Don't put the blame on me [Prio Beaucoup trop de monde] - end

Un bruit, un infime bruissement de quelques feuilles, un furtif craquement de branches. Rien de bien inquiétant dans le camps du Tonnerre, mais il n'en fallut pas plus pour réveiller la vigilance aiguisée de Vipère Audacieuse qui ouvrit subitement ses fins yeux bleus. Ce n'était pas juste un quelconque matou qui sortait s'aérer, l'air puait l'appréhension, l'adrénaline même. Quelque chose bougeait, et si personne ne semblait s'en rendre compte, il était hors de question que la Pupille laisse passer ça. Elle attendit quelques instants après que les cachotiers soient sortis de la tanière des guerriers puis se lança à leur suite, intriguée. Au bout de quelques courtes minutes, une petite troupe s'élançait hors du camps du Tonnerre, suivie de près par... les chatons. La siamoise ne tarda pas à comprendre ce qu'il se tramait, et pris le chemin de la rivière, quelques dizaines de mètres derrière eux. A mesure qu'ils s'en rapprochaient, les fumets tenaces des chats-poissons emplissaient ses narines et les doutes s'évaporaient de son crâne. Le but de l'opération était clair.

Après avoir traversé les Rochers du Soleil, le petit groupe finit enfin par fendre l'obscurité et s'approcher près des berges, avec toujours une discrète siamoise à leur suite. Dissimulée derrière les Rochers, elle tentait de suivre la scène entre deux talus d'herbes humides. Elle plissa ses yeux en forme d'amandes, essayant de mettre des noms sur les pelages de ces enflures. Elle reconnut la fourrure tigrée de Graine de Tournesol, sans grande surprise. Il avait toujours été un traître pour elle, comment un chat domestique pouvait-il devenir un guerrier de valeur ? Il avait beau être costaud et fier, elle était persuadée qu'il ne valait pas mieux que le pire des apprentis. A sa suite, Plume Duveteuse, une guerrière avec qui elle n'avait jamais eux un seul contact. En tout cas son avis sur elle était désormais fait. La siamoise décida de s'approcher à nouveau tout en s'arrangeant pour rester en surplomb par rapport aux autres chats.

De l'autre côté de la berge, des silhouettes s'avancèrent, et l'une d'elle accrocha l’œil de la guerrière. C'était ce gosse qui avait assisté à l'assassinat du pauvre Étoile de Corbeau. Elle remua les oreilles et fit claquer ses crocs, se demandant si il pourrait la reconnaître. Il lui semblait que c'était des centaines de lunes auparavant qu'elle avait fait couler le sang du chef de la poiscaille. Un apprenti traversa l'eau, et remercia l'ex-domestique. Elle décida alors de se montrer, et sortit de sa cachette, laissant la lumière de la lune l'éclairer et révéler sa présence.

《 Comment osez-vous... 》feula-t-elle, bien que quelque chose sonnait étrangement faux dans ses mots. Sa mâchoire se serra de colère, colère à l'égard des traîtres à causes de leurs actes, mais surtout car ils lui imposaient un dilemme auquel elle n'aurait jamais pensé avoir à faire. La Vipère était partagée, pour la première fois de sa vie, entre sa loyauté et le sens moral. Elle n'avait jamais approuvé le choix d’Étoile de Suie de kidnapper ces chatons, mais elle n'estimait pas avoir son mot à dire, suivant toujours ses principes loi de loyauté sans faille. Sa queue fouetta l'air, mais cela ne suffit pas à dissiper l'énorme tension qui flottait au dessus de la rivière. Elle finit par stopper ces mouvement frénétiques et cligna des yeux. Elle avait fait son choix. Une éternité sembla passer. Elle plongea son regard glacial dans les prunelles des trois chats du Tonnerre, puis dans ceux de ce matou qui avait vu mourir son ancien chef de ses griffes. Elle ne parla pas plus, estimant que le message était clair. C'était la première et dernière fois que la siamoise faisait cela. Que cette histoire s'évanouisse dans l'oubli. Sans le moindre coup d’œil à l'égard des chatons, elle s'apprêta à faire volte-face et à replonger dans la nuit.

Alors qu'elle s'apprêtait à tourner les talons, les paroles de Graine de Tournesol la retinrent :

《 Ne prends pas cet air offusqué. Toi aussi, tu étais contre. Tu ne me fera pas croire que tu as approuvé l’enlèvement de ces petits. Tu sais aussi bien que moi que c’est contraire au Code du Guerrier. Je sais aussi que la parole d’un Chef fait loi. Mais j’ai des raisons personnelles à avoir rendu ces petits à leur Clan qu’ils n’auraient jamais dût quitter ! Tu comprendrais, si tu avais été arrachée à ta famille à un très jeune âge. 》

Elle se retourna vers lui, fixant ses prunelles jaunes qui scintillaient dans la nuit grise. Il ne comprenait rien aux raisons de la guerrière, mais ce n'était pas étonnant venant d'un ancien domestique comme lui. Elle avait assassiné de sang froid le chef d'un Clan voisin et soutenu Étoile de Suie jusqu'à son dernier souffle. Croyait-il vraiment qu'elle se souciait du Code du Guerrier et de ce que ses ancêtres montés dans ce prétendu Domaine des Étoiles penseraient d'elle ? Il était bien trop tard, trop de sang avait coulé, elle s'en fichait à présent, et comme il l'avait habilement rappelé, seule la parole du chef faisait loi. Si elle ne les dénonçait pas et ne les faisait pas bannir à vie en cette chaude soirée, ce n'était que pour l'unique raison qu'elle refusait de mêler des enfants à cela. Si sa pitié et sa compassion étaient très limitées, elle se rendait bien compte que ces chatons n'avaient rien à voir dans ces histoires. Elle n'avait jamais eu aucun remords à égorger un autre chat, elle avait toujours estimé qu'un guerrier qui empruntait le chemin du champs de bataille comprenait et acceptait les risques et les possibles conséquences de ce choix. Il n'y avait aucune pitié à avoir pour une grive qui finissait dans la gueule d'un chasseur, si ? Non, car il s'agissait là de son rôle. C'en était de même pour chaque matou de cette forêt qui avait choisi la voie martiale, selon Vipère Audacieuse bien sûr. Alors oui, elle acceptait que justice soit rendue pour ces chatons, mais si dans quelques lunes elle les recroisait au détour d'un combat, elle n'hésiterais pas un instant à se débarrasser de leurs minois aujourd'hui si mignons. C'était elle ou eux de toute façon. Tel était le cycle naturel des choses d'après la Pupille, qui ouvrit une dernière fois la bouche du haut de son rocher :

《 Ce n'est plus la peine de se justifier, Graine de Tournesol. Pense de moi ce qu'il te plaît. 》 Elle remua ses grandes oreilles noires et se détourna enfin de la troupe, les laissant finir d'accomplir leur traîtrise justicière. S’enfonçant dans la forêt, la Vipère se laissa aller à quelques rêveries, se surprenant à avoir hâte que tout cela soit fini. Que cette bataille qui se rapprochait à grands pas et devenait inévitable passe et qu'elle puisse voir ce qu'il advenait du Tonnerre après Suie. Mais avant, il faudrait se préparer au combat.