Ne laisse pas la flamme s'éteindre -abandon

◊ Meneuse

Ne laisse pas la flamme s'éteindre

Privé Nuage d'Émeraude.

Plusieurs lunes étaient passées depuis la mort d’Étoile de Pierre. Plusieurs lunes qu’Écaille d’Or était devenue une Étoile donc, et le temps devait faire son effet, apaiser ses peines, tandis que sa fonction devait occuper toutes ses pensées.
Et pourtant, elle ressentait toujours ce même vide, le poids que l’absence de son père adoptif pesait sur ses frêles épaules.

Mais ce n’était plus la même sensation qu’au début : elle ne pleurait plus. Elle se sentait juste infiniment seule. Pas qu’elle n’avait pas d’amis ou de proches, mais il lui manquait cet amour paternel qu’Étoile de Pierre lui avait toujours offert et dont elle se retrouvait soudainement dépourvue. Sans lui, elle se sentait nue, à découvert, vulnérable de sa jeunesse et son inexpérience. Mais elle savait qu’elle pouvait compter sur le soutien de ses proches : Museau Bleu s’était avéré d’une très bonne compagnie et un pilier sur lequel elle pouvait se reposer, Cœur de Lynx aussi.
Et puis il y avait ses filleuls. Plus qu’une source de bonheur pour elle, ils étaient devenus les êtres qu’elle chérissait le plus, depuis la mort de leur père. Elle ne s’était jamais sentie aussi proche d’eux, empreint de ce désir, ce devoir si cher de les protéger, de les aider à avancer malgré les drames. Tout du moins concernant Nuage d’Opale et Nuage de Quartz, peut-être encore plus de Nuage d’Émeraude, qu’elle avait déjà vue très affecté de n’avoir jamais connu sa mère.
Heureusement, avant de mourir, Étoile de Pierre l’avait choisie pour la mentorer, ce qui leur offrait à toute les deux le privilège de tisser un lien particulier, ce même lien qu’elle avait tissé avec feu l’ancien chef. Et elle espérait qu’au travers des entraînements, elle réussirait à soulager Nuage d’Émeraude de toute cette peine qui devait l’habiter. La « soulager », oui, car elle savait qu’elle seule ne pouvait pas tout effacer. Seul le temps le pourrait… elle l’espérait.

La cheffe avait d’abord voulu laisser quelques jours de deuil à Nuage d’Émeraude. Ce répit lui aurait permis de mettre en ordre ses pensées, de souffler un peu, mais à sa grande surprise, cette dernière avait refusé. Qu’aurait pu faire Étoile d’Or ? Lui refuser cet exutoire, cette activité qui permettait d’occuper son esprit pour ne pas se complaire dans la noirceur du deuil ? Non, jamais.

Alors, comme chaque matin depuis des lunes, Étoile d’Or s’était levée pour attendre sa filleule près du tas de gibier, désireuse de commencer leur entraînement quotidien. Lorsqu’elle la vit émerger de la tanière des apprentis, elle la héla :

« Nuage d’Émeraude, par ici. » Elle attendit que l’apprentie la rejoigne puis elle désigna la pile de gibier d’une ondulation de la queue. « Mange un morceau avant de partir, tu as besoin d'énergie pour l'activité d'aujourd'hui. »

De toute façon, elle lui fit comprendre en un regard qu'il n'y aurait pas de négociations possibles : le binôme ne partirait pas tant qu'elle n'aurait pas fini son repas. Elle même croqua dans sa truite entamée, la terminant en quelques bouchées. Puis, dardant son regard dorée sur la petite rousse, elle attendit qu’elle termine son petit déjeuner.

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Δ Petit

Le soleil rebondissait sur les Rochers du Soleil, les chauffant un à un jusqu'à ce qu'ils deviennent des radiateurs naturels. Petite Émeraude était cachée dans une cavité formée par deux gros rochers appuyés l'un sur l'autre ; au loin, elle entendait la voix criarde de Petit Quartz, qui avait été désigné chasseur ; là-bas, elle apercevait la fourrure roux foncé de Petit Jaspe ; encore plus loin l'éclat bleuté de Petite Améthyste, qui courait encore partout pour trouver une bonne cachette ; enfin, le poil clair parsemé de Petite Opale était invisible - elle s'était certainement endormie quelque part, ce jeu lui permettant de s'adonner à sa plus grande passion sans être grondée. Petit Quartz déboulait entre les rochers, déterminé à trouver ses frères et sœurs et de gagner la partie ; il était encouragé par Aigue-Marine, son regard doux et son sourire aimant, et poussé par Étoile de Pierre, lové contre son âme-sœur, qui regardait sa petite famille profiter des derniers rayons de soleil qui chauffaient encore - bientôt, la saison des neiges s'installerait.

~

Nuage d'Émeraude se réveilla difficilement ce matin-là. Lorsqu'elle ouvrit les yeux et que la fraîcheur de l'automne l'enveloppa, elle réalisa que ce rêve n'était rien de plus : un rêve, un fantasme, son imagination de ce qu'aurait pu être son enfance si... et si... et si. Malheureusement, on ne lui en avait pas laissé l'occasion ; cela ferait bientôt près d'un an qu'Aigue-Marine s'était faite assassiner par les Lunar Pod ; un an qu'Étoile de Pierre avait commencé à décliner. Tout ne se passait jamais comme prévu.
Difficilement, la rouquine s'assit, s'étira les membres un à un, puis entreprit de sortir de la tanière sans marcher sur la queue ou les pattes d'un apprenti imprudent dormant à moitié en-dehors de sa couchette. Lorsqu'elle entra au cœur du camp, Nuage d'Émeraude sentit avec délectation que le soleil chauffait encore ; la saison des feuilles rousses était bien installée, mais pas celle des grands froids. Il fallait en profiter.
Nuage d’Émeraude, par ici. La voix bien connue et si chérie de sa mentor attira son attention. La petite rouquine trottina jusqu'à elle. Mange un morceau avant de partir, tu as besoin d'énergie pour l'activité d'aujourd'hui. Elle baissa les yeux sur le tas de gibier devant lequel se trouvaient les deux femelles, et un rictus de dégoût étira ses babines. Elle avait rarement faim le matin ; elle avait rarement fin tout court, en fait, depuis la mort de son père. Cela faisait pourtant plusieurs lunes, et elle ne se sentait pas constamment triste - de plus, elle était très occupée par ses entraînements - mais elle avait perdu le plaisir de déguster une proie. Elle choisit donc la plus maigre qu'elle put trouver - un mulot - et la mangea sans peine, mais sans plaisir également.

Ce repas fut vite avalé et alors qu'elle se léchait les babines, Nuage d'Émeraude se releva et commença à sautiller autour d'Étoile d'Or, impatiente de découvrir le programme du jour. Elle ne comptait plus le nombre d'entraînements qu'elles avaient passés ensemble ; l'apprentie connaissait désormais le territoire sur le bout des griffes, savait reconnaître toutes les effluves courantes de son territoire et des terres libres - ainsi que celles des trois autres Clans, évidemment - et elle avait appris les rudiments de la chasse, bien qu'elle avait encore de nombreux progrès à faire à ce niveau-là. Quel serait l'enseignement du jour ?

« Alors, qu'allons-nous faire aujourd'hui, ô grande Étoile d'Or ? » dit-elle avec un petit clin d’œil malicieux ; sa marraine était habituée aux petites boutades de la novice, et savait pertinemment que ce n'était ni de la moquerie, ni de la méchanceté. Une seule et unique chose existait entre les deux chattes : de l'amour.

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◊ Meneuse

Le pauvre mulot que Nuage d’Émeraude alla chercher était si petit qu’un instant, Étoile d’Or se demanda comment elle avait bien pu le trouver parmi les autres mets.
Cependant, elle ne dit rien, ne la força pas à choisir autre chose : elle savait ce que c’était d’avoir l’appétit coupé… ça reviendrait, à son rythme. Et tant qu’elle ne se laissait pas mourir de faim, il n’y avait pas de raison de s’alarmer.

Elle la laissa donc terminer son maigre repas – qui ressemblait plutôt à un amuse-gueule qu’à une pitance digne de ce nom – et ce n’est qu’une fois que son apprentie et filleule eut tout avalé que l’énergie de cette dernière sembla se réveiller. En deux temps trois mouvements, la fille d’Aigue-Marine se retrouva à bondir d’excitation tout autour d’elle.

« Alors, qu'allons-nous faire aujourd'hui, ô grande Étoile d'Or ? »

« Ahhh… c’est embêtant, j’ai un trou de mémoire.. hmm... » Miaula l’interpellée en feignant l’amnésie, sa patte venant tapoter son menton comme pour tenter de s’en souvenir. « Ah ! » Cette fois-ci, elle mima l’illumination, faisant durer le suspens, avant de conclure : « Tout ce que je sais, c’est que tu vas boire la tasse. »

La cheffe rendit son clin d’œil à son apprentie, amusée de l’indice précieux qu’elle venait de lui offrir sur un plateau d’argent et que la petite ne manquerait pas d’intercepter, elle en était sûre. Et puis, d’un geste rapide et précis, elle vint déposer une pichenette sur la cuisse de sa filleule.

« Allez, en route Petite Tornade. » Miaula-t-elle d’un air amusé, ricochant sur les railleries de l’enfant, avant de reprendre d’un air sérieux, annonçant la fin de la récréation. « Amène moi jusqu’à la rivière, au pied de la colline, je te suis. » Énonça-t-elle. « En chemin, tu me décriras tout ce que tu sens. »

Elle savait Nuage d’Émeraude au point sur cet exercice, mais l’essentiel était avant tout qu’il devienne un réflexe. En sortant, elle prendrait rapidement l’habitude de lever la truffe en l’air pour analyser les environs.

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Δ Petit

Ahhh… c’est embêtant, j’ai un trou de mémoire.. hmm... jouait Écaille d'Or, sachant très bien qu'elle ferait enrager la petite rouquine qu'elle avait prise sous son aile pour l'amener un jour au rang de guerrière. Celle-ci ne se fit pas prier pour faire comprendre à sa mentor qu'elle était impatiente de connaître le contenu de leur entraînement du jour, et qu'elle n'était pas disposée à attendre encore pour le découvrir. Mais finalement, la cheffe du Clan de la Rivière se décida à donner un indice plus que révélateur : Nuage d'Émeraude allait boire la tasse, aujourd'hui. L'apprentie comprit immédiatement et redoubla d'énergie dans ses sauts autour de sa mentor : la nage ! Elle allait enfin apprendre à nager correctement !
Toute excitée, elle filait déjà vers l'entrée du camp - ou plutôt la sortie, dans cette configuration - quand Écaille d'Or ajouta une consigne : sur le chemin les menant à la rivière, l'apprentie - qu'elle avait surnommée Petite Tornade pour la charrier - devrait parler de toutes les odeurs qu'elle relèverait. Nuage d'Émeraude haussa les épaules : bah ! C'était le premier enseignement pour un novice, après celui du parcours des frontières. C'était une compétence qu'elle maîtrisait désormais ; elle n'avait pas tellement envie d'y revenir, mais si Étoile d'Or le lui demandait...
Le chemin qui reliait le camp à la rivière était court ; on entendait le bruit des flots depuis les tanières. Aussi l'exercice ne dura-t-il pas trop longtemps, et Nuage d'Émeraude fut très rigoureuse au moment de montrer ses compétences.

« Je sens l'odeur des nôtres, partout, tout partout. Ici, l'odeur est plutôt ancienne et ressemble à celle de Museau Bleu ; mais là, l'odeur est plus récente, je pense qu'elle appartient à la patrouille de l'aube. » Elle avançait le museau en l'air, trébuchant parfois sur des obstacles que sa grande concentration ne lui permettait pas d'éviter de façon satisfaisante. Toujours un peu maladroite, la rouquine. « Oh ! Tu as senti ? L'odeur d'un moineau vient de nous effleurer. Je parie qu'il se terre pas loin d'ici... » dit-elle en se mettant instinctivement en position de chasse ; mais elle se rappela bien vite que ce n'était pas là le propos. Alors elle se redressa et continua son avancée vers la rivière. « Plus on approche de la rivière et plus l'odeur de l'humidité emplit nos narines. Il y a aussi une légère odeur de poils mouillés ; ça, on connaît bien ! » dit-elle avec un grand sourire et un sentiment de fierté. L'odeur de chat mouillé était presque un symbole à part entière de leur Clan : eux seuls savaient nager et pêcher. Un grand orgueil pour tous les membres de la Rivière.

Nuage d'Émeraude et Étoile d'Or parvinrent enfin sur la berge. Nuage d'Émeraude s'arrêta de décrire tout ce qu'elle décelait dans les airs et baissa enfin les yeux vers la surface scintillante de l'eau. Elle adorait cette vision. Elle adorait cet endroit. La rivière l'attirait sans réserve. Elle avait hâte d'y plonge. Mais l'adrénaline qu'elle sentait se réveiller en elle n'était pas seule : elle était accompagnée des tambourinements de son cœur, sous le joug du stress. Nager n'était pas une tâche facile.

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◊ Meneuse

Sur le chemin qui les menait à la rivière, Étoile d’Or ne put qu’acquiescer à l’entente des descriptions de son apprentie. Pas une seule fois elle n’eut à ajouter quelque chose, ou la reprendre. Force était de constater que Nuage d’Émeraude apprenait vite et bien : lorsque l’heure serait venue, elle ferait une guerrière talentueuse, mais avant cela, il faudrait qu’elle gagne en maturité, et qu’elle apprenne à canaliser son tempérament de feu. Peut-être que la rivière et l’exercice d’aujourd’hui l’aideraient dans cette voie.

Les deux comparses ne tardèrent pas à atteindre la berge, la gouttes de rosées agglutinées sur l’herbe humide mouillant leurs pattes. Les deux femelles ne tarderaient pas à finir détrempées, de tout façon.

« Bien, il est temps pour toi d’apprendre à nager. » Lui annonça-t-elle, dévoilant enfin le thème de l’entraînement d’aujourd’hui, bien qu’elle se doutait que Nuage d’Émeraude avait deviné depuis longtemps. « La Rivière fait de notre clan ce qu’il est. Nous avons pris son nom en son honneur, car elle forme une frontière naturelle, nous fournissant protection contre de possibles intrus, nourriture supplémentaire et techniques de combat inédites. » Elle se tut un instant avant de continuer : « Mais la Rivière est une entité à part entière, si elle nous aide sur bien des plans, elle peut aussi se montrer capricieuse et implacable. C’est pourquoi il faut apprendre à la comprendre, analyser son humeur et se mouvoir en elle. »

L’introduction faite, Étoile d’Or pénétra dans l’eau bleutée, la fraîcheur la faisant frissonner.
Avançant jusqu’à avoir de l’eau jusqu’au bas du ventre, elle se tourna ensuite vers son apprentie, l’invitant à la rejoindre dans le fluide jusqu’à ce que l’eau lui arrive aux articulations. Cela suffirait pour la première partie de l’exercice.

« Commençons. D’abord, ferme les yeux et fais abstraction de ce qu’il y a autour, par delà la rivière. Qu’est-ce que tu ressens ? »

Il fallait qu’elle apprenne à sentir le courant, à l’analyser, à savoir si oui ou non, avec sa force et son poids, elle était capable de l’affronter. Il fallait qu’elle sente le mouvement de l’eau, le souffle d’un poisson qui passe entre ses pattes immobiles. Il fallait qu’elle sonde la rivière.

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