Début et fin || [naissance de Petite Biche et Petite Colombe] - abandon

Son ventre était tendu au possible, signe que ses petits ne tarderaient pas à voir le jour. De toutes façon, la reine de glace ne pourrais plus tenir bien longtemps ; chaque jour qui passait, elle bougeait un peu moins, ne mettant plus un pied hors de l'habitacle aux senteurs de lait. Un petit donna un coup de patte de l'intérieur de son ventre et elle roula sur le dos en étouffant un miaulement plaintif. Elle tenait encore bon, pour eux, mais son âme lui avait déjà été comme à moitié arrachée et son corps tombait progressivement en lambeaux. Sur sa nuque, des poils poisseux se dressaient, qu'elle n'arrivait plus à atteindre - faute de volonté et de forme physique. Et plus personne n'était présent pour lui faire sa toilette ou la rappeller à l'ordre, sinon les autres reines qui tentaient parfois vainement de l'aider, la prenant en pitié.

Une douleur bien plus aiguë qu'à l'ordinaire la fit gémir, distinctement cette fois-ci, tandis qu'elle s'arc-boutait. C'était une nouvelle contraction, un signe que ses bébés arriveraient dans les minutes ou heures à suivre. Voir peut-être maintenant. Chant d'Alouette couina à nouveau avant d'envoyer le félin le plus proche chercher le guérisseur, l'aide guérisseur ou encore l'apprenti du guérisseur mais déjà elle leur donnait naissance. Ce saisissant d'un bâton pour y planter ses crocs, la femelle brisée commença le travail, tout son corps fragile secoué par la douleur, tandis qu'autour d'elle arrivaient les secours, s'affairant pour que tout ce passe le mieux possible. Un premier chaton vit le jour, aussitôt léché par l'une des reines de la pouponnière et Chant d'Alouette tenta de se redresser, sans succès, pour voir son enfant. Son souffle se faisait de plus en plus court et sifflant et son énergie disparaissait pour de bon. Puis un autre chaton sorti à son tour, le dernier. La reine d'or ne bougea pas, étendue sur le flanc, tentant de reprendre son souffle.

On lui tendit le premier chaton, aux poils tout comme elle, d'or rayé. Chant d'Alouette la lécha un court moment et la laissa se réfugier contre son ventre aux effluves laiteuses. La petite bataillait pour atteindre un mamelon pauvre en lait, laissant déjà échapper des couinements ; c'était la plus vive des deux nouvelles nées, une guerrière née. 《 Petite Biche 》, souffla la mère ; un animal sauvage mais tellement élégant. Avec ce nom, espérait Chant d'Alouette, peut-être sa fille trouverait-elle le grand amour, peut-être aurait-elle cette chaleureuse famille qu'elle-même n'avait pas su avoir.

Puis la seconde petite lui fut collée entre les pattes ; l'enfant était plus calme, moins chahuteur. Ses poils étaient gris clairs, constellés de tâches plus foncées de la même couleur que ceux de son défunt grand-frère. La reine toucha le poil de l'enfant du bout de la patte, la poussant contre son ventre rejoindre sa sœur. 《 Petite Colombe 》. Elle espérait que l'animal totem de la paix porte chance à la douce petite tout au long de sa vie, que l'enfant ne traverse jamais nulle guerre - mais c'était utopique, elle le savait pourtant.

Les mises-bas n'étaient pas anodines au sein du Clan de l'Ombre. D'une saison à l'autre, on pouvait assister à la naissance d'une nouvelle portée – une tragédie ou un bonheur à la clé – et observer les visages bienheureux des jeunes parents à qui le Clan des Etoiles avait décidé de donner une progéniture. Souffle de l'Ouragan, dont la candeur d'esprit n'avait d'égale que son jeune âge, se disait que ce genre de choses n'était pas encore de son ressort et qu'il avait tout son temps pour songer à avoir une descendance. A vrai dire, l'existence qu'il menait le rendait déjà heureux : Cœur de Mimosa ne se trouvait jamais trop loin de lui et il voyait ses amis grandir, prendre leur place dans le cycle de la vie et tisser de nouveaux liens bénéfiques pour leur évolution guerrière. Il s'amusait gentiment des déboires de Bouquet de Muguet concernant l'éducation de ses quatre merveilleuses petites filles – il trouvait en l'esprit de son amie une trace de maturité malgré son air naturellement farceur et enfantin. Cœur de Mimosa... Quand aurait-il le courage de se prononcer quant à leur relation ? Le Clan des Etoiles leur avait-il destiné un avenir où les arbres représentant leurs existences avaient les branches entremêlées entre elles ? Le chat au pelage sombre n'en avait pas encore la confirmation, mais cela ne saurait tarder.

En attendant, dans la clairière, les activités s'accéléraient. Les aller-retours entre l'antre du guérisseur et la pouponnière n'en finissaient pas. Souffle de l'Ouragan riait d'avance de la mine blasée de Nuage de Corbeau qui avait alors bien du travail sur les pattes ! Le guerrier, dans sa curiosité la plus bienveillante, osa s'approcher de la pouponnière pour voir quelle reine était en train de mettre bas. Son sourire naissant se crispa lorsqu'il reconnut Chant d'Alouette et son corps tordu de douleurs dans sa litière défaite. Les reines se pressaient autour d'elle, dans l'espoir de l'aider. Le jeune mâle, ne sachant que faire pour aider sa vieille amie d'enfance, attendit sagement que les choses se fassent d'elles-mêmes depuis l'extérieur. Il ne sut trop combien de temps il avait attendus lorsque l'agitation se dissipa dans le camp. Il pénétra dans la pouponnière et jeta un coup d’œil au ventre de la reine brun dorée. Son soulagement fut visible lorsqu'il vit deux petits chatons en train de téter le lait de leur mère. Chant d'Alouette avait eu une nouvelle portée, après Poils de Suie. Et cette portée-là ne venait pas de n'importe qui : leur père était Feuille de Houx, c'est-à-dire l'oncle maternel de Cœur de Mimosa. Malheureusement, le chat noir aux yeux verts n'avait pas connu une fin très glorieuse. Sa mort avait été officialisée quelques lunes après l'avènement de Maudit, la nouvelle forme ténébreuse d'Etoile Maudite. Souffle de l'Ouragan, même s'il n'était pas le frère ou le compagnon de Chant d'Alouette, éprouvait ceci dit une douloureuse peine pour la vieille reine. Elle n'avait jamais eu de chances dans sa vie et cette malédiction continuait de la hanter, même après avoir finalement retrouvé en Feuille de Houx l'amour qu'on ne lui avait semblerait-il pas donné. Le fils de Chant du Lac demanda aux reines si la mise-bas s'était bien déroulée, et elles lui répondirent que Chant d'Alouette avait donné naissance à deux petites filles, l'une appelée Petite Biche, l'autre Petite Colombe. Il distinguait nettement le pelage de la petite guerrière qu'était Petite Biche, dont la dorure du pelage rappelait indéniablement celle de sa mère. Quant à Petite Colombe... Elle avait le pelage plutôt gris. Il ne savait pas de qui elle le tenait.

Souffle de l'Ouragan se sentit dans son devoir de consoler un peu la mère malgré son lot de malheur. Il s'affaissa non loin de son corps et des petites, les moustaches frétillantes.

« Chant d'Alouette, bien le bonjour. Tes filles sont magnifiques... Tu as fait un très bon travail, tu sais ? » lui dit-il, sur un ton sincère ; cela lui ramena automatiquement à la propre mise-bas de Bouquet de Muguet, qui avait été un succès. « Est-ce que tu aimerais que j'aille te chercher quelque chose à manger ou à boire... ? La mise-bas a dû te fatiguer. »

Il savait bien que ce n'était pas son travail mais celui du guérisseur de subvenir aux besoins d'une reine épuisée par la mise-bas. Mais au moins... Il aurait tenté de proposer son aide. Le guerrier la gratifia d'un sourire.