâtralement dans la pouponnière.

Il commença par léchouiller l'oreille de la reine qui remarqua sans doute une mauvaise odeur dans sa bouche, mais qui resta tout de même tranquille et souriante pour n'affoler personne. Mat comprit qu'ils auraient une discussion à ce sujet dans peu de temps et eut une grimace espiègle qui amusa Petit Renard et Petit Goujon, qu'il gratifia chacun d'un vigoureux coup de museau sur le cou. Comme Patte Grise lui demanda d'où il sortait il lui répondit :

" J'ai voulu pécher mais j'ai rien trouvé du tout. Du coup j'viens ici et qu'est-ce que je vois ? " raconta-t-il, comme si c'était le début d'un récit passionnant. Il s'interrompit, parcourant les alentours d'un regard vif, et brusquement, saisit Boule Orangée par une de ses pattes et la fit monter sur lui dans une sorte de parodie de geste du chasseur. " Une petite Boule Orangée !!! Miam ça doit être bon, ça ! " s'exclama-t-il, triomphal, en reniflant Boule Orangée par-dessus son épaule.

Comme les autres riaient, surtout Petit Renard, il décida de prendre Boule Orangée par la peau du cou pour ne pas la laisser s'enfuir. Mais du coup, il ne pouvait plus parler. Avec un regard éloquent, il fit comprendre à Perche Farouche qu'il reviendrait vite, et quitta la pouponnière en s'assurant qu'aucun de ses fils ne le suivrait.

Il avança, l’œil fier, à travers le camp de la Rivière, toujours en portant sa fille par la peau du cou, et il finit par la déposer non loin du tas de gibier. A cette heure-là, le soleil se levait et le ciel clair de ce matin s'illuminait d'un rose délicat et d'un orange vif pour former un spectacle fort agréable pour les yeux. Il avait pris l'habitude de ces jolis tableaux, mais leva tout de même les yeux pour que sa fille n'en perde rien. C'était comme un entracte dans sa petite comédie. Finalement, le rouquin reprit ses grimaces, une lueur douce de provocation dans le regard :

" Alors Mademoiselle ! Maintenant que je t'ai pêchée, il faut que je te mette dans le tas de gibier, pour que quelqu'un vienne te manger, hein ? "

Le tas de gibier, bien maigre encore à cette heure de la journée, n'en était pas moins assez grand pour y dissimuler un chaton.

Matin Embrasé connaissait très bien sa fille car celle-ci était effectivement en train de jouer avec ses frères en leur imposant des règles très ferme pour un simple jeu enfantin, mais il fallait marcher aux pas avec la petite chef ! C'était du sérieux tout ça. On pouvait malgré tout constater que Patte Grise n'avait pas l'air d'apprécier beaucoup les ordres qu'on lui donnait même s'il était difficile de contrarier sa sœur qui pourrait facilement le mettre à terre après s'être vexée.

" Devinez qui c'est qui c'est qui arriiiiiive ?! "

Cette voix, la jeune rouquine la reconnaîtrais entre cent, même sur ce ton. C'était son père qu'elle admirait et adorait tant ! Il était difficile de ne pas l'entendre arrivé, un vrai comédien, impossible qu'un seul chat ne le remarque pas. Boule Orangée fut la première à courir vers son père suivit immédiatement par tous ses frères.

«-Papa ! »

Ils furent très synchronisés en appelant Matin Embrasé tout en lui faisant la fête, surexcité et circulant entre ses pattes. Il se faisait même attaquer une patte avant par l'un des chatons dont l'on taira le nom.

« Tu restes jouer avec nous ? On invente un jeu ! C'est moi l'chef et on doit se battre pour être chef, tu joues avec nous ? Hein ? Papa ! » disait-elle entre deux vilains machouillements sur son père mais Patte Grise posa une question avant elle, demandant à Mat' d'où il venait.

" J'ai voulu pécher mais j'ai rien trouvé du tout. Du coup j'viens ici et qu'est-ce que je vois ? " raconta-t-il,

La petite rouquine s'attendit à un récit incroyable et arrêta aussitôt d'attaquer son père, buvant ses paroles. Elle était complétement fan à vrai dire, et s'était bien le seul chat qui avait le moyen de la calmer.

« -Qu'est-c'tu vois ? », demanda Orangée qui avant même de s'en rendre compte vu attraper par l'adulte qui continua tandis que la chaton rigolait en basculant sa queue de gauche à droite signifiant qu'elle était prête à jouer.

"-Une petite Boule Orangée !!! Miam ça doit être bon, ça !
«-Oh non ! Je suis pas une proie moi ! C'moi qui chasse d'abord ! »
Elle s'attaqua à l'oreille de son père en la mordillant un peu trop fort pour un jeu, ce qui amusa évidemment toute la portée qui riaient. Ni une ni deux, elle finit attrapé dans la gueule de son père qui dégageait une odeur pas très agréable mais ça n'inquiéta pas la jeune chatte pour autant, qui se disait juste que son père avait dû manger un truc pas très frais. Elle se demanda pourquoi son père l'emmener sans ses frères mais ça lui allait, une sorte de sentiment d'être l'élu la rendit toute fière.

« On va où papa ? On va chasser ?! On va manger ? Tu devrais manger un truc, tu pues de la gueule, papa ! »

Boule Orangée eut les narines qui s'activèrent en voyant et sentant le tas de gibier qui se trouvait près de l'endroit où Mat' la déposa. Pourtant, ça n'avait pas l'air d'être la raison de leur venu car son père tournait son regard vers le ciel, ce qu'imita immédiatement Orangée comme d'habitude, elle faisait tout ce que faisait son père au mouvement de moustache près. Elle put ainsi constater que c'était un bien beau spectacle qu'elle admira avec bruit.

« C'est beau... Wouah .. Le ciel on dirait notre pelage papa ! »

La jeune rouquine n'oubliera sans doute jamais ce moment, où son père regardait d'un air calme et serein le ciel peint tel un tableau. Elle qui ne prenait jamais le temps de regardait le paysage, peut-être ferait-elle plus attention à présent. Matin Embrasé tourna son regard à présent sur elle, reprenant ses grimaces et sa fille comprit qu'il n'était plus temps de contempler le soleil levant !

" Alors Mademoiselle ! Maintenant que je t'ai pêchée, il faut que je te mette dans le tas de gibier, pour que quelqu'un vienne te manger, hein ?
-Viens essayer si tu peux ! Moi j'suis la plus forte, j'casse les dents à tout le monde si je veux ! »

La petite boule de nerf était en position de chasse, prête à sauter sur son père au moindre mouvement qu'il ferait, son regard était joueur en fixant son père tout en bougeant juste le bassin pour montrer son agilité.

« -C'est toi qui va finir dans le tas de gibier papa ! , disait-elle dans un rire diabolique tout en sautant sur la seule chose qui était à sa portée encore une fois, les pattes de son père.

Il ne valait mieux pas être trop sensible pour jouer avec cette petite furie qui n'avait pas encore apprit à contrôler sa force ainsi que ses griffes.

« Viens essayer si tu peux ! Moi j'suis la plus forte, j'casse les temps à tout le monde si je veux ! » riposta l'autre, imperturbable. Sa conviction amusée fit pouffer de rire son rouquin de père, tout comme sa petite position de chasse. Haute comme trois pommes elle semblait tout de même avoir le sang chaud.

« La plus forte du tas peut-être ! se moqua-t-il affectueusement.
- C'est toi qui va finir dans le tas de gibier papa ! » menaça-t-elle ensuite en lui bondissant dans les pattes.

Mat voulut la laisser faire mais la petite, farouche, n'hésitait pas du tout à enfoncer les griffes. Voilà qui ne devait pas amuser ses frères... Mais peut-être qu'ils la laissaient faire. Un père plus sage que lui aurait sûrement essayé d'éduquer un peu plus la sauvageonne, mais il ne s'en sentait pas vraiment la force ni l'autorité. Il repoussa donc les pattes de sa fille en se débattant agilement et finit par mettre ses propres pattes par-dessus Boule Orangée, sans réelle force.

« Ah ! Saperlipopette ! Tu m'as fait mal ! Aaaaaaaaaaaaaaaaaah ! » cria-t-il, dans une superbe imitation du cri d'agonie d'un héros ridicule qui contenait de moins en moins sa détresse jusqu'à exploser en pleurs de chochotte : « Bouhouhouhouhou ! »

Et il se roula par terre, feignant une douleur terrible, emportant avec lui la gamine, et jouant habilement à manquer de peu de l'écraser à chacun de ses gestes.