L'amour et la violence ► Mug - end

Il est décrété que la plus grande souffrance a toujours été et sera toujours
De ne pas pouvoir se donner d'amour à qui l'on aime

Aimer sans amour, Guts

Là. Elle était là. Le corps d'Esprit Lent se détendit comme un ressort, bondissant sans grâce vers Bouquet de Muguet, qu'elle attendait de pied ferme. Il n'y avait plus de « je le ferai demain » qui tienne, c'était aujourd'hui, c'était maintenant qu'elle l'abordait, maintenant qu'elle briserait l'armature du silence.

« Muguet. »

Elle s'était mise en travers de sa route, juste avant qu'elle n'entre à l'intérieur du campement.

« On va parler. »

Trois mots, une affirmation, brutale et sans délicatesse. Cela faisait trop longtemps qu'elle attendait, trop longtemps qu'elle s'était concentrée sur ses enfants de lait et plus sur sa fille de cœur, qui s'éloignait chaque jour un peu plus. Elle avait si peur d'entendre ce qu'elle avait à lui dire, si peur de s'entendre dire des choses qu'elle ne pensait pas ... Son ton s'adoucit lorsqu'elle demanda, soudain hésitante :

« Tu ... vas bien ? »

Pas que la réponse à cette question ne soit pas évidente – mal, elle allait mal car tout le monde la détestait au sein du Clan de l'Ombre –, mais la reine ne savait plus trop par où commencer, son courage la quittant au fil des secondes. Clan des Étoiles, soyez cléments envers elle, envers nous une fois, rien qu'une seconde fois depuis que vous me les avez confiés, elle et son frère. Je l'aime toujours tellement fort ...

... Mais a-t-elle seulement encore besoin de mon amour ?

L'amour et la violence. (34)


La sortie avec Coeur de Mimosa avait un peu rehaussé mon humeur, trop tirée vers le bas par la globalité du camp. Les murmures, le dégoût, la solitude heureusement égayée par mes quatre petites... Et surtout, vivre dans la même tanière confinée qu'Esprit Lent. Ne pas lui parlé alors que j'avais mes devoirs d'apprentie et elle de reine, c'était facile. Mais dorénavant, nous avions les mêmes obligations. Les mêmes qui l'avait obligée, à mes yeux, à se détourner de nous, Crocrocs -ou Sasabre depuis le baptême- et moi. Les choses auraient - été différents si nous avions été ses vrais enfants ? Je ne saurais répondre. La réalité était qu'elle attendait ses petits lors de notre apprentissage, comme pour remplacer les bébés qui avaient grandis, insatiable de duvets de chatons. Je l'avais mal pris, malgré tous les chats qui voulaient me raisonner, je ne voulais pas bien le voir. J'avais perdue cette mère de remplacement. Mais j'avais retrouvée la vraie, dans mes pensées et dans mes souvenirs construits à partir de rien, imaginés de la vie qu'on aurait pu avoir. Beaucoup plus facilement imaginé depuis que j'expérimentais la vie maternelle avec mes petites princesses !

J'allais d'ailleurs, les retrouver dans notre nid, après ma sortie mission "dégourdir mes pattes". Mais une silhouette grise se glissa entre moi et le tunnel d'entrée du camp. Mes muscles se tendirent pour m'arrêter et mes oreilles se plaquèrent en arrière. Cinq lunes à l'éviter, ce n'était pas à la sixième que l'envie me prendrait ! Son ton dur n'aidait en rien.

" Esprit Lent " lui répondis - je avec la même délicatesse.

Elle perdit néanmoins rapidement son assurance. Moi, je gardais mon entêtement et ma rancune. Sa question banale, mais totalement saugrenue, me fit battre de la queue. Je répondis, sarcastique.

" Oh, tout va pour le mieux. J'adore me réveiller chaque matin en espérant qu'il ne manque pas l'une de mes petites près de moi. "

Je regardais à gauche, à droite, prête à sauter sur n'importe quelle occasion pour rentrer et couper cette conversation au court. Je voulais retrouver ma famille. Ma vraie famille.

Esprit Lent déglutit difficilement, consciente de son erreur. De ses erreurs. Elle n'avait pas été présente quand il fallait, trop aveuglée qu'elle était par sa propre rage, celle de voir son compagnon incendier sa propre fille, mais aussi par l'amour coupable qu'elle ressentait pour ses enfants de lait. Mais avait-elle tant échoué dans son rôle de mère pour que la colère dans les yeux de Bouquet de Muguet soit si intense ?

« Esprit Lent. »

Un courant d'air glacé passa dans le cœur de la reine. Elle frissonna, toujours plus hésitante, sa tête s'enfermant dans l'étau de ses épaules. Bouquet de Muguet la regardait avec cet air qu'elle avait toujours eu : fier et peut-être un peu hautain, au-dessus des autres, mais surtout au-dessus de la douleur.

Invincible.
Intouchable.
Plus haute que le ciel malgré ses si petites pattes ...

« Oh, tout va pour le mieux. J'adore me réveiller chaque matin en espérant qu'il ne manque pas l'une de mes petites près de moi. »

Les mots s'engorgeaient dans sa tête.
Culpabilité, regrets, colère.
Tout s'agitait, et elle voyait ce regard qui fuyait, qui voulait être partout sauf ici, sauf là à lui parler, sauf à souffrir de l'entendre essayer de s'excuser, essayer d'avoir une miette de son attention ... Mais, par toutes les Étoiles du ciel, pourquoi avait-elle si froid, alors que dans son cœur brûlait un sentiment si puissant d'injustice ? Et dans son esprit, de tous petits craquements, crac, crac, comme le bruit d'une pierre sur du verre pilé.

« Je n'ai pas prévu de te les voler, moi. »

Je n'ai pas voulu ça.

« Je n'ai pas prévu de te rejeter, moi. »

Je t'ai défendue, je t'ai aimée de tout mon cœur, j'ai voulu que tu me pardonnes. Et toi, tu me détestes.
Ça ne se passait pas comme elle voulait. Bouquet de Muguet ne voulait pas l'écouter. Déjà en étant petite, elle ne l'écoutait jamais. Est-ce qu'au final, ce n'était qu'une suite logique à leur histoire ? Cette tête de mule qui ne voulait jamais rien entendre ... Est-ce que c'était Grain de Sel qui avait raison, au final ?

« Mais si tu as décidé de le prendre comme ça ... »

Souffle suspendu.
Elle hésitait à continuer, elle avait peur de la suite.
Elle avait peur d'entendre l'écho de sa propre voix dans ses oreilles grises.

« ... Alors je te laisse tranquille. »

Tout restait bloqué tout au fond d'elle, avec des milliers de piquants et d'insultes, de rages et de non-dits, d'amour et de violence qui allaient sans doute tous mourir avec elle. Ce n'était pas grave. Elle savait, elle, qu'elle l'aimait toujours, et à jamais. Quoiqu'elle en dise ...

"s u r p r i s e :

L'amour et la violence. (34)


Pas d'échappatoire encore, Esprit Lent était bel et bien décidée de chercher des excuses et à adoucir cet abandon que j'avais vécu. Bien sûr qu'à ses yeux ce n'était pas si grave. Bien sûr que je devais s'en doute m'entêter, mais ce clan.. Ce clan me poussait tant à bout que j'en étais venu à douter de celle qui avait été si longtemps ma mère. Elle réagit à ma réponse, qu'elle ne voulait pas me voler mes petites, qu'elle n'avait pas voulu me rejeter. Je serrai les dents pour ne pas lui rétorquer que si elle n'avait pas voulu me rejeter, elle n'aurait pas du avoir de chatons. Moi qui avait si peu, me voilà avec encore moins. J'avais décidé de tout prendre comme cela, oui, de dresser une barrière contre la violence des Ombreux. Violence qui prenait tant de forme, la plus blessante était celle de perdre l'attention de celle qui m'en avait donné en première. Peut - être était - ce égoiste de demander toute son attention, mais c'était juste tout ce qu'il me fallait pour résister.. Et pas craquer... comme on craquait en ce moment précis.

Et Esprit Lent craqua en première, me laissant "tranquille", en déclarant forfait peut - être. Ma queue battait derrière moi, quoique de plus en plus lentement. D'en colère, je passais à mal à l'aise. Elle se faisait tant de mal à essayer de me récupérer alors que je ne voulais plus, pour ne plus être blessée. Et ça la blessait. Si elle me laissait partir, ce serait mieux pour nous deux. J'inspirai fort pour parler le plus calmement possible.

" Petit Muguet a aimé sa Maman Lent de tout son coeur. " Et la rappeler par ce nom me serra le mien. " Mais Bouquet de Muguet n'a plus la place ni la force. "

La force de tout reconstruire à l'Ombre alors qu'ils pouvaient tout détruire à nouveau. La place dans mon coeur qui s'était trop renfermé. L'étau desserré, je m'échappai doucement, allant à mon but premier, la pouponnière pour rejoindre mes quatre petites fleurs.

" C'est fini, Esprit Lent. Tu.. Tu as de nouveaux petits. Et.. j'ai une nouvelle maman. Je suis une nouvelle maman. Nos chemins se séparent ici. Mais... merci pour le bout qu'on aura parcouru ensemble.. "

Car comme je l'avais dit, même si je ne pouvais plus l'aimer en tant que Bouquet de Muguet, Petit Muguet elle, aimera toujours sa Maman Lent éperdument.