Pas tout à fait chez soi | ft Source - abandon

Pas tout à fait chez soi. (47)


Voilà déjà plusieurs jours que j'étais venue demander des soins au clan du Tonnerre pour Nuage de Lavande. J'étais pleine de gratitude envers eux d'avoir ouvert leurs frontières à ceux qui en avaient besoin. Mais j'avais du la jouer finaud, passer sous silence l'épidémie de mon clan et la mort d'Echo des Ruisseaux. Si jamais cette dernière nouvelle parvenait jusqu'ici, je feindrais la surprise et referais mon deuil. J'étais la reine des blagues et des embobinages quand j'étais enfant, alors un de plus, un de moins ..

Par contre je n'étais pas là pour profiter de leur hospitalité, repas compris. Je ne voulais pas rendre la Rivière plus redevable qu'elle ne l'était déjà, les deux clans enterrant cette vieille rancoeur qui m'était étrangère. Alors je passais mes journées à chasser, pour vraiment juste bénéficier de leurs soins. Depuis le matin, je traquais le gibier dans les bois du Tonnere. Je devais redoubler d'efforts pour chasser sur terres qui ne ressemblaient ni à celles de l'Ombre, ni à celles de la Rivière. Avec la saison des neiges qui se pointait en plus... Je n'avais attrapé qu'une souris, enterrée près du Grand Sycomore, reconnaissable même par une étrangère. J'avais écumé les alentours sans plus de succès, il faisait pour tout le monde apparemment. Je décidai alors de revenir au seul endroit un peu fructueux, le grand arbre. Le soleil commençait à être bien haut après tout. Je voulais ramener un déjeuner à ma fille, au moins ça. Sinon je ne mangerai pas. J'aurais presque pu plaisanter que j'y étais habituée avec la précédente canicule. Je reniflais pour trouver une autre souris, soupirant parfois.

" Tout ce que je fais pour toi Nuage de Lavande.. Guéris vite s'il te plait. "

Nuage de Source s’étira de tout son long. L’hiver, bien que doux, s’annonçait rude. Il suivait une canicule qui, emportant de nombreuses proies et leurs petits, avait considérablement réduit leur population dans la forêt. La plupart des survivants hibernaient. Il ne restait plus que des petits animaux souvent maigrelets, dans tous les cas jamais bien dodus. Pourtant, l’apprentie gardait espoir. La saison des neiges finirait bien un jour pour laisser place au printemps, et à une nouvelle année qui pourrait difficilement être pire que la précédente. Ce n’était qu’une question de temps.
Spécialisée dans la chasse, en partie à cause de la politique d’Étoile Masquée, l’apprentie se leva avec entrain et rejoignit la forêt sans perdre davantage de temps.

L’idée de rentrer les pattes vides était démoralisante, c’est vrai, mais elle s’efforça de ne pas être défaitiste. Si elle ne trouvait rien aujourd’hui, elle en trouverait une demain. De toute façon, elle avait bien mangé la veille — elle ne mourrait pas de faim de si tôt.

Sous la racine d’un arbre, elle entendit un petit grincement aigu. Une souris. Juste là, un tout petit animal au pelage gris qu’elle aurait préféré voir dans son estomac qu’entre deux branches. Doucement, sans un bruit, elle se mit en position. C’était sans compter sur un craquement venant d’ailleurs, qui attira son attention vers son prédateur, et la fit fuir dans son petit terrier.

Nuage de Source releva la tête, déçue. Sous le grand sycomore, une silhouette bicolore qui lui rappelait un peu son propre pelage. C’était un peu comme se regarder dans un miroir déformé. Il ne fallu pas bien longtemps à l’apprentie pour reconnaître de qui il s’agissait : Bouquet de Muguet, leur invitée tout droit venu du Clan de la Rivière. Connaissait-elle Madame Abeille ? Étaient-elles amies ? Elle avait beaucoup de question, qu’elle préféra garder pour elle.
Nuage de Source s’approcha d’elle d’un pas assuré, un air bienveillant sur le visage — ce détail lui sembla particulièrement important, considérant le fait que la majorité de son Clan la regardait avec hostilité. Elle connaissait ce sentiment. En tant qu’enfant maudite, elle avait grandit avec ce regard.
— Ça doit être difficile pour vous de chasser dans la forêt, constata-t-elle. J’ai déjà vu comment vous chassez dans la rivière — c’est impressionnant ! Mais si j’étais à votre place... je veux dire, accueillie dans votre Clan, je ne sais pas comment je me débrouillerais pour me nourrir. Ça m’a l’air si compliqué, même impossible, alors que pour vous c’est presque naturel.
Devoir nager pour pouvoir se nourrir ? Elle se noierait en quelques secondes à peine ! Et si elle survivait, le froid sur son pelage trempé se chargerait de l’achever. Pour rien au monde, elle ne quitterait sa forêt protectrice.

— Mais je peux vous apprendre un peu si vous voulez ! Enfin, même si je ne suis qu’apprentie...

Pas tout à fait chez soi. (47)


Un chat surgit de derrière l'imposant arbre. Je restais sur mes gardes, sachant que tous les chats du Tonnerre ne portait pas les réfugiés de la Rivière dans leur cœur. J'en avais eu la preuve. Mais je fus rassurée de reconnaître la fille, enfin l'une des filles, de Coup de Foudre. Elle avait pris note côté, rappelant tous les actes que le Tonnerre avait fait contre la Rivière -et j'avais tenté le mieux possible de cacher que j'en apprenais la majorité-. Si j'étais déjà détestée en tant que Rivièreuse, alors en tant que sang-mêlée, élevée à l'Ombre, et s'étant enfuie à la Rivière... Je ne voulais même pas imaginer leur réactions. Surtout pour Nuage de Lavande. Et cette sensation, celle d'être prise pour quelqu'un que je n'étais pas -donc une pure chatte de la Rivière- revint à la charge quand elle parla de nos talents de pécheur. Je cachais mon malaise avec des petits bouts de vérité.

" Oh, alors je suis contente que tu ne me vois pas à l'oeuvre car je ne suis pas une aussi bonne pécheuse que ça ! Enfin, il n'est jamais trop tard pour s’entraîner et s'améliorer, donc à la saison des feuilles nouvelles, je vais mettre les bouchées doubles ! "

Je pensais à sa proposition d'entraide. Je ronronnais doucement.

" Je ne me débrouille pas trop mal pour chasser les proies terrestres normalement, mais là, il y a tant de branches, partout ! J'ai l'impression d'en écraser une à chacun de mes pas ! Puis mes grosses pattes ne m'aident pas je crois. " miaulais - je en levant ma patte palmée.

Pattes grosses comme les chats de la Rivière, mais aussi un peu d'un chat inconnu, ce qui me valut de ne pas avoir les pattes si palmées que ça en fait, dorénavant que je pouvais les comparer avec les chats nés de deux parents de la Rivière. Enfin, les tailles variaient pour chaque chat, pas juste parce qu'on était un sang-mêlé. Bon.. Nuage de Lavande n'avait pas grand chose elle, vu qu'elle était surtout une chatonne de l'Ombre. Bref, je relevai la truffe au vent pour trouver ma prochaine proie. Je ne pouvais faire que cela après tout. Je souris à la grande apprentie, acceptant ainsi tacitement son offre. Pour une fois, j'avais un peu de compagnie. Ce qui ne me faisait pas de mal, après une lune et demie de quasi solitude. Seuls Amour-en-Cage, Flocon d'Amour, Nuage Brisé et Coup de Foudre -s'il n'était pas trop occupé- acceptaient de passer du temps avec moi.

Mais bon, j'avais toujours été indépendante, parfois malgré moi.

Bouquet de Muguet ne semblait pas particulièrement à l’aise. L’apprentie ne le prit pas pour elle : elle était bien consciente du traitement des étrangers ici dans la forêt. Elle prit davantage de distance pour ne pas s’imposer à la guerrière; deux bonnes longueurs de queue devraient suffire.

« Oh, alors je suis contente que tu ne me vois pas à l'oeuvre car je ne suis pas une aussi bonne pécheuse que ça ! Enfin, il n'est jamais trop tard pour s’entraîner et s'améliorer, donc à la saison des feuilles nouvelles, je vais mettre les bouchées doubles ! »

La jolie femelle ronronna — Nuage de Source le lui rendit par un sourire. Elle se demandait si elle connaissait bien des membres de sa famille de là-bas. Étaient-ils bons amis ? Le père de ses enfants était-il de sa famille à elle ? Ou, plus étonnant encore, Bouquet de Muguet était-elle elle-même de—

« Je ne me débrouille pas trop mal pour chasser les proies terrestres normalement, mais là, il y a tant de branches, partout ! J'ai l'impression d'en écraser une à chacun de mes pas ! Puis mes grosses pattes ne m'aident pas je crois.
— Oh ! J’ai des grosses pattes aussi ! s’exclama Nuage de Source. Enfin, pas aussi grosses que les votre mais il faut dire que vous êtes bien plus grande que moi. Mais, par rapport à mon Clan et ma famille... enfin, voilà. Ça m’a posé problème lors de mon apprentissage c’est vrai, et c’est sans doute pour ça que je suis toujours apprentie — oh, ça ne me dérange pas, je suis l’apprentie de Coup de Foudre alors c’est un plaisir d’apprendre ! Et puis, les regards des autres, j’ai prit l’habitude.  »

Nuage de Source laissa s’échapper plusieurs petits rires afin de détendre l’atmosphère dans l’éventualité où Bouquet de Muguet pensait qu’être toujours apprentie passé 16 lunes était quelque chose qui lui faisait honte : ça ne l’était pas. Ses autres adèlphes aussi l’étaient toujours. Pour eux, c’était sans doute plus injuste que son cas : leur statut « d’enfants maudits » ne devait pas jouer en leur faveur.
Mais peu importe. La guerrière de la rivière accepta sa proposition. Sans plus attendre, Nuage de Source prit la tête de la marche. L’invitant à la suivre d’un mouvement de la queue, elle l’invita à la suivre un peu plus profondément dans la forêt, légèrement plus éloignée du grand sycomore, veillant à ne pas aller trop vite pour s’assurer que sa partenaire puisse suivre en dépit des nombreuses racines qui menaçaient de lui faire un croche-patte à chaque instant.

« Pensez à ne pas trainer les pattes au sol ! Ici, il faut les lever un peu plus que dans la prairie. À force, ça devient une habitude, vous finirez par vous y faire. »

Nuage de Source invita sa compagne d’un jour à venir se percher sur une souche d’arbre. Des petits champignons plats commençaient à y prendre place confortablement, tandis que quelques araignées installaient leur toile entre ces derniers. D’ici, aucune chance de pouvoir faire fuir une proie à cause du bruit des feuilles, qui avait été sa principale difficulté quand elle avait commencé la chasse. Pour apprendre à chasser dans la forêt, il fallait revoir toutes les bases. L’apprentie poursuivit ses instructions à voix basse, toujours pour se faire la plus discrète possible.

« La clé dans la forêt, c’est d’être rapide et discret. Si vous prenez trop de temps, comme par exemple pour contourner un arbre, l’écureuil aura eu le temps de retourner dans son nid, là où personne ne pourra l’attraper. En utilisant vos cinq sens, et ce que vous trouvez quelque chose...?

Il y avait, à quelques mètre de leur souche, une petite souris grignotant une graine.

Pas tout à fait chez soi. (47)


L'apprentie fut de bonne compagnie. Polie, joyeuse, elle tenait bien de l'éducation de son père. Son sourire me détendit et la conversation vint naturellement. Elle rebondit sur la remarque sur mes grosses pattes. La bicolore n'avait pas à se plaindre non plus ! Bien bâtie, mais elle restait plus svelte que moi. Au moins elle saura me donner de bon conseils contre ces maudites branches. La chatte précisa que ses pattes avaient sûrement du retarder son apprentissage, mais que cela ne la dérangeait pas. Les regards sur elle, elle y était habituée. Mon regard se fit compatissant. J'ai traversé exactement les mêmes problèmes, le problème d'être étrangère au clan en plus. Et j'en sors seulement, après avoir été encore une fois une étrangère.

" Bon courage, au moins tu es parmi les tiens. "

Si je n'avais pas cette fausse image de parfaite guerrière de la Rivière, je le lui aurais sûrement dit tout ce que j'avais pensé avant. Enfin fausse image, Coup de Foudre avait réussi à voir au travers. Soit il était fort perspicace soit je ne devais pas me relâcher. Je ris avec elle et la suivis quand elle m'invita à le faire. Premier conseil, bien lever les pattes. Je notai pour moi-même que c'était pareil lorsqu'on devait marcher dans les marais. Automatiquement, je me mis en marche haute. Je me sentis stupide de le faire sans boue, mais au moins je me pris moins de racines. La novice bondit sur une souche déjà bien adoptée par la forêt, vu la mousse et les insectes. Je montai à sa suite et fut surprise de l'humidité du bois. Pas dérangée, car entre les marais et la rivière, l'humidité était mon quotidien. Mais monter sur des arbres morts, ça, oui c'était inhabituel.

Elle poursuivit en chuchotant qu'il fallait être rapide. Les mêmes conseils qu'on m'avait donné quand on m'a appris à pêcher. C'était fou comme cela me faisait défaut dans de nouvelles terres, alors que j'étais pourtant douée de mes pattes. Après sa phrase, je me concentrai sur les alentours. Pas compliqué, souris à deux queues de renard de là. Discrète, rapide, d'accord c'était gravé. Je m'accroupis en position de chasse, la petite secousse des reins quand on préparait nos muscles eeettt... Je m'élançais ! Sauf que la neige, les feuilles mortes, tout cela additionné rendait le sol fort glissant. Une patte partie plus loin que prévue, griffes sorties, je dérapais magnifiquement mais pu rattraper mon coup. Toujours sur mes quatre pattes, mais souris enfuie dans son terrier. Je pestai, silencieusement.

" Les arbres ne m'aiment vraiment pas, je leur ai rien fait pourtant ! " miaulais-je à demi-voix.