Allons-y doucement, jeune padawan ! ft Nuage Poivré - end

Spoiler:

Elle ne répondait pas, mais le petit se doutait qu'elle n'allait pas dire "non". Ce serait ridicule de la part de qui que ce soit de faire un aveu pareil ! Même lui n'hésiterait pas à se venter d'être plus rapide que tous les lapins du monde, dans cette situation. Tranquillement, et d'autant plus tranquillement qu'il appréciait d'être enfoncé dans l'herbe fraîche, Nuage Poivré se décrassait le pelage à force de coups de langue répétés en attendant de recevoir un ordre. Mais ces minutes de calme lui paraissaient merveilleuses, tout comme cet endroit isolé qu'il avait l'impression d'avoir découvert ici. Il se sentait, et c'était tout à fait normal lorsqu'on élargissait ses horizons, plus grand qu'il ne l'était en réalité.

Dans ce nouveau décor, sa lumière orangée luisait différemment. Elle semblait plus mystérieuse, plus concentrée, plus silencieuse, et surtout, plus libre que jamais. Si libre que ça semblait tout à fait idiot de croire qu'elle était là pour Nuage Poivré. Non. Elle était là par un obscur miracle, et lui, il avait la chance d'en être le témoin. Sa toilette s'interrompit d'elle-même lorsque regard lui fit comprendre qu'il lui fallait se taire, s'immobiliser. Se contenter de n'être qu'un élément du décor dans l'exploit qui allait se jouer.

Qu'il n'encombre rien ni personne jusqu'à ce que vienne son tour. Qu'il attende. Lui qui avait sentiment d'avoir passé sa vie à attendre, il devrait attendre encore. Jusqu'à ce que l'attente le métamorphose. Longtemps, donc, sans doute. Trop longtemps. s'étrangla-t-il intérieurement. Les enfants avaient souvent un certain sens du drame, mais cette fois-là, il ignorait que son malheur était exagéré, car son attente fut très courte, et l'exploit, très rapide.

La rouquine localisa quelque chose, avec les oreilles, avec les yeux. Et elle avait une curieuse façon de se déplacer. Lente, silencieuse, droite, elle semblait déterminée à atteindre sa cible au bon moment, et son attente à elle n'en était pas vraiment une, car elle devinait que la proie s'avançait jusqu'à elle pour arriver à portée. Un bond stupéfiant, et Éclat du Crépuscule avait tué un oiseau en plein vol.

La complexité du geste, il n'en était pas encore vraiment conscient. Si on lui demandait, il ne serait capable que de dire qu'elle avait sauté sur l'oiseau. Mais malgré tout il devinait bien que son mentor n'avait pas pu sauter au hasard, n'importe quand, n'importe comment. Sinon, la proie se serait simplement envolée.

Revenue vers lui, la guerrière montra l'oiseau. Une grive tombée du ciel, qui semblait encore si vivante que le petit avait presque envie de la mordre pour l'empêcher de s'envoler. Un butin savoureux au possible, qui lui rappelait aussi qu'il n'avait encore rien mangé de la journée. Curieux, fasciné, car c'était la première fois qu'il avait devant lui une proie aussi tiède, il écouta son mentor un peu distraitement :

" Tu as vu comment j'ai fait ? C'est là qu'il faut porter le coup fatal. Comme ça, c'est rapide, et la proie ne souffre pas. Et elle n'a pas trop le temps de crier pour donner l'alerte, donc s'il y en a d'autres dans les environs, c'est le principal. Tu peux m'expliquer comment je me suis débrouillée? Essaie d'imiter ma marche, ensuite.
- Euh... " Il n'avait entendu que la fin, mais de toute façon, restait bien incapable d'expliquer quoi que ce soit de sérieux à Éclat de Crépuscule. Il lui manquait aussi bien le regard fin des guerriers que leur vocabulaire et leurs attitudes. Aussi se contenta-t-il d'essayer de marcher, vers un oiseau imaginaire, quelque part, dans le ciel.

Il ne regardait et n'écoutait rien de particulier, ce qui rendait sa trajectoire quelque peu aléatoire. Il se laissait guider par ses pas plus qu'il n'essayait d'atteindre un certain point. Ce faisant, il essayait d'imiter la lenteur gracieuse qui avait attiré son attention plus que le silence et l'économie des frottements. Le but, pensait-il, était d'illustrer sa souplesse en exagérant le moindre geste à l'extrême. Et il essayait de se corriger pour rendre ses pas plus beaux, plus lents, mais toujours aussi amples.

Le petit ignorait à quel point il était difficile de voir les choses importantes à voir du premier coup, mais découvrait au moins qu'agir était bien plus complexe qu'observer.

Eclat de Crépuscule se reconcentra sur son apprenti. Ce mot, elle pouvait sans cesse se le répéter, parce qu'elle ne se rendait pas toujours compte que c'était bien lui qu'elle entraînait, qu'il apprendrait sa future vie grâce à elle, qu'il deviendrait peut-être, sûrement, un chasseur et un combattant hors-pair grâce à elle. Grâce à elle ! Cette idée lui donner envie de sauter partout, de crier sa joie, d'avoir ce morveux comme élève. Il avait de grandes capacités, et quand son corps se développerait, serait digne des plus grands chefs de clans. Oh, elle rêvait bien un peu, et s'accrochait à cette idée qu'elle serait un jour la mentor d'un excellent félin du Vent. Que son nom se murmurerait de génération en génération, passant d'ancien à chaton, comme elle avait écouté des récits tous aussi incroyables les uns que les autres ! Elle refusait de croire qu'il ne serait qu'un guerrier lambda, son ami de toujours ayant un tempérament si explosif !

Nuage Poivré émit un son, et la rouquine comprit bien vite qu'il ne l'avait soit pas écoutée, soit pas observée pendant qu'elle chassait. Elle profita de son inattention pour enterrer la grive, qu'elle repasserait chercher par la suite. Elle ne comptait pas la balader partout, dans sa gueule, sans pouvoir parler en même temps, et avaler des plumes par la même occasion. C'était hors de question de s'handicaper avec son oiseau ! Très vite, le défunt volatile disparut sous ses coups de patte terreux, et on ne vit plus qu'un amas d'herbe retourné, formant une petite colline. Le noiraud s'éloigna, silencieux, et tenta d'appliquer la démarche de la guerrière. Laquelle manqua d'éclater de rire en le voyant. Mais elle se retint, ne voulant pas le renfermer, surtout qu'il faisait de beaux efforts pour paraître plus lent, et silencieux. Même si elle se doutait que tous les animaux aux alentours l'avaient entendu, elle en était heureuse. Il faisait tellement attention à ses mouvements, qu'il déviait régulièrement sa trajectoire, finissant même par marcher complètement de travers.

Elle le rejoint rapidement, et le rejoignit dans sa marche, bien plus experte que lui. D'un coup d'œil, on savait qui était le maître, et qui était l'élève. Elle paraissait bien plus à l'aise dans cette haute végétation, qui les cachait presque, et lui, si pataud, maladroit, mais si concentré. Elle, ce n'était que sa seconde nature qui ressortait, une chasseuse ayant tellement de fois pratiqué. Elle appuya sur le bas de son dos sombre d'une patte, afin qu'il plie davantage ses pattes. C'était un complexe exercice que d'avancer, presque couché, surtout quand on était à deux griffes de tomber de fatigue. Il faisait un effort, cela se voyait, mais il était capable de davantage, elle le savait.
"Baisse-toi davantage, voilà, parfait ! Comme si tu voulais te fondre dans l'herbe. Mais lève bien haut tes pattes pour ne pas qu'on entende le frottement de tes coussinets contre le sol.

La rouquine attendit qu'il fasse une vingtaine de foulées ainsi, afin qu'il capte bien le mouvement. Oh, il n'était pas très doué, mais elle était satisfaite qu'il la prenne au sérieux, qu'il l'écoute sans rechigner, et qu'il essaie ! Surtout que ce n'était que sa première journée, et qu'il leur restait encore six lunes pour parfaire ses mouvements. Elle ne pensait pas qu'il arriverait à chasser dès aujourd'hui, cela lui semblait trop beau pour être vrai, mais le petit matou apprenait les bases dès maintenant. Et inlassablement elle lui ferait répéter ces mouvements, jusqu'à ce qu'il puisse les faire en dormant. Comprendre la technique de chasse était plus complexe que chasser à proprement parler, car on pouvait avoir un coup de chance. Une souris endormie, un lapin blessé. Mais c'était rare, et seul un coup de patte parfait pouvait permettre de battre les proies, par surprise. Quoi d'autre que la surprise pouvait les tuer ? Ils étaient plus rapides, plus vifs et agiles que les venteux, pourtant réputés sprinteurs de tous les Clans.

Eclat de Crépuscule attendit en l'observant attentivement, les paupières plissés. Elle se précipita vers lui et s'assit gracieusement dans l'herbe sèche, en l'invitant à en faire autant d'un hochement de tête. La jeune féline lui proposa un petit défi, en murmurant :
"Bon, je te propose d'essayer de chasser un peu plus loin. On verra si tu arrives à attraper une proie. En tout cas, si tu n'y arrives pas, faut pas crier partout et bouder comme tu as l'habitude de faire ! On va aller un peu plus loin, ça grouille de proies, mais fais pas trop de bruit, hein. Ah, et j'oubliai, utilise le peu que je t'ai appris !"

Elle ria doucement et l'entraîna un peu plus près des Pierres Sentinelles. Ils eurent parcouru une bonne distance en peu de temps. Elle s'écarta, et recula, le laissant chasser. Elle avait hâte de voir ce que ça donnerait !

Spoiler:

L'important, supposait-il, maintenant qu'il était lancé pour marcher aussi spectaculairement que les vrais chasseurs, serait de ne pas s'arrêter. Et pour ne pas s'arrêter, il faudrait rester concentré, appliqué, motivé. Et surtout pas se laisser distraire. Ne pas céder à la drôle d'envie de mordiller la patte d'Éclat de Crépuscule qui revenait vers lui, ou de s'arrêter pour la regarder faire.

" Baisse-toi davantage, voilà, parfait ! " intervenait, au milieu de ces efforts, son mentor, en lui appuyant dessus, ce qui lui fit perdre le fil de sa marche et l'agaça légèrement. Comment tu veux que je fasse ça bien si tu me déranges ? aurait-il volontiers grogné. Mais au fond de lui-même, il savait qu'il fallait écouter la guerrière et se baisser. L'herbe lui chatouillait le ventre et le museau, ce qui ne lui plaisait pas beaucoup, mais ça devait être normal. " Comme si tu voulais te fondre dans l'herbe. "

" Mais lève bien haut tes pattes pour ne pas qu'on entende le frottement de tes coussinets contre le sol.
- Gnmgnmgnmrrrm... " rouspétait l'apprenti qui avait besoin de se répéter plusieurs fois le consigne intérieurement pour comprendre que ce qui était important était le "lève bien haut tes pattes". Ce qui lui paraissait bizarre, et il lui fallut quelques instants pour comprendre pourquoi. Je peux pas me baisser et lever bien haut les pattes, ça veut, ça veut rien dire ! songea-t-il en écarquillant des yeux indignés pour regarder son mentor qui avait forcément voulu se moquer de lui. Quelques secondes, le gamin fatigué se demanda si l'air sérieux d'Éclat de Crépuscule n'était pas totalement feint, avant de se remémorer la façon dont son mentor avait marché, juste avant.

Il baissa alors la tête, pas vraiment parce qu'il se sentait coupable d'avoir soupçonné qu'on lui racontait n'importe quoi pour l'empêcher de devenir un vrai guerrier, mais plutôt parce que la pensée qu'on puisse effectivement se baisser tout en levant les pattes en marchant était drôlement enthousiasmante. Il fallait essayer ! Et il essaya, pendant quelques minutes, jusqu'à ce que, avec une tête indéchiffrable que le gamin essayait pourtant de déchiffrer (ennuyée ? impressionnée ? déçue ? désespérée ?), la guerrière, aînée du duo, l'interrompe et lui demande de s'assoir. Ce qu'il fit sans difficulté, et même avec tant de plaisir (car ses pattes arrières avaient réclamé une petite pause) qu'il en ronronna avec indécence.

" Bon, je te propose d'essayer de chasser un peu plus loin. On verra si tu arrives à attraper une proie. En tout cas, si tu n'y arrives pas, faut pas crier partout et bouder comme tu as l'habitude de faire ! On va aller un peu plus loin, ça grouille de proies, mais fais pas trop de bruit, hein. Ah, et j'oubliais, utilise le peu que je t'ai appris ! "

La fatigue gagnait à vue d’œil le petit qui avait tout de même fait des beaux efforts pour écouter et comprendre les consignes de son mentor. Il fallait reconnaître qu'il n'était aidé ni par la perspective de marcher encore ni par l'absorbant rire d'Éclat du Crépuscule qui vous faisait oublier pas mal de choses. Et s'il suivit la rouquine, c'était probablement davantage parce qu'il était envoûté que parce qu'il savait vraiment où il allait et ce qu'il y ferait.

En tout cas, il y eut un moment bizarre où elle eut l'air de vouloir lui laisser le champ de manœuvre. " utilise le peu que je t'ai appris ! " resurgissait le joli rire de la guerrière. Ça voulait tout dire. Le gamin leva un peu la tête, avec l'air tout déterminé. Je vais lui montrer comme je marche bien !

Et l'espace qui était devant lui serait la scène parfaite de son curieux numéro. Il y avançait sans rien chercher de particulier, sinon le moyen de faire des pas si lents et gigantesques qu'ils en devenaient grotesques, tout en traînant par terre, tant il se baissait, le duvet pelucheux qui lui servait de ventre. Le plus amusant dans ce tableau, ce n'était même pas l'aspect saugrenu du pas de chasse de Nuage Poivré qui devenait une sorte de danse : il s'agissait de ses petits yeux réjouis et même fiers. Il ressemblait un peu à cet Empereur nu qui se serait pavané dans son royaume, sûr que les rieurs ne pouvaient être que les dupes et les jaloux.

Eclat de Crépuscule était sceptique sur la technique du petit. Oh, il reproduisait exactement, ou presque, les mouvements qu'elle venait de lui enseigner, mais mêlés à la fatigue et sans doute à la flemme, ils étaient déformés. Elle rit tout bas de sa silhouette qui tentait vainement de se fondre, comme elle lui avait expliqué, dans l'herbe tout de levant bien haut les pattes. Ses remarques, qui lui avaient coûté des grognements désapprobateurs, ne portaient pas vraiment leurs fruits. Mais il semblait s'amuser, et c'était le principal. Quelle idée que de vouloir dégoûter les apprentis, en étant blasant à en mourir. Parfois, Pelage Strié lui expliquait en manquant tellement d'entrain que l'apprentie avait manqué s'endormir plus d'une fois.

Elle comprit après quelques minutes qu'il ne trouverait rien. La rouquine se demandait même s'il marchait vraiment pour chercher des proies ou juste pour lui prouver qu'il savait reproduire les mouvements. Mettant fin à son supplice, et parce qu'il était fatigué, elle le rejoignit. Le soleil, qui était haut dans le ciel à leur arrivée près d'une frontière. Et là, si la nuit n'était pas prête de tomber, Nuage Poivré ne tiendrait pas plus longtemps. Et elle comptait bien le faire travailler le lendemain. Et il risquait de rester éveillé un certain moment, et de manger avec elle un bout de proie, tout en se vantant qu'être un génialissime apprenti. Donc, oui, il était bien temps de rentrer.

La guerrière se plaça à côté de lui, et lui lécha affectueusement la tête. Elle adorait témoigner son amour pour les autres par des gestes ainsi, qui pouvaient parfois porter à confusion. Elle n'avait pas les yeux pour observer l'amour ou l'amitié qu'éprouvaient les félins pour elle. Elle se contentait pour le moment de prendre de plaisir, s'amuser et s'entourer de ceux qu'elle préférait, sans réfléchir franchement.
Bon, on va se rentrer, hein ! Ca te dit qu'on grignote un petit truc en rentrant histoire de savoir ce que tu en as pensé ? De ton premier entraînement. Sauf si tu veux pas, bien sûr, je vais pas t'emprisonner !

Elle ria, une nouvelle fois, puis le bouscula légèrement avant de prendre la route du retour. Elle avait complètement oublié de parler de sa piètre performance. De toute façon, c'était pas comme si elle ne s'y attendait pas. Trouver une proie du premier jour, c'était inné !

Nuage Poivré ne retint pas à l'approche de la guerrière un ronronnement léger mais qui persisterait un certain temps. Et elle eut sa façon bien à elle d'arrêter sa "chasse", en se postant à son côté pour lui léchouiller la tête. Même pas pour lui dire quelque chose de particulier sur la façon dont il s'y était pris. Elle partageait simplement avec lui une sorte de satisfaction dont on pouvait se demander la cause : peut-être s'agissait-il très exactement du bonheur qui montait en nous lorsqu'on avait le sentiment d'avoir assez bien travaillé pour qu'un doux repos soit tout à fait mérité. Nuage Poivré n'en savait rien, il appréciait simplement cette tendresse redécouverte, en se frottant l'épaule à plusieurs reprises contre la patte avant de son mentor, toujours ronronnant, les yeux clos.

" Bon, on va se rentrer, hein ! Ca te dit qu'on grignote un petit truc en rentrant histoire de savoir ce que tu en as pensé ? De ton premier entraînement. Sauf si tu veux pas, bien sûr, je vais pas t'emprisonner !
- Oh oui, j'ai trop faim ! " s'emballa l'apprenti, que le mot "grignote" avait rendu alerte de nouveau. Il avait même failli, en redressant brusquement la tête, heurter la mâchoire du dessous de son mentor, mais fort heureusement, cette dernière avait pu l'anticiper.

Et ils rentrèrent donc, mais il fut bien difficile de l'entendre parler de l'entraînement, car toujours, l'apprenti vorace détournait le thème de la conversation vers sa propre faim ou vert la fameuse grive enterrée qu'il fallait retrouver. Il était, et ce jour-là il en donna la preuve, tout aussi incapable de comprendre quel beau cadeau on lui faisait, en partageant généreusement et patiemment de précieux savoir-faire avec lui, que de s'imaginer qu'on ne le prenait pas tout à fait pour un guerrier.

Spoiler: