Sale gosse [ft.Velours] - Abandon

Longue matinée pour le lieutenant de l'ombre. Organisation des patrouilles, marquage des frontières avant le lever du soleil, petite chasse solitaire et le voilà maintenant aux creux du vieux sapin qui servait d'antre à Étoile Dansante. La tanière n'était pas très spacieuse (situé dans les hauteurs d'un arbre encore debout) et la proximité avec la féline ne lui plaisait pas. Il lui était arrivé d'être bien plus proche d'elle auparavant mais les conditions avaient été bien différentes. C'est que le contacte physique lui paressait moins repoussant et anxiogène lors d'une partie de jambe en l'air. Son instinct ne lui feulait plus de repousser l'inconnu en prévision d'une quelconque attaque mais de s'en rapprocher. Alors il ne craignait ni un acte de violence ni d'être assaillit par de mauvais souvenirs.

Mais là, situation différente. Du blabla. Rapport du jour. Rien à signaler si ce n'est l'apparition de verglas dans certaine zones des marécages qui peinaient à rester humide avec le froid mordant de l'hiver nouveau. Pas de neige, mais ça elle avait pu le remarquer d'elle même alors il ne le mentionna pas. Une vielle odeur de renard, rien d'alarmant jusqu'ici, proies un petit peu moins présentes mais toujours dénichable. Pouvait-il sortir maintenant ?

Alors qu'il se hissait hors du tronc, ses impressionnantes griffes noires se plantant dans l'écorce pour y trouver une prise stable afin de descendre en toute sécurité, une certaine fatigue psychologique l'envahit. Coup de barre désagréable don la socialisation forcée était à blâmer. Trop de paroles échangées, discuter lui paraissait bien plus épuisant que de livrer une bataille. Tout était bien plus simple lorsqu'il n'était qu'un modeste guerrier. Neufs maigres mois à se contenter d'obéir et le voilà maintenant second à la couronne d'un clan.

Et la journée ne faisait que commencer.

Lorsqu'il atterrit sur le sol jonché d'aiguilles du campement le gigantesque combattant manqua de briser en deux la colonne vertébrale d'un malheureux chaton malencontreusement placé au pied du pin.

" Fait gaffe. "

Gronda t-il dans un premier temps. Le beau charcoal ne feula pour aussi peu (bien qu'il aurait pu) mais se contenta de réprimander le petit, enfin la petite, d'une voix plus dure et autoritaire que celle qu'il arborait habituellement: Neutre, rauque et distante.

Pauvre chaton malencontreusement placé au pied du pin.

Un instant.

Alors qu'il avait déjà dépassé la gamine pour continuer sa route d'un pas relevant plus du grand fauve que du chat gracieux le corps sombre du matou se stoppa net. Il resta immobile un instant, dos à la chatte crème. Une de ses oreilles remua, comme s'il tiquait.

Le fils du serpentaire pivota lentement pour poser son regard d'ambre sur- Patte de Mite? Nan, c'était le sourd lui. Petite Mite en plus. Patte de ... Velours, voilà.

" T'écoutes quoi ? "

Miaula t-il un petit peu moins durement, mais avec tout autant de froideur saupoudré d'une pince d'irritation et d'accusation, que la première fois.

La rosée froide du matin, une légère brise. La fin de l’automne s’annonçait doucement pour, bientôt, laisser place à l’hiver et, avec ceci, la curiosité des chatons de la pouponnière s’intensifiait. Patte de Velours avait bien grandit depuis sa première sortie avec ses frères ; aussi bien physiquement que mentalement. Elle ne jouait pas plus avec les autres qu’avant mais, à l’inverse, s’intéressait aux affaires du clan.

La petite commençait déjà à se renseigner auprès de sa nourrice sur le code du guerrier, les clans, les hauts placés... C’était d’ailleurs ainsi qu’elle avait appris que le fameux matou sombre qui venait s’occuper de Petit Gingembre et Petite Digitale environ tous les deux jours, “Feulement” de son nom, possédait le statut de lieutenant.
Cela avait beaucoup étonné notre princesse : comment un matou dont le nom de guerrier avait été retiré a-t-il pu devenir le second du chef ? D’autant plus qu’il n’avait apparemment pas le nombre de lunes requis pour accéder à ce rang à l’époque. Étoile Dansante aurait-elle perdu la tête ?

M’enfin, à quoi bon se poser des questions sur la façon qu’avait sa mère de gérer le clan ? Après tout, ce n’était pas la seule chose surprenante que Velours avait découvert sur sa mère. La petite commençait à s’habituer.

Ce Feulement.. Il lui avait longuement trotté dans l’esprit. En l’espace de quelques jours à peine, elle avait réuni de multiples questions à son propos. Surtout à cause de Fine Terre qui, quand elle parlait de lui, le qualifiait bien souvent de “Lunar pod”.

… Un Lunar Pod…
Quelle était donc cette étrange chose ? Avait-ce un lien avec le clan ? Était-ce un rang dont elle ne connaissait pas encore les fonctions ? Ou était-ce peut-être une sorte de simple surnom ?
Tant de questions qui restaient sans réponses, cogitant incessamment dans l’esprit de la petite. Mais cela n’allait pas durer.

Patte de Velours s’était mis en tête d’obtenir plus d’indices. Elle avait alors étudié le matou. Ou, plus précisément, son rythme de vie. Elle en avait conclu que sa routine se cantonnait à : patrouille, chasse, marquage de territoire, patrouille, chasse, rapport auprès de la cheffe, patrouille, chasse, etc.
Parfois, l’ordre changeait. Mais, grossièrement, ses journées se résumaient à cela. Rien de bien surprenant pour un lieutenant.

Pourtant, il y avait un point qui n’avait pas échappé à Velours et c’était le plus important car c’était celui qui allait servir à notre petite enquêtrice.
Il dormait dans la pouponnière. Et, ce, généralement une nuit sur deux.

Aujourd’hui était donc un jour spécial. Le jour des grandes révélations !
Feulement avait dormi avec Petit Gingembre et Petite Digitale et s’était levé tôt pour débuter sa routine journalière. Patte de Velours n’avait presque pas dormi de la nuit, restant sur le qui-vive pour pouvoir le surveiller dès son réveil. Et c’est ce qu’elle fit.

Bien entendu, elle ne le prit pas en filature jusqu’en dehors du camp mais elle le suivit simplement du regard de l’entrée de la pouponnière, jusqu’à ce qu’il se dirige vers la tanière d'Étoile Dansante pour lui faire son rapport quotidien.
Au moment où le matou refit son apparition dans le campement, revenant certainement d’une patrouille ou d’une chasse, il se rendit enfin à l’endroit prévu. La petite jeta un rapide coup d’oeil derrière elle, vérifiant que Fine Terre ne la surveillait pas. Cette dernière était occupée à essayer de faire apprendre la propreté à Petite Mite et, visiblement, elle avait du mal à se faire comprendre.
Parfait.

Du haut de ses petites pattes de chaton de 5 lunes et demi (oui, car elle y tenait à ce “et demi”), Velours s’élança à la “poursuite” du molosse charcoal.
Une fois arrivée au pied du sapin, Feulement était déjà entré. Mine de rien, courir après le lieutenant n’était pas un comportement des plus ordinaires. Notre princesse ne pouvait pas prendre le risque d’attirer l’attention sur elle. Elle décida donc de faire mine de faire sa toilette et tendit l’oreille pour écouter ce qui se tramait à l’intérieur de la tanière de sa mère.

Elle resta ainsi un moment, n’obtenant au final que de banales déclarations ; un lapin par-ci, une odeur suspecte par là...

Et juste au moment où elle se dit qu’elle allait repartir bredouille, elle vit une énorme masse sombre lui tomber dessus. Elle se crispa et ferma les yeux. Son heure était venue. Si jeune et elle allait déjà mourir écrasée sous un mastodonte.
Par chance, le matou -qui n’était autre que Feulement- l'esquiva de justesse, ses énormes pattes atterrissant juste à côté de la petite boule de poils. Le sol trembla même. Velours écarquilla les yeux. Elle était vivante.

- Fait gaffe.

Elle souffla, rassurée, puis se rendit compte de la situation dans laquelle elle s’était fourrée. Le lieutenant l’avait surprise. Il allait forcément la sermonner. Et sa mère qui était juste là-haut, dans le tronc. La petite était dans les crottes de renard jusqu’au cou. Jusqu’au bout des oreilles, même.

Velours se fit toute petite, espérant attendrir le matou mais.. Attendez. Il s’éloignait déjà. N’avait-il toujours pas fait le rapprochement ? Elle était juste là pourtant ; en dessous de l’entrée de la tanière du chef, en plein milieu du camp, au moment du rapport, n’importe qui aurait su que ce n’était pas une coïncidence ! Il est vrai qu’elle ne l’avait jamais réellement vu interagir avec qui que ce soit.. ni parler, maintenant qu’elle y pensait. Mais tout de même !
Lui manquait-il une case ?

- T’écoutes quoi ?

Et en plus il ne savait même pas parler correctement. Sa mère avait vraiment fait un choix stupide !
Mais bref, il y avait plus urgent. Le réel problème, c’était qu’il avait fini par la remarquer. Enfin. Et désormais, elle était vraiment dans la mouise.
Elle recula, espérant que peut-être elle réussirait à fusionner avec le tronc d’arbre pour s’y cacher.

- Rien du tout, répondit rapidement Velours.

Son brin de voix laissait clairement apparaître sa culpabilité. Elle le savait. Elle décida alors de faire quelque chose de noble et fier. Elle allait prendre ses responsabilités ! Après tout, un vrai guerrier doit toujours admettre ses torts.
La petite tigrée se dressa alors fièrement -mais non pas sans difficulté à cause du regard accusateur que lui lançait le charcoal- sur ses maigres pattes et leva la tête, fermant les yeux. Comme si elle ne voulait pas faire face au mastodonte qui allait très certainement la réprimander une fois qu’elle aurait tout avoué.

- Je veux dire.. Je vous écoutais. Vous.

...Et ma mère.

Oups. La boulette. Elle avait été un peu trop honnête en s’arrêtant au “Vous”. Heureusement qu’elle s’était rattrapée en citant Etoile Dansante.
Espérons que le matou ne relèverait pas.

La petite recula, collant son corps encore trop fin pour être celui d'une véritable apprentie mais trop grand pour appartenir à un chaton à l'écorce brune du pin.

" Rien du tout. "

Miaula t-elle aussitôt, puis comme si elle n'était pas satisfaite par sa réponse, elle se corrigea:

" Je veux dire.. Je vous écoutais. Vous. Et ma mère. "

Insouciante ... Elle avait de la chance d'être née sous le règne de sa mère plutôt que sous celui de son père. Si elle avait écoutée aux portes et surprise des ordres interdits à l'époque il n'aurait pas donné cher de sa peau. Qui sait ce que Maudit aurait pût faire à ses propres enfants en cette ère de terreur et de violence? Il était bien différent d'Oeil Vert.

Ce n'était pas la première fois que Feulement croisait Patte de Velours, ses yeux surtout. Vigilant de part son traumatisme et son service de chuchoteur, le grand charcoal avait remarqué ce regard qui se retrouvait un petit peu trop souvent posé sur lui.

Il n'avait jamais rien dit, ne se sentait pas menacé par un chaton curieux et n'avait aucune envie d'interagir avec elle mais si elle commençait à le suivre dans la tanière d'Etoile Dansante alors voilà qui se révélait être un problème.

Le grand ombreux regrettait presque l'époque où il était guerrier. Cela n'aurait pas été ses affaires mais maintenant il était de son devoir de la reprendre, de gaspiller de la salive pour engueuler une gamine qui n'était même pas la sienne. (Et même si c'était la sienne il ne s'en sentirait pas responsable) Sacrée perte de temps.

Son regard ambré se fit plus dur, sa queue fouetta l'air. Il s'en serait franchement foutu mais alors royalement que Patte de Velours le suive mais les ordres étaient les ordres et la discrétion était à entretenir. Les enfants trop curieux finissent dans le charnier. Les adultes aussi d'ailleurs.

" Faut qu't'arrête de m'suivre. "

Pas envie de pondre un livre, pas envie d'avoir à se répéter, il supposait que l'intimidation était la meilleure des solutions. La peur donne de sacrés leçons, ça fait rentrer beaucoup de choses dans le crâne très vite et il en était la preuve vivante. C'était peu-être pour cela qu'il grimpait l'échelle sociale si rapidement et si jeune, malgré lui hélas. Élevé à la dure il ne connaissait rien d'autre de toute manière.

Ses énormes griffes noires sortirent de leur fourreau et ce sur commande.(ce qui était assez rare pour le souligner) Il les planta dans la terre froide, jouant de ses armes pour intimider l'enfant.

" Que j't'y reprenne plus. "

Il se força à parler un peu plus qu'à son habitude, poussant sa voix à sortir de son stoïcisme éternel pour adopter un ton plus menaçant, sifflant. Car si Feulement savait parfaitement se montrer terrifiant lorsqu'il était réellement agressif il possédait un mal fou à simuler ses émotions. Il ne portait jamais de masque ... Du moins tant qu'il ne s'agissait pas de cacher une quelconque faiblesse.

Mais sa taille gargantuesque, son aura froide et autoritaire, ses cicatrices et ses muscles se révélaient être un atout phénoménal dans ce genre de situations.