let's watch it burn - end

Dormir cette nuit-là fut plus compliqué que prévu, ce fut même impossible. Nuage Embrasé s’était torturé l’esprit toute la nuit, cherchant le silence du sommeil en vain. Alors il avait fixé le vide pendant plusieurs heures. Voilà presque une semaine que le procès de son père avait eut lieu, et même après avoir fait de longues toilettes, il se sentait encore salit du sang de son géniteur. C’était une sensation horrible qu’il n’arrivait pas à chasser, il se sentait sale au plus profond de sa chair et de son âme.

Alors que ses camarades se réveillaient chacun à leurs tours, l’aspirant prit son courage entre ses pattes et quitta le couvert de la tanière à son tour, évitant le contact avec Nuage de Ronce ou Nuage de Cendre, il ne savait pas comment Nuage de Cendre avait réagit face au parricide qu’avait fait son frère. Et il ne voulait pas non plus discuter de ses origines avec Nuage de Ronce, l’élue de son cœur. Peut-être qu’elle ne l’aimerait plus après cette nouvelle ? Qui voudrait d’un compagnon au sang pourri ?

Il avait demandé son emploi du temps à Feulement, qui lui répondit avec un silence, signalant qu’aujourd’hui il pourrait prendre du temps pour lui. Le guerrier jais avait bien remarqué la fatigue qui embourbait le rouquin, et il était sûr qu’ils ne pourraient pas s’entraîner si Nuage Embrasé n’était qu’une coquille vide d’énergie. Le rouquin fit donc, et quitta le campement en direction de la forêt, marchant là où ses pas le guideraient.

Après plusieurs longues minutes de marche silencieuse, le brouhaha lointain de la route résonnait au fur et à mesure qu’il s’approchait. Ses pattes l’avaient emmener là où il avait rencontré Rusty, quelques jours auparavant. Il l’avait pris pour son paternel remonté de la Forêt Sombre pour se venger, grosse angoisse pour le rouquin. Alors Nuage Embrasé continua sa marche mortuaire, se dirigeant directement sur le bord du bitume. Une odeur âcre s’élevait dans l’air, elle n’était pas celle de d’habitude, elle était bien plus forte, nauséabonde, elle grimpait à la gorge et brûlait l’air.

La curiosité l’avait piquer comme une mouche, et il s’approcha lentement de la source de cette odeur, humant avec difficulté l’air pour la situer. C’était horrible, il se sentait étouffé. Il ne fut pas difficile de découvrir la source de cette pestilence. C’était une sorte de tout petit bâton blanc, dont l’un des bouts provoquait une fumée blanchâtre mais épaisse. Cette chose devait sûrement être une carcasse d’un objet lancé par la fenêtre d’une des voitures par les bipèdes. L’aspirant s’approcha, et lorsqu’il tendit l’une des pattes pour bousculer la petite branche, il ressentit une vive douleur dans sa patte. C’était brûlant, et cela avait attaqué les poils de ses pattes. Un craquement faible résonna, alors que cette branche blanche au bout orange s’attaquait à l’herbe sèche de l’été. Elle semblait faire naître de petites flammes dansantes, qui n’auraient sûrement pas d’espoir de vivre longtemps.

Nuage Embrasé contemplait les flammes comme une sorte d’illuminé. Elles dansaient comme sa propre fourrure dans le vent. C’était beau, c’était comme une lueur d’espoir aux yeux de l’aspirant. Il s’imaginait tellement de choses, d’idées saugrenues et dangereuses qu’il pourrait réaliser si il arrivait à contrôler cette chose. Alors, il se redressa, et avec quelques coups de regards, chercha une branche pour appréhender la bête comme Queue de Serpent l’avait fait face à une vipère lors d’une patrouille avec Feulement. L’aspirant roux en trouva une, loin d’être parfaite ni même proche de ce que Queue de Serpent avait utilisé, mais elle ferait l’affaire.

Il revint rapidement, et glissa le bout de la branche sèche près de l’esprit de flamme. Pourtant, l’être de chaleur ne s’agrippa pas à la branche comme l’aurait fait la vipère, il commença plutôt à la dévorer avec ferveur et gloutonnerie. Voir cette petite créature s’approcher si vite de son visage paniqua l’aspirant roux, ne sachant comme réagir il resta sur place, contemplant l’être de feu s’approcher de lui à grande allure au fur et à mesure qu’elle dévorait la branche creuse.

Lorsque la chaleur caressa sa truffe, le rouquin eut un sursaut, et la vive douleur de la flamme embrassant sa peau lui fit serrer des crocs. Il s’élança à vive allure à travers le Chemin du Tonnerre, évitant à une queue de souris de se faire renverser par un monstre. Dans sa tête les idées fusaient, si il lâchait cette vipère de feu dans le camp du Tonnerre, il pourrait tous les réduire en cendre, et sa mère par la même occasion ! Cette crevure qui l’avait laisser seul en proie à son paternel. Elle devait payer elle aussi. Ils devaient tous payés, tous autant qu’ils étaient.

Alors qu’il courrait dans le couvert boisé de ses adversaires, le serpent de flammes s’attaqua à son maître, mordant sa truffe d’un coup vif, qui fit avoir un long frisson dans tout le corps de l’aspirant, dressant ses poils sur son échine. Il fit tombé la branche et l’être au sol. Bientôt, son compagnon de vengeance s’attaqua à l’herbe environnant le lit de sa chute. L’aspirant eut un rictus face à la vitesse où son plan s’exécutait.

Dans un instant de lucidité, il se remit en question. Que faisait-il ? C’était contraire aux règles du code ? Certains félins, même du Clan du Tonnerre, n’y étaient pour rien. Il ne pouvait pas juste réduire leurs vies en cendre d’un claquement de patte, ce n’était pas juste. Nuage Embrasé donna un coup de patte à la flamme, tentant de l’éteindre alors qu’elle se propageait déjà. Seulement, la douleur que cette action lui provoqua fut telle qu’il dut prendre la fuite. La panique commençait à grimper dans son corps, ses muscles se tendaient, ses poils se dressaient et sa gorge se nouait alors qu’il tentait de fuir les flammes qui devenaient déjà aussi grandes que lui.

Sa vengeance allait avoir raison de lui, son plan se retournait contre lui. L’aspirant du Clan de l’Ombre s’enfonçait encore plus dans ce territoire qu’il ne connaissait pas. Il était perdu et poursuivit par ce monstre de flammes. Alors qu’il sauta au dessus de quelques buissons, il chuta sur quelque chose qui n’était pas le sol, s’emmêlant dans ses pattes. Il s’étala sur le sol après avoir rouler sur une petite distance, tentant de se redresser avec difficulté, essoufflé et fatigué. Le rejeton des Flammes fit face à cet obstacle, alors que les bras du Brasier avalait de plus en plus de distance en leur direction.

Les deux félidés avaient roulés sur quelques longueurs de queues, et un cri s’éleva alors qu’une proie s’envolait par peur. Cette dernière fit une manœuvre maladroite dans le ciel pour fuir le brasier à son tour. Quand à Nuage Embrasé, le rouquin se redressa avec difficulté, le souffle court.

« ─ AA-AAAÏE, mais tu me fais MAL!! »

L’obstacle l’agressait, et tentait tant bien que mal de dégager l’apprenti ombreux, qui se redressa d’un geste lourd.

« ─ Pousses-toi!! »

Il adressa un regard paniqué à la chatte, et ne prit pas le temps de la décrire. Il se lança, attrapant la chatte par le cou pour la traîner et la forcer à se mettre en course. Il glissa de courts regards à la femelle. Elle était élégante, son pelage était court, son poils semblait doux, il était de couleur charbon, strié de marques plus sombres. Le rouquin reporta son attention devant lui, ils devaient courir, et fuir cet immense bouche de flammes qui menaçait de les dévorer. Le feu prenait rapidement de la distance, avalant avec un appétit gargantuesque les broussailles séchées par la canicule. Cet ennemi semblait se moquer d’eux, les chatouillant de sa chaleur, d’un air gouailleur. Le rouquin avait relancé la chatte en la traînant, quel que soit leurs clans ou leurs différents, il ne pouvait pas se permettre de la laisser se faire dévorer comme une pauvre souris.

« - Cours »

Dit-il froidement, dans sa course, il n’avait pas l’habitude ni même le souffle pour lui expliquer le pourquoi du comment, il n’avait pas le temps pour les présentations, ni même le luxe pour les chamailles. Ses foulées se voulaient grandes, rapides, mais étaient fatigantes, et sa respiration n’était pas calée sur ses gestes, il s’épuisait trop vite, il n’était pas fait pour l’endurance ou la vitesse. Mais il était fait pour survivre.

Le gros matou roux courrait, il regardait droit devant lui, bondissant dans sa course, avalant autant de distance que le brasier qui leurs léchait l’arrière le faisait. Est-ce que le Nuage Embrasé allait être lui-même dévoré par le Brasier ? Le début d’une mauvaise blague. Et si seulement il savait que sa voisine était elle aussi attachée à ces flammes de par son nom. Le rouquin n’avait pas fait attention à la pression qu’il avait exercé sur la nuque de sa voisine en la traînant pour la forcer à courir, mais visiblement elle avait eu un peu mal. Imaginez cette pression sur une zone où la peau est bien fine, comme la gorge.

Et pourtant, dans sa course pour survivre, le matou remarqua que sa voisine s’était arrêtée, il dérapa sur le sol pour se retourner. La folle contemplait les flammes, les regardant se nourrir, s’apprêtant à lui bondir dessus. Le rouquin galopa vers elle, il fallait qu’elle se remette en course ou elle allait y passer.

« ─ Que... Comment.... C'est.... orange? »

«  Elle est Cinglée ! » Une flamme sembla lui caresser le visage. C’en était fini pour elle, elle allait se faire avaler d’une bouchée, comme toute la forêt qui s’embrasait sous leurs yeux. Il avait fait une connerie, il avait été con. Cela aura des répercussions sur tout le monde, et même sur lui, si il en sort en vie. La chatte de charbon se remit en course, d’un bond, quand le feu l’embrassa au visage. Le rouquin fit demi-tour à son tour, dérapant sur le sol suant de cette chaleur. L’air était étouffant, et le matou haletait dans sa course.

Sa voisine quant à elle, semblait avoir de plus en plus de mal à courir, elle s’essoufflait vite.

« - Je suis Nuage Embrasé. »

Lui dit-il, connaître le nom de celui avec lequel on va peut-être mourir est important, non? C'était ironique de croiser un félin dans un feu de forêt tel, avec un pelage comparable aux flammes, et un nom tout autant lié. Peut-être était-il l'esprit de ces flammes et que le brasier avalait là où il passait? Il ne connaissait pas ces terres, et il l’emmenait peut-être directement dans la gueule du Loup. Il préférait se faire tuer par un blaireau que de se faire dévorer par ces flammes.

Son pelage s’assombrissait au fur et à mesure que les cendres lui volaient dessus. Il était sale, mais vivant. Il devait le rester. Eux deux devait le rester.

Le rouquin courrait avec hâte, son souffle était court, mais il était régulier et il faisait tout pour le garder comme tel. Un souffle régulier lui permettrait de moins s’épuiser et de pouvoir être attentif. La chatte qui fuyait à côté de lui semblait comme secouer par la voix de l’apprenti. Elle avait perdue son attention, son instinct de fuite avait pris le dessus, mais pourtant elle semblait sortie de sa transe grâce à la voix du matou.

─ Moi... Moi c'est... Regard... De B-Braise.

Elle était essoufflée, contrairement au rouquin, son souffle était saccadé, irrégulier et difficile. La femelle courrait avec difficultés, mais elle tentait de garder le cap, et c’était un point important. Il fallait rester lucide pour ne pas foncer tête baissé vers la mort. Et pourtant…

Sa voisine glissa vers l’avant, s’enfonçant dans le sol. Le rouquin eut le temps de se stopper dans un dérapage vaguement contrôler. Il plongea la tête en avant, attrapant ce qu’il pouvait de la chatte pour lui éviter une mort certaine. Sa mâchoire se logea dans la chair de la femelle, et il eut un souffle court de soulagement. Le liquide poisseux qui commençait à couler de sa prise ne l’alarma pas, sa bouche était sèche par l’effort et il ne le sentait presque pas. Il s’imaginait qu’une petite blessure ne serait rien si elle survivait. Ses crocs se bloquèrent, et il commença à reculer, enfonçant ses griffes dans la terre meuble pour éviter de basculer à son tour. Pourtant, une douleur glissa sur l'une de ses pattes, et d'un regard, il comprit que sa voisine avait tentée de se raccrocher à lui, balafrant sa patte.

« - Je te tiens. » Réussit-il à articuler dans sa prise.

Sa grande carrure lui offrit une chance pour sortir la femelle de ce pétrin, elle n’était pas très lourde, mais pesait quand même son semblant d’or. Alors, une fois cette dernière sur la terre ferme, le rouquin lâcha prise, reculant pour reprendre son souffle. Il posa son fessier sur le sol, l’incendie était un peu plus loin derrière, et les broussailles se faisaient plus rares près de cette cicatrice dans le sol. Ils pourraient reprendre leurs esprits pendant quelques secondes.

« - Tout va bien. » Soupira-t-il.

Il redressa la tête, portant un regard à sa voisine pour voir si tout allait vraiment aussi bien qu’il le disait. Son visage fondit sous l’horreur, ses traits se refermèrent et son regard se couvrit d’un voile sombre. La scène qui se dessinait devant lui était tirée de ses cauchemars les plus sombres.

Quelque chose avait craquer. Il l’avait entendu, mais ignorer. Une patte brisée était moins pire que de tomber dans le ravin et de n’avoir aucune chance de survie. Pourtant.. s’il s’y était un minimum intéressé, il aurait compris. L’apprenti se redressa, sa mine toujours sombre. Il s’approcha de la guerrière qui gisait au sol, inerte. Nuage Embrasé leva sa patte, et secoua faiblement la femelle, espérant une réponse d’elle. Elle était fluide, désarticulée, lorsqu’il tenta de la soulever par la peau du cou, sa tête se renversa dans une position très peu naturelle.

Il soupira, redéposant lentement la femelle au sol. Il venait de la tuer. Il l’avait sauvé d’une mort certaine, en la tuant lui-même. «  Tu brises tout ce que tu touches. » Le rouquin se rappela les paroles de sa tante et nourrice, Fine Terre. Elle avait raison. Il cassait tout ce qu’il touchait. Le guerrier de l’ombre se posta droit, à côté du corps de la défunt. Il ne voulait pas la laisser là, et dans une prière silencieuse, accompagna son âme jusqu’aux terres du Clan des Etoiles.

« - Pardonne moi Regard de Braise, j’aurai essayé. »

Il porta un regard sur le brasier qui dévorait le paysage, tentant de se rapprocher des deux félins. Le rouquin se redressa d’un geste lent, et attrapa la femelle entre ses crocs. Regard de Braise pendait de la mâchoire de Nuage Embrasé, qui s’avança d’un pas lent, sa fourrure dansante comme le brasier. Il semblait avoir une crinière de feu, tel un lion embrasé.

Le rouquin se dirigeait vers les flammes, glissant dans un chemin de suie qui les découpaient. Il se dirigeait vers le camp du Tonnerre, ne sachant pas vraiment où il se trouvait, les odeurs étant mélangées à celles du brasier.

Après plus d’une demi-heure de marche, le félin trouva enfin un endroit qui semblait être proche de leur camp. Il y déposa le cadavre de la jeune sur la terre asséchée. Le matou devenu noir de cendre semblait être un envoyé de la Forêt Sombre, portant l’odeur de la mort et des flammes. Son regard d’ambre se détachait de sa masse de nuit, glissant sur la défunte, puis sur ce qui semblait être l’entrée du camp. Croisa-t-il un regard ? Peut-être. Il fixa silencieusement le camp pendant quelques secondes, avant de faire demi-tour et de repartir vers l’incendie.

hrp: