L'aspirateur et la vaisselle (Sid-Russel) - abandon

Pauvre Simon, à une lettre près.

Russel s'était levé, comme à tout les matins. Comme tout les matins il s'était habillé, avait descendu l'escalier, était allé à sa cuisine, ouvrait le sac à coffee cups, ouvrait la keurig, insérait le cup sous le capot et le refermait en sortant une tasse pour activer la machine et la laisser faire le café.

Il posait la tasse sur la table et s'asseyait à l'autre bout, joignant les mains, regardant la chaise vide en s'imaginant son Père soudain surgir d'on-ne-sait-où pour s'y asseoir et venir goûter son café. Et Russel se repassait la scène à chaque fois : il l'entendrait le critiquer, que le café en machine c'était sur-fait, qu'il n'y avait rien de mieux que des grains de café filtrés à l'aide d'un entonnoir en papier, et Russel lui dirait qu'il est vieux jeu, et Gregory rirait, de son gras rire d'ex-policier à la retraite qui se gavait un peu trop de petits gâteaux.

Pauvre Simon, à une lettre près - quand on sonna à la porte, le jeune homme à la table eut un sursaut, ramassa le peu de courage qui lui restait pour se lever et marcher vers le vestibule, prendre la poignée, inspirer, et ouvrir.

Il n'était pas chez les Jasper, il était chez les Casper.

— « Bonjour. J'suis Simon Lubberly. Je viens pour l'offre.

Et il ne s'était sans doute pas attendu à ce que jeune Monsieur Casper ici ne lève ses deux mains à sa bouche sur un hoquet ébahi, ses grands yeux noirs, ternes depuis la disparition de son père, se rallumant d'une chaleur d'été qui les fit presque reluire de larmes. Il recula la tête, la hocha frénétiquement, ouvrit les bras et eut un mouvement vers l'arrière pour accueillir le garçon chez lui en cachant la roseur qui gagnait ses joues.

— Ç-ça veut dire que vous l'avez trouvé?? »

Il venait pour l'offre - pour l'annonce, pour l'avis de recherche qu'il avait collé partout en ville à la recherche de son père. Car au commissariat c'était motus et bouche cousue et personne n'avait envie de s'adresser au fils adoptif d'un ancien collègue. Surtout pas celui qui portait le même nom que feu son fils biologique.

Le "oui" de la tête du messager à la porte donnèrent à Russel la berlue. C'était les larmes qui se formaient à ses yeux qui brouillaient sa vision.

— « Monsieur m'a dit de venir ici mais... Je crois que je suis en retard. »

En "retard" ? Qu'est-ce que ça signifiait? Qu'ils l'avaient trouvés depuis longtemps, mais avaient préférés attendre avant de prévenir son fils? Forcément, cela signifiait que son père était probablement en très mauvais état - peut-être même qu'il n'allait pas survivre et ils préféraient le laisser dans le doute que de lui dire de vive voix ce qu'il en était... Malgré le petit sourire se voulant réconfortant du messager, Russel sentit un sanglot monter, qu'il réprima, hochant la tête et se passant les jointures près d'un œil pour grossièrement effacer les larmes qui voulaient y couler. Il renifla et hocha de la tête - ça irait.

Lui-même eut un sourire, même grimaçant, baissant distraitement les yeux sur le portable du jeune-homme à l'entrée. Qui sait, il devait prévenir "Monsieur" qu'il avait annoncé la nouvelle. Et ce devait être pour ça qu'il s'était senti assez d'âme charitable pour proposer:

— « Je peux aider à quelque chose, si vous voulez ? De toute façon j'ai rien de prévu pour cet aprèm...

À mille lieues du quiproquo qui se défilait devant lui, Rusty répondit:

— « Je sais pas... Vous-- il déglutit, sa gorge était sèche à se retenir ainsi de pleurer. Vous euh, vous aimez le café?...

Il restait encore la tasse du côté de la table vide, s'il pouvait bénéficier à quelqu'un... D'ailleurs, il fit un pas direction la cuisine qui se voyait dans l'angle du vestibule, dégageant la place au messager à la porte pour qu'il puisse entrer et retirer ses souliers. Des étagères sur le mur portaient des cadres à photo de Monsieur Casper et le premier Rusty, et une seule de lui et le second, ce-dernier ayant tourné le dos à son interlocuteur pour retourner chercher sa tasse et celle qu'il lui avait proposée.

— « Merci ! »

Le messager eut tôt fait d'aller s'asseoir à la table dans la cuisine où l'attendait son café, et juste de le voir l'accepter, là, sur cette chaise en particulier, de ce côté respectif de la table au bout, dos aux armoires et au comptoir, le jeune homme au teint halé sentit son cœur se serrer. Il était vraiment reconnaissant d'avoir des nouvelles mais il brûlait d'envie d'en demander plus, alors une fois son invité servi, il s'assied de son côté pour boire dans sa tasse à lui (sans oublier d'y ajouter quatre sucres et de bien touiller de sa cuillère).

Ses mains tremblotaient, mais il parvint à tenir l'anse pour soulever la tasse et la boire, la chaleur du matin venant lui embraser la gorge d'une lente descente qui le réchauffa d'une chaleur familière.

— « Je tenais à vous remercier de m'avoir accordé cet entretien...
Rusty ne comprit pas vraiment ce que M. Lubberly lui dit, trop bouleversé par la nouvelle de savoir son père en vie.
— C'est plutôt à moi de vous remercier...
— Je sais que c'est difficile, en ce moment, quand on n'a pas de diplôme, mais... quelle que soit votre décision finale... enfin... merci.
— Ma décision finale? »

Qu'est-ce que... Qu''est-ce que ça voulait dire? Et surtout de voir l'embarras faire se triturer le pauvre messager dans sa chaise Russel fronça légèrement ses sourcils pour, à son tour poser sa tasse, et avancer sa main sur la table dans un élan de soutien.

— « Je peux travailler quand vous voulez... j'ai ce qu'il faut pour me déplacer...
— «Travailler, M.Lubberly ?...

Rusty eut un gloussement confus, ramenant sa main vers lui.

— « Si vous avez une voiture, serait-ce trop vous demander de m'amener le voir ? Ça doit faire des mois qu'il a disparu, vous comprenez, je me ronge les sangs a-ha, je, je commençais vraiment à perdre espoir...!