Brume et langues de vipères [Ft.Terre & Digitale] - Abandon

Une brume épaisse couvrait la pinède d'un voile blanc opaque, effaçant l'horizon et la cime des arbres les plus lointains. On ne voyait pas plus que le bout de son museau et la toile d'humidité ramollissait le sol devenu boueux et collant. Doucement trois formes félines apparurent graduellement au centre du tableau, comme des fantômes se dévoilant mystérieusement aux yeux du monde. Des fantômes, c'était le cas de le dire: Les deux petites avaient perdue leur éclat enfantin depuis la disparition d'une bonne moitié de leur famille. Mais elles finiraient par s'endurcir, Feulement en était certain, avec l'arrivé de leur baptême (qui s'approchait) elles auraient bien moins de temps pour batailler avec leur deuil. C'était probablement ce qui l'avait sauvé, lui ... Ça et son désir de survivre. Elle n'auraient pas le choix, elles devaient avancer ou tomber. La terre n'était pas patiente, elle n'attendrait pas les retardataires et continuerait sa rotation infini sans leur accorder un regard. Enfin de toute manière lorsqu'elles deviendraient Nuages ce ne serait plus son problème.

Le lieutenant les avaient accompagnées déjeuner près de la pile de gibier, un repas silencieux comme à leur habitude. La crasse collait au ventre et aux pattes des gamines, glaciale et désagréable. Lorsqu'ils pénétrèrent la pouponnière ce fut sans un mot. Le beau mâle charcoal n'adressa pas même un coup d’œil aux reines qui y étaient présentes. Il se dirigea vers "sa" couche et y déposa lourdement son corps musclé. Sa langue rose passa minutieusement entre les longs poils de son poitrail, peignant de ses papilles rappeuse l'épaisse fourrure qu'il prenait tant de mal à entretenir. Pas parce qu’il voulait correctement se présenter mais pour chasser au plus vite la démangeaison de la boue s'accrochant vicieusement à sa peau. Plus question de penser aux mauvais traitements de Feuilles de Houx, il chassait la saleté comme il chassait le grand noir de son esprit.

Et les petites ? Elle se débrouilleraient. Du moins c'est ce qu'il espérait, car la fatigue se lisait sur leurs petits minois attristés. Et il n'était pas là qu'une question d'expression mais de poussière et de nœuds s'accumulant dans leur pelisse ébouriffés par le froid. Surtout Petite Digitale qui semblait se négliger d'avantage que sa sœur. Sa mère n'était plus là pour l'encourager à faire sa toilette et Dents de Sabre n'était pas toujours disponible. Elle avait l'air misérable, faisait presque de la peine à voir, attirait de temps en temps la pitié de son père.

Il misait plus sur la survie de Petit Gingembre que sur la sienne. Peut-être n'était-elle pas faite pour la vie de guerrière. Pour s'épanouir dans la forêt de cerf-blanc. Elle aurait du naître domestique, la malheureuse. Il paraissait, aux yeux de son géniteur, qu'elle ne passerait pas l'hiver.

Belle demoiselle, nichée dans sa litière. Elle se tenait droite, les pattes tendrement repliées sur elles-mêmes, cachées sous sa fourrure bouclée. Elle se languissait, étendue sur son nid de mousse fraîche. Contre son flanc se reposaient trois jeunes au corps endormi. C’était la descendance d’Oeil Vert et d’Etoile Dansante, portée maudite. Fine Terre, de son habitude désagréable, acceptait de s’occuper d’eux, mais méprisait leurs géniteurs. Petit Veilleur, aussi égocentrique que sa mère ; Petite Mite, aussi ahuri que son père ; Patte de Velours, aussi menteuse que ses deux parents. Fine Terre ne les détestait pas, on ne choisit pas sa famille, mais on choisit qui l’on devient. Pour l’instant, ces trois chats n’étaient que des esquisses, des croquis qui pouvaient devenir magnifiques, mais qui d’un seul mauvais trait, pouvaient se réduire à d’horribles peintures. C’est ce qui était arrivé à Brasier Caniculaire, déchet vivant. Heureusement, Cendre Sylvestre était devenue le parfait reflet de sa mère décédée. Coeur de Tournesol.. Sa pauvre petite sœur, qui avait eu une fin de vie des plus misérables. Elle priait pour que son âme trouve le repos qu’elle méritait.

L’un des morpions qui s’étalaient contre son flanc s’agitait un peu trop brusquement. C’était le plus jeune, et d’un coup de langue rugueux, elle lui caressa le front pour lui intimer le calme. Bientôt, elle en serait débarrassée. Il était encore tôt, le soleil d’hiver couvrait la forêt de son voile pâle, et cette mélasse s’était immiscée dans chaque recoins des bois. Elle, qui courait tel un cavalier fantomatique. Elle était.. reposante, soporifique, agréable, noyant les êtres vivants dans un monde qui semblait autre. Fine Terre appréciait cette atmosphère, elle se sentait comme sur la toison argentée, galopant sur les nuages qui formaient la terre. Le silence qu’apportait cette saison lui plaisait tout autant, le camp semblait endormi, comme stagnant dans un état de rêverie.

Seulement, ce rêve éveillé prit fin lorsqu’un cauchemar vivant passa le pas de la pouponnière. Immense, tête baissée, épaules roulantes, démarche lourde et lente, pelisse de charbon. C’était lui, le rejeton du Serpentaire, le fils de la Lune, l’enfant volé à ses racines, le lieutenant du Clan de l’Ombre, Feulement. Lui, qui de son silence morbide, instaurait une pression constante. Lui, qu’elle fixait d’un regard mauvais, d’un air méprisant, visage déformé par le dégoût. Ses traits fins s’étaient raidis, son museau s’était froncé et ses yeux plissés. Elle le contemplait, l’épiait, là, couchée dans l’ombre, protégeant ses oisillons entre ses serres.

Le lunarpod était suivi, dans son sillon il laissait apparaître deux petites vermines au sang salit. Elles, qui étaient la descendance de ceux qui ne devraient en avoir. Petit Gingembre, à l’esprit corrompu par l’impulsivité et la férocité des lunarpods, elle au caractère explosif. Et Petite Digitale, à la forme distordue et à l’air penaud. Elle, qui était aussi déformée que sa lignée, aux pattes couvertes de moufles. Ces deux microbes, cachées dans l’ombre effrayante de leur paternel. Elles étaient sales, bien plus que d’habitude, salis par autre chose que leur sang. Elles étaient couvertes de boues, le poils gras, mélangé dans des nœuds sans chutes.

«  - Essuyez vos pattes avant d’étaler votre saleté ici. »

Elle avait parlée de sa voix cristalline, de son timbre désagréable et de son ton méprisant. Parlait-elle vraiment du limon qu’ils avaient aux pattes ? Ou pointait-elle du doigt ces déchets qui lui servaient de progéniture ? Elle gardait la tête haute, accoudée à une reine qui se reposait silencieusement dans la litière voisine. C’était Tortue Tordue, amie de la tigrée, qui écoutait les plaintes sans fins de sa camarade tout au long de la journée. Elle en avait sûrement les oreilles qui sifflent, mais elle se taisait, par respect, par fatigue.

Après avoir détailler du regard les deux lunarpods-junior qui se terraient dans un silence mortuaire depuis la disparition du reste de leur famille, elle remarqua que voilà bien des jours qu’elles ne s’étaient pas toilettées. Disgracieux, répugnant, horripilant. Elles empestaient dans la pouponnière, mélange de crasse et de poussière. La reine pesta, soufflant bruyamment de la truffe, le visage toujours déformée par sa mine dégoûtée. Elle agita sa longue queue touffue, la glissant sur le sol telle une vipère.

«  - Et n’hésite pas à les nettoyer, elles empestent dans toute la pouponnière ! »

Elle cracha ses mots de son timbre dégradant, agitant les moustaches dans une reproche pointue. Fine Terre fit mine de froncer le museau, sous l’odeur qu’elle ressentait. A ses yeux, même lavées de la tête aux pattes, ces deux morpions ne seront jamais nettoyées de leurs vices. Silencieusement, la femelle se racla la gorge, délogeant l’une de ses pattes de sous son poitrail, pour chasser l’engourdissement de celle-ci. Elle l’étira dans un geste paresseux, les sens en alerte, les yeux rivés sur le lunarpod qui lui servait de supérieur.

| FINE TERRE |
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Pré-créée • Libre

Mais si l'avenir d'une guerrière n'était pas celui de Petite Digitale alors qu'allait-elle devenir ? De la chaire à canon, destinée à tomber au premier coup de feu dans le meilleur des cas. Frigorifiée par la morsure de l'hiver, seule et incapable de rentrer au camp, mort longue et douloureuse réservée aux plus faibles dans le pire. C'était cruel mais c'était ainsi, la loi de la jungle, que pouvait-il y faire ? Rien. Et ce n'était pas ses affaires. Pas à ses yeux. Il n'avait jamais fait serrement de les protéger ou du moins pas au-delà de leur baptême. Non elle ne passerait pas la mauvaise saison.

Peut-être Esprit Soucieux aurait il pu le conseiller, mais il ne se voyait pas déranger son père adoptif pour une petite qui finirait par lui crever dans les bras- Esprit Soucieux.

Son attention se posa un instant sur le corps fatigué de la polydactyle. Il se voyait dans la tanière du guérisseur, dans un état encore plus catastrophique qu'elle mais au regard tout aussi vide, tout aussi mélancolique, plus colérique. Le messager des étoiles l'avait prit sous son aile, lui qui lui avait donné une chance quand le reste du monde lui avait tourné le dos, pourrait-il tendre la patte à sa petite fille comme il l'avait tendue à son fils ?

Mph. Ce serait beaucoup d'effort pour un résulta incertain. Mais il était vrai que la voie du soldat n'était pas unique. Et la misère qui émanait de-

" Essuyez vos pattes avant d'étaler votre saleté ici. "

Les mots méprisants d'une des mères monta aux oreilles du lieutenant. Les paroles coulaient de sa gueule comme du venin, masse noire et répulsive. Il avait remarqué son regard condescendant depuis le premier jour. Avait entendu ses chuchotements qu'elle aboyait comme si elle était seule dans la pouponnière. Remarques sur remarques. Feulement ne la détestait pas pour autant, toujours neutre, il ne lui accordait aucune importance. Les connards, il en avait vu de toutes les couleurs, de toutes les formes et de toutes les ethnies, il n'avait pas de temps pour eux.

" Et n'hésite pas à les nettoyer, elles empestent dans toute la pouponnière ! "

Hors s'il y avait une chose qui le frottait dans le sens inverse du poil c'était la méchanceté gratuite. Il ne portait pas ses filles dans son cœur mais se tendait en entendant la nourrice cracher sa haine au visage de gosses innocents déjà psychologiquement boiteux.

Et puis maintenant qu'il était Lieutenant il ne pouvait plus ignorer le manque de respect de certains. Il devait leur porter l'attention qu'il refusait de leur accorder avant. Et si autrefois c'est un coup de griffe qui aurait servi de réponse à la chatte brune il savait que l'acte n'était pas sage, il avait grandi et de toute façons n'était pas assez en colère pour faire une tel chose.

Il ne comprenait pas comment Fine Terre pouvait se permettre de se comporter ainsi. Elle qui passait ses journées a rien foutre, "ses" gamins allaient passer apprentis elle n'avait aucune excuse pour ne pas participer aux patrouilles et à la chasse. Bouche à nourrir en trop, elle pourrait se plaindre lorsqu'elle rapporterait une proie sur le tas de gibier. Mais ce n'était pas son clan, pas ses règles.

" Si ça t'gène occupe toi en. "

Elle était grande, bien plus vielle que lui. Il avait pas besoin de lui apprendre son job de reine non ?