Nouvelles d'un pays fort, fort lointain (Neige / Totor) - abandon

Il était allongé contre le ventre de Doux Alizé, profitant à la fois de la chaleur corporelle de sa mère et celle des rayons du soleil qui filtraient à travers l’armature en chiendent qui servait de plafond à la pouponnière. Il se rappelait encore le jour où il avait ouvert les yeux et était tombé amoureux de la lumière du jour. Comme une mère, elle l’avait tendrement enveloppé de ses bras bienveillants et apporté une orbe tiède et réconfortante. Maman s’était alors penchée sur lui pour le lécher affectueusement entre les deux oreilles. Il avait levé la tête et l’avait contemplé depuis le nid de ses yeux encore bleus, qui n’avaient pas encore révélé leur pigmentation ambrée. Il avait sentit l’excitation grimper en elle comme une grande marée. Maman avait de drôles d’yeux. Apparemment elle ne voyait pas. Mais son chaton l’avait longuement observée. Il était certain qu’elle avait une vision différente qui lui permettaient de voir ce que les autres comme lui ne pouvaient pas voir. En tout cas, elle distinguait sans peine ses émotions à lui.

Cela faisait quelques semaines que Boule de Neige avait fait sa grande entrée dans le monde des vivants. Sa naissance avait beaucoup fait parler et il était aux petits soins. Franchement, c’était quelque chose qui ne lui déplaisait pas ! Tous ces chats qu’il côtoyait depuis le début le stimulaient. Ces rencontres faisaient partie du quotidien de sa vie. Ignare de ce qu’il se passait au Clan du Vent, il baignait dans la présence et l’amour de ses proches. Il y avait maman et papa, mais aussi tantine, Vent -qu’il appelait Venvent, mais seulement, uniquement dans sa tête car il ne savait pas si c’était autorisé de l’appeler ainsi ou non.

Il fallait l’avouer, il lui arrivait souvent de s’ennuyer et l’idée de filer en douce lui effleurait souvent l’esprit même s’il n’avait encore jamais osé passer à l’acte : il savait qu’en demandant à maman de sortir, elle ne serait pas vraiment d’accord -ce qui était légitime, il avait quoi… plus d’une lune ? Et jamais il ne voudrait la blesser en lui faussant compagnie.
Alors il attendait, il attendait que quelqu’un passe, rende visite à lui ou sa mère, ou autres autres occupants de cette tanière et c’était ce qu’il faisait en ce moment-même. Tantine Venvent était occupée. Papa allait forcément venir, non ?

Ce qui m’agaçait dans ma vie de guerrier, c’était juste que je ne pouvais pas être tout le temps auprès de ma famille. Je pouvais pas rester aux côtés de ma Lili et de mon petit Neineige toute la journée. Bon en soit, c’était normal de participer, et puis, après tout, j’aidais ma Lili en lui apportant à manger, je prenais soin d’elle. Seulement, Etoile du Cobra demandait des entrainements plus réguliers, et malgré mon état – qui empirait avec le temps – je devais être tout aussi actif. En fait, avec le temps, mes os et mes muscles devenaient toujours plus douloureux, surtout les jours de froid. L’hiver était vraiment pénible pour moi. Et mon dos me faisait toujours mal. Il faudrait peut-être que je rende visite à Vent du Nord pour lui demander conseil un jour ? Elle était si forte après tout ! C’était une guérisseuse, et en plus mon Neineige allait être son apprenti ! J’étais si fier. Enfin, je m’approchais de la pouponnière après mes tâches journalières pour passer du temps avec mon fils et ma compagne.

Juste avant de mettre une patte à l’intérieur, j’avais pris une souris pour ma Lili, et je m’étais étiré de tout mon long pour essayer de soulager au mieux mes articulations. Fiouf ! J’avais déjà l’impression d’être un ancien.

« Coucou Lili ! Coucou Neineige ! »

Je posais la souris sous le nez d’Alizé et je lui léchais le haut du crâne en pressant mon museau contre. Ma manière de lui dire bonjour. A chaque fois que je la voyais mon cœur bondissait dans ma poitrine. Et je la couvais toujours d’un regard plein d’amour.

« Tu peux aller te dégourdir les pattes si tu veux, je m’occupe de Neineige. »

C’était difficile d’être maman ! Heureusement, j’étais là pour l’aider et prendre le relais. Tout mon temps libre je le passais avec eux deux. Mes autres petits je les voyais pendant la chasse ou les entrainements, en soit il était toujours avec moi la journée, mais ils avaient moins besoin de moi maintenant. Oh ça n’empêche pas qu’ils étaient tout pour moi aussi bien sûr. Je laissais Lili se lever pour qu’elle puisse marcher tranquillement dehors et je prenais sa place. Je m’allongeais dans le nid chaud et douillet, tout en fixant mon petit Neige avec un air espiègle.

« Alors mon p’tit Neineige, comment tu vas aujourd’hui ? »

Et avec un grand sourire, je roulais sur le dos, et je l’attrapais en douceur avec mes longues pattes avant. Il était si petit par rapport à moi qui étais si haut sur patte.

Quelqu’un fit irruption dans la pouponnière. Boule de Neige vit une ombre se dessiner sur la paroi du tunnel qui menait jusqu’à eux et s’avancer dans sa direction en grandissant. Mais le chaton n’avait pas peur : une odeur familière frappa son jeune museau et il décolla du sol avec le poil de l’échine hérissé, ce qui marquait une certaine excitation de sa part. Enfin, Araignée Tordue déboucha sur l’espace de vie de l’antre et le petit chaton, tout maladroit soit-il, ne manqua pas une occasion pour charger tête baissée sur son père sous le regard plus qu’attendri -assez gaga, il fallait l’admettre- de ce-dernier. Bien sûr, il n’eut pas la force nécessaire pour le renverser, ce qu’il aurait bien aimé réussir pour lancer une énième partie de jeu. Au lieu de cela, il l’accueilli entre ses pattes, ce qui ne fut pas désagréable non plus, aussi son paternel déposa-t-il une pièce de gibier sous le museau de sa reine avant de lui proposer de prendre la relève. Le duo échangea moultes démonstrations d’affection avant de se séparer, de sorte qu’il ne resta plus que le père et le fils dans l’abri.

Boule de Neige se frotta aux pattes de son père. “Pa’ ! Quand est-ce que je pourrai manger les souris moi aussi ?” Il était déjà attirée par l’odeur de la viande qui, même si elle n’avait rien à voir avec la douceur du lait de sa mère, ne laissait pas son museau indifférent. Il aurait presque pu retracer le chemin emprunté par la proie que la chatte avait emmenée au dehors pour s’en délecter en plein air, visualisant sans peine un tracé olfactif qui entrait et sortait de la pouponnière. “C’est que tout le monde en parle, et si vous ne mangez que de ça, ça doit être très très bon. Dis pa’, on peut sortir nous aussi ? A moins que tu ne préfères me raconter une histoire ?”

Boule de Neige se présenta à mes pattes, heureux de recevoir mon affection surement ? Et dire que je faisais cette taille il y a longtemps ! Malgré ma croissance rapide, je suis forcément passé à ce stade là. Le cœur emplit de bonheur, je lui accordais mon plus chaleureux et plus doux sourire. Il était la source de mon bonheur, mon arme pour me remplir de fierté. Et quelle fierté ! Il allait devenir guérisseur ! Je n’avais jamais trop rien compris à ce rang, mais je savais que c’était un honneur. Parler au clan des étoiles ça devait être quelque chose. Enfin, pour l’instant ce n’était qu’un chaton, il fallait lui laisser le temps de vivre sa vie.

« Pa’ ! Quand est-ce que je pourrai manger les souris moi aussi ? »

Hum… Je ne savais plus trop à quel âge il pouvait manger de la viande. Boh, quand les dents pousseront bien et qu’elles seront bien résistantes ! Il avait encore un peu de temps devant lui.

« Patience Neineige ! Profite du lait de maman parce qu’il est bien bon ! Je me souviens de celui de ma maman Givré et ma seconde maman Accrocro, c’était bon ! »

Je fermais rapidement les yeux en souvenir de ces temps avec Maman-Luny. C’était encore trop douloureux. Pas maintenant.

« C’est que tout le monde en parle, et si vous ne mangez que de ça, ça doit être très très bon. Dis pa’, on peut sortir nous aussi ? A moins que tu ne préfères me raconter une histoire ? »

Oh sortir maintenant… Il me paraissait encore un peu tout petit pour affronter le dehors. Je ne voulais pas risquer sa vie avec un aigle trop curieux, ou même d’un vent un peu trop froid qui pourrait glisser dans son pelage tout duveteux.

« Le dehors c’est pas pour tout de suite tu sais. Mais une petite histoire c’est bien ! Et la viande c’est effectivement très bon. Mais tu verras ça plus tard. »

Je roulais sur moi-même pour me remettre droit et pour faire face à mon petit. Les privilèges d’être fils unique ! J’espérais qu’il ne s’ennuyait pas trop tout de même. Je faisais tout mon possible pour être bien présent pour lui.

« Je t’ai déjà parlé de nos loiiiiintains ancêtres ? Et du clan des étoiles ? »

Je savais que Lili n’était pas forcément pour de le mettre sur la voie des étoiles tout de suite… Mais pourtant, si c’était nos ancêtres qui l’avait choisit, elle devait prendre ça pour un honneur ! Mais c’était une discussion que je devais encore avoir avec elle, pour qu’elle accepte les paroles de sa sœur. Je me demandais d’ailleurs si c’était bien que je lui parle de la Lune.

Boule de Neige avait très vite compris que les émotions se lisaient aussi bien dans le silence que dans les yeux. Lorsque Papa ferma aussitôt les siens à la mention de sa mère et Luny, un ronronnement naquit dans sa gorge et il se frotta contre le poitrail nacré de son père pour le réconforter.

“Oh bon, très bien pour dehors. Je comprends.”

Il se dit quand même qu’il retenterait sa chance auprès de Maman, et pourquoi pas Vent du Nord, même si elle le rabrouerait sûrement, mais la perspective d’un refus venimeux ne le mettait jamais en déroute et il encaissait la mauvaise humeur de ses camarades de clan avec un consentement respectueux qui suscitait l’admiration secrète de ses aînés.

Il se coucha contre Papa (comme il adorait ces moments-là !) et le laissa volontiers lui lécher les oreilles pendant qu’il demandait :

“Je t’ai déjà parlé de nos loiiiiintains ancêtres ? Et du clan des étoiles ?”

Boule de Neige leva la tête à s’en dévisser le cou pour regarder son père dans les yeux. Il était peut-être craquant dans cette position quelque peu ridicule, mais son regard se fit plus sérieux.

“Une fois je crois... Mais pas que toi. Maman m’en a parlé, Vent du Nord en a parlé les fois où elle est venu m’ausculter -il adorait ce terme- et aidé Maman à reprendre des forces quand je suis né. Ce sont les chats qui brillent au loin, dans la nuit, quand le ciel est dégagé paraît-il. Oh, non pas que je sois déjà sorti dehors et encore moins sans votre permission !” ajouta-t-il d’un air coupable, car s’il n’était pas allé dehors, il s’était rendu une ou deux fois sur le seuil de la Pouponnière sans jamais poser une patte dehors et se régaler devant le spectacle de la nuit noire et des guerriers de jadis, scintillants comme une pluie de neige éternelle au-dessus du monde des vivants. “Je crois que mon ami Tout Noir vient de là-bas : il ne me l’a jamais affirmé -à vrai dire, il n’est pas très bavard et se contente de dire le nécessaire, il est comme ça, c’est son caractère- mais j’ai vu, quand il se déplace et que nous voyageons ensemble, que son pelage noir est constellé de taches toutes brillantes. Au départ j’ai même cru que c’était de la neige, comme moi, mais j’ai très vite réalisé que ça ne partait pas. Ses yeux sont blancs aussi, un peu…”

Incapable de s’arrêter, il poursuivit sur sa lancée sans faire attention à ce qu’il se passait autour de lui, bien trop absorbé dans ses souvenirs d’un autre songe...