La rage des tous petits (avec Nuage de Crépuscule) - end

Pour le plus grand désespoir de sa mère, Boule de Poivre n'aimait pas ses frères et soeurs et essayait toujours de les repousser lorsqu'ils venaient à lui. Il faisait partie de ceux qui craignaient sans cesse qu'on ne vienne à leur rencontre que pour piquer leur place. Et sa place, il s'y accrochait farouchement. C'était une bonne place, la meilleure place. Les autres n'y toucheraient jamais.

C'était pour lui tellement important que ce jour-là, lorsque sa fratrie sournoise partit jouer, il ne la quitta pas, sa place. Non non non, vous ne l'aurez pas, vous ne l'aurez pas. Il les connaissait très bien. Ils faisaient semblant de s'en aller, et une minute après, dès qu'il les devançait, ils en profitaient pour faire demi-tour à toute vitesse.

Ça ne marchait plus. Ça ne marcherait plus jamais. Roulé en boule, il avait ses petits coussinets avant enfoncés dans la poussière, en-dessous de la mousse, pour être sûr de le sentir, si dans son demi-sommeil, on essayait de le déloger. Tout seul ou pas tout seul, il resterait là. C'était dit.

Lorsqu'une grande dont il ne connaissait pas l'odeur entra dans la pouponnière, il resta enfoui à sa place sans réagir. A son âge, c'était encore difficile d'imaginer que les gens pouvaient passer près de lui pour une autre raison que parce qu'il était là, mais comme il n'avait pas envie de bouger, il ne bougeait pas. Comme pour dissuader la grande de le déranger.

Ses petits yeux de chatons étaient encore bleus, et l'espace de quelques instants, lorsqu'il sentit un souffle chaud se rapprocher de lui, il les dirigea vers la fameuse grande.

" J'ai rien fait j'ai rien fait ! " protesta-t-il en se demandant si elle venait pour lui reprocher quelque chose. " C'est eux d'abord ! " de sa tête, il désignait la sortie de la pouponnière, comme si tout le monde qui se trouvait au-delà de la pouponnière se résumait à cette seule direction. " Ils font que des bêtises ! Mais c'est pas moi ! " protesta le chaton.

Bizarrement il avait envie de pleurer. Il n'était pas vraiment habitué à recevoir des visites de la part d'inconnus.

Nuage de Crépuscule revenait d'une patrouille avec Pelage Strié. Elle peinait à tenir sur ses pattes, mais malgré tout, son sourire éclatant restait plaqué sur son visage. Sa mentor la laissa à l'entrée du campement, et retourna chasser aussitôt après, malgré les protestations de la rouquine qui voulait l'accompagner. Enfin, elles retourneraient plus tard dans la journée, si besoin il y avait, et si les fortifications n'avaient pas besoin d'un coup de patte.

Elle partit dans sa tanière, et finalement tourna en rond dedans, sans trouver le sommeil. Elle s'ennuyait, alors repartit dehors, et se fit un brin de toilette. L'apprentie s'approcha d'un pas incertain du tas de gibier, mais ne sut vraiment si elle avait faim. Elle n'avait jamais faim, son estomac ne grognait jamais, alors que celui des autres semblait toujours en quête d'une souris ou d'un oiseau. Cela ne l'inquiétait pas vraiment, elle sentirait bien si son corps ne tiendrait pas le coup, si elle manquait d'énergie. Enfin, malgré tout, elle se déroba devant les proies, et fit demi-tour, espérant que personne ne la verrait. Elle et son manège. Plume de Moineau la forcerait à voir la vérité en face, qu'elle n'était pas mince, mais réellement maigre. Maigre.

Et elle se rendit compte qu'elle n'avait jamais été voir les chatons de Pelage de Nuit, et de ? Puissant Guépard ? Elle ne savait plus. Enfin, de son allure chaloupée, elle se dirigea dans la pouponnière, ne prenant pas vraiment attention aux petits qui se chamaillaient avec leurs miaulements affreusement aigus. Elle ne les reconnaissait pas vraiment, et voulait juste voir comment se sentait la mère. Mais, passant sa guillerette tête dans la tanière, elle ne découvrit qu'un petit mâle sombre aux yeux bleus. Elle supposa qu'il était l'un des petits de la jeune guerrière, alors s'approcha, un grand sourire aux lèvres. Et il commença à babiller des propos incompréhensibles :
" J'ai rien fait j'ai rien fait ! C'est eux d'abord ! Ils font que des bêtises ! Mais c'est pas moi ! "

La rouquine suivit son regard, et aperçut des queues frétillantes. Sa fratrie, sans doute. Enfin, dans tous les cas, elle ne venait pas pour le disputer, elle n'en avait pas la matière, et se serait sans doute arrangée pour ne pas avoir à le faire. Pas devant ce bout de chou.
"Mais tu n'as rien fait ! Je venais voir ta maman, mais elle n'a pas l'air ici."

Sa jeune vue prenait encore un certain temps à s'adapter à la luminosité des lieux, et il fallut ainsi quelques instants à Boule de Poivre pour vraiment réaliser que la grande n'était pas grise ni blanche ni noire, mais toute rousse. Une couleur qu'il connaissait encore assez mal et qui le rendait curieux.

Elle tourna la tête en direction de la sortie, et lui se mit davantage sur le qui-vive pour bien signifier que sa place était ici et pas ailleurs et qu'aussi grande qu'elle puisse être elle ne le déplacerait pas. Na.

Il fut un peu surpris quand même de comprendre que la grande lui souriait, à lui. C'était louche.

" Mais tu n'as rien fait ! Je venais voir ta maman, mais elle n'a pas l'air ici.
- Oui non elle est... Elle est pas là et tu peux pas la voir de toute façon. " décida le petit d'un ton bizarrement ferme pour un chaton de son âge. Même lorsqu'il était curieux, il ne pouvait s'empêcher de se cramponner.

" Parce que d'abord c'est MA maman. " expliqua-t-il ensuite, comme si c'était une preuve qu'il avait forcément raison.

Et il se renfrogna un peu, en parfaite petite tête de mule qu'il savait être. Certes, c'était SA maman et elle n'était pas avec LUI et ça l'ennuyait parce qu'il avait beau être à sa place, il n'y avait personne, mais c'était pas une raison, c'était quand même SA maman à lui.

" Et puis d'abord t'es QUI et tu veux quoi à ma maman ? " lança le chaton en relevant un peu le museau pour renifler la grande d'un air un peu soupçonneux.

Nuage de Crépuscule prit un peu plus de temps, en observant le petit, qui la fixait sans dissimuler son attention. Cela aurait pu la gêner, mais les chatons étaient tous très curieux, d'autant plus qu'elle n'était pas si impressionnante, et qu'il se devait de "craindre" les étrangers. De les observer en tout cas. Et malgré son jeune âge, il répondit, un peu violemment :
- Oui non elle est... Elle est pas là et tu peux pas la voir de toute façon. "

La rouquine haussa un sourcil. Il était bien décidé à lui faire comprendre qu'elle était chez lui, mais elle s'en contrefichait. Ce n'était pas cette boule de poils qui allait lui marcher sur les pattes, sans qu'elle ne fasse rien. La jeunesse n'excusait malgré tout pas tout. Enfin. Pour qui se prenait-il, avec son regard quelque peu hautain et sa façon de parler ? Ce n'étaient pas des manières.
" Parce que d'abord c'est MA maman. Et puis d'abord t'es QUI et tu veux quoi à ma maman ? "

Oh, en fait, il craignait qu'elle lui pique sa mère. Mais elle en avait déjà une, il ne fallait pas qu'il s'inquiète. Elle venait juste occuper ses après-midis, et ce petit ronchon la satisfaisait pleinement. Le fait que Pelage Strié ne l'ait pas emmené chasser ne la dérangeait finalement pas, il était amusant. Et à exagérer sur le fait qu'elle lui appartenait … Typique des jaloux … Enfin, son dur regard la faisait intérieurement mourir de rire. Qu'il était drôle !
Elle s'assit, décidée à le provoquer un peu. Elle ne partirait que lorsqu'elle en aurait l'envie, et ce ne serait sûrement pas Pelage de Nuit qui irait la contredire. Enfin, elle ne la connaissait que très peu, mais si la jeune mère fuyait sa progéniture, il n'y avait pas de raisons pour que l'apprentie ne puisse pas discuter avec eux.
"Ah, tu es donc son garde du corps ?" rétorqua-t-elle assez durement.

La mince femelle le fixa quelques secondes, histoire qu'il comprenne la leçon, de ne pas lui parler sur ce ton. Encore, cela aurait pu passer avec d'autres, mais sa franchise et son honnêteté naturelles mettaient même les plus jeunes dans le panier. Et ce minuscule chat noir n'allait pas être l'exception à la règle, enfin ! Finalement, un peu hésitante sur la conduite à tenir, elle ne savait pas vraiment comment leur parler, à eux, répondit plus doucement :
"Je suis Nuage de Crépuscule. Je voulais voir si ta mère allait bien, mais comme elle n'est pas dans le coin, je suppose qu'elle est partie faire un tour et que tout va bien. Ca te va ?"

Elle espérait qu'il n'allait pas s'offusquer, ou pire encore, la craindre, à cause de la colère qu'il y avait eu dans sa voix.

Snif snif. La petite truffe du chaton s'agitait pour mieux sentir. La grande sentait il-ne-savait-pas-trop-quoi. Le dehors. Il ne voulait peut-être pas savoir. Mais c'était assez pour comprendre qu'elle n'était pas vraiment chez elle ici. Qu'avait-elle en tête ? Mystère.

" Ah, tu es donc son garde du corps ? " tonna-t-elle, comme si ça la contrariait et que c'était ridicule alors que pas du tout parce que d'abord sa maman tout le monde voulait la lui piquer alors c'était normal.

Il ne répondit pas, parce que quand même, la grande était un peu grande, mais il hocha la tête affirmativement, d'un air un peu provocateur. Comme si le fait qu'il ne dise pas vraiment oui signifiait qu'on n'aurait rien à lui reprocher. Petit à petit, néanmoins, comme la grande la fixait avec ses drôles d'yeux tous jaunes, il commença à se sentir un peu culotté. Peut-être. Et à se ratatiner et à baisser la tête dans sa mousse comme si ça le cachait. L'inconnue-qui-sentait-le-dehors reprit ensuite, un peu moins méchamment que ce à quoi il s'était attendu :

" Je suis Nuage de Crépuscule. Je voulais voir si ta mère allait bien, mais comme elle n'est pas dans le coin, je suppose qu'elle est partie faire un tour et que tout va bien. Ça te va ?
- Hmmm... " puisqu'on lui posait une question, le garnement se devait de faire semblant de réfléchir, comme si la réponse était loin d'être évidente.

" Passe pour cette fois. " trancha-t-il, avec un petit air d'expert.

" Mais tu sais que tu sens bizarre, Nyage, Nyage du Prépustule ? "

Il n'avait pas compris son nom, et avait un peu de mal à le prononcer, mais malgré tout, il gardait un ton assuré, et toujours sa petite bouille à moitié suspicieuse. " Si t'as fait des bêtises ma maman elle sera pas contente. "

C'était presque une menace de cafteur. Maintenant, il fallait qu'elle lui dise tout. Il écoutait.

Il se rendit sûrement compte qu'il avait dépassé les bornes, puisqu'il ne faisait plus le fier. Cela amusa Nuage de Crépuscule mais elle n'allait pas rire après avoir haussé la voix. Le pauvre n'allait plus rien comprendre. Il grommela, réfléchissant à sa conduite à tenir, peut-être. Ses petits yeux jaunes la fixaient avec un mélange de crainte et d'audace rare à ce petit nombre de lunes. Avait-il déjà plus d'une lune ? Elle ne se souvenait plus du moment exact de sa naissance …
" Passe pour cette fois. "

Franchement. Il se prenait pour ce qu'il n'était pas. C'était largement bien de trop osé. Enfin, il n'allait pas continuer sur cette lancée, si ? La rouquine haussa un sourcil, légèrement agacée. Ce chaton insignifiant n'allait pas lui dicter ce qu'il avait à faire. n'importe quoi. Il ne devait pas savoir à qui il avait affaire.
" Mais tu sais que tu sens bizarre, Nyage, Nyage du Prépustule ? Si t'as fait des bêtises ma maman elle sera pas contente. "

L'apprentie éclata de rire. Ce bruit cristallin s'étendit dans la pouponnière, et se répercuta dehors, avant de s'évanouir un peu plus loin. Ses prunelles ambrées brillèrent de joie, d'amusement. Sa réflexion l'avait absolument fait rire, tant elle était étrange.

Mais …
Mais maintenant elle se souvenait ! Un petit né récemment avait eu un nom original, suite à une odeur forte à sa naissance. Peut-être qu'elle se trouvait face à lui. Alors, il trouvait son fumet spécial, parce qu'il était habitué au sien. Peut-être. Et sûrement qu'à ses poils était accroché l'effluve de la liberté, de la vitesse, du gibier. De l'apprentissage, en fin de compte ! Du passage de l'enfance au statut d'adolescent. Prépubère, certes, mais d'adolescent !

Et en plus c'était un cafteur. Il devait l'aimer sa mère, il devait l'aimer. Plus qu'elle ne l'aimait, elle, puisqu'elle n'était pas avec lui. Mais non, elle était simplement partie chasser, enfin, une pause dans sa vie de mère. Mais s'il continuait à lui parler sur ce ton, elle n'hésitera pas à lui rabattre le clapet de la sorte.
"Crépuscule. Nuage de Crépuscule. Et non, désolée, tu n'auras rien à répéter à ta chère môman, je n'ai pas fait de bêtises. Miiince ! Et cette odeur si singulière, peut-être que si tu ne passais pas ton temps dans ta pouponnière, tu la sentirais dehors."

La rouquine rigolait alors que lui, il continuait d'essayer de signifier qu'il fallait le prendre au sérieux. Renfrogné, boudeur, vexé, il se disait aussi que si elle ne venait que pour faire le bazar et bien et bien... C'était pas sympa ! Alors pourquoi elle n'avait pas l'air de s'inquiéter de faire une bêtise, elle ? A croire que personne ne les surveillait, les grands...

Elle le corrigea, mais il ne comprit pas tout à fait qu'elle corrigeait sa prononciation, parce qu'il n'était pas tout à fait conscient qu'il prononçait encore mal son nom :

" Crépuscule. Nuage de Crépuscule.
- Mais c'est quoi " Crépéscule " ? " s'impatientait-il. Il était bizarre, son nom, à la grande. Il voulait rien dire d'abord. Bon, Boule de Poivre ne comprenait pas non plus ce voulaient dire les noms de ses frères et sœurs, mais comme justement il s'agissait de sa famille, ça lui paraissait tout à fait normal.

" Et non, désolée, tu n'auras rien à répéter à ta chère môman, je n'ai pas fait de bêtises. Miiince ! Et cette odeur si singulière, peut-être que si tu ne passais pas ton temps dans ta pouponnière, tu la sentirais dehors.
- Mais je passe pas mon temps ici moi. Je suis grand, d'abord. C'est juste que toi tu sens bizarre pour de vrai. " protesta-t-il avec un brin de mauvaise foi. Il n'était pas du tout aussi grand qu'on devait l'être à son âge, mais ça il l'ignorait. Et il ignorait aussi que d'ordinaire, à son âge, les chatons ne quittaient leur mère qu'exceptionnellement.

Mais par contre, Crépéstule, elle sentait vraiment tout bizarre parce que contrairement aux reines elle ne sentait pas du tout le lait. Il ne voulait pas bouger parce que dehors il faisait froid et parce qu'il était sûr que s'il bougeait on lui piquerait sa place, mais c'était pas une raison pour passer pour un tout-bébé d'ailleurs leur maman elle leur avait dit qu'ils étaient des grands maintenant.

" Et d'abord attention parce que mon papa-mon papa et bien sa maman et bien c'est-c'est Tache d'If alors faut pas m'embêter. " essaya-t-il de se hérisser une dernière fois pour bien montrer qu'il n'était vraiment pas si fragile que ce que la grande voulait croire. Bien sûr, la mort de Tache d'If, il ne comprenait absolument pas ce qu'elle impliquait de réel. Morte ou pas morte, il ne l'avait jamais vue, mais il avait entendu tant d'histoires INCROYABLES aux sujets de sa grand-mère qu'il était persuadé qu'elle pourrait à tout moment venir à son secours.

- Mais c'est quoi " Crépéscule " ? "

Il grommela encore, avec sa bouille froncée. C'était un réel boudeur, ce chaton. Nuage de Crépuscule, et non de Crépéscule? eut soudainement beaucoup de respect envers Pelage de Nuit. Subir les remarques et des regards désapprobateurs des autres du Clan, qui n'acceptaient pas vraiment qu'on puisse avoir des petits à son jeune âge, puis s'accaparer de boules de poils comme celle-ci ! Tout de même, Les venteux pouvaient dire ce qu'ils voulaient, ils étaient bien fermés d'esprit. Qu'il puisse y avoir un amour réciproque et que la situation ait dérapé ou non, ça ne changerait rien que la mère du noiraud était une guerrière qui avait totalement le droit de devenir reine. Elle espérait que les choses changeraient avec Etoile Tropicale, bien qu'elle en doute. Ce mâle ne semblait pas vouloir changer la politique de Tâche d'If, ce qui convenait pratiquement à tous les chats du clan. Sauf elle et sa mère, ainsi qu'une petite quantité d'entre eux.
Elle allait pour lui répondre, quand il continua, toujours de mauvaise humeur :
- Mais je passe pas mon temps ici moi. Je suis grand, d'abord. C'est juste que toi tu sens bizarre pour de vrai.

La rouquine lui lança un regard lassé. Il en faisait exprès, parce qu'il voulait avoir le mérite d'avoir contredit une grande. Et cela ne l'amusait plus, il était en fait vraiment insupportable. Elle regrettait avoir voulu prendre des nouvelles de sa génitrice, et d'être tombée nez à nez face à ce petit. Ce petit, pas ce grand. Elle voulait même partir, sa bonne humeur s'était envolée, quand il avait commencé à vouloir lui tenir tête. Elle se leva, et, le dominant sans même vraiment le vouloir, répondit :
"Le crépuscule, c'est quand le Soleil tombe et que le clan des Etoiles apparait. Le ciel prend une teinte orangée. Mais ça, tu dois le savoir puisque tu es un grand."

Ses prunelles ambrées reflétaient sa colère. Enfin, colère était un grand mot, elle n'était pas vraiment énervée, simplement blasée par ce chaton. Qui décidemment adorait parler, puisqu'il reprit, alors qu'elle songeait à aller faire une petite sieste dans la tanière des apprentis :
" Et d'abord attention parce que mon papa-mon papa et bien sa maman et bien c'est-c'est Tache d'If alors faut pas m'embêter. "[i]

L'apprentie s'assit lourdement. Et fixa le petit corps couché qui la regardait avec méchanceté. Lui avait-on caché la mort de sa mamie ? Non, tout le monde en avait parlé pendant une durée si longue, si longue, ce n'était pas possible. Les reines avaient bien dû discuter, et les oreilles du gosse avaient bien dû capter quelques paroles à son attention. Là, en ce moment, elle ne savait pas vraiment quoi faire. Mais elle décida de lui expliquer, juste pour lui faire comprendre qu'elle était en ce moment la plus cultivée des deux. Et sa franchise qui avait à un moment été légèrement en retrait pour le bonheur du chaton revenait au triple galop. Quand on chasse le naturel, il revient au galop, non ?
"Tâche d'If est morte. Elle n'est plus de ce monde, et ne peut rien me faire, à moi, à toi, à personne. Elle est dans le clan des Etoiles, tu sais, ce que je te disais tout à l'heure, et discute avec d'autres chefs. Etoile Tropicale, notre meneur, peut lui parler ainsi que notre guérisseur par l'intermédiaire de la Pierre de Lune, enfin, ça, c'est une autre histoire. Tu as compris ?"
Elle avait préféré ne pas s'étendre sur le sujet, car elle craignait que le fils de Pelage de Nuit ne veuille retrouver sa grand-mère, et cherche par la même occasion la Pierre de Lune, qui n'était en plus pas très loin.

hrp:

Il écoutait attentivement les explications de la grande, mais à son âge, on ne pouvait pas vraiment comprendre la régularité des jours et des nuits. Il avait une trop mauvaise mémoire, et ses yeux n'étaient ouverts que depuis peu.

" Le crépuscule, c'est quand le Soleil tombe et que le clan des Etoiles apparait. Le ciel prend une teinte orangée. Mais ça, tu dois le savoir puisque tu es un grand.
- Meuh ! Mais oui d'abord je savais ! Tu disais juste mal ! "

Ce mot nouveau, en tout cas, il avait bien du mal à s'en souvenir. Le début faisait "cré" et la fin, "ule". Quant au milieu, c'était difficile. Il l'appellerait Crépule pendant plusieurs lunes, c'était plus simple.

Fier de nature, il se sentait aussi obligé de toujours chercher à avoir le dernier mot, comme il avait l'habitude de le chercher entre chatons. Cependant, cette fois, il sentait aussi vaguement que la grande n'était pas d'humeur à jouer à ce jeu. Mais il ne s'expliquait pas pourquoi. Sans doute ne l'avait-il pas assez énervée, encore. Ou peut-être qu'elle avait besoin de faire dodo.

" Tâche d'If est morte. Elle n'est plus de ce monde, et ne peut rien me faire, à moi, à toi, à personne. Elle est dans le clan des Etoiles, tu sais, ce que je te disais tout à l'heure, et discute avec d'autres chefs. Etoile Tropicale, notre meneur, peut lui parler ainsi que notre guérisseur par l'intermédiaire de la Pierre de Lune, enfin, ça, c'est une autre histoire.
- Non mais...
- Tu as compris ? "

C'était bizarre qu'elle lui demande s'il avait compris plutôt que de lui demander s'il était d'accord. La question lui cloua le bec. Son papa lui disait que le Clan des Étoiles c'était que des bêtises et puis bon, morte ou pas morte, il ne comprenait pas pourquoi sa grand-mère cesserait d'être la super meneuse qu'il imaginait, redoutable, en train de se bagarrer contre des méchants chats-poissons, chats-puants ou chats-écureuils.

Finalement, il réalisa qu'il ne pouvait pas dire qu'il ne comprenait pas quelque chose. C'était trop nul. Aussi trancha-t-il après son hésitation.

" Bah oui ! " bien évidemment. " Mais quand même elle est super forte. D'ailleurs d'ailleurs ! "

Brusquement il écarquillait les yeux comme s'il réalisait quelque chose. Tout son orgueil se dissipa, naturellement, à la façon dont les chatons oubliaient ce qu'ils faisaient à la seconde où une autre idée leur venait en tête.

" T'es GRANDE ! "

Il fallait bien le constater. Pour l'illustrer, il essaya de mettre sa tête à la hauteur de celle de la femelle en s'agrippant contre son épaule à l'aide de ses pattes avant. Mais même ainsi il restait trop petit.

" Tu dois avoir PLEIN DE TRUCS à me raconter sur elle ! " rêvait-il à voix haute, en oubliant cette fois-ci tout à fait cette place à laquelle il s'était cramponné pendant plusieurs minutes entières.

HRP:

"- Meuh ! Mais oui d'abord je savais ! Tu disais juste mal ! "

Et voilà qu'il recommençait à se prendre pour un matou très intelligent qui avait vécu des dizaines de lunes. Or, ce n'était pas le cas. Nuage de Crépuscule roula des yeux, agacée. Il était si pénible, comment pouvait-on le supporter sans pause? Elle plaignait aussi ses frères et sœurs, qui lâchaient des petits miaulements surexcités à l'extérieur. Elle jeta un œil derrière elle, pour voir des boules de poils se rouler dessus, protester, puis réenchérir en attaquant de nouveau.
" Bah oui ! Mais quand même elle est super forte. D'ailleurs d'ailleurs ! "

Oui. Elle s'était attendue à une réponse positive, de toute façon, c'était logique. Mais il ne paraissait pas avoir compris, puisqu'il la disait forte alors qu'elle était morte. Et il parlait au présent. Malgré elle, la rouquine éprouva un peu de pitié envers le chaton, qui ouvrait des yeux avec exagération. Qu'allait-il encore lui dire comme bêtises ?
" T'es GRANDE ! Tu dois avoir PLEIN DE TRUCS à me raconter sur elle ! "

Il s'agrippa à la femelle, qui ne comprit pas vraiment sa proximité soudaine. Lui qui la traitait avec dédain quelques minutes auparavant semblait finalement l'apprécier, la vénérer, même. Ses petites pattes étaient posés sur son épaule, mais il n'arrivait pas à l'atteindre, alors qu'elle était elle aussi réputée petite, plus que les venteux ne l'étaient. C'est pour dire.
Et elle était aussi un peu gênée, parce que Tâche d'If et elles n'avaient pas eu l'occasion, n'avaient pas eu le temps de discuter. Et qu'est ce qu'elles auraient eu à se dire ? Elle n'était qu'un chaton dans la pouponnière, quand elle était morte, alors … Ses souvenirs étaient flous, et sa mort ne l'avait pas tellement intéressée. Elle ne savait pas vraiment comment elle était morte, tuée. Mais par qui ? Volontairement ou involontairement ? Excellentes questions.
"Oh, tu sais, je ne vais pas vraiment t'apprendre grand chose sur elle. Demande plutôt à Crocs Nacrés, c'est ton oncle il me semble. C'est grâce à lui que je suis encore en vie, il a fait fuir un blaireau alors que c'était moi que le blaireau voulait manger !"

Elle se remémora cette journée, qui ne datait pas tellement, mais brrr, des frissons lui parcoururent l'échine, si violents que le petit les avait peut-être sentis.