Partir à l'aventure ! - Abandon

Boule de Suie courait, les pattes touchant à peine le sol. Les arbres formaient tout autour d'elle une carapace protectrice. Même le soleil ne l'atteignait pas, aussi loin qu'elle était dans la forêt. Elle n'avait pas besoin de l'ombre, bien sûr, ni de la discretion qu'elle offrait. Elle pouvait se défendre contre n'importe quelle ennemi. Mais les ténèbres restaient néanmoins un carcan familier et rassurant.

Au loin, Boule de Suie pouvait entendre le ruissellement d'une rivière et, bientôt, celle-ci apparût dans son champ de vision. En quelques foulées à peine, elle arriva au bord du cours d'eau et, sans même s'arrêter pour prendre son courage à deux pattes, elle sauta par dessus le courant et arriva saine et sauve sur l'autre berge.

"Boule de Suie réveille toi, marmotte va !"

Des ronces viennent barrer son chemin, mais Boule de Suie se faufila à travers les buissons sans qu'aucune épine ne vienne la griffer. De l'autre côté, elle se remit à courir, ses longues jambes élancées la portant de plus en plus loin. Et puis, sans qu'elle n'y trouve rien d'étrange, elle se retrouva soudain beaucoup plus grande qu'elle n'était. Tellement grande qu'elle voyait la cime des arbres. Elle continua de filer, la forêt s'ouvrant devant elle.

"Les femelles.. sa dors tout le temps.."

Bientôt, ses pattes ne touchèrent même plus le sol. Elle volait, droit vers les nuages. Peut-être rencontrerait-elle ses ancêtres ? Tous ces chats qui peuplaient le Clan des Étoiles... Allait-elle enfin les voir ?

Elle traversa tête la première le nuage qui se dressait devant elle quand un rayon de soleil la frappa droit dans les yeux. Boule de Suie les ferma aussitôt, et tout son corps devint lourd. Quand elle tenta de les rouvrir, elle ce fût comme si ils étaient collés. Elle dût s'y prendre à plusieurs fois et, quand elle y arriva enfin, elle n'avait devant elle que les murs de ronces et de boue de la pouponnière.

Elle bailla, décue. Quelqu'un venait sûrement de quitter la tanière, ce qui avait laisser s'échapper le rayon de soleil qui l'avait réveiller. Dommage. Elle aurait bien aimer rencontrer le Clan des Étoiles.

Boule de Suie s'étira, tentant de chasser le sommeil qui régnait encore sur son corps. Elle regarda autour d'elle et vu sa sœur, Petite Nocturne, endormie. De l'autre côté, son frère, Petite Épine, était déjà réveillé. Il était toujours le dernier à s'endormir et le premier à se lever. Boule de Suie ne savait pas où il trouvait tout son énergie.

Elle se leva et s'approcha de lui et de leur mère, ronronnant tranquillement dans son sommeil. Elle eût l'envie de lui donner un coup de langue sur le front, mais se retint.

"Bonjour Petite Épine, murmura-t-elle. Qu'est-ce que tu veux faire aujourd'hui ?"

Elle s'assit à côté de lui, commençant à faire sa toilette et attendant sa réponse.

Petite Épine laissa s'échapper un ronronnement de bonheur à sa vue. Il la regarda avec un air étrange que Boule de Suie ne sut interpréter. Celui-ci passa néanmoins rapidement, son habituel expression espiègle de retour sur son visage enfantin. Boule de Suie regretta soudainement de lui avoir posé la question.

Son frère s'approcha d'elle, et Boule de Suie dût se retenir de reculer, ne sachant que faire de tant de proximité. Elle laissa cependant Petite Épine coller son museau à son oreille, curieuse malgré elle de savoir ce qu'il avait en tête.

"Je veux aller découvrir le territoire !" murmura-t-il.

Boule de Suie crût d'abord à une blague. Un sourire s'esquissa sur son visage, mais quand Petite Épine s'éloigna de nouveau d'elle et la regarda intensément, elle comprit qu'il ne plaisantait pas. Le sourire s'effaça de son museau.

Boule de Suie ne savait quoi dire. Son frère prit un air pensif, presque rêveur, et elle comprit que rien de ce qu'elle pouvait dire ne marcherait. Dans sa tête, il était déjà loin du carcan protecteur de la Pouponnière.

"J'aimerais tellement, savoir ce que ça fait d'être en dehors du campement, de voir comment est le territoire !"

Il fût tellement perdu dans ses pensées qu'il ne prit même pas la peine de baisser le ton de sa voix. Boule de Suie en vint presque à espérer qu'il réveille leur mère pour que celle-ci l'empêche d'aller où que ce soit. D'un autre côté, Feuille d'Aubépine ne serait sûrement pas contente avec elle de savoir qu'elle avait ce genre de discussions avec son frère. Elle ne voulait pas se faire disputer, encore moins pour une bêtise qui n'était pas la sienne.

Heureusement ou malheureusement pour elle, leur mère et leur sœur continuèrent de dormir comme si de rien n'était. Comme si Boule de Suie n'était pas au bord d'un précipice dont elle ne savait pas comment s'en éloigner.

Petite Épine avait toujours l'air aussi déterminé. Boule de Suie connaissait son frère. Elle savait que rien ne pourrait le faire changer d'avis. Quels choix lui restait-elle ? Prévenir leurs parents de ses intentions ? Elle ne voulait pas se mettre Petite Épine à dos. Si Boule de Suie caftait, celui-ci ne lui pardonnerait pas.

Elle devait le convaincre de ne pas partir.

Elle s'approcha de lui, vérifiant que leur mère dormait encore, et lui murmura :

"Tu ne peux pas, Petite Épine ! C'est beaucoup trop dangereux là-dehors. On n'est même pas encore apprentis ! S'il t'arrive quelque chose..."

Elle ne finit pas sa phrase, ne voulant même pas se l'imaginer.

Voyant que son frère n'avait pas l'air moins décidé, son inquiétude se transforma en affolement. Il ne pouvait pas sortir tout seul du campement. C'était impensable.

"J'ai entendu dire qu'il y avait des bêtes immenses dans les marais, avec des crocs longs comme nos queues, et que même les Chefs en ont peur ! Si tu sors, ils t'attraperont et ne feront qu'une bouchée de toi !"

Elle n'avait évidemment rien entendu de tel, mais aux grands maux les grands remèdes. Il fallait qu'elle l'empêche de sortir.

Petite Épine rit au museau de Boule de Suie, comme si son histoire ne l'inquiétait pas le moins du monde. Il s'éloigna d'elle, s'approchant d'un pas décidé de l'entrée de la Pouponnière, un sourire toujours aux lèvres.

Boule de Suie commençait sérieusement à paniquer. Il ne l'avait pas prit au sérieux, et le voilà maintenant qui s'apprêtait à sortir pour de bon. Mais Petite Épine s'arrêta avant de disparaître à travers les ronces, et se retourna vers elle. Avec un regard fier qui rappela leur père à Boule de Suie, il lui dit :

"Tu crois vraiment que tes paroles me font peur ? Je serais le guerrier le plus redoutable de toute la forêt ! Le danger ne me fait pas peur !"

Et ce fut à ce moment que Boule de Suie réalisa que, sous son inquiétude, se cachait une jalousie féroce. Comme elle aurait aimé être aussi sûre d'elle. Pouvoir foncer tête baissée sans être tourmentée de peurs et de doutes. Avoir ce qu'il fallait pour devenir une grande guerrière.

Elle regarda son frère se lécher le poitrail, se demandant ce qui les avait rendus si différents.

"Cela ne te plairait pas de découvrir le territoire avant d'être apprenti ? ça en devient long d'attendre nos six lunes pour Juste un "titre"."

Elle s'imagina soudain devenir quelqu'un d'autre. Juste pour aujourd'hui, mettre ses craintes en sourdine et suivre aveuglement son frère. Était-ce seulement possible ? Pouvait-elle vraiment ne pas être soi-même ? Elle n'en était pas sûre.

"Je..."

Elle ne savait plus quoi répondre. Elle ne savait même plus ce qu'elle voulait dire. Boule de Suie prit une grande inspiration. Bien sûr qu'elle voulait découvrir le territoire. Elle voulait découvrir le monde entier. Il y avait tellement de choses à voir hors de la Pouponnière. Tant de choses qui pouvaient le faire du mal.

"On ne peut pas faire ça... Et s'il nous arrivait quelque chose ?"

Elle n'était plus certaine de qui était en train d'essayer de convaincre qui.

Elle lança un regard perdu à son frère. Elle n'était pas sûre elle-même de ce qu'elle lui demandait. De rester ? De l'emmener avec lui ? Toutes les possibilités se chamboulaient dans la tête de Boule de Suie sans qu'elle n'arrive à les démêler.