SNIF SNIF (avec Nid Mousse) -end

Snif Snif

BOULE DE POIVRE
LUNE 44

Les semaines s'étaient écoulées depuis la mort de Tache d'If, mias le trou dans sa poitrine semblait toujours aussi béant. Oh, il ne pleurait plus à chaque jour, car les larmes avaient tôt fait de se tarir. Il fallait croire que les mois de deuils et de trauma avaient fini par avoir raison de son coeur sensible: il n'avait plus la force de pleurer autant. La peine restait, mais différente, un nuage noir qui le suivait constamment, qui lui minait son énergie. Viendrait-il un jour où il pourrait passer plus d'une lune sans devoir pleurer la mort d'un proche? ... Ce jour viendrait peut-être plus tôt que prévu, comme il ne lui restait plus grand proche à perdre. Il en venait à se demander si Tache d'If avait bien fait de tourner dos aux Étoiles, si leurs ancêtres les regardaient réellement, s'ils possédaient le pouvoir de les aider, de les protéger. Mais, non - il chassait aussitôt ces pensées de son esprit, ne pouvait pas se parjurer à leurs yeux. Il devait garder espoir que les anciens guerriers du Vent, et tous ceux tombés injustement avant leur heure, les regardaient de là-haut, et leur envoyaient autant de force qu'il leur était possible. Il devrait croire que l'esprit de sa mère était là, qu'elle connaissait le bonheur, et qu'il finirait par l'y rejoindre et l'aimer pour l'éternité. Il devait croire que Tache d'If avait su trouver la paix également, et qu'il joindrait sa mentor dans l'au-delà. Il devait garder la foi, car c'était tout ce qui lui restait - avec l'amour de Silence Hivernal.

À la demande du lieutenant, Nid de Mousse avait passé l'avant midi à chasser. L'arrivée de l'hiver se faisait bien sentir dans l'absence de proie, qui n'aidait en rien ses piètres talents. Il était bien parvenu à trouver une souris encore assez grosse pour en faire un repas, mais ce n'était rien dont il pouvait être fier. Sitôt revenu au camp, il se dirigea vers la pouponnière, où sa proie serait la plus utile. Si la portée de Tache d'If - paix à son âme - l'avait récemment quitté, restait encore celle de Cri des Albatros (laquelle dépérissait à vu d'oeil, la pauvre), et les portées tout juste nées de Pelage de Nuit et Chant du Rossignol. L'une et l'autre ne pouvaient pas être plus opposées; la première était terriblement jeune, et la seconde, plus vraiment dans la fleur de l'âge. Autant dire que les naissances avaient causé pas mal de discussions et de jugements. Lui-même n'était pas tout à fait confortable avec cette relation entre son presque-frère et sa précédente apprentie, mais, il la connaissait très peu, alors, il ne pouvait pas savoir si elle le désirait vraiment, et si elle était heureuse dans tout ça. Mais il pouvait l'épauler!

Alors il se dirigeait vers la pouponnière pour lui donner sa proie... Sans la trouver. Elle devait être partie se soulager dans un coin. Bon. Tant pis. Chant du Rossignol se fit un plaisir de l'accepter, et il ne pouvait décemment pas la lui refuser. Il la félicita d'ailleurs pour sa mise à bas, rigolant un peu devant l'allure toute ébouriffée de sa petite boule de poils. Il avait bien les couleurs de Cobra Royal, mais certainement pas sa prestance! Les politesses échangées, Nid de Mousse se retourna pour sortir, mais fut interrompu par des piaillements alarmés. Il trouva rapidement le fautif, une petite boule tigrée qui avançait à tâtons, ses petits yeux à peine capable de s'ouvrir. Pelage de Nuit n'étant pas là, et ne désirant pas déranger les deux autres reines, Nid de Mousse se dirigea vers la boule grise qui tentait difficilement de quitter le reste sa portée... Avant de s'étaler de tout son long. Répondant à son instinct maternel, se dépêcha de le rejoindre et lui porta quelques lèches sur le corps, histoire de le réchauffer et le rassurer.

─ Oupsie, c'est pas facile de marcher, hein? Fit-il de sa voix la plus douce.

Snif Snif

BOULE DE POIVRE
LUNE 44

Un peu à retardement, Nid de Mousse se demanda si le rejeton allait être confortable à l'idée que lui, un guerrier inconnu, se mette à lui faire sa toilette là comme ça, sans avertissement. À son âge, Petite Mousse n'aurait certainement pas aimé se faire agresser si vite par un étranger... Mais il l'aurait probablement apprécié d'une reine, même inconnu, car, à ses yeux, les reines possédaient toujours cette aura de réconfort et de chaleur qu'il appréciait tant. Et, quelque part, il espérait lui-même l'avoir développé. Et donc que cette petite boule ne prenne pas trop peur, en le voyant arriver comme ça. Fort heureusement pour lui, Boule de Poivre n'était pas bien farouche, et un ronron tout instinctif se leva dès les premiers instants. Tant mieux!

Après lui avoir adressé la parole, Nid de Mousse l'observa se hisser sur ses toutes petites pattes encore maladroites, et se rapprocher de lui. Comme la différence de taille était bien grande, le rouquin s'abaissa un peu sur ses antérieurs, réceptionnant ainsi le petit chaton à la hauteur de son poitrail. Et ce dernier ne se gêna pas pour s'y blottir, ou plutôt, le toucher et le sentir, probablement très curieux de cet inconnu, qui ne ressemblait en rien à ses parents. Il l'appela d'ailleurs un Grand Renard, ce qui ne manqua pas de surprendre le guerrier, car qu'est-ce qu'une petite boule comme ça pouvait bien connaître aux renards... ? Lui-même n'en avait aperçut que quelques fois, dans la distance, et s'était pressé pour ne pas croiser leur chemin. À moins que Pelage de Nuit n'en ait fait une description, et... Effectivement, une grande créature rousse, ça pouvait autant appliquer à lui qu'à un renard. Tant que le chaton ne se mettait pas à crier parce qu'il avait peur des renards, tout irait pour le mieux...

─ On dirait de la mousse jaune mais... Mais un peu pareil que maman.

Le rouquin ronronna à cette description, amusé par les tentatives du petit, mais également par ses déductions. Il pouvait reconnaître l'odeur des félins, et de la mousse, et c'était très bien. D'ailleurs, sentait-il réellement un peu comme la mousse? Était-ce la raison pour laquelle sa mère lui avait donné ce patronyme? Il avait toujours assumé que c'était à cause de sa fourrure laineuse, puisqu'il ne pouvait pas vraiment se sentir lui-même, mais Boule de Poivre lui avait mit un doute dans l'esprit... Malheureusement, il ne pourrait pas trouver réponse auprès de sa mère.

─ Ce qui sent pareil à ta maman, c'est l'odeur des chats, et même, celle des chats du Vent. Toi aussi tu vas sentir comme ça, un peu. Et pour l'odeur de mousse, tu n'as peut-être pas tord, car on m'appelle Nid de Mousse. Et toi c'est Boule de... Boule de... Boule de Poivre, je me trompe?

Mais il n'était pas sûr que le petiot eusse assimilé sa réponse, ni même sache son propre nom, car il s'était soudainement montré très intéressé par ses pattes... Au point de commencer à les lécher. Surpris, et un peu inconfortable (lui, lécher une chaton pour le rassurer? D'accord. Se faire lécher les coussinets sans raison? Un peu moins d'accord), Nid de Mousse observa le gamin faire sans trop oser bouger, pour ne pas être désagréable malgré sa gêne.

─ C'est quoi ça ?

Nid de Mousse bredouilla des sons incompréhensibles, ne situant pas quelle réponse il devait donner... Avant de réaliser quelle était cette odeur qui devait tant le fasciner. La souris qu'il avait chassée! ... Et le sang qu'il avait toujours à ses pattes. ... Expliquer le concept de la mort à un chaton, et la nécessité de tuer pour survivre? Très peu pour lui. Il n'était toujours pas très confortable à cette idée. Alors autant simplifier, et laisser cette discussion à Pelage de Nuit...

─ Ça, ça sent la souris. Je l'ai chassé plus tôt, et je l'ai donné à Chant du Rossignol pour qu'elle mange. Toi, tu bois encore le lait de ta maman, pas vrai? Mais bientôt, tu vas pouvoir manger des souris aussi, ça donne plus de forces!

Snif Snif

BOULE DE POIVRE
LUNE 44

Le chaton semblait avoir compris ses paroles, ou du moins, avait fait très attention aux mots. À cet âge-là, il était un peu difficile de savoir à quel point les petits saisissaient tout ce qu'on leur disait, surtout qu'ils avaient tendance à être bien sélectifs dans leur champ d'intérêt. Au moins, il était capable de parler, de répondre, et donc, de tenir une conversation avec un minimum de sens. Et converser avec les chatons lui amenait toujours de la joie dans le coeur; il se rappelait pourquoi il aimait tant la vie, pourquoi il aimait tant son clan. Même dans les moments les plus difficiles. Et même si ledit chaton venait à la fois de le traiter de Grand Renard (un.. compliment?) et de bizarre (probablement pas un compliment). Mais là encore, les mots étaient quelque chose de compliqué. Il n'était pas du tout certain que Boule de Poivre sache ce qu'était un renard, ni même que c'était méchant, et "bizarre" devait être l'adjectif attribué à tout ce qui était différent. Ce qui le rendait d'autant plus charmant. D'autant plus qu'il trouva pertinent de se coucher sur la patte qu'il venait de lécher.

─ Pourquoi t'es comme ça ? Et... Et... Est-ce que tu connais ma... la maman de...enfin euh... Tache d'If.

"Comme ça"? Comme quoi? Cela ne voulait pas dire grand chose. Sa couleur? Sa grandeur? La texture de son pelage? Son nom? La souris qu'il avait rapporté? Rien n'était très clair. Et la mère de Tache d'If? Vol d'Oiseau? Lui-même ne l'avait pas connu, comme elle était morte environ à sa naissance. Non, il voulait probablement parler de Tache d'If, la mère de Puissant Guépard, son père. Nid de Mousse ne savait pas trop pourquoi il avait prononcé ce nom, et la peine de son récent trépas restait douloureuse, mais il fit de son mieux pour répondre au petit. Autant garder la mémoire de Tache d'If honorable, avant qu'il n'entende des bêtises à son sujet, même s'il était sûr que Puissant Guépard ne salissait pas la réputation de sa mère.

─ O-oui, je la connaissais, très bien même. Elle était en quelque sorte ma deuxième maman, et ensuite elle est devenue ma mentor. Je lui dois beaucoup. Elle était une femelle honorable, débordante d'amour, d'accord? Même si vers la fin, elle avait un peu de mal avec ça...

Snif Snif

BOULE DE POIVRE
LUNE 44

Comment expliquer à un chaton des sentiments que lui-même n'arrivait pas à décortiquer? Il avait avait aimé Tache d'If d'un amour profond, désespéré, se rattachant à elle depuis son enfance craintive. Elle l'avait pris sous son aile durant ce terrible orage, durant ses anxiétés, durant son apprentissage, si pénible fut-il. Elle l'avait repoussé, lorsqu'il avait eu l'idiotie de croire aux belles paroles de Sareth, et son coeur ne s'en était jamais remis. Mais il était parvenu à retrouver sa confiance, par la douleur de perdre sa mère biologique, et n'avait jamais souhaité la trahir à nouveau. Et pourtant... Pourtant, en montant au pouvoir, elle s'était radicalisée, devenant méconnaissable, entraînant des conflits qu'il n'avait pas pu approuver, mais sans non plus ouvertement les condamner. Maintenant, elle était morte, et plusieurs s'en trouvaient soulagés. Comment expliquer à Boule de Poivre que son coeur était partagé entre l’apaisement de ne plus l'avoir comme cheffe, et la peine immense de la perdre comme mère, et la culpabilité d'être autant tiraillé? Il ignorait si Pelage de Nuit parlerait en bien de leur grand-mère, ni combien de temps il leur faudrait pour entendre les critiques des autres adulte? Il ne pouvait qu'espérer être capable de garder sa mémoire honorée.

─ Et puis et puis ! Même ! Même que et bien Tache d'If elle... Même qu'elle était trop forte ! Et elle... elle euh... les Cureuils et bah ! Y' z'avaient trop trop peur ! Tu sais mon papa ! Et bah et bah ! Il est trop fort aussi d'abord mon papa !

Face à tant de paroles enthousiastes, face à une telle foi en Tache d'If, Nid de Mousse ne savait pas s'il devait se sentir rassuré, ou troublé. De toutes les décisions qu'avait prise la calico.... De toutes les merveilleuses choses qu'elle avait accomplit... Voilà qu'il lui parlait de l'assaut sur le Tonnerre (du moins, il imaginait que c'était ça?), l'une des tâches les plus sombres - après le déni des Étoiles. Là encore, comment lui faire comprendre que la guerre, ce n'était pas toujours bien (et c'était même souvent méchant?), et que celle-là avait amené un kidnapping pas très moral? Et déboulerait peut-être sur des rétributions par le clan du Tonnerre? ... Mais il ne pouvait pas s'immiscer dans l'éducations de son presque-neveu. Si Puissant Guépard voulait vanter les exploits guerriers de sa mère, et du clan... Il inspira profondément. Autant tenter une diversion, plutôt qu'une conversation sur la complexité de la moralité et de la violence.

─ Oui, Guépard il est trop fort, c'est même pour ça qu'il s'appelle Puissant Guépard! Est-ce que tu pense devenir aussi fort que lui? Pour qu'un jour on t'appelle... euh.... Poivre Puissant?? Et que tu deviennes la terreur de tous les, euh, Cureuils, c'est bien ça?

Snif Snif

BOULE DE POIVRE
LUNE 44

Il avait bien tenté de prononcer Écureuils comme le gamin l'avait fait, mais à cause de son hésitation, ç'avait sonné pas mal de la même façon, et du coup, le gosse l'avait quand même reprit. Nid de Mousse grimaça, mimique servant autant de piètre excuse que de légère exaspération face au vocabulaire erroné du gamin - et des valeurs un peu trop guerrières à son goût qui l'accompagnait. Mais au moins, le petit était heureux, et pour l'instant, à son âge, c'était tout ce qu'il fallait. Peut-être que lorsqu'il serait un peu plus vieux, qu'il comprendrait un peu mieux le sens des mots, le rouquin allait pouvoir avoir une discussion avec lui sur la moralité de la guerre, et des actions des chefs passés. Mais pour l'instant, cela n'aurait rimé à rien.

Le petit se mit alors à regarder de tous les côtés et se rapprocha de l'adulte, comme pour lui dire un secret. Nid de Mousse se prêta au jeu, s’accroupissant un peu plus pour amener son oreille plus près de lui. L'attention ne servit pas vraiment à grand chose, puisque avec tous les mots entrecoupés que le chaton sortait dans des respirations hachurées, il n'en comprit pas grand chose. Ou plutôt, oui, il parlait de guerriers et d'écureuils et de force, mais trouver ce qu'il voulait dire avec ces mots répétés... Autre que venter sa propre force... ? Alors le grand guerrier se contenta d'hocher la tête, répétant certains mots pour l'encourager, pour affirmer qu'il était effectivement trop trop bon guerrier. Du coin de l'oeil, Nid de Mousse perçut le regard que lui lançait la vieille Chant du Rossignol, bien amusée de le voir galérer un peu.

Au moins, la boule de poils n'avait pas vraiment besoin de ses encouragements pour continuer son monologue, et était trop centrée sur elle-même pour se rendre compte que Nid de Mousse était complètement largué. Heureusement pour lui, le moulin à parole finit par s'épuiser lui-même, probablement parce qu'il avait un peu manqué d'air durant tout son discours. Et le voyant s'écrouler sur lui, se lovant contre l'une de ses épaules, le rouquin ne put s'empêcher de rire un peu - le plus doucement possible, pour ne pas trop le déranger.

─ T'es tellement un fort guerrier, t'as tellement fait peur aux Cureuils, que t'as besoin de faire la sieste, c'est ça?

Et comme dormir, c'était toujours mieux à deux, le guerrier tenta de se repositionner d'une façon plus confortable, étendant ses pattes arrières au sol et venant entourer le petit de celles avants.