New Lives [Feat. Fée, Taupe] - end

[...] Il m'a dit de ne pas m'en faire avec ça, mais je trouvais que c'était plus prudent de venir vous demander vos conseils. »

Il avait couru, et à bon rythme, la distance séparant le bourbier de la ville en empruntant le côté de l'autoroute - plus besoin de transporter des sacs de croquettes à bout de dents ou de s'y tordre la mâchoire, il était libre de ses mouvements cette fois et l'entraînement avait fait s'améliorer son cardio avec brio!

« Après tout, l'abyssin semblait plus réjoui, le contraste visible depuis sa dernière fois dans les parages, près du bourbier, c'est bien vous qui m'avez aidé la dernière fois! »

Rusty ne savait pas que la baie de sureau n'avait pas guéri ses trois blessures, qu'elles avaient finies par guérir d'elles-mêmes (donc mal, d'où leur taille), mais il croyait dur comme de fer à la non seulement bonne volonté de la vieille Madame Fée, mais aussi à ses capacités de Véto des chats chez elle.

— « Ainsi, si jamais sa compagne devait mettre bas près de chez moi, que devrais-je faire pour me rendre utile ?

Il avait croisé Waffle près de chez lui, et sa compagne plus discrète, Plume Duveteuse, qui se cachaient dans la forêt du courroux de la Chatte Anthracite. Bien que la situation aurait pu se prêter à une moquerie, Rusty n'avait rien dit et avait promis à son ami qu'il verrait s'il ne pouvait pas les aider. Leurs mouvements à eux étaient restreints mais pas les siens.

« Je suis désolé d'arriver si tard, d'ailleurs...! » Il chercha à plaisanter, sa fourrure d'habitude si claire le jour s'étant ternie avec la nuit, rougie par la drôle de lune accrochée dans le ciel. Il lui semblait pouvoir entendre, au loin, des feulements et des miaulements qui se tordaient dans des notes suraigües mais il préféra ne pas trop s'en soucier... Il se disait que sa ponctualité serait excusé par son respect du territoire, se tenant à la lisière entre la marque olfactive et la dépression dans l’accotement de la chaussée, assit, le dos droit, et ses grandes oreilles en paraboles bien ouvertes à tout conseil qui fut de l'aînée.

— T'as bien fait kiddo, mieux vaut d'mander maintenant que quand elle aura le croupion couvert de sang, ah ah!
— Madame Fée!... protesta tout bas Rusty, le sourire poli aux lèvres, mais tiré par la détresse de ne pas savoir comment répondre à ce genre d'allégations.

Ses grandes oreilles paraboliques s'étaient couchées sur sa tête pendant que la vieille aînée grinchait de son rire éraillé:

— D'ailleurs si tu la badigeonne d'millepertuis, ça peut aider à c'qu'elle s'déchire pas l'entre-cuisse, si ça devient trop tendu!
— « Millepertuis... Ce sont les jaunes à tout petit poil ou ceux en forme "d'Étoiles" déjà?
— « Et, et la framboise, la feuille, ça vient tout détendre les --

Et soudain un cri - un miaulement déchira la nuit et fit sursauter les deux âmes qui firent arrachés de leur discussion en rondissant les yeux et en dressant bien hautes leurs grandes oreilles respectives. Rusty pivota l'une des siennes vers l'extérieur, tournant la tête, cherchant la provenance du son, avant de se statufier complètement en se rendant compte qu'il était plus loin, sur le territoire. Le territoire sur lequel il n'avait pas le droit de marcher, aussi la détresse qu'il envoya à Madame Fée se fit dans toute sa réserve à se faire le plus poli possible!

Mais la situation ne se prêtait plus aux politesses, et même la peu lucide véto des chats arriva à la même conclusion. Ils ne s'échangèrent rien qu'un regard:

— « Ça semble pas jojo tout ça. ... Guides moi!
— -- Oui, suivez-moi! »

Il hocha la tête, fronça ses sourcils et se mit en chasse - la première foulée le fit glisser sur la surface du bourbier et sa queue fit un tour sur son axe pour le rééquilibrer et il n'eut plus de problème en sortant les griffes, se permettant une meilleure adhésion au sol. Chaque allonge faisait s'éclabousser les côtés en petits éclats de vase et d'eau et il s'entendait respirer - non -- il entendait une très forte respiration. Aussitôt toutefois il mit les freins entre lui et l'aînée et se positionna perpendiculaire à la chatte, non loin, couchée dans un tapis d'épines sous un pin.

— Du sang, il dit à la vieille, veillant à compenser pour les sens qu'elle perdait. Une chatte, petite, elle est couchée et elle respire fort. Bien que son cœur tambourinait dans sa poitrine, Rusty n'aurait, en toute bonne conscience, pas été capable de passer son chemin sans l'interpeller.

— « Excusez-moi! »

Il se ravisa avant de poursuivre, rentrant le menton dans le cou en se rendant compte que ce n'était pas sa place de savoir si on aidait ou non les étrangers sur ce territoire. C'était celle de Madame Fée.

C-ce n'était pas une scène à laquelle un petit chat entraîné par un humain à faire des tours était habitué d'assister. Il n'était pas question de support, d'appuis ou de jeux d'équilibre en raidissant la queue - il y avait une chatte sous le pin, dans un territoire sur lequel il n'avait pas le droit de marcher, en train de mettre bas à de toutes nouvelles vies et Rusty sentit ses tripes se tordre d'un côté comme de l'autre en perdant de plus en plus sa contenance.

— « Je. hhh, ne vous fiez pas à mon odeur, je vous en prie ! »

Qu'est-ce que ça voulait dire ?

— « Mppff.... Je.. je ne suis plus avec ces maudits Luneux je... hfff.. »

Luneux?

— « [Je] suis une ancienne chatte de la Rivière, qui regrette ses Étoiles perdues et qui.. gnn .. qui... »

Elle était une chatte sauvage du Clan de la Rivière et maintenant ne l'était plus? Elle regrettait d'avoir tourné le dos à ses ancêtres ? Rusty dut lourdement interroger des yeux la sage-chatte qui fixait la rondelette petite future-maman qui sommait d'ailleurs la venue de son nouveau titre:

— « Et un petit arrriiiiiiiiiiive !

Le miaulement s'érailla à la fin et secoua l'abyssin d'un frisson de peur, oui, mais plutôt d'une inquiétude véritable aussi, gagné par l'instinct de vouloir aider cette pauvre âme dans sa douleur. Il remarqua que Madame Fée à côté ne semblait touchée par son explication que par les morceaux qu'il ne comprenait pas (la dévotion de ne rester fidèle qu'à un seul Clan, par exemple), et il leva effectivement des yeux brillants de question à sa vieille amie qui, pour ne fois, ne laissa pas son Esprit s'Envoler.

— « Bon, surveilles-moi ça, je vais aller chercher quelques trucs.
— « Madame Fée??
— « Apportes-lui des boules de mousse -- Il se positionnait déjà pour galoper, elle se ravisa: non, surveilles-la, c'est mieux, assures-toi qu'elle clamse pas, et que personne lui colle au cul!

L'abyssin aplatit ses oreilles sur sa tête mais le poids de celles-ci ne lui empêcha pas de hocher frénétiquement de la tête, déglutissant à la fin en sentant sa gorge devenue sèche.

— Si elle chigne trop, fous-lui un bâton dans la gueule, elle se mit déjà en course, et si ça semble coincé, tu t'assoies sur son ventre ok ?
— Attendez- que je QUOI !? »

Et il recula à peine de quelques pas, tendant la tête et le cou pour lui poser plus de questions que le souffle de la future-maman tout près attira toute son attention, lui faisant pivoter une oreille, lever une patte et se retourner vers elle à son intention. Rusty se fit violence pour s'exhorter au calme, et opta de dépenser son excès de stress en se mettant dans un trot militaire, serré, à patrouiller autour de la future-mère en s'assurant de regarder dans tous les angles autour d'eux pour que personne ne vienne "leur coller au cul".

Un râle d'effort le déstabilisa, il se hâta vite-fait vers la mère pour se pencher à la hauteur de sa tête.

« T-tout va bien aller, l-l'important c'est de -, de... il perdit le fil de son idée et son regard suivit le ventre de la chatte avant d'arriver à la courbe de sa cuisse - et il détourna vivement la tête pour lui laisser son intimité, n'osant trop regarder qu'entre celles-ci s'ouvrait au monde une petite boule détrempée de sang, au poil or et brun dont la respiration était enterrée sous celle de sa maman.

D-d-de continuer de faire comme vous faites! D-déjà un chaton! C'est du bon travail!! »

Elle faisait du bon boulot Elle faisait du bon boulot Elle faisait du bon boulot- il la cliquait de claquement de langue - même lorsqu'il la vit déchirer la poche organique du chaton et la m a n g e r - et se lécher les babines - et lécher le chaton et oh, Rusty aurait presque put sentir les poils blancs de son menton s'étendre et lui blanchir le nez jusqu'à lui blêmir toute la face, tétanisé devant la scène.

« Petits Crocs... »

Le Chaton or et et brun eut un mouvement et toute la peur de l'abyssin fondit pour s'attendrir devant la scène d'une mère et son petit, sentant ses oreilles s'abaisser et ses paupières se plisser d'une amertume dont il ne comprit pas tout de suite l'origine.

— « Eh bah pour une puritaine d'la Rivière, t'as l'entre-jambe plutôt laxe ma jolie.

Madame Fée revenait et Rusty sortit de sa torpeur, reculant pour lui dégager le passage, souriant au claquement de langue irrité qu'elle émit en le confondant pour un clic à louanges qui fit partir son ronron comme un moteur. Madame Fée s'étira de ses longues brindilles de jambes pour vite empoigner Petits Crocs à la maintenant-mère et l'écarter - sans doute en prévention de la suite de la portée. Rusty s'apprêtait à retourner patrouiller que la vieille aînée, jonglant des baies sous sa patte, posa le petit à ses pieds et il-

-il s'immobilisa,

les yeux ronds,

les baissant sur le minuscule individu qui prenait vie en dessous de lui.

Les ordres furent clairs:

— « Tu le mets contre ton poitrail et tu le tiens bien au chaud!
— O-oui -- bafouilla Rusty en obéissant presque immédiatement, s'asseyant, puis se couchant dans la vase et tenant très près le chaton sourd et aveugle contre lui pour le bercer des battements de son cœur. Pas de « je peux faire quelque chose pour aider? » cette fois car Madame Fée lui avait donné sa tâche et il était prêt à protéger cet enfant au péril de sa vie s'il le fallait.