L'Agité (avec Étoile Tropicale) - abandon

▬ Guerrier

Depuis qu'Éclat de Crépuscule avait été griffée, la vie de Nuage Poivré était devenue une épreuve de patience, et à de multiples reprises, il avait perdu cette épreuve en se laissant déborder par la colère, la jalousie, ou même par la rancœur.

Car le Clan du Vent comportait beaucoup de membres sur le museau desquels il se ferait une joie d'imprimer ses griffes. Entre les jeunes apprentis qui ne semblaient pas capables de le considérer avec respect, les plus vieux qui lui avaient mené la vie dure lorsqu'il les avait rejoints, l'insupportable et monotone mentor de remplacement à qui Éclat de Crépuscule l'avait confié, Éclat de Crépuscule elle-même, qui ne semblait plus vouloir lui parler, et tous les membres de sa famille qui lui semblaient plus pathétiques les uns que les autres, à commencer par son père qui l'avait perdu de vue au détriment de ses nouveaux demi-frères et soeurs... Il avait l'impression de tourbillonner de déception en déception. Tout ce qui progressait en lui, c'était l'ennui et l'égarement. Aucun horizon ne se dégageait plus, au loin.

Bref, ce jour-là, on surprit Nuage Poivré en train d'agresser un nouvel arrivant chez les apprentis, qui s'était permis, à peine arrivé, de se joindre aux moqueries de ses prédécesseurs, ces moqueries ayant souvent son odeur pour objet. C'était sans doute la mère de ce minable qui était intervenue en personne pour conduire, indignée, un Nuage Poivré pas tellement moins indigné qu'elle au meneur.

" Un attardé pareil je te dis que t'aurais dû dire qu'il avait que trois lunes, on t'aurait cru d'abord, t'as vu sa taille ? Il va pas faire long feu chez les apprentis, on va lui faire la peau. " sifflait hargneusement l'apprenti en esquivant de son mieux les coups de celle qui n'était plus reine depuis quelques heures seulement, et qui peinait malgré tout à contenir son indignation.

Ils arrivaient devant l'antre du meneur.

" Étoile Tropicale ! " piaillait la femelle qui semblait résolue à réclamer une sanction des plus sévères. " Celui-là je te le laisse ! Il aurait écorché Cyclone Nuageux si je l'avais laissé faire ! Jamais vu ça, mais vraiment, jamais ! Un grand qui s'en prend aux plus petits ! Et en plus, il recommencera dès qu'on tournera le dos ! Il s'en vente ! Je ne mens jamais, c'est un principe ! "

Cette mère scandalisée lui faisait l'effet d'une poule grotesque et impotente qui ne cessait de caqueter que pour reprendre bruyamment son souffle. Et pendant qu'elle débitait ses absurdes reproches, il n'intervint pas et se contenta de la regarder calmement comme si c'était en fait lui qui conduisait servilement une folle à l'asile pour qu'elle s'y fasse soigner, avec un air mauvais, ironique jusqu'au bout des oreilles. Qu'on le punisse ou pas, il s'en fichait pas mal, mais il songeait à quel point il adorerait que le meneur cloue sèchement le bec de cette sale perruche.

S'il pouvait casser la gueule à Cyclone Nuageux en prime, je serai l'apprenti le plus heureux du monde. rêvait-il doucement. Mais il se doutait que quand on n'était soutenu d'aucun côté comme c'était son cas, on avait peu de chances d'être défendu par un chef tel qu'Étoile Tropicale. Peut-être même que cette rencontre serait pour lui le début de la fin. On le bannirait pour conduite indigne, lui qui n'avait rien fait d'autre que supporter l'insupportable trop longtemps. Avec un sourire nullement désabusé et assez insolent, il tourna la tête vers le meneur, dont il soutint le regard.

Son tempérament orageux lui avait valu par-ci par-là quelques blessures pas bien méchantes dont deux saignaient encore au niveau de l'oreille gauche et de la patte arrière gauche. Il n'était plus tout à fait le même que celui sur qui avait coulé le sang d'Éclat de Crépuscule après qu'on lui ait infligé le châtiment de la marque.

Nuage Poivré aurait craint le meneur s'il avait été un peu moins désespéré, mais à cette heure où il se sentait abandonné de tous, il ne voyait même pas quel intérêt il aurait à tenter de lui cacher quoi que ce soit. Éclat de Crépuscule était loin, et comme toujours lorsque la lumière était loin, la nuit semblait interminable. Vivement que ça cesse, pour le mieux ou pour le pire.

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▬ Guerrière

La discussion qu'Étoile Tropicale avait eu avec sa fille avait été... il ne savait pas vraiment comment la décrire. Mais, le chef se sentait tout de même un peu plus léger. Rien n'était gagné, il en avait bien conscience, et peut-être qu'Eclat de Crépuscule lui en voudrait jusqu'à la fin de ces jours. Cette idée le peinait, mais il lui avait parlé, avait vu une légère lumière au bout de ce tunnel qu'était sa désormais famille, et cela suffisait à lui donner de l'espoir. Par conséquent, cela le rendait plus heureux, et sa culpabilité, toujours présente, semblait un peu moins lourde à porter. Et pour lui qui avait été écrasé par cette dernière des jours et des jours par ce poids, le voir se réduire était une libération partielle.

Toutefois, en ce jour, ses camarades de clan n'avaient pas décidé de le "libérer" et avaient fait appel à lui, pour jouer son rôle de meneur. Et par "ses" camarades, il voulait dire en réalité "une" reine. Celle-ci, qui ne semblait guère de bonne humeur, c'était là un euphémisme.

" Étoile Tropicale ! " piaillait la femelle qui semblait résolue à réclamer une sanction des plus sévères. " Celui-là je te le laisse ! Il aurait écorché Cyclone Nuageux si je l'avais laissé faire ! Jamais vu ça, mais vraiment, jamais ! Un grand qui s'en prend aux plus petits ! Et en plus, il recommencera dès qu'on tournera le dos ! Il s'en vente ! Je ne mens jamais, c'est un principe ! "

Nuage Poivré, pourtant le concerné, n'avait pas l'air de prêter bien attention aux mots de la mère indignée, et était bien calme. Il regarda le roux et blanc dans les yeux sans sourciller. Ce dernier y vit la lassitude, et en entendant les propos de la venteuse, il pouvait comprendre ce sentiment.

Il se souvenait que l'apprenti avait assisté à la blessure de sa mentor, mais celui-ci ne semblait rien craindre de sa part, et cela lui fit... plaisir. Lorsqu'il avait la peur dans les yeux de la rousse s'en était de suite voulu et le fait qu'elle soit absente chez le novice ne le forçait pas à revivre ce moment.

Il eut un soupir. Quelque chose lui disait que tout cela serait une affaire compliquée. Il se tourna vers le gris avant de lui demander calmement, montrant ainsi qu'il ne le blâmait de rien:

"Peux-tu m'expliquer ce qu'il s'est passé exactement s'il te plait?"

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▬ Guerrier

Tout ça fatiguait le chef. remarqua immédiatement Nuage Poivré, qui s'en amusait presque. Cette folle, il voulait qu'elle se dépêche de leur ficher la paix, à tous les deux. Allait-il céder rapidement juste pour régler le problème au plus vite ? Allait-il plutôt la rembarrer, lui faire savoir qu'elle se mêlait de choses qui ne la regardaient plus, afin de régler le problème d'une façon définitive ? Le jeune mâle qui sentait fort se le demandait sans qu'aucune des deux options ne l'intéresse particulièrement. Tant qu'il faisait cesser ces caquètements.

" Peux-tu m'expliquer ce qu'il s'est passé exactement s'il te plait ? " lui demanda-t-il calmement. Et désormais, on le regardait, la folle se taisait, assaillie peut-être par la peur qu'on comprenne quelle genre de commère elle était. Le sourire narquois du gamin était au centre de l'attention des grands.

" Et bien... " Il se sentait au bord d'une incontrôlable crise de fou rire. C'était comme si dans sa nuit, une drôle de lumière l'aveuglait et lui permettait d'échapper à la gravité. Léger, ironique, libre comme un papillon, il peina à répondre :
" C'est... c'est son fils... à elle. " En la désignant d'un geste de la tête il faillit s'esclaffer. Dans ce rire évité se devinait un mépris énorme. " A peine nommé apprenti, à peine entré dans la tanière, je te jure qu'il commence déjà à faire le malin avec moi, comme si j'allais devoir me jeter à ses pattes et venter sa force et son talent ! "

Il n'avait pas dit "sa force de mouche et son talent de puceron", mais ça s'était quand même facilement entendu.

" J'étais donc en train de lui apprendre le respect quand... " il racontait ça comme s'il s'agissait d'une sorte de blague dont le sujet principal était la mère de Cyclone Nuageux, " Elle arrive, et elle commence à me dire que c'est inadmissible et que c'était une tentative de meurtre et... enfin tu vois bien quoi ! Enfin bref elle veut qu'on aille te voir pour que tu me punisses, parce qu'apparemment quand les chatons de six lunes jouent aux durs les apprentis sont censés les supporter et les laisser faire.
- Insolent ! " intervint la reine qui n'en était plus une. Elle avait fait le remarquable effort de se taire jusqu'à présent, pour ce faire elle avait dû serrer les crocs, et désormais, elle semblait persuadée qu'il suffisait de hurler à l'insolence pour montrer qu'on avait raison. " Tu ne dis même pas ce que tu lui as fait, tu ne dis même pas ce que tu m'as dit à moi. " Elle se tourna vers le chef, avec toute son assurance : " Je te jure que ce petit hypocrite m'a blessé Cyclone Nuageux, si tu veux je le rapproche et tu verras par toi-même : il saigne, l'autre il est grand et il sortait les crocs, les griffes, il l'insultait en hurlant, il lui a fait peur, ça faisait tellement de bruit qu'on entendait de loin ! C'est pour ça que je suis venue ! " Et elle ajouta, avec un sourire mauvais qui fit frissonner Nuage Poivré de déplaisir : " Ils n'étaient pas les deux seuls apprentis dans la tanière, tout le monde peut témoigner.
- Si elle a pas appris à son fils à respecter ses aînés, c'est pas ma faute à moi, quand même. Et puis je suis sûr que maintenant, Cyclone Nuageux a compris la leçon. Je lui ai été bien plus utile en quelques minutes que elle en six lunes. Mais si tu veux me punir... " il tourna les yeux vers le meneur, et toute ironie sembla enfin l'abandonner : " Fais comme tu veux, moi je m'en fiche, je regrette rien et c'est peut-être mieux, rien que pour la faire taire. "

Tout était posé.

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▬ Guerrière

Étoile aurait presque l'impression que s'il n'avait pas été présent, la même discussion se serait déroulé. Une discussion de sourds en somme, ou chacun avait ses arguments et ceux de l'autre n'étaient pas écoutés.

" Et bien... C'est... c'est son fils... à elle. A peine nommé apprenti, à peine entré dans la tanière, je te jure qu'il commence déjà à faire le malin avec moi, comme si j'allais devoir me jeter à ses pattes et venter sa force et son talent ! "

Dans ce geste, on pourrait presque voir du mépris et de l'insolence. Il est vrai que ce n'était pas le comportement que l'on attendait d'un apprenti envers ses aînés. Il n'y avait pas une once de respect dans ce qu'il disait, mais de l'agacement et de la moquerie.

- Insolent ! " Le mot était bien choisi. " Tu ne dis même pas ce que tu lui as fait, tu ne dis même pas ce que tu m'as dit à moi. Je te jure que ce petit hypocrite m'a blessé Cyclone Nuageux, si tu veux je le rapproche et tu verras par toi-même : il saigne, l'autre il est grand et il sortait les crocs, les griffes, il l'insultait en hurlant, il lui a fait peur, ça faisait tellement de bruit qu'on entendait de loin ! C'est pour ça que je suis venue ! Ils n'étaient pas les deux seuls apprentis dans la tanière, tout le monde peut témoigner."
Il soupira, il se croyait de retour dans la tanière des apprentis, avec les histoires de "tu m'a piqué mon lit!". Cependant, il s'agissait là d'un cas plus grave, un novice avait visiblement blessé un autre et il ne le niait même pas. Pis, il croyait qu'il avait fait la bonne chose. Pourtant il s'agissait là du même novice qui l'avait vu frappé sa mentor, qui avait visiblement lui aussi agi sur le coup de l'impulsivité. Le meneur n'était peut-être donc pas en mesure de le sermonner.

- Si elle a pas appris à son fils à respecter ses aînés, c'est pas ma faute à moi, quand même. Et puis je suis sûr que maintenant, Cyclone Nuageux a compris la leçon. Je lui ai été bien plus utile en quelques minutes que elle en six lunes. Mais si tu veux me punir... Fais comme tu veux, moi je m'en fiche, je regrette rien et c'est peut-être mieux, rien que pour la faire taire. "

Il soupira de nouveau. Dans ce cas-là, même le punir ne servirait pas, car il se croyait dans son bon droit. Il croirait simplement qu'il ne savait pas faire les bons choix, qu'il n'était juste, qu'il n'écoutait simplement pas la parole d'un plus jeune.

Pourtant, il était dans son devoir de montrer à Nuage Poivré que celui-ci avait tord, et non pas l'enfoncer dans l'idée contraire.

Il pouvait très bien voir le regard scandalisée de la mère et savait très bien que si'l n'agissait pas, elle allait râler contre lui et il risquait d'essuyer les critiques de toutes ses alliées.

"Hum hummm... Aile de Pie, tu peux sortir s'il te plait?"

Celle-ci sembla hésiter, comme si elle se demandait si le chef allait le punir en le grondant, en le griffant, ou s'il n'allait rien faire du tout.

"Tu vas pas le laisser s'en sortir comme ça, pas vrai?"

Il lui jeta un regard pour lui dire de s'en aller de nouveau, ce qu'elle fit sans poser ses yeux d'un air mauvais sur Nuage Poivré. Il le regarda, avant de commencer.

"Donc, en résumé, Cyclone Nuageux t'a insulté et tu l'as attaqué pour le faire taire?"

De ce qu'il avait pu comprendre, le gris n'était pas spécialement mauvais et de ce qu'il avait pu lui décrire, le meneur devinait que cette attaque était surtout la conséquence d'un ras le bol.

"Tu as donc agi impulsivement parce que tout cela t'a énervé. Enfin je suppose. Je sais ce que ça fait, d'attaquer d'un coup sous l'énervement, tu l'as vu de tes propres yeux. La différence, c'est que je sais que ce que j'ai fais était mal."

Il le regarda dans les yeux, coupant une possible intervention de la part du novice.

"Mais, passons. J'y reviendrais plus tard. Si je l'ai fait sortir...Il regarda vers l'extérieur. C'est pour te poser une question, et tu dois y répondre honnêtement."

Il plongea son regard dans le sien, comme pour le dissuader de mentir ou d'éviter sa question. Comme s'il aurait pu le deviner. Et c'était en partie le cas, car il était presque certain de la réponse qui s'ensuivrait.

"Ce n'était pas le premier à se moquer de toi, n'est ce pas?"

Hrp:

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▬ Guerrier

Le soupir fatigué que laissa échapper Étoile Tropicale après le "conseil" de l'apprenti le fit tressaillir au fond de lui. Maintenant que c'était son jugement qu'on attendait, l'appréhension montait, et un gamin tel que lui ne pouvait pas ignorer que son insolence lui coûterait cher. Mais quelque chose dépassait encore l'appréhension, et ce quelque chose, c'était une rage sourde et aveugle. Une rage qui faisait battre le cœur, une obstination qui, aussi absurde fût-elle, tenait en vie. Le sort de ceux qui sont seuls.

C'était bien la solitude qui défigurait ce petit pour faire de lui un futur monstre. Lui qui avait déjà enduré en silence un nombre conséquent de mauvais traitements, il ne pouvait accepter d'en voir d'autres revendiquer la liberté d'humilier impunément un de leurs ainés. Il se sentait même trahi, qu'un nabot, un nain, quelqu'un qu'il pouvait réduire en purée si ça lui chantait, puisse le côtoyer sans même imaginer un instant qu'il était quelqu'un qui devait être respecté. Il n'avait jamais vraiment connu Cyclone Nuageux, mais peut-être avant de le connaître avait-il au fond nourri l'espoir que les plus jeunes finiraient par gagner sa cause parce que les plus vieux les y contraindraient. Foutaises.

Il y en avait certains qui étaient libres, mais lui, il ne semblait pas né pour l'être. Voilà exactement la cause de la jalousie qui provoquait, chez Nuage Poivré, cette fameuse rage aveugle. Cette jalousie était d'autant plus cruelle que l'apprenti était absolument persuadé qu'il était mis à l'écart pour des raisons parfaitement hypocrites. Les autres faisaient comme s'il puait, alors qu'il était intimement convaincu qu'il n'y avait dans ce manège rien d'autre qu'une comédie sans fondements, et d'ailleurs, il savait même qu'il se lavait plus souvent (et mieux) que la plupart d'entre eux.

Chaque marque d'hésitation du meneur faisait monter l'angoisse. Le regard de Nuage Poivré était presque devenu abattu, résolu au pire, lorsque le grand mâle s'adressa à la reine de pacotille :

" Hum hummm... Aile de Pie, tu peux sortir s'il te plait? "

C'était comme une lumière qui s'allumait à l'horizon dans une nuit d'un noir d'encre.

" Tu vas pas le laisser s'en sortir comme ça, pas vrai ? "

Il ne s'offusqua pas d'entendre la pie parler de lui comme d'un vieil os à-demi rongé par les asticots qui aurait traîné à leurs côtés. Il jubilait trop de voir le chef la faire partir.

Elle avait voulu le voir humilié, et bien, il ne lui accorderait jamais cette satisfaction personnelle !

" Donc, en résumé, Cyclone Nuageux t'a insulté et tu l'as attaqué pour le faire taire ? "

Nuage Poivré répondit à l'affirmative d'un signe de tête, les mots utilisés par le meneur le préoccupaient peu, il n'allait pas chipoter concernant les détails, et d'ailleurs, il ne se demandait pas vraiment qu'est-ce qui l'avait vraiment décidé à s'en prendre au mioche. Il l'avait fait, et le petit tiendrait sa langue la prochaine fois, ça lui suffisait amplement, comme résumé, à lui.

" Tu as donc agi impulsivement parce que tout cela t'a énervé. Enfin je suppose. Je sais ce que ça fait, d'attaquer d'un coup sous l'énervement, tu l'as vu de tes propres yeux. La différence, c'est que je sais que ce que j'ai fais était mal. "

Ce brusque rappel du passé, l'apprenti ne l'avait pas du tout senti venir. Dans sa nuit, il s'efforçait d'ordinaire de laisser le Crépuscule loin, très loin de ses pensées. C'est vrai ! réalisa-t-il pour lui. C'est lui, son père ! Pourquoi cette intrusion de souvenirs faisait-elle à Nuage Poivré l'effet d'une claque vive et imprévue ? Les questions lancinantes remontaient. Pourquoi s'étaient-ils disputés, tous les deux ? Pourquoi le meneur avait-il frappé sa fille ? Pourquoi Éclat de Crépuscule avait depuis cessé de l'entraîner ? Il y avait dans les propos du meneur une sorte de demi-réponse qui éveillait d'autres questions. Et avec ce fourmillement de questions, quelque chose de doux, de lointain, d'enfoui, de rejeté.

" Mais, passons. J'y reviendrais plus tard. Si je l'ai fait sortir... C'est pour te poser une question, et tu dois y répondre honnêtement. "

Le mioche écoutait attentivement, et s'il était un peu déçu qu'on en revienne à son cas, ça ne pétrifia pas pour autant son esprit. Tant de suspens autour d'une question, tant de mise en scène, avec ce regard qui se voulait perçant... Le meneur allait essayer de lui soutirer des faux regrets, de lui faire promettre qu'il ne recommencerait plus. Le garnement gardait un petit sourire en coin. Il était persuadé d'avoir déjà vécu cette situation des centaines de fois. Finalement, Étoile Tropicale n'était qu'un paresseux qui s'imaginait qu'une molle gentillesse suffirait pour enterrer pour de bon cette histoire et tout l'honneur de l'apprenti avec elle.

" Ce n'était pas le premier à se moquer de toi, n'est ce pas ? "

Ce n'était qu'une bête question, mais l'apprenti eut vraiment très peur qu'elle l'hypnotise, le ratatine, l'incite à pleurer au lieu de cracher. NON. Un sursaut d'orgueil l'empêchait définitivement de satisfaire le meneur. Ça fait des lunes, DES LUNES, DEPUIS AUSSI LONGTEMPS QUE JE M'EN SOUVIENNE. Et je n'ai jamais pleuré. Et je n'ai jamais protesté. Et je ne me suis jamais scandalisé d'une quelconque injustice. Et pourtant, c'est bien N'IMPORTE QUOI. Je suis parfaitement propre, et je ne sens pas DU TOUT mauvais. JE LE SAIS QUAND MÊME ! C'est juste un jeu, pour eux, je suis sûr. Ils ont pris l'habitude mais ils n'en pensent rien. Ça leur fait plaisir de mentir, de se moquer de moi, de faire les malins pour pas que moi, je le fasse. Mais ils n'en pensent rien, et quand je serai fort comme eux, ils n'en diront plus rien non plus. Il eut un regard froid, un regard de défi, en direction du meneur. Il ne dénoncerait rien, rien du tout. Je ne vais pas me plaindre pour RIEN, moi, je ne suis pas comme ce nabot, je ne vais pas pleurer pour que ma mère vienne me protéger. Son air buté laissa place à une espèce de grimace ironique lorsque Nuage Poivré réalisa qu'il ferait mieux de ne pas laisser le meneur dévier sur ce terrain-là.

L'"honneur" de Nuage Poivré passait avant sa docilité. Je ne serai pas une victime tant que je ne me serai pas positionné comme tel.

" Pourquoi ? Devrait y en avoir d'autres ? " sourit-il, d'un faux ton mielleux, désagréable, qui devait laisser supposer que la question offensait Nuage Poivré.

Plus faible que lui ne lui marcherait jamais sur les pattes. Et bientôt peut-être, plus fort que lui n'existerait plus.

C'était là le rêve puéril de Nuage Poivré. Un de ces rêves qui s'expliquaient peut-être par la seule motivation de vivre, de croître, de s'épanouir.

Spoiler:

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▬ Guerrière

Comme tout chef qui prêtait attention à son clan, Étoile Tropicale était au courant de la majorité des rumeurs qui parcourait celui-ci. Après tout, les commérages étaient l'apanage d'une vie en communauté. Il savait donc bien entendu que l'apprenti avait une odeur caractéristique, que certains qualifiaient même de mauvaise. Le meneur pouvait le constater par lui même, mais cette dernière ne le dérangeait pas outre mesure. Sans doute la réalité était amplifiée par les novices, et c'était peut-être là la raison des insultes que subissait Nuage Poivré. Les jeunes pouvaient se montrer cruels entre eux... alors même qu'il ne comprenait pas toujours la portée de leurs mots.

" Pourquoi ? Devrait y en avoir d'autres ? "

Le sourire et le ton du gris sonnait faux aux oreilles de l'unique adulte présent. Il soupira et secoua la tête pour montrer sa improbation. Il ne l'aidait pas. Vraiment pas. Après, il n'était pas bien placé pour lui donner une leçon. A l'époque, il aurait surement agi de la même façon, pour préserver sa fierté et son orgueil. Et puis, sans doute serait-il vu comme une '"balance" si l'on s’apercevait qu'il avait partagé le problème avec son chef.
"Parce que sinon, tu aurais juste dit non sans répondre par une autre question qui te donne l'impression d'être sur la défensive."
Car à ses yeux, avec cette intonation, c'était ce qu'il se passait. Enfin, il devrait visiblement trouver un moyen de l'aider -car il voulait l'aider- sans le braquer. Ce n'était pas ce qu'il y avait de plus simple... Rien ne lui semblait simple en ce moment pour dire vrai. Il n'avait rien du chef invincible qu'il essayait de paraître.
"Je ne pense pas que tu sois quelqu'un de violent de nature."Non, il n'en avait pas l'air. "Mais sous l'impulsivité, la colère, on peut faire des choses que l'on ne ferait pas en temps normal. Mais en général, on se rend compte que c'était mal."
Oooh, il savait très bien de quoi il parlait, et Nuage Poivré pouvait le comprendre, lui ayant assisté aux événements. Mais à l'opposé, l'apprenti gris ne regrettait pas son geste. Le voyant comme il avait dit auparavant comme un chat pas plus agressif que cela de base il en tirait les conclusions suivantes:

"Mais pas toi. J'en conclus donc que tu voyais cela comme l'unique moyen que ça s'arrête, et pour que les autres aussi arrêtent. Après ceci n'est que supposition." A l'apprenti de contredire s'il n'était pas d'accord. "Mais ça ne l'est pas. Et un jour tu risques de le regretter." Une pointe d'amertume, qui pousserait peut-être le jeune à comprendre mieux ses mots, à vouloir parler. "C'est mon cas."
HRP:

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▬ Guerrier

Spoiler:

" Parce que sinon, tu aurais juste dit non sans répondre par une autre question qui te donne l'impression d'être sur la défensive.
- J'ai RIEN dit. " rétorqua le mioche, plus impressionné par le sang-froid du meneur qu'il ne voulait en donner l'air. Il n'insista pas davantage et passa à autre chose :

" Je ne pense pas que tu sois quelqu'un de violent de nature. Mais sous l'impulsivité, la colère, on peut faire des choses que l'on ne ferait pas en temps normal. Mais en général, on se rend compte que c'était mal. "

L'apprenti écoutait le meneur attentivement mais se gardait bien de répliquer. Au fond, il sentait que le calme commençait à s'installer, l'immédiat ne le menaçait plus désormais. Il était temps de mettre la tête hors de l'eau et de respirer à pleins poumons.

" Mais pas toi. J'en conclus donc que tu voyais cela comme l'unique moyen que ça s'arrête, et pour que les autres aussi arrêtent. Après ceci n'est que supposition. "

Nuage Poivré gardait son air quelque peu dubitatif, et sentait des questions naître en lui. Pourquoi le meneur se souciait-il de ces choses-là, lui à qui la folle avait pourtant demandé de veiller sur les autres ? Pourquoi ne se contentait-il pas de l'envoyer quelque part où il ne dérangerait personne, ou de lui casser la figure pour le dissuader de recommencer ? Qu'était-il en train de faire, de penser, de prévoir ?

Il n'était qu'un gamin et réalisait qu'au fond, la façon dont s'organisait le monde autour de lui était bien mystérieuse.

" Mais ça ne l'est pas. Et un jour tu risques de le regretter. C'est mon cas. "

Nuage Poivré comprenait bien là que le meneur évoquait le jour où il avait frappé Éclat de Crépuscule. Essayait-il de s'excuser ? Réalisait-il que l'absence de son amie, le changement de mentor isolait insupportablement le mioche ? Voyait-il la peur qui habitait depuis plusieurs semaines déjà le novice, à l'idée qu'elle cesse de le soutenir et de croire en lui ?

C'est... c'est pas possible... protesta intérieurement le gamin. Mais il tremblait légèrement. La clairvoyance possible de son chef le mit soudain mal à l'aise.

" Bah... " il se sentait stupide. Il aurait aimé dire que Cyclone Nuageux et Éclat de Crépuscule n'étaient pas tout à fait les mêmes. Que le premier le déteste ou non l'indifférait au plus haut point, tant qu'il se taisait. Mais elle (son cœur se serrait lorsqu'il se la représentait intérieurement)... ça n'avait rien à voir.

Du moins le croyait-il.

Au fond, pouvait-il être sûr qu'Éclat de Crépuscule serait fière d'apprendre qu'il avait fait taire un puceron à la mauvaise langue ? Il lui fallait pour répondre à cette question, imaginer que la rouquine revienne lui parler, ce qui était déjà presque un rêve. Il lui annoncerait la nouvelle, il s'en venterait, même.

Bien sûr que la Crépule que je connais me féliciterait... voulait-il croire.

" Moi, mon mentor, elle m'a dit... si la raison est bonne... faut pas hésiter à se battre. Et puis de toute façon, y'a des fois où on ne peut rien faire d'autre. " tenta-t-il d'expliquer, sérieux, calme. Mais il se demanda si son affirmation n'était pas un peu trop générale, aussi ajouta-t-il, un peu précipitamment :
" Mais c'est pas contradictoire, hein. Et puis moi, je sais pas du tout pourquoi vous vous êtes battus. "

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