Refaire ses stocks en terres peut-être hostiles, peut-être pas ¤ Pelage Noir - abandon

Nous avions eu une augmentation du nombre de coupures ces derniers temps. Oh, rien de très grave. Mais un coussinet par ci, une griffure par là. Le stock de plantes diminuait! Nous devions partir en cueillette moi et Feuille de Saule mais un nouveau patient avait pointé le bout de son museau. Un ancien, pour des rhumatismes... et surtout pour une envie de discuter. Feuille de Saule disait très souvent qu'il était important de discuter. Alors, je lui avais glissé discrètement que je partais pour l'ombre, que oui je serais prudente, que oui j'attendrais une patrouille avant de m'élancer dans les terres et que oui, j'avais bien noté ce dont j'avais besoin. Les cueillettes en trop, je les laisserai à la patrouille qui m'accompagnera pour Corbeau Ensoleillé. Après tout, il pourrait peut être en avoir besoin.

Me voilà en marche pour le clan de l'ombre. Je repensais à cet étrange guerrier blanc que j'avais rencontré, il y a de cela quelques jours. Ou semaines. Jsavais plus. Je me souvenais également avoir entendu des rumeurs, à propos d'odeurs étranges sur les terres. Je crois que les clans étaient un peu plus crispés dorénavant. C'est pourquoi j'avais bien compris l'intérêt pour mon intégrité physique de bien respecter les règles.

La route était longue avant d'arriver à la frontière. Ne sachant pas chasser, je m'étais permise de prendre une bonne grosse proie avant de partir. Je n'allais pas revenir avant le crépuscule.

Une fois à destination, je m'assis, pile à la limite imaginaire. (Du moins, de ce que j'avais compris de la limite. L'odeur de la frontière datait un petit peu. Tant mieux, une patrouille ne devrait pas tarder.

C'était au tour de Pelage Noir de patrouiller. Il était avec son frère, comme trop souvent on continuait à les mettre de paire, peu importe l'enthousiasme absent du guerrier noir à chaque fois qu'on lui proposait.

Le temps parait plus long lorsqu'on vous parle sans arrêt alors que vous n'avez rien à dire. Qu'on vous pose des questions sur tout, mais surtout sur rien, qu'on court loin devant en vous disant "pas cap' de me rattraper !", toutes les 5 minutes. Le noiraud avait développé inconsciemment des réponses-types pour parasites et autre enthousiastes, ou pire, les curieux.

Est-ce que cet arbre a l'air différent ? Peut-être. L'air est plus lourd aujourd'hui ? Peut-être pas. Faut-il en profiter pour chasser une proie ? Peut-être.

"Tu crois qu'Etoile Dansante elle va m'aimer si j'bosse plus qu'il faut ? Ça, sûrement pas."

Et c'est ainsi que le reste de la patrouille se déroula en silence, accompagné de l'air sérieux de Pelage Noir, et l'air abattu de Tempête de Feuilles. Jusqu'à rencontrer le concurrent suivant.
Le pelage gris, le regard trop expressif, l'air d'être sur le point de sauter sur place.
"L'apprenti-guérisseur de la rivière", encore un excité. Il fit signe à son frère de continuer la patrouille seul, que lui s'occupe du guérisseur.

Il s'approcha à portée de voix, sans avoir à hausser le ton pour se faire entendre.

"Si c'est pour récolter des plantes, vous pouvez me suivre."

Mes prédictions se révélèrent exactes. (J'eus le sentiment très satisfaisant d'être un être supérieur, au-dessus de tout, capable de prédire l'avenir. Quelle fine détective j'étais ! s - faisons un aparté : il faut bien admettre que pour une fois, Nuage de Roc a réfléchi et a réussi à déduire quelque chose... notons bien la date!) Une patrouille ombreuse arriva vers moi. Je fis bien attention à garder mes poils lisses, à respirer calmement, et à les regarder avec bienveillance. Une silhouette se détacha du groupe. Je ne bougeais pas, attendant un signe de sa part.

"Si c'est pour récolter des plantes, vous pouvez me suivre."

La surprise se peignis sur mon visage. Ça alors, on m'avait reconnue? Il est vrai que cela faisait déjà une dizaine de lunes que j'étais apprentie guérisseuse... Donc une dizaine d'assemblées. Mais de là à savoir que j'étais l'apprentie guérisseuse. J'hochai la tête et répondis d'un ton guilleret:

"Merci!"

Il commença à prendre la route. Je lui emboîtai le pas, ravie de la tournure des événements. Tu vois Feuille de Saule, il ne faut pas tout le temps se dire que les autres clans vont nous manger tout cru!pensais-je. Nous marchâmes un moment, sans piper mot.

"Vous vous appelez comment?" miaulais-je, un peu gênée par ce silence

Toutefois, s'il voulait rester mutique, je comprenais. Les chats étaient vraiment très gênés à l'idée de faire connaissance. Je ne comprenais pas pourquoi. Certes s'il y avait une guerre bla bla bla. Mais avec des guérisseurs?
Tout en attendant sa réponse, je balayais mon champ de vision de droite à gauche, attentive à toutes les formes. J'étais loin de toutes les connaitre. Après tout, les terres du clan de l'ombre étaient bien différentes des nôtres. Je me souvenais de quelques plantes bien précises dont j'avais besoin. Oh, là!

Sans crier gare, je filai à ma droite. Je m'arrêtai brutalement devant un petit arbuste. Il avait plein de petits fruits étoilés. C'était bien une des premières plantes dont j'avais retenu le nom... En même temps, il était si simple! Il y avait plusieurs arbustes les uns à côté des autres. Je pourrais ainsi me permettre d'en cueillir plusieurs, sans craindre de ruiner les stocks de Corbeau Ensoleillé et Nuage de Digitale. Je demandai:

"Est-ce-que vous savez où on peut trouver une grande feuille très large? c'est pour mettre l'Anis étoilé dedans."

rareté:

La gamine semblait surprise, ce n'était pourtant pas surnaturel aux yeux de Pelage Noir de retenir le rôle des autres félins. Il regarda ailleurs en silence pour ne pas avoir à lui expliquer le pourquoi du comment avant d'entre un simple "Merci!".

Il partit devant, certain d'être accompagné par l'apprentie, elle avait l'air bien trop ravie - et candide - pour hésiter à le suivre. La route était assez longue jusqu'aux plantes médicinales et il fallait peu de mots pour faire ce trajet, tant mieux. L'apprentie savait rester silencieuse aussi, à sa surprise...

"Vous vous appelez comment?"

Enfin presque.

"Pelage Noir. Et t-"

La femelle était partie en courant sans un mot comme une souris surexcitée... Elle donnait l'impression de démarrer et s'arrêter aussi brusquement qu'un oiseau bouge la tête. Encore une comme ça.

"Est-ce-que vous savez où on peut trouver une grande feuille très large? c'est pour mettre l'Anis étoilé dedans."

"Oh, hum." La question était surprenante, si l'on considère qu'un guérisseur doit forcément connaître les plantes des quatre clans. Ne lui apprenait-on donc pas les bases, à la rivière ? Bah, ce n'était pas une question qu'il avait pris la peine de se poser, il était très peu intéressé par le travail des guérisseurs, lui qui se blessait rarement, et superficiellement. De plus, montrer trop d'intérêt aurait pu le mettre dans la case de l'aide-guérisseur, une responsabilité de trop dont on se passera bien.

Toujours est-il que Pelage Noir n'avait aucune idée d'où trouver un objet correspondant à sa description, pour autant qu'il y réfléchissait en fixant les feuilles mortes au sol. Tant pis, il préférait essayer à l'aveugle que de devoir demander à quelqu'un et l'impliquer dans la situation, surtout si le seul chat proche à sa connaissance est son frère, et il y a peu de chances qu'il soit mieux informé que moi, enfin, aucunes, plutôt.

Le noiraud pointait au loin, plus proche du charnier. Seulement il y avait un problème avec son bluff.
"Par...par là, si tu veux bien me suivre."
La gêne est caractéristique chez le guerrier, la démarche se fait beaucoup plus discrète et les mots s'affaiblissent, sans compter ses manières qui disparaissent un peu, comme le vouvoiement qui cesse d'exister.

"Alors...comment tu t'appelles ?"

"Oh, hum."

Pelage Noir semblait surpris par ma question. Bah quoi, il pensait que j'avais appris par coeur l'entiereté de la faune du clan de l'ombre? J'apprenais les plantes utiles, et les dangereuses. Les autres... Et puis surtout, je sais reconnaître, mais je vais pas passer mon journée à chercher une grosse feuille non plus. S'il faisait un minimum attention à son environnement de vie, il devrait savoir répondre facilement... non?

Enfin, il pointa de la queue un endroit. Chouette! (Nuage de Roc était toujours incapable de décrypter le langage corporel. Ainsi, elle ne remarqua même pas son léger bégaiement, témoin de la gêne du matou obligé de mentir pour assurer sa face ni même qu'il avait subitement décidé de la tutoyer. Après tout vous allez me dire, qui tutoyait les enfants?)

"Nuage de Roc ! On m'a appelé Boule de Roc quand j'étais petite car quand je me mettais en boule, je ressemblais à un caillou! "

Chose dite chose faite, me voilà à me rouler en boule pour démontrer mes propos. Une seconde, deux secondes. Je me relevai ensuite, un sourire niais sur le visage. Mon regard se heurta à celui de Pelage Noir. Et soudain, un profond malaise vint serrer ma poitrine. J'eus envie de m'enterrer mille pieds son terre. Mais pourquoi avais-je fait ça devant un parfait inconnu? J'avais quel âge sérieux??? En plus, le matou de base était mutique mais là, j'avais instauré un blanc atroce! On en ressortirait jamais... Je détournais le regard, me sentant rougir jusqu'aux pointes absentes de mes oreilles.
J'espérais qu'il trouve vite un moyen de détendre l'atmosphère GENRE TROUVER CETTE PUTAIN DE FEUILLE.

"Nuage de Roc ! On m'a appelé Boule de Roc quand j'étais petite car quand je me mettais en boule, je ressemblais à un caillou! "

La femelle démontra la position en question sous les yeux de Pelage Noir pour proposer une scène qui, vue de n'importe quel témoin au loin, pourrait être qualifiée d'affligeante. Le mâle sentit la gêne monter en lui, comme celle d'un père qui constaterait l'enthousiasme de sa fille dépasser sa capacité à se tenir en public. Il détournait le regard, à gauche et à droite, si légèrement, comme pour vérifier s'il n'y avait pas de félin pour assister à ça, pour éviter de poser son regard sur cet instant surréaliste que lui proposait une parfaite inconnue, et pour réfléchir et compter dans son esprit. Non, pas vingt. Quinze, douze ? Non, sept lunes. Il jeta un regard le temps que ses yeux roulent de droite à gauche avant de réaliser. Douze lunes ? Impossible.

Une seconde.
Deux secondes.

Une éternité.

Jusqu'à ce que l'apprentie se relève pour mettre fin à cette scène hors du temps à laquelle il venait d'assister.
Un sourire naïf irradiait son museau, à faire faiblir un meurtrier sur le point d'agir. Mais l'air grave que prenait le regard naturel du guerrier ne laissait pas transparaître ce qu'il se passait dans sa tête. Et ce regard croisa le sien. Et elle fut envahie d'une honte bien visible en le croisant. Il se sentait presque coupable de ne pas rendre sa cordialité apparente. Non pas que ça se remarquait sur son expression d'une quelconque façon. Le trajet se passa dans le silence, jusqu'à arriver plus ou moins là où le noiraud devrait trouver une échappatoire, si la chance ne lui souriait pas.

Sa tête se remplissait d'excuses, de raisons, de coïncidences à répondre à la situation. Il les classait par ordre de crédibilité, de clarté, s'inspirait du profil de la jeune guérisseuse à ses côtés, de son état. Il jeta un coup d’œil vers elle et l'étudia à l'en dévisager. Toujours aussi gênée, et toujours aussi jeune. Elle n'oserait pas remettre en question un adulte, si ?
Il commençait à regarder dans les environs, s'il pouvait trouver une feuille qui la satisferait. Pour le moment, sans succès. Le duo poursuivit plus profond dans la végétation, jusqu'à ce que cela devienne trop pénible à traverser.

"C'est étrange. Je me souvenais qu'il y avait ce qu'il te fallait, ici."

Compte tenu de la situation, le femelle n'aurait sûrement aucune objection à son excuse. Il continuait à regarder l'environnement, dans l'espoir de trouver une plante qui pourrait le sortir de cette perte de temps.

Ce fut les plus longues minutes de ma vie. Chaque pas était un supplice, et en boucle dans ma tête je m'insultais. Quelle débile je faisais. Quel âge j'avais? Pourquoi j'étais venue ici??? Pourquoi diable est-ce-qu'il fallait TOUJOURS que je me mette dans des situations pas possibles. Pourquoi il est mutique comme ça l'autre? Pourquoi est-ce-que j'ai fait ça? Je le connais pas. Ca y est, il va me prendre pour une incapable.

Et cette feuille était désespéramment introuvable.

Je gardais un regard très fixe sur mes pattes, fuyant de toutes les façons possibles le regard du guerrier noir. Ô clan des étoiles, je vous assure, plus jamais je ne remettrais les pattes dans le clan de l'ombre. Je suis incapable de me sentir crédible face à ce guerrier. Ca se trouve en plus il va le raconter à tout le monde et-

"C'est étrange. Je me souvenais qu'il y avait ce qu'il te fallait, ici."

Oh punaise. Même lui se mettait à être gênant. Il avait l'air d'être aussi paumé que moi. Pourtant lui était chez lui. Mon regard balaya les environs. J'avais l'impression d'être dans la saison des feuilles mortes. Il y avait tout sauf une feuille assez large pour mettre des grains de pavot. Pendant un instant je me mis à envier Bouquet de Muguet. Elle n'aurait pas eu ce problème, elle.

De drôles de formes attirèrent mon attention. Prudemment, je me dirigeais vers elle. C'était rond. C'était bien bizarre. C'était un bon échappatoire pour mettre fin à ce silence pesant. Je lançais un regard interrogateur au chat noir (très rapide, j'eus à peine le temps de capter son regard) :

"C'est quoi ces machins?"

"C'est quoi ces machins?"

Pelage Noir jetait un coup d’œil rapide en retour à la question que la petite guérisseuse lui posa.

"Ce sont des œufs, c'est comme ça que les oiseaux mettent leurs enfants au monde, contrairement à nous, qui gardons les enfants directement dans le ventre de la mère."

Il venait de réciter sa leçon, sans hésitation, comme un bon élève. Il répétait ce qu'on lui avait expliqué, il y a des dizaines de lunes de ça. Et pour répondre exactement à la même question qu'il avait posée à l'époque. Le mâle regardait ailleurs avec un léger sourire, à l'idée de se revoir en elle alors qu'ils étaient si différents, en apparence...

Mais son éducation exigeait qu'il se tienne formel avec les étrangers, d'autant plus un messager des étoiles. Il effaça bien vite ce sourire de son museau avant de se retourner vers Nuage de Roc et de lui proposer de continuer à chercher ce qu'il lui faut pour ramener ses plantes à son camp, et peut-être en trouver d'autres ?