L'ordre vacille (avec Chant de l'Alouette) -end

Quelle excuse que cette partie de chasse ! Les deux guerriers bougaient à peine, la seule proie que Chant d'Alouette avait attrapé faisant office de butin. Ils n'esseyaient même pas, ne faisant que parler et écouter les silences de l'autre. Pourtant ce n'était pas déplaisant de ce laisser aller, pour une fois. Chant d'Alouette réalisa, au moment où le souffle qui lui coinçait la gorge dégageait en un long soupir, qu'elle n'avait pas traîné de sa propre volontée avec un de ses camarades depuis que Poils de Suie avait illuminé sa vie.
Même si les cicatrices n'étaient pas refermées, elles étaient sur la bonne voie.

- Aucun risque pour eux. On est là.

Et Feuille de Houx était celui qui l'aidait à lutter, alors qu'il ne connaissait rien de la vérité à propos du Serpentaire. Sans doute avait-il des soupçons, voir une certitude, car après tout elle était certaine que le félin sombre ne prendrait pas la peine de traîner avec une simple traînée - pitoyable jeu de mot, elle en avait conscience -.
Quand leur tyran était mort, plutôt que d'y voir une opportunité de justice, elle y avait vu la paix pour son fils et n'avait rien dit à personne. Quitte à s'enfermer encore une fois dans sa solitude qui était après tout une vieille amie. Mais l'Alouette qu'elle était de cela bien des lunes, avide de justice et de reconnaissance, existait encore en elle et, bordel, suffoquait.

Si c'était Feuille de Houx qui veillait sur Poils de Suie à ses côtés et qu'elle gardait aussi un oeil sur ses protégés à lui, s'entraîdant comme une vrai famille le faisait, alors pourquoi ne pourrait-il pas connaître son secret ...

- Enfin... je veux dire, tu seras là pour eux, et puis, euh... moi ben... 'fin... tu comprends... même si... ben... euh... tu comprends... enfin... c'est pas ce que je voulais dire... pour moi ben... euh... rolala...
- PPffffffttt , fit son rire, un peu abîmé de ne pas s'être exprimé depuis si longtemps. Feuille de Houx, tu n'as pas à être gêné. Merci beaucoup de me remonter le moral ainsi.

Elle riait encore, tout bas, par saccades, essayant vainement de s'arrêter pour ne pas vexer le félin noir. Peut-être bien qu'elle ne pouvait pas le contrôler, d'ailleurs, après ne pas avoir ri depuis longtemps.
Des larmes lui montaient aux yeux, maintenant, et celle-là non plus, elle ne pouvait pas les arrêter. Heureusement, elles ne roulerent pas sûr ses joues, se contentant de lui humidifier le regard.
Son rire s'arrêta, enfin.

- Dis, Feuille de Houx, tu veux savoir mon secret ?

Encore un pas en avant, tout doucement.

"Tu veux savoir mon secret ?", qu'elle venait de lui dire, le dos courbé comme si son âge était soudainement monté en flèche et tramblottante comme en plein hiver. Trop tard pour faire machine arrière, maintenant que Feuille de Houx l'avait entendu et savait que quelque chose ( quoi que ce fusse ) se cachait derrière son comportement d'ermite.
Pourtant, Chant d'Alouette regretta ses paroles presque immédiatement. Ah, jamais sûre d'elle, toujours hésitante... Il fallait qu'elle se bouge, qu'elle s'extirpe de son constant état de déprime, un bon coup et pour de bon. Étoile du Serpentaire était mort depuis un bon moment et son squelette n'allait pas soudainement sortir de terre. Alors quoi ? Plus rien ne la retenait.

Deux pas en avant et autant en arrière.

Pitoyable, elle était juste pitoyable. Chant d'Alouette avait l'impression d'exagérer son mal-être, que sa phrase possédait un ton mélo-dramatique inconvenant. Elle n'était pas seule à avoir souffert, hier ou aujourd'hui. Elle ne serait pas seule dans le futur, également. Il fallait qu'il oubli cette histoire, Et pourtant...

《 Ah, ça, j'aimerais bien comprendre... Il ne moquait pas, parlant de la même voix douce qu'elle-même utilisait pour les chatons. Je me demande si... si le Serpentaire ne t'a pas fait beaucoup de mal...》

Et pourtant, le mâle de l'ombre la soutenait. Même plus, il semblait la comprendre, elle et sa détresse.

Parce qu'il avait déjà vécu quelque chose de similaire. Qu'il savait, au même titre que n'importe qui, quelle pourriture avait été leur chef. Que les sympathisants de se dernier n'avaient jamais été si nombreux que cela. Que tout le monde se cachait dans l'ombre, attendant simplement que Serpentaire crève. Que la seule différence entre eux et l'Alouette, c'était sa solitude à elle.
Il y avait eu des murmures sur son passage. Des murmures dégradants, mais aussi des murmures de pitié. Rares, mais existants. Mais elle, elle n'avait jamais rien esquissé pour qu'on lui vienne en aide. Et la seule personne à qui elle parlait, son fils, ne devait sous aucun prétexte connaître ses conditions de vie.

《 Il a fait tellement de choses horribles... C'était pire qu'un monstre., assenait durement Feuille de Houx, alors qu'elle sursautait en observant, affolée, les alentours. Personne.
- T-tu, qu'elle bégailla.》

L'hésitation ne dura pas et une étincelle de colère s'alluma en elle, plus vivement que jamais. Il était plus que temps qu'elle expulse toute cette haine.

《Une ordure, une véritable ordure ! Son poil doré tremblotait compulsivement. Il-il... Il me menaçait, cet enfoiré ! Il disait que si mon sort ne me convenait pas, Suie pourrait toujours se " débrouiller seul " !》

Et elle avait eu peur, tellement peur pour son fils.

Devant son emportement soudain, l'incompréhension traversa le regard de son camarade. Elle déballait son sac, soulagée de pouvoir enfin s'exprimer et incapable de se calmer, parlant avec tant de ferveur que Feuille de Houx esquissa un pas de recul. Lui faisait-elle peur, ou honte ? Chant d'Alouette arrêta immédiatement sa plainte, sa faible confiance en elle de nouvelle entachée, et pointa le sol de son museau.

Mais très vite, encore une fois, il la rassura. Du coin de l'œil, elle le vit relever la tête, avant de se ramasser sur lui-même, légèrement, pour marquer son incapacité à trouver les mots justes. Le guerrier noir était toujours présent à ses côtés, même s'il ne savait pas comment la rassurer et l'aider à traverser son traumatisme.
Mais pour Chant d'Alouette, la simple présence du félin suffisait. Elle vivait avec son passé depuis bien longtemps et n'en avait pas honte. Il lui suffisait de se rappeler, encore une fois, que tout avait été fait pour la survie de son fils.

Ils se rapprochèrent l'un de l'autre, poils contre poils, têtes basses.

《Jamais ce misérable n'aurait pu survivre assez longtemps pour mutiler d'avantage nos familles, chuchotait-il dans le creux de son oreille, la faisant frissonner très légèrement. Le monde n'est pas devenu beaucoup plus sûr, mais quand même, désormais, il est mort.》

Avant d'ajouter d'une voix sèche qui sonnait comme une conclusion ;

《Et je peux te dire que les Étoiles n'ont pas dû hésiter longtemps à son sujet.》

Chant d'Alouette se remémora la rapide mort du félin et les multiples ragots qui l'avait accompagné. Il était bien possible que ce chef n'est jamais jamais été reconnu comme tel par leurs étoiles, ce qui pouvait expliquer qu'il est si vite perdu toutes ses vies pour une simple maladie. À moins que les étoiles ne puissent le désavouer en cour de règne, et reprendre les vies qui lui avaient été accordées ?
Le mystère entourait le trépas du Serpentaire, mais pour elle, l'important, c'était justement qu'il soit décédé.

《Je suis heureuse de te compter comme ami, Feuille de Houx, dit-elle doucement en regardant le chemin du retour. Il t'as causé du tord à toi aussi, non ?》

Elle se pressait un peu plus contre les poils du félin, pour lui afficher du soutien à son tour.

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