Un duo de non xéno / ft. Nuage d'Opale - abandon

Il lanternait dans la lande, serein. La végétation restante était d'une beauté particulièrement touchante en ce divin aurore, le soleil baignant les arbres d'une douce lumière orangée. L'astre du ciel peignait avec délicatesse la toile qu'elle contemplait chaque jour de son antre, prenant un réel plaisir à étendre ses rayons translucides, les faisant ricocher sur multiples surfaces. Ils se fichaient dans la terre meuble, reflétaient la beauté dans les rivières et caressaient le pelage des animaux, les rendant irréels pendant au moins quelques secondes. Ce temps semblait durer éternellement pour eux, les quadrupèdes se vantant de contempler la magnificence nouvelle de leur bizut physique brillant. Les cerfs levaient leurs grands bois au ciel, gonflant leurs poitrails ; les renards ricanaient au matin calme, rougissants. Chasseurs et chassés se côtoyaient en cette charmante clarté, s'échangeant regards éthérés et posés dans le silence temporel. Les ruisseaux chuchotaient conte et légende, les arbres bruissaient en écoutant leurs douces voix ; on s'arrêtait, penchait notre tête, accueillait la paix.

C'était donc une belle journée pour accueillir un nouveau danseur, et celui-ci ne comptait pas s'en aller de sitôt. Valsant entre les minces arbres qui se développaient, car ils étaient moins rares sur le bord de la rivière, il glissait avec douceur sur les feuilles craquantes, paisible. Alors que tout semblait tourner d'un brun terne ou d'un rouge éclatant, le soleil s'avérait revigorer le pelage du bois, l'enveloppant de son si magnifique cadeau de lumière. Et parmi eux, le pelage doré et roux du novice, reflétant cette gracieuseté du ciel.

Bondissant sur une roche, il décida de s'étendre un peu sur celle-ci, profitant d'un dernier bain de lumière avant de retourner au sein de son clan. Alors qu'il fermait les yeux, bercé par le bruit de la rivière en contre-bas, une effluve étrange chatouilla ses narines. Une odeur qui n'était pas censé être là. Ses yeux lancèrent des avertissements alors qu'il se dressait sur son petit promontoire, observant les alentours de ses prunelles ambrées. Il n'avait pas envie de se battre, mais, bien qu'il ne soit pas doté d'une once de xénophobie, si l'ennemie était une patrouille et voulait s'incruster sur leur terre…

- Qui va là ?

Plume de Coton avait accepté de se séparer d'un peu de son temps afin de lui apprendre à nager. Elle était l'une des meilleures nageuses que le Clan avait connu, quoi qu'un peu moins bonne pédagogue. Cependant, Nuage d'Opale savait désormais flotter et avancer dans l'eau, chose que Coeur de Ronce n'aurait jamais pu lui enseigner. Le reste de son évolution ne dépendait plus que de son propre travail.
Se sentant plus à l'aise dans les flots que sur la terre, l'apprentie ne prenait pas son temps passé dans la rivière comme du travail. Elle y passait donc du temps, avec plaisir, appréciant délicieusement la sensation du courant entre ses doigts, filant entre son pelage.

L'automne se faisait de plus en plus présent, apportant avec lui ses nuances orangées qu'il déposait comme une rosée sur les arbres. La chaleur de l'été subsistait néanmoins, la forêt de Cerfblanc se trouvant plus entre deux saisons qu'au beau milieu d'une d'entre elle.
Nuage d'Opale plongea donc sans se poser de question, frissonnant malgré l'habitude au contact glacial sur ses pattes dont elle finirait par s'habituer. Son lourd pelage et ses pattes maladroites se firent d'un seul coup légères à mesure qu'elle quittait tout contact avec le sol. Et d'un seul coup, c'était comme si elle s'envolait.

Elle observa tout autour d'elle. L'herbe sèche retrouvait doucement ses couleurs verdâtres après quelques jours de pluie tandis qu'un lapin y courrait à toute allure. Le Clan du Vent. Nuage d'Opale se demandait comment était la vie de l'autre côté. Elle aurait aimé y gouter. Faisaient ils face aux mêmes difficultés? Aux mêmes joies de la vie?
Son regard balaya la peine alors qu'elle se cachait sous l'eau, ne laissant dépasser que sa truffe et ses yeux. Personne. Juste un félin aux nuances rousses niché sur un rocher. Elle aussi aimait faire ça, aux chutes. Il était tout petit, peut-être un apprenti? Enfin, même les guerriers de ce Clan étaient réputés pour leur taille plutôt limitée. À côté de ses allures de géant, ils lui semblaient vraiment ridicules.

- Qui va là ? demanda l'apprenti qui ne l'avait même pas encore vue.

En guise de réponse, elle se dressa sur la berge du côté de l'ennemi, gardant son arrière train dans l'eau. Avec le bruit qu'elle avait fait en sortant, il aurait fallu être sourd pour ne pas l'entendre.

- Bonjour ? appela-t-elle d'une petite voix douce qui contrastait grandement avec sa taille. Tu... tu es du Clan du Vent, c'est ça?

L'étranger ne semblait pas bien farouche, pas vraiment prêt à lui bondir dessus pour lui faire les tripes, comme ce que l'on avait pu lui raconter. Nuage d'Opale s'extirpa donc de l'eau, atterrissant en territoire étranger sans avoir peur d'y laisser son odeur. Elle n'avait pas l'intention de leur faire du mal, alors où était le problème?

- Je m'appelle Nuage d'Opale, je suis une apprentie du Clan de la Rivière. Et toi, c'est comment?

Son regard se tourna vivement vers une petite truite qui s'agitait au bord du lit d'eau. Elle s'approcha silencieusement, essayant de la faire sortir d'un bon coup de patte. Mais de peu, elle lui échappa. Flute! Elle aurait aimé l'attraper pour faire gouter leurs spécialités au nouveau venu.

- Désolée, la chasse c'est pas trop mon fort.

Un plouf sonore, puis ...

- Bonjour ? Tu... tu es du Clan du Vent, c'est ça?

Était-il soudainement tombé sur la tête ? Celle-ci ne lui faisait pas particulièrement mal, mais un spectacle prenant forme sous cet angle n'arrivait pas très souvent. En effet, ce fut avec une grande surprise qu'il observa une forme lourde s'élever du ventre de la rivière, apparaissant dans un nuage de gouttelette éphémère sur la rive. Comme un murmure s'élevant des chutes, le même bruit clair résonna dans ses oreilles, cristallin, vaporeux ;

- Je m'appelle Nuage d'Opale, je suis une apprentie du Clan de la Rivière. Et toi, c'est comment ?
- Euuhh..

Fût le seul bruit à sortir de sa gueule entrouverte, le petit félin étant toujours un peu sonné. Une femelle du clan de la rivière venait-elle vraiment de venir, sans rien dire de plus, sur son côté de territoire ? Était-elle réellement venu se présenter, et non l'attaquer comme le mettait en gare son mentor à presque chaque entraînement ? L'harceler, sauter sur son corps parce qu'elle avait envie de planter ses crocs dans sa nuque, parce qu'ils aimaient bien la violence ?

Dangereuses créatures.

Pourtant, la riveraine n'avait point l'air de lui vouloir du mal. En fait, son élocution mélodieuse et son regard reflétait tout le contraire d'un combat. S'il décidait d'en rajouter encore plus dans son analyse, il dirait même qu'elle était plutôt charm -

- Désolée, la chasse c'est pas trop mon fort.

Il remua le bout de sa queue, une moitié de son être amusé et l'autre, disons-nous le, un tantinet confuse. Pourtant, puisqu'il ne voulait pas la faire attendre dans un silence étrange pour une seconde de plus, il se résolu à répondre dans celles qui suivaient. Et la réponse qu'il allait donner, celle allant sortir de sa gueule, le gracia lui-même d'un combat véhément dans son esprit contre lui-même.

- Nuage du Vent. C'est mon nom. D'un bond grâcieux, il s'éjecta de son petit promontoire pour venir délicatement se déposer au sol. Du Clan du Vent, mais j'imagine que tu le sais, puisque tu as du sentir la.. Euh, frontière ?

Il esquissa un sourire amusé, pas vraiment coléreux de voir un '' intrus '' en liberté sur ses propres terres qu'il était censé protégé. Ils étaient seuls, après tout, et elle ne semblait pas vouloir l'attaquer, restant sur le rebord et n'ayant pas l'air de vouloir s'enfoncer dans les landes. Il ne sentait donc pas le besoin de sortir les griffes et de feuler, sa non-xénophobie prenant le dessus sur ses autres pensées qui valsaient dans son crâne. Puis.. C'était une apprentie de la rivière ! D'un autre clan ! L'apprenti n'avait jamais discuté avec un groupe ennemi, et la curiosité de ses anciennes questions le démangeait. Restant donc à une longueur agréable de cette Nuage d'Opale, il lui adressa un regard curieux, détaillant son long pelage, ses pattes bizarres et ses yeux perçants.

- T'arrives de la rivière ? Ça devait être froid là-dedans, non ? Il pencha délicatement sa tête d'un côté, puis, retrouvant ses bonnes manières d'un coup, s'exclama ; Oh ! Si tu as faim, il euh, il doit y avoir des proies par ici.. Que je pourrais attraper.. Hum..

Si Crocs Nacrés l'avait surpris à cet instant, ou même tout autre membre de son clan, il lui aurait totalement arraché les oreilles. Il venait littéralement de proposer de chasser dans ses propres terres pour nourrir une apprentie des poissons, comme les autres les appelaient ! Mais son envie de tout savoir, son envie de discuter avec elle semblait pousser toutes les autres derrières. Il aurait le temps d'avoir des regrets ! Après !

Spoiler:

- Nuage du Vent. C'est mon nom, se présenta l'étranger, redescendant d'un bon pour se placer à sa hauteur. Du Clan du Vent, mais j'imagine que tu le sais, puisque tu as du sentir la.. Euh, frontière ?

- Oui, confirma-t-elle. La frontière, c'est la rivière.

Malgré le sourire qu'il lui adressa, le rouquin n'avait pas l'air particulièrement à l'aise. On avait toujours raconté à Nuage d'Opale que le Clan du Vent était un Clan de faibles, qui contre-balançait cette faiblesse par une violence et une xénophobie sans non. Elle avait du mal à y croire. Nuage de Vent, comme il disait s'appelait - nom difficilement plus explicite - avait l'air de tout sauf d'un être sanguinaire et haineux.

- T'arrives de la rivière ? Ça devait être froid là-dedans, non ?

Elle lui répondit d'un non de la tête. Nager, c'était comme une deuxième nature chez eux. Tout leur corps était adapté à ça, de leur pelage épais à leurs pattes palmées. En revanche... ils n'étaient pas du tout fait pour courir vite, avec leurs formes trop grandes et lourdes, contrairement aux petits félins du Clan voisin des landes.

- Oh ! Si tu as faim, il euh, il doit y avoir des proies par ici.. Que je pourrais attraper.. Hum..

- Ça ira, retroqua-t-elle. Je sais que c'est interdit, et c'est moi sur ton territoire. Donc c'est à moi de...

D'un seul coup, ses oreilles se redressèrent sur sa tête alors que celle-ci se tourna rapidement vers le lit d'eau. Quelque chose avait bougé. D'un mouvement de la queue qui frôla presque le visage de l'étranger malgré leur distance respectable, elle l'invita à rester silencieux.

Lentement, comme Plume de Coton le lui avait apprit, elle s'approcha de la Rivière sans mouvement brusque: les poissons avaient des yeux pour observer les prédateurs et surtout, ils pouvaient sentir les vibrations. Un geste brute, et le poisson serait bien rapidement au fond de l'eau.

- Aller... approche, approche... murmura Nuage d'Opale, impatiente.

Et, enfin! Le moment était venu.
Il était un peu trop loin pour être expulsé sur la berge d'un coup de patte - et un peu trop grand aussi - mais à portée de croc. Nuage d'Opale bondit donc dans l'eau, visant la perche avec la gueule grande ouverte. Elle était bien dodue, il fallait l'achever vite ou elle résisterait assez pour s'enfuir.
La chasse ne rata pas, et à bons coups de patte, elle regagna la surface avec une perche colorée dans la gueule. Remonter était plus délicat.
Elle balança la créature écaillée dans l'herbe du territoire ennemi, avant de la rejoindre à son tour en s'appuyant sur ses lourdes pattes avant.
S'ébourrant sans faire attention à ne pas arroser Nuage du Vent - ce qui était sans doute trop tard - elle déposa la perche en face de lui, brisant quelque peu la distance qu'il s'était imposé.

- Tu veux gouter? lui proposa-t-elle. Tu verras, c'est bon, il faut juste faire attention aux arrêtes. En plus, celle là, elle a l'air d'avoir des oeufs. Ça a plutôt bon gout. Vas-y, je te laisse la première bouchée.

Le simple fait de la voir à ses pattes lui donnait l'eau à la bouche. Elle avait l'air si bonne!

Le novice, de plus en plus surpris, observait la femelle qui ne semblait pas du tout mal à l'aise. Au contraire, elle répondait à ses phrases par un calme olympien, agissant comme si elle n'était pas du tout en territoire ennemi, mais dans une visite touristique d'environs lointains. Clan des étoiles… Les adjectifs qu'on utilisaient pour décrire les félins du clan de la rivière n'était peut-être pas, après tout, les meilleurs. Dangereux, sournois, cupides ? Urf, Nuage du Vent était loin de dépeindre cette femelle par ces qualificatifs dérangeants. Bien sûr, il n'était pas totalement insensé, ni un crétin né de la dernière pluie; tous les quadrupèdes de l'affluent ne devaient pas tous se matérialiser de cette façon. Pourtant, son cœur se réjouissait d'avoir trouvé une novice qui était aussi libre de frontière que d'esprit. Ce fut ses pensées qui le portèrent à ouvrir sa gueule, s'avançant d'un pas hésitant pour commencer une tirade.

- Je..
- Ça ira, retroqua-t-elle. Je sais que c'est interdit, et c'est moi sur ton territoire. Donc c'est à moi de…

La queue touffue de Nuage d'Opale vint furtivement frapper son visage, le laissant là, pantois, comme un idiot à qui on avait enlever le droit de parole. Comprenant néanmoins qu'elle avait quelque chose en tête (et retenant un aaa.. aaaa.. un atchoum qui le piquait), il la suivit avec curiosité près du cours d'eau. La fille du torrent s'accroupit sur le bord de celui-ci — sous les yeux inquisiteurs du beige - roux — et plongea son regard dans les remous du petit fleuve. Comme s'il regardait son mentor lui apprendre une nouvelle technique, ses iris se balancèrent de droite à gauche, et de haut en bas, sur la position de la riveraine.

- Aller... approche, approche... murmura la féline, concentrée sur sa curieuse chasse.

et encore une fois, un plouf sonore éclata dans le temps
envoyant des lampées au jeune du vent, qui, impressionné
en oubliait presque son pelage constellé, les yeux plongés
sur le corps de la demoiselle, fille de la rivière, leste, rapide

d'un rire il répondit aux autres perles translucides
à la distance qui s'était réduite, à son odeur particulière
un sourire franc, qui brillait plus que la boule ravissante
n'était-ce pas le début d'une amitié bien particulière ?

- Tu veux gouter? Tu verras, c'est bon, il faut juste faire attention aux arrêtes. En plus, celle là, elle a l'air d'avoir des œufs. Ça a plutôt bon gout. Vas-y, je te laisse la première bouchée.

Sa rigolade se perdant dans les bourrasques — mais pas son sourire —, il se pencha avec intérêt vers le poisson qui tressautait sur la berge. Un autre matou aurait pu être dégouté d'assister à la mort de cette créature visqueuse, huileuse et gluante, mais l'intéressé était plutôt impatient de voir quel goût aurait ce… Truc. Bon, il devait s'avouer que le physique ne donnait pas vraiment envie (clan des étoiles, les yeux globuleux et les petits œufs blancs lui donnaient envie de tourner les talons), mais on pouvait toujours être surpris ! Il hocha alors sa tête pour se donner du courage, puis abaissa ses pattes pour venir se mettre à la hauteur de la proie. Bon… Son museau se fronça en inspirant les effluves bizarres qu'elle échappait, mais il résista à l'envie de rendre son repas à côté. Allez mon vieux, t'es capable... Ce fut sur ses pensées qu'il conclu la demande, ouvrant grand sa gueule pour enfoncer ses crocs dans la partie — un peu dégueulasse — où fermentaient les globules translucides se faisant donner le nom '' d'œufs ''.

chomp
chomp
chomp

… Nettement meilleur que la laideur de son enveloppe ! Mâchant avec plaisir le contenu dans sa bouche, le prince des sables continua de faire des mouvements d'approbation avec sa tête. Le goût était bien spécial, mais pas dans un sens négatif; la chaire savoureuse fondait sur sa langue et les petites boules donnaient un croustillant qui lui plaisait beaucoup.

- Hey ! Ch'est plutôt bon ton poichon, franchement ! Termina-t-il en avalant sa première bouchée. C'est une agréable suu.. suuu.. surpris..e…

Le dernier mot passa avec difficulté dans sa gorge, le novice du vent toussant brusquement en sentant quelque chose de coincé. Eh bah, c'était bien sa veine ! Redoublant d'ardeur sur la violence de sa toux, une petite arrête finit par sortir à ses pattes, enroulée de bave visqueuse et franchement pas très glamour. Nuage du Vent, embarrassé, releva sa tête en croisant les prunelles de Nuage d'Opale.

- Euuuhhh.. Oui, très bon ! Un jour, je vais peut-être pouvoir te faire goûter au lapin, je suis certain que tu aimerais ça. Si on se revoit, je veux dire… Avait-il déjà été plus inutile dans toute sa vie ? Il essaya de se reprendre et continua sur sa lancée, l'observant en démontrant un petit sourire. On vous décrit comme des chats vils, cupides et sournois, mais t'es vraiment tout le contraire de ce qu'ils disent.

oui:

L’air peu ragouté de Nuage du Vent face au poisson des rivières fit remonter un rire dans la gorge de Nuage d’Opale, qu’elle réprima tant bien que mal. Elle avait un peu - beaucoup - de mal à comprendre cette révulsion envers les poissons, qu’elle trouvait tout simplement magnifiques, en plus d’être délicieux. Leurs écailles luisantes, brillant aux couleurs de l’arc-en-ciel lorsqu’ils étaient exposés à la chaleureuse lumière du soleil… Certains d’entre eux possédaient de longues écailles qui faisaient comme un voile de vent lorsqu’ils glissaient contre les courants.

Parfois, Nuage d’Opale rêvait d’être un poisson, là où d’autres rêvaient de devenir des oiseaux. La liberté était la même, mais elle explorerait les fonds marins et tout le calme qui les accompagnait. Être sous l’eau, c’était revivre. C’était quitter ce monde, trop bruyant, trop agité, trop… trop. Quitter ce monde pour en rejoindre un autre, plus calme, plus doux, et pourtant froid et meurtrier.

En effet, la rivière peut parfois tuer. Mais ça, Nuage d’Opale préférait l’ignorer.

Elle préférait oublier l’image terrifiante d’Écaille d’Anguille qui mourrait, déchirée littéralement par les eaux du torrent.



- Hey ! Ch'est plutôt bon ton poichon, franchement ! C'est une agréable suu.. suuu.. surpris..e…



L’apprentie de la Rivière était ravie d’apprendre cette nouvelle, et aurait sans doute décroché son plus beau sourire si elle ne savait pas exactement ce que l’apprenti était en train de subir. Une arrête. Qui n’avait jamais vécu cette douleur, en plein milieu d’un beau repas, au Clan de la Rivière lorsque venait le temps des premiers poissons de la vie d’un chat?

Il arriva enfin à la recracher, et elle espérait vivement qu’il ne soit pas définitivement rebuté par cette mauvaise experience.

- Ne t’en fais pas, lui dit-elle d’une voix douce. C’est une arrête. Ça arrive souvent aux chatons qui dégustent leur premier poisson. Si ce n’est toujours…


- Euuuhhh.. Oui, très bon ! Un jour, je vais peut-être pouvoir te faire goûter au lapin, je suis certain que tu aimerais ça. Si on se revoit, je veux dire…


- Avec plaisir! J’aimerai beaucoup gouter le lapin! Je sais qu’ils ont de longues oreilles.



Elle en avait discuté, peu avant son baptême, avec sa soeur alors nommée Nuage d’Émeraude. À l’époque, elle était persuadée que les félins du Clan du Vent possédaient des oreilles aussi longues que les lapins et les lièvres. À en juger par celles de Nuage du Vent, sur lesquelles elle louchait d’un peu trop près, elle s’était trompé.



- On vous décrit comme des chats vils, cupides et sournois, mais t'es vraiment tout le contraire de ce qu'ils disent.

- Non.



Elle avait sans doute parlé trop vite, le coupant presque, mais elle ne voulait pas que Nuage du Vent se fasse de faux espoirs.



- Tu as raison, enfin, pour la plupart des chats.



Elle pensait notamment à Nuage de Merle, son ancien amour devenu Merle Noir. Elle l’avait aimé si fort, si tendrement, et pendant longtemps il avait été son seul ami, sa seule source de reconnaissance extérieure à celle constante et vide de sens de sa famille. Évidemment que ses frères et soeurs, exception faire de Nuage de Jaspe - car il était grossier - et Petite Améthyste - car elle était morte - allaient la féliciter et l’encourager dans toutes ses actions, lui dire qu’elle était belle et courageuse. Même si ça n’avait pas été le cas.

En grandissant, et avec du recul, elle se rendait compte qu’il était l’archétype même de ce qu’était un chat du Clan de la Rivière. Dans le cas des mâles.



- Tous ne sont pas comme ça. Mais notre ancien chef, Étoile du Corbeau, était tout ce que tu décris. Et ainsi sont devenu ses guerriers. Aujourd’hui… cette façon d’être subsiste, mais les femelles se révoltent. Le chef actuel a nommé une femelle lieutenant - tu le sais sans doute - même s’il…



Les mots qui suivirent restèrent un moment bloqués en travers de sa gorge. Elle refusait de l’admettre, pourtant la vérité était la.



- Même s’il va bientôt mourir. Alors… le Clan de la Rivière risque de beaucoup changer, dans les prochaines lunes.



Le regard se tourna vers la Rivière plutôt que vers Nuage du Vent. Le chef, c’était son père, la seule famille qui lui restait alors. Et bientôt, il partirait, rejoindre sa mère et sa soeur. Il l’avait sans doute mérité - non pas sa mort mais son repos - mais s’il était déjà particulièrement absent, de présence et de vie, elle se demanderait comment serait ses jours sans lui. Elle n’avait pas envie que ce jour vienne, quand bien même il était bien plus proche qu’elle ne l’imaginait.



- Je n’ai jamais cru aux histoires que l’on nous racontait sur les autres Clans. Je sais qu’elles sont tissées de haine et de jalousie, et en te voyant, je me dis que j’ai bien fait de les ignorer. On raconte sur ton Clan qu’il est particulièrement xenophobe et violent. Et… que vous êtes tout petits aussi. Ça, ça a l’air d’être vrai, par contre. J'ai déjà rencontré un autre chat que toi, du Clan du Vent. Mais j'étais très petite. Je ne me rappelle plus vraiment de ce qu'il s'est passé, mis-à-part qu'il m'a sauvé la vie, et qu'il s'appelait... Nuage Nacré? Il est sans doute devenu guerrier, depuis le temps.

Alors qu'il était rassuré qu'elle ne le prenne pas pour un idiot, un doux sourire changea son masque embêté en un faciès chaleureux. Il n'était certes pas un chaton, mais c'était la première fois qu'il dégustait ce mets bien spécial; une piètre excuse, mais quand même une valable... Et puis, sa réponse sur les lièvres l'avait fait étouffée un petit rire joyeux, se demandant si tout ce qu'ils apprenaient sur les proies des autres clans était la longueur de leurs oreilles. Bon, il pouvait bien se moquer, tient ! Lui, si on excluait ce jour-ci, n'avait jamais entraperçu un poisson... Et il comptait bien en profiter pendant qu'il était encore temps. Ce fut donc sur ces pensées qu'il planta une nouvelle fois ses crocs dans la chaire tendre, mastiquant avec plaisir et pour une deuxième fois la carcasse de ce frétillant animal des eaux. Après sa tirade, un non plutôt brutal arriva presque avant qu'il ne la termine, le faisant hésiter pendant quelques secondes. L'avait-il vexée ?

- Tu as raison, enfin, pour la plupart des chats.

Avalant sa dernière bouchée, il s'assit pour écouter convenablement Nuage d'Opale, toujours intéressé par une discussion qui portait sur autre chose que la xénophobie. Il en profita d'ailleurs pour se sentir légèrement, grimaçant alors que l'odeur de poisson arpentait tout son pelage; il allait devoir trouver une bonne excuse en rentrant. Ou peut-être juste se rouler dans quelque chose d'encore plus puant, tient... Ça pouvait être une bonne idée, même s'il allait devoir dormir en dehors de sa tanière pour les prochains jours — il ne souhaitait pas particulièrement recevoir un coup de patte de Nuage d'Or ou de Nuit.

- Tous ne sont pas comme ça. Mais notre ancien chef, Étoile du Corbeau, était tout ce que tu décris. Et ainsi sont devenu ses guerriers. Aujourd’hui… cette façon d’être subsiste, mais les femelles se révoltent. Le chef actuel a nommé une femelle lieutenant - tu le sais sans doute - même s’il…

La laissant parler sans répondre — il voyait bien qu'elle avait l'air touchée —, il l'écouta sans même bouger le moindre muscle de son corps. Étoile du Corbeau... Il en avait entendu parler, oui, de ce chat aux tendances pas très net, mais, dans un sens, ne ressemblait-il pas à sa propre cheffe de l'instant ? Deux quadrupèdes n'étant pas nécessairement bon pour leurs clans... Oui, il partageait sans bruit sa douleur, plongeant avec douceur ses yeux ambrés dans ceux profonds de la demoiselle de l'eau.

- Même s’il va bientôt mourir. Alors… le Clan de la Rivière risque de beaucoup changer, dans les prochaines lunes.

Le regard de sa compagne dévia vers la rivière alors qu'elle semblait plongée dans ses pensées, vers les proches — mais lointaines — terres de sa naissance. Nuage du Vent en profita pour l'observer, passant avec lenteur son regard sur sa physionomie point ressemblante à toutes celles qu'il avait pu voir à ce jour. Plus grande que lui, un pelage plus fournis, elle ne ressemblait en rien aux femelles de son clan qui, petites et ornées de poils courts, étaient taillées pour une vitesse sans précédent. Il n'avait donc jamais vraiment observé d'autres corps, n'étant allé à aucune assemblée au cours de sa vie.. Et il devait avouer que celui-ci l’impressionnait beaucoup.

- Je n’ai jamais cru aux histoires que l’on nous racontait sur les autres Clans. Je sais qu’elles sont tissées de haine et de jalousie, et en te voyant, je me dis que j’ai bien fait de les ignorer. On raconte sur ton Clan qu’il est particulièrement xénophobe et violent. Et… que vous êtes tout petits aussi. Ça, ça a l’air d’être vrai, par contre. J'ai déjà rencontré un autre chat que toi, du Clan du Vent. Mais j'étais très petite. Je ne me rappelle plus vraiment de ce qu'il s'est passé, mis-à-part qu'il m'a sauvé la vie, et qu'il s'appelait... Nuage Nacré? Il est sans doute devenu guerrier, depuis le temps.

haine et jalousie, xénophobe et violent
son visage se rembrunit, son cœur se serra
allait-il devoir entendre ces mots, au fil des ans
pour lui rappeler, lentement, qu'il était pris
dans ce piège sans sortie ?

- Nuage Nacré... Commença-t-il en essayant de changer son air macabre, Oui je le connais bien, en fait. C'est mon mentor ! Il s’appelle Crocs Nacrés, maintenant. Et désolé si j'ai pu te vexer, j'ai peut-être parlé un peu trop vite... Il y a des félins dont les rumeurs des autres les concernent bien dans chaque clan, non ? Il poussa un soupir un peu défait, remuant avec vivacité ses oreilles. J'espère que le chef dont tu parles va encore avoir des lunes heureuses devant lui et que la rivière se portera mieux.

Puis, un peu plus bassement, il grogna doucement;

- Malheureusement, même si je ne crois pas ces histoires non plus, certaines parties de celles-ci sont bien fondées. Je ne connais pas une personne qui n'est pas xénophobe dans mon clan, mais personne n'est vraiment violent, sauf si on transgresse les règles... Ou si on discute avec une apprentie de la rivière qui nous offre du poisson, glissa-t-il en lui décochant un léger clin d’œil. Par contre, pour êtres petits, ça on l'est ! D'ailleurs, les deux femelles au pouvoir sont très intransigeantes, donc il faut faire attention, mais à part ça... On vit plutôt bien. Même si j'aurais mieux aimé qu'on soit un gros clan ! Qui sait, peut-être qu'on se serait connu plus tôt ?

Il lui administra un grand sourire, envoyant avec douceur le bout de sa queue frôler son épaule. Peut-être auraient-ils même été meilleurs amis ?

Nuage d'Opale faisait appel à de lointains souvenirs. Des souvenirs d'un hiver froid, mais malgré tout chaleureux. Des souvenirs du moment où elle était encore jeune, innocente, où Lunar Pod n'était pour elle que deux simples mots vides de sens. De l'époque où son père lui semblait encore en bonne santé. Une époque où leur famille n'était presque pas détruite.
Elle se souvenait du froid sous ses pattes, du bruit de la glace qui craque et de ses éclats de rire. De l'espoir, de la volonté de bien faire. De l'apprenti du Clan du Vent bien trop gentil et du regard réprobateur de son père qui avait passé de longues minutes à la chercher, pensant déjà au pire alors qu'une de ses filles était déjà disparue, peut-être même déjà morte à cette époque, emportée par cette attaque qui les avait tous meurtris.
Elle se rappelait d'un chat très pâle, plutôt petit par rapport aux chats qu'elle connaissait, un peu trop inquiet.
Nuage Nacré... c'était donc son vrai nom.

- Nuage Nacré... commença Nuage du Vent, comme s'il lisait dans ses pensées - et elle sursauta presque, se tournant immédiatement vers lui. Oui je le connais bien, en fait. C'est mon mentor ! Il s’appelle Crocs Nacrés, maintenant. Et désolé si j'ai pu te vexer, j'ai peut-être parlé un peu trop vite... Il y a des félins dont les rumeurs des autres les concernent bien dans chaque clan, non ?

L'apprenti poussa un soupir. Lui aussi était exaspéré par ce système qui la dépassait. Elle n'était donc pas la seule, comme beaucoup de guerriers s'efforçaient de lui faire croire! Elle en était sure! Ç'en était presque rassurant, mais en même temps... ça signifiait que beaucoup plus de félins qu'elle ne l'imaginait étaient touchés par ce code. Combien s'aimaient sans pouvoir le vivre? Combien de familles et d'amitiés détruites? Son père lui même avait perdu un oeil pour ce fichu code. Un oeil et un ami. Pourquoi avait-il continué si durement à le protéger? Elle ne comprenait pas, vraiment.

- Malheureusement, même si je ne crois pas ces histoires non plus, certaines parties de celles-ci sont bien fondées. Je ne connais pas une personne qui n'est pas xénophobe dans mon clan, mais personne n'est vraiment violent, sauf si on transgresse les règles... Ou si on discute avec une apprentie de la rivière qui nous offre du poisson.

Nuage d'Opale frissonna, affichant un regard inquiet alors que celui-ci lui décochait un clin d'oeil. Le mettait-elle en danger, en lui parlant ainsi? Elle ne voulait pas... non, vraiment pas lui faire de mal. Elle ne voulait pas que comme son père, il perde un oeil - et même peut-être pire - pour une vulgaire histoire d'amitié.
Devait-elle replonger, là, maintenant, et fuir sans même dire un mot?
L'apprentie regarda ses pattes. Elle n'en avait pas envie non plus. Qu'était-elle supposée faire?

- Par contre, pour êtres petits, ça on l'est ! D'ailleurs, les deux femelles au pouvoir sont très intransigeantes, donc il faut faire attention, mais à part ça... On vit plutôt bien. Même si j'aurais mieux aimé qu'on soit un gros clan ! Qui sait, peut-être qu'on se serait connu plus tôt ?

Un seul et unique grand Clan... ce que ç'aurait été bien! Un Clan de chats unis, apprenant à nager, grimper, se faire plus discrets que la nuit et courir plus vite que le vent... Plus de guerre, plus de rivalités! Nuage du Vent lui offrit un grand sourire, et elle répondit par un autre plus discret. Ce n'était qu'un rêve, une utopie. Ça n'arriverait jamais, c'était évident.

- Nuage du Vent... est ce que je te met en danger, en restant ici? demanda-t-elle doucement.

Elle ne voulait pas l'inquiéter ou même le faire culpabiliser. Simplement... elle l'appréciait déjà, et l'idée qu'il soit blessé d'une quelconque manière par sa faute lui était insupportable. Elle n'avait vu que trop de personnes mourir et souffrir devant elle, et Nuage d'Opale voulait que ça cesse. Au plus vite.

- Je ne dis pas qu'il ne faut plus se voir... non! Bien sur que non, c'est juste que... peut-être faudrait-il trouver un autre endroit où on pourrait... se revoir? Nous sommes un peu exposés ici...