les étoiles éclosaient -- ft. feulement nuageux - abandon

S O R G U E

Les étoiles avaient percé le ciel. Dotés de leur propre vie et d'un esprit unique, les milliers de petits points dans la voûte s'étaient rassemblés dans une même caresse, fracturant la noirceur de la nuit, peuplant la neige de reflets éthérés, couronnant les animaux nocturnes de pétales délicates. Il n'y avait eu qu'un seul consensus entre leurs regards insolubles, souffle de vie qui se promenait entre les flocons, les pattes et les grandes ailes des oiseaux; une tornade de tons différents sous la lune cristalline qui les veillait. Un moment silencieux -- et seulement entrecoupé par une longue respiration qui s'élevait et retombait, souffle qui venait d'un corps puissant à l'esprit brisé. Étoile trop brillante qui avait fini par s'écraser sur le sol, enfant qui ne savait point d'où il venait, ni où il allait, ni où il était. Perdition. Un animal qui aurait pu être majestueux, et qui se sentait l'être en ce moment même; Danse du Cerf, à demi couché dans le vide de la falaise qui surplombait le spectacle majestueux, yeux de glaces essayant de capturer l'infini infini devant lui.

Il n'avait jamais rien vu de pareil. Un instant auparavant, il chassait, et quelques secondes après.. Une myriade de ce truc dans le ciel qui, étrangement, ne se trouvait plus dans les accents de noir, mais plutôt dans un effluve crémeux d'un arc-en-ciel d'été. Alors le matou cassé, émerveillé par toute cette nouvelle agitation, avait accéléré le pas pour tenter de s'approcher du phénomène; mais puisqu'il n'avait pas d'ailes (sauf dans ses rêves), le plus haut point que son cerveau avait trouvé était celui où il reposait en ce moment même. Les falaises. Le félin du tonnerre s'occupait donc à rester en vie, jouant avec celle-ci en faisant parcourir deux de ses pattes dans le vide, un sourire sur le faciès et les lumières dans ses yeux.

Il se sentait bien.
Plutôt bien.

Feulement Nuageux ne parvenait pas à dormir. Comme souvent. Un cauchemar l'avait réveillé et voila qu'il avait été incapable de fermer l'œil à nouveau. Alors, comme souvent, il s'était extirpé de la tanière des apprentis pour s'isoler un petit peu.

Pas question de rester statique dans ce froid, il préféra chasser en pleine nuit, foulant la neige de la pinède qui formait son territoire.

Mais alors qu'il traquait de multiples effluves, le jeune chat remarqua la présence de quelque chose de bien étrange dans le ciel. Quelque chose de coloré qui semblait flotter au-dessus de sa tête et parmi les étoiles. Un autre phénomène inconnu qui eut d'abord l'effet de l'effrayer. Mais la curiosité finit par grandir en l'enfant brisé.

Car entre nous,

" Bordel qu'est-ce que c'est que cette merde. "

Souffla t-il en plissant des yeux. Les branches des sapins l'empêchaient de voir clairement alors il décida de trouver un lieu un peu plus dégager pour observer l'aurore boréale.

Il lui fallut plusieurs minutes de marche pour atteindre les falaises (lieu qu'il n'avait jamais exploré) et pour enfin sortir du couvert des arbres. Il s'était placé sur un bout de roche et de terre dépassant légèrement du bord. (parallèle à celui de Danse du Cerf, mais cela il l'ignorait pour le moment.)

Toujours d'une attitude méfiante, l'apprenti tendit son museau vers le ciel, les couleurs qui y dansaient se reflétant dans ses pupilles. C'était ... Vraiment beau.

Mais vraiment suspicieux surtout. Quel était ce serpent géant qui rampait parmi les étoiles?

Étendu sur sa partie de falaise depuis maintenant quelque temps, il sentait sous son ventre, là où la peau était fragile et délicate, le froid commencer à ramper vers le haut de son corps relâché, serpent de glace qui enserrait ses pattes fourmillantes. Celles-ci recroquevillées sous son court pelage recouvert d'une couche de givre, Danse du Cerf ne notifiait pas encore le besoin de s'élancer vers son campement pour se réchauffer -- en effet, toute cette beauté le retenait vissé à son perchoir, comme un lapin captif dans les gyrophares d'un monstre. Il était loin de se plaindre, par contre, et c'était peu dire ! Resplendissant comme les couleurs dans le haut ciel, il ronronnait doucement en s'imaginant courir parmi elles, rêvant d'un monde qui ne serait gouverné que par cette étrange fissure dans le ciel d'hiver. Si toutes ses nuits pouvaient se passer comme celle-ci…

Alors il serait décidément encore plus heureux !
Et tout ça lui donnait envie de faire… De faire…
Une sieste.

Sûr de son coup, le guerrier posa sa tête sur ses membres maintenant dépliés, ébouriffant son poil (qui n'était décidément pas fait pour les froides bourrasques de la saison morte) dans l'optique de rejoindre Morphée qui tendait ses bras. Si seulement il avait quelqu'un pour s'assoupir avec lui.. Dans cette belle nuit.. Comme une.. Une odeur de…

Une odeur de l'ombre ?

Aussi vite qu'il s'était reposé, il releva sa tête en vitesse, oreilles bien pointées sur son crâne et yeux qui balayaient l'environnement. Les millisecondes qu'il donna à cette activité furent bien vite récompensées, car l'odeur massive qu'il cherchait se manifesta en peu de temps; un mâle imposant s'était placardé sur une falaise à plusieurs queues de souris de lui, celui-ci relevant sa tête pour observer le ciel éclaté. Masse noire, air bourru et yeux jaunes, il ressemblait beaucoup à... À... Ce monsieur qui lui avait volé un oiseau, non ? Un rire tout doux s'éleva de son propre être alors qu'il remerciait la fracture dans le ciel, cicatrice qui semblait réaliser tous ses vœux pour cette nuitée divine.

— Alors, des hypothèses sur le ciel qui se fracture ?

Voix forte et sourire en coin, Danse du Cerf priait pour que son nouvel ami ne prenne pas la fuite en à peine une ou deux minutes. Décidément, l'avenir aimait bien les réunir… Et le guerrier du tonnerre n'allait pas aller contre la volonté de ses ancêtres, n'est-ce pas ?

Au bord du vide, l'aspirant tendait le cou pour observer l'étrange plaie à la chaire colorée qui déchirait les cieux. Ses mouvements harmonieux ne lui disait absolument rien. Cette beauté, presque attrayante, devait-être une sorte de piège. Quelle que soit cette créature, Feulement Nuageux ne lui faisait aucune confiance.

Il tenta d'identifier son odeur mais rien ne monta à sa truffe. Rien d'autre que la désagréable et fétide effluve du ... Tonnerre?

" Alors, des hypothèses sur le ciel qui se fracture ? "

La tête de l'apprenti se tourna brutalement vers la source de la voix familière qui venait tout juste de monter à ses oreilles. Son regard d'or se posa sur le corps allongé du mâle point. N'était-ce pas l'autre qui avait tenté de le draguer la dernière fois?

" Putain mais qu'est-ce que tu fous là. "

Gronda l'ombreux en posant son derrière sur la poudreuse. L'avantage était que la distance que creusait le vide entre les deux félins empêchait l'orphelin de se braquer complètement à l'idée que le cerf lui saute à la gorge.

Et puis le temps lui avait apporté un petit plus de sagesse. Un petit peu. Tout petit peu. Le grand mâle allait passer guerrier d'un jour à l'autre après tout. Avec un once de chance son caractère s'améliorait autant que son physique avec l'âge. Croisons les doigts.

Danse du Cerf, curieux de voir la réaction du voleur d'oiseaux, plissa ses yeux d'un air concentré pour ne pas manquer une seule émotion qui traverserait son faciès renfrogné. Le sien, ponctué de tic qui annonçait un rire proche, tressaillait pour essayer de garder pour soi un éclat d'amusement suite au masque bourru de ce gros mâle musclé, suivi de sa voix tout aussi sympathique;

— Putain mais qu'est-ce que tu fous là.

Ne pouvant se retenir, il laissa glisser un rire alors que son visage se transformait en une moquerie agréable; il avait décidément beaucoup changé, depuis la dernière fois… Au moins -- était-ce une bonne nouvelle ?, sûrement ! -- son meilleur ami avait l'air plus apte à engager une discussion, les virevoltes de neiges provoquées par son mouvement prouvant ce fait véridique. Le guerrier du tonnerre ronronna alors d'un doux air, laissant les bourrasques porter ses paroles jusqu'aux oreilles de l'assis ombreux;

— … Je te cherchais, ça ne se voit pas ♡ ? Sa queue balaya la neige derrière lui, provoquant une petite avalanche de flocons qui dégringola en bas de son perchoir improvisé.
Plus sérieusement.. Je suis venu observer la faille dans le ciel, hmhm !
Ne trouves-tu pas celle ci magnifique ?

Son cou s'allongea vers le mâle ennemi alors que sa gueule s'entrouvrait, laissant passer des volutes de fumée glacée de chaque côté de sa bouche -- et l'on aurait presque dit qu'il était descendu droit des cieux, créature enfumée et recouverte de neige qui reflétait les couleurs des tréfonds.

— Et toi ? Parti chasser l'oiseau ?

Le ricanement ne fit qu'exaspérer davantage l'ombreux. Évidemment, que le félin prenait du plaisir à voir l'orphelin râler. C'était une passion semblant commune aux trois quarts des personnes qu'il avait rencontré. Peu-être était-ce écrit dans leur ADN, de lui péter les coui-

" … Je te cherchais, ça ne se voit pas ♡ ? "

Urgh.

" Plus sérieusement.. Je suis venu observer la faille dans le ciel, hmhm ! Ne trouves-tu pas celle ci magnifique ? "

Les yeux de Feulement Nuageux se posèrent sur l'étrange phénomène à nouveau. Belle aurore boréale qui ne cessait de se mouvoir de manière hypnotisante dans les cieux. Une danseuse exotique rimant avec malheur aux yeux de l'aspirant.

" Et toi ? Parti chasser l'oiseau ? "

Il baillât d'agacement avant d'abaisser le reste de son corps vers le sol pour s'y coucher, pattes repliés sous son épais pelage le protégeant du froid.

" C'est la peau de ton cul que j'vais chasser si tu la fermes pas. "

Cette phrase ne sonna pas comme il l'aurait voulu. Mais ignorant qu'il venait tout juste de donner plus de matière sur laquelle blablater à Danse du Cerf il se contenta d'observer le ciel en ayant presque l'espoir que le tonnerreux garde le silence.

Le regard du mâle disloqué se dispersa sur la carcasse de son compagnon, celui-ci prenant la décision (qui, Danse du Cerf dut se l'avouer, le laissa surpris) de s'accroupir dans la neige en position couchée. Oh ? Cette émotion exploitée et retournée de fond en comble, un sourire agréable prit naissance au sein du visage du tonnerreux: il avait eu raison, comme toujours… Car cet ombreux avait toute la stature pour l'impressionner, et pas seulement qu'un peu.

— C'est la peau de ton cul que j'vais chasser si tu la fermes pas.

La réaction du tricolore s'activa comme une flamme dans la forêt, ses prunelles brillant d'amusement sous le voile sublimement coloré. Retenant de grande peine un gloussement en repassant cette scène dans sa tête, le félin ronronna pour lui-même; décidément, il n'était pas du tout contre la proposition du nouveau-venu... Une chance qu'il n'avait pas prévu de fermer son moulin à paroles, alors ! Peut-être que son vœu se réaliserait finalement, Ö grâce à ce clan des étoiles -- ou plutôt, à ce clan de la fracture arc-en-ciel du voile. L'oreille du plus vieux matou tiqua alors qu'il pivotait en essayant de réchauffer un peu la peau de son ventre, lançant d'un ton joyeux;

— Désolé, désolé…. ♡ Il tendit son cou vers l'autre mâle, lui lâchant un mou sourire avant de se détourner vers la voûte.
Aloooooors… Tu penses que le clan des étoiles essaye de nous dire quelque chose ? S'ils existent, bien sûr. Le gros matou n'avait pas vraiment un air de croire à un clan de félins morts qui dirigeaient les destins… Perso, ça m'a juste l'air d'un ciel qui se fait battre et qui a des entrailles colorées, termina-t-il pour lui-même.

Clairement, le maussade et grognon noireau n'avait pas le visage de quelqu'un qui s'étendait sur ses pensées, mais une discussion serait nettement plus agréable qu'un froid silence alors qu'ils observaient tous deux le ciel. Puis, à défaut de se faire chasser la peau du cul… Ils pouvaient bien parler un peu !

" Désolé, désolé…. ♡ "

Espérant que ces mots d'excuse sonneraient la fin de la conversation il ferma les yeux un instant comme pour les reposer avant d'observer à nouveau l'aurore boréale. Dieu savait à quel point il était fatigué, et il l'était énormément mais le spectacle coloré autant que la présence du tonnereux l'empêchaient de s'endormir.

" Aloooooors… Tu penses que le clan des étoiles essaye de nous dire quelque chose ? S'ils existent, bien sûr. "

Et il avait ouvert la bouche à nouveau, arrachant un souffle agacé à l'ombreux. Feulement Nuageux n'entendit pas la fin de la phrase de Danse du Cerf, ce dernier se situant trop loin de lui.

" J'y crois pas. "

Il passa un coup de langue sur son petit museau gelé.

" On dirait un serpent bizarre. Même plusieurs parfois. J'suis sûr que c'est encore un truc des bipèdes. "

Il se remémora le cirque et ses lumières, tous ces animaux exotiques, ces félins gigantesques.

" Suffit de voir la tanière bizarre avec toutes les couleurs qu'y'avait pas très loin des quatre chênes. Ils font toujours des trucs hyper chelou. "

Puis tout en suivant du regard la danse nocturne il ajouta.

" Mais c'est joli."

— J'y crois pas.

Danse du Cerf, intéressé par la réponse du matou, s'était doucement glissé vers une position qui lui permettrait une meilleure vue, oreilles tendues et yeux à demi clos vers ce quadrupède étrange. C'était sans doute la première tirade qu'il avait prononcé sans l'insulter ou sans maudire quiconque ou quelque chose dans la vie et, curieusement, ce seul fait avait permis à un sourire d'éclore sur le visage du tonnerreux.

— On dirait un serpent bizarre. Même plusieurs parfois. J'suis sûr que c'est encore un truc des bipèdes.
— Hmmm…

Un truc des bipèdes ? Son museau n'avait rien senti de louche, ses yeux point rencontrés de ces créatures bizarres qui se tenaient à deux pattes et qui hurlaient des phrases incompréhensibles. Pourtant, c'était une bonne hypothèse -- si seulement les créatures avaient découverts comme voler, s'étaient emparés du ciel et l'avaient pliés sous leur volonté.

— Suffit de voir la tanière bizarre avec toutes les couleurs qu'y'avait pas très loin des quatre chênes. Ils font toujours des trucs hyper chelou.

Le Cerf hocha ses épaules; il n'avait jamais vu cet endroit, mais des félins de son clan en avait parlé dans la comble sablonneuse. Il avait bien voulu s'y diriger, là n'était pas la question… Mais son esprit avait toujours finit par divaguer vers quelque chose de plus intéressant, faisant oublier au mâle l'existence de ce chapiteau coloré qu'avait énoncé les autres.

— Mais c'est joli.

Joli ? Joli ? En effet, la voûte était d'une absolue beauté -- mais, lui, prononcer ce fait comme s'il lâchait une phrase aussi normale que les autres ? Peut-être que le matou tricolore l'avait mal jugé, après tout… Car, en le regardant plus longuement, sa tête penchée vers la droite et le bout de sa queue remuant au fil des courants de vent, il se rendit compte que son compagnon n'avait l'air que d'un enfant brisé. Un peu comme lui, non ? On le regardait toujours bizarrement, le laissant vivre sa vie sans vraiment oser se rapprocher comme ami. Sauf Coup de Foudre.. Il espérait que l'ombreux avait trouvé son propre Foudre.

— J'y crois pas non plus, mais tu as raison; c'est bien joli… Il se garda de darder un regard vers le mâle comme une invitation, trop content qu'il ouvre enfin sa gueule sans vociférer pour tout gâcher son précieux moment. Peut-être veulent-ils simplement nous tuer, après tout.

Après tout, son mentor ne lui avait-il pas dit que les plus beaux exploits de la nature était souvent les plus dangereux ? Ce qui expliquerait beaucoup de chose, d'après lui…

— D'ailleurs, je n'ai pas eu le temps de me présenter, la dernière fois… C'est Danse du Cerf.

" J'y crois pas non plus, mais tu as raison; c'est bien joli… Peut-être veulent-ils simplement nous tuer, après tout. "

Feulement Nuageux ne répondit affirmativement que dans son crâne, restant silencieux. Il entreprit de passer quelques coups de langue sur son poitrail afin d'en chasser la neige et de mettre de l'ordre dans sa longue fourrure emmêlée par le vent.

" D'ailleurs, je n'ai pas eu le temps de me présenter, la dernière fois… C'est Danse du Cerf. "

Le mâle ouvrit un œil pour lancer un regard périphérique au tonnereux. Il continua son activité un instant sans répondre avant de glisser entre deux léchouille:

" Feulement Nuageux. "

Puis alors qu'il passait sa langue entre ses coussinets dans l'optique de les réchauffer il ajouta:

" Un cerf ça danse pas. Il était pas inspiré ton chef."

Puis à nouveau il glissa ses pattes sous lui, cessant tout mouvement si ce n'était celui de sa queue qui chassait la poudreuse qui s'était un petit peu trop accumulée autour de lui à son gout.