Rossignol est en retard (Source de Secrets) - abandon

Un fin crachin de vint caresser son pelage, déposant des gouttelettes microscopiques sur chaque brin de ses poils. Il faisait un temps à attraper la mort, mais aujourd’hui, Nuage de Rossignol était de sortie. Maintenant qu’elle savait chasser et se battre en autonome, Source de Secret l’envoyait souvent en mission solitaire pour ramener du gibier, signe avant-coureur d’une épreuve finale imminente.

Ses muscles s’étaient épaissis, renforcés par l’entraînement de ces dernières lunes. Ils roulaient sous ses épaules avec une souplesse élégante et respiraient force et jeunesse.
Pas de doute là-dessus : Nuage de Rossignol était fin prête à recevoir son nom de guerrière et d’ici quelques jours, elle aurait un nouveau nom.

Elle s’assit en travers des racines d’un chêne et s’appuya contre le tronc de l’arbre, hébétée par le temps et sa poursuite effrénée après un furet, qu’elle avait éconduit en-dehors du territoire de son clan. Ses pensées dérivèrent sur le clan et ses tensions. La rivière torrentueuse s’étendait en des eaux mouvantes d’un bleu glacial, sous le ciel gris foncé. Des oiseaux noirs étaient en train de se retirer au nord. Une vision déprimante, dans une passe de sa vie bien déprimante elle aussi.

La soif finit par la convaincre de se relever quand rien d’autre que la motivation de chasser n’aurait pu le faire. L’arbre depuis lequel elle se trouvait donnait sur un sentier sinueux qui montrait les signes d’un usage régulier, avec des traces de poussières collées sur le sol sablonneux et des débris récents que le vent fougueux de ces trois derniers jours avait charrié jusque-là. Elle marcha d’un pas lent et mécanique, jusqu’à tomber sur le lit du ruisseau qui traversait le sentier en direction de la rivière. Elle s’accroupit et but avec empressement. L’eau était glacée et n’étancha pas sa soif, faisant plus l’impression d’enfoncer mille petits glaçons dans son estomac.

Elle resta longtemps à quatre pattes, avec l’eau s’égouttant de son menton dans le ruisseau. De petits brins d’herbe émergeaient de la berge, bien que le sol fut retourné par le passage de nombreux chat venus s’abreuver. Une odeur de champignon flottait dans l’air froid et humide, et le murmure du ruisseau sur les rochers se mêlait au roulement plus lointain de la rivière. Un sentiment d’urgence pesait sur son cœur, comme un fardeau dont elle ignorait tout.

Des nuages encore plus sombres que ceux déjà bien gris qui avaient précédé cette journée s’amoncelaient à l’horizon, obscurcissant l’environnement. Nuage de Rossignol soupira intérieurement : voilà qui ne manquerait pas de faire rentrer les dernières proies encore actives dans leur terrier. Jusqu’ici, elle n’avait encore rien attrapé.

Un chat s’approchait d’elle. Avec toute cette pluie et le vent de face, elle n’avait pas perçu l’odeur de son propre clan. Elle entendit vaguement des bruits effacés de pas derrière elle : Source de Secret. Son mentor était venu la rejoindre. Que lui voulait-elle ? Jusqu’ici, son entraînement avec Source de Secrets s’était plutôt bien déroulé. La bicolore avait fait preuve d’une grande patience et savait très bien encourager son apprentie, ce qui avait fait de Nuage de Rossignol une chatte avec une certaine assurance et confiance en elle, même si cela ne l’empêchait pas d’être la première à ne jamais prendre parti, ce qui était complexe dans la situation actuelle du Clan du Tonnerre. Cependant, il y avait chez son mentor la même lueur mystérieuse qui brillait dans les yeux de leur chef. Nuage de Rossignol n’aimait pas la tension qui régnait sur son clan. Elle n’appréciait pas de voir Coup de Foudre et sa fille déchirer leur grande famille et créer des hostilités par leur simple façon de penser qui allait à l’encontre de nombreux points dans le Code du Guerrier. Et elle savait, depuis qu’elle avait vu les os, qui reposaient toujours quelque part non loin d’ici (curieux, comme ses propres pas la ramenaient régulièrement ici), qu’ils cachaient tous les deux des choses ; à elle et au clan tout entier. C’était l’ombre néfaste qui avait survolé l’entraînement de Nuage de Rossignol jour et nuit, si bien que la marbrée avait appris à ne pas faire pleinement confiance à son mentor -et à qui que ce soit d’autre.

Bien qu’elle aurait aimé comprendre ce qu’il retournait de tout ceci, elle n’avait jamais osé demander. Et Source de Secrets ne comptait visiblement pas lui en apprendre davantage qu’elle n’en avait vu de ses propres yeux. Nuage de Rossignol darda un regard de braise sur la jeune guerrière en se demandant les raisons de sa présence. Devait elle rentrer au camp, ou chasser ailleurs ? Était-il arrivé quelque chose ?

“Qu’y a-t-il ?” demanda-t-elle d’un ton tranchant, sans plus de formalité.

À ces mots, elle sentit une bouffée d’indignation monter en elle.

“Oui, eh bien ce ne sont pas quelques musaraignes trempées avec la peau sur les os qui vont nourrir le Clan !” s’indigna-t-elle avec humeur, faisant allusion à la maigreur des proies de ces derniers jours.

Peut-être était-ce quelque chose de normal, elle qui avait eu toute la saison des feuilles nouvelles et vertes pour s’entraîner ; il n’empêche qu’elle n’était pas habituée à ramener du gibier aussi décevant et à peine assez nourrissant pour le plus petit des chatons de la pouponnière.
Nuage de Rossignol hérissa les poils de son échine, avant de les aplatir : elle sortait et rentrait les griffes de manière compulsive. L’apprentie, consciente de sa contrariété, détourna promptement les yeux ; mais son irritation, qu’elle eut du mal à dominer, eut au moins un effet bénéfique. Source de Secrets l’étudia en fronçant son expression, aussi conciliante qu’à l’accoutumée, mais peut-être un peu plus perplexe que d’habitude, quand la jeune chatte parvint à recouvrer suffisamment de son sang-froid.

Elle sentait partiellement ingrate, pour la bonne raison que malgré tous les secrets qu’elle pouvait cacher et le mystère qui l’entourait, Source de Secret avait été la parfaite mentor. Mais la pression accumulée par les tensions accrues causées par l’autorité de Coup de Foudre et le jeu qu’il et elle jouaient ensemble, ces derniers jours pluvieux et misérables et surtout les trop nombreux non-dits et cachotteries qu’elle sentait sans véritablement les saisir avaient peu à peu raison de son esprit et l’entraînaient par le fond, comme la rivière sous ses yeux avalait parfois une pierre sans jamais la recracher. Un des pièges de l’enfance est qu’il n’est pas foncièrement nécessaire de comprendre quelque chose pour le sentir : Nuage de Rossignol se retrouvait engluée au fond de la rivière, perdue dans un torrent de sensations et d’intuitions sombres et inexplicables qui l’empêchait de retrouver la surface alors qu’elle avait impérieusement besoin d’engouffrer un grand bol d’air frais.

Il lui devenait de plus en plus difficile de contenir sa rancœur, aussi l’apprentie s’était immobilisée et son visage figé dans une expression austère. Elle décida d’affronter Source de Secret bien en face, une lueur martiale dans le regard -les traits de la guerrière s’étaient-il creusés sans qu’elle l’ait remarqué ? mais ce n’était pas le moment de verser dans les bons sentiments.

“Dit-moi ce que tu es venue faire ici. Maintenant” ordonna-t-elle, s’efforçant de ne pas se laisser toucher par le regard de Source de Secret, car elle était bien consciente qu’elle s’agissait pas dans ses propres habitudes. “Tu te rends souvent ici, n’est-ce pas ? Qu’y a-t-il, en cet endroit, qui fait que toi et Coup de Foudre vous y rendez aussi souvent ? En particulier au milieu de ces... rochers ? Vous ne cacheriez rien de bien important à notre Clan, n’est-ce pas ?” siffla-t-elle avec tout le venin de la Terre.

Car son but était bel et bien de la coincer sans ménagement, ici-même, et tant pis pour les proies -le Clan attendrait, en fin de compte.
Les orbites vides des deux squelettes la hantaient depuis le jour de sa macabre découverte et la vision lui était de plus en plus insupportable au point qu’elle en rêvait maintenant toutes les nuits. Incapable de supporter cela une de plus, l’heure de la confrontation était venue.

« Oui, eh bien ce ne sont pas quelques musaraignes trempées avec la peau sur les os qui vont nourrir le Clan ! »

Source de Secrets eut un léger mouvement de recul, se décalant légèrement sur le côté avant de se reprendre. « C’est vrai, j’avais oublié que ce sera ton tout premier hiver... » se contenta-t-elle de répondre, usant du même ton qu’elle aurait utilisé si elle avait commis une bourde banale. Elle aurait du la préparer à cette saison, lui parler de la vérité parfois dure et cruelle de l’hiver. Pendant quelques lunes, ils n’auraient plus de proies dodues, parfois plus de proies du tout. C’était sans doute cette pression, qui donnait peut-être à son apprentie la sensation de ne plus rien réussir, qui la mettait dans cet état. Mais, au fond, Source de Secrets se demandait s’il n’y avait pas autre chose. Elle préférait éviter le sujet, cependant, essayant de ne créer aucune vague, rien qui ne pourrait venir gêner son père.

Nuage de Rossignol en avait décidé autrement.

« Dit-moi ce que tu es venue faire ici. Maintenant. » ordonnant-elle sur un ton autoritaire, bien trop, au point qu’elle n’aurait pas pu se le permettre sans subir de conséquences si son mentor était quelqu’un d’autre que Source de Secrets. La guerrière bicolore, de son côté, se contenta d’ouvrir les yeux et de plaquer une oreille, confuse.
« Tu te rends souvent ici, n’est-ce pas ? Qu’y a-t-il, en cet endroit, qui fait que toi et Coup de Foudre vous y rendez aussi souvent ? En particulier au milieu de ces... rochers ? Vous ne cacheriez rien de bien important à notre Clan, n’est-ce pas ? ».
Il eut un silence, pensant, froid, désagréable. Puis la fille de Coup de Foudre se mit à rire. C’était un mélange entre un rire stratégique, pour esquiver le sujet, et un rire nerveux.

Les questions de Rossignol étaient bien trop ciblées pour qu’elle ne sache rien. Et ce que ce lieu avait « d’important » n’était pas rien : il s’agissait du corps de leur ancien meneur, et d’une guerrière d’un Clan ennemi. Et si—
« Qu’est ce qu’il te prend, Nuage de Rossignol ? demanda-t-elle avec une voix calme et inquiète. Je te trouve tendue... Cet endroit, il n’a rien de particulier, c’est juste... tu sais, la plupart des chats ont une affinité particulière avec certains lieux. Des coins où ils ont vécu des choses qui sont devenues des souvenirs précieux, donc ils y retournent plus souvent que les autres parce qu’ils y sont attachés, c’est tout. Coup de Foudre vient souvent ici, car il y passait des moments avec Secret du Firmament. Et je me contente de le suivre. »
Secrètement, silencieusement, elle espérait que l’apprentie s’en tienne à cette explication cousue sur le tas, mais la connaissant, elle se doutait qu’elle ne s’en resterait pas là. Elle n’était pas la fille de Puma pour rien.

“Qu’est ce qu’il te prend, Nuage de Rossignol ? Je te trouve tendue... Cet endroit, il n’a rien de particulier, c’est juste... tu sais, la plupart des chats ont une affinité particulière avec certains lieux. Des coins où ils ont vécu des choses qui sont devenues des souvenirs précieux, donc ils y retournent plus souvent que les autres parce qu’ils y sont attachés, c’est tout. Coup de Foudre vient souvent ici, car il y passait des moments avec Secret du Firmament. Et je me contente de le suivre.”

Nuage de Rossignol ravala une réplique cinglante.
Elle était clairement fatiguée et agacée que tous les membres de ce clans soient fous ou bien perpétuellement plongés dans le déni de leur propre décadence. Il lui semblât que personne dans la forêt ne faisait preuve de bon sens et vivre au milieu d’une bande d’hypocrite lui pesait de plus en plus. À raison, elle s’était fait de tous ces chats un fardeau sur les épaules, mais se rendait compte, progressivement, que désir de voir le Clan du Tonnerre se reprendre en main, de re-stabiliser l’équilibre fragile d’un camp qui fondait son organisation sur une base vaseuse pour s’y épanouir tenait du rêve utopique voire de l’impossible, malgré les quelques individus censés qui, à son égard, s’évertuaient vainement à renverser la situation.

Plusieurs grondements de tonnerre retentirent, s’amplifiant et se rapprochant de seconde en seconde. Nuage de Rossignol dressa la tête avec défiance, comme si les cieux lui lançaient un dernier avertissement de ne pas franchir les limites du raisonnable. Ne commence pas, toi non plus ! s’adressa-t-elle au ciel et les poils se son échine se hérissèrent, et elle laissa faire, puisqu’elle avait décidé, depuis l’incident d’Arc-en-Ciel, de ne plus cacher ses émotions -elle se faisait encore violence, car cela lui était encore contre-nature ; mais elle n’avait plus le temps ni la patience de discuter à fleurets mouchetés, aussi se laissa-t-elle emporter par son cœur.

“Tu te contentes de lui suivre. Comme toujours…” feula-t-elle ses paroles comme un poison dans les oreilles de son interlocutrice. “Très bien, alors cette fois, tu vas me suivre. Coup de Foudre peut bien se passer de toi de temps en temps.”

Elle n’attendit pas que Source de Secrets lui réponde. Elle marcha d’un pas rageur quelques dizaine de longueurs de queue plus loin. Elle sentit sa gorge se serrer. Au moins n'aurait-elle pas à affronter physiquement l'image qui la hantait depuis le début de son entraînement ; car l'unique fois où elle s'était sentie prête à retourner sur les lieux sinistres de cet endroit maudit, il n'était déjà plus possible d'y entrer à l'intérieur. L'entrée était désormais condamnée.

Le moment était venu.
Elle campa juste devant l’entrée ensevelie. Cela ne changeait rien à son horreur : elle savait que, là-dessous, les restes de deux chats morts s'enlaçaient pour l'éternité.

“Explique-moi” dit-elle simplement, car la situation était si atroce qu’elle articulait chaque mot avec peine. “Explique-moi tout, maintenant et tout de suite. Ou je rentre au camp, et j’annonce à tout le monde ce qui se trouve ici.”

“Plus qu’un secret, c’est aussi un mensonge. Est-ce que mon masque t’est familier ? Non, tu étais sans doute trop jeune pour t’en rappeler... Mais tu dois connaître son nom, pas vrai ? Ce que tu as vu…”

“Arrête ! Ne dis plus un mot !”

Etoile Masquée.
Source de Secret était la fille bâtarde d’Étoile Masquée et de... non, pas de Secret du Firmament. le raisonnement de déroula dans sa tête avec la simplicité d'une intuition alarmante. D'une étrangère.

“Et bien sûr, Coup de Foudre est au courant de tout, et vous n’avez jamais rien révélé, à personne, à personne…” supposa Nuage de Rossignol avec un amusement sinistre. “Et vous nous avez tous bernés, comme vous le faites tous les jours, avec votre détachement débectant… Alors il s’avère que je vois clair dans votre jeu depuis longtemps ! C’est donc comme ça que Coup de Foudre va régner sur son Clan : en le laissant mariner dans vos magouilles et vos mensonges, macérer jusqu’à-ce qu’un jour, il éclate ; et ce sera votre faute, à lui, à toi, à vous ! Quelle honte, c’est si méprisable !”

Elle savait qu’elle aurait dû ressentir davantage d’angoisse à cette perspective, mais au fond, elle l’envisageait avec répugnance et colère. Elle vivait dans un clan rempli de menteurs, d’imbéciles et de lâches. Ce n’était plus une impression, mais une conviction.

“Je suis… Je suis dégoûtée. J’ai honte. J’ai si honte de ce clan.” Elle griffa le sol trempé, délogeant quelques cailloux enfouis sous terre depuis l’été. “Je ne sais pas ce qui me retiens de courir jusqu’au camp pour vous dénoncer sur-le-champ” pesta-t-elle, alors qu’en vérité, elle le savait très bien : ce ne serait une fois de plus qu’une entreprise ridicule qui la conduirait à s’afficher devant la totalité du clan, avant de se faire rabaisser par un chef minable. Ensuite, tous, quand bien même on la croirait, retournerait vaquer à ses occupations avec servitude.

Dans les circonstances présentes, elle se sentait si révoltée, si furieuse, qu’elle n’envisageait aucune possibilité pour elle de regagner une place au sein des guerriers de son clan. Elle ne voulait pas y retourner. Non, en fait, il ne lui était plus possible d’y retourner et d’affronter cette bande de pattes cassées ; de les voir se complaire dans le camp tous les jours et faire comme si de rien n’était. L’échine en crête hérissée, elle respirait fort, la gueule ouverte et la gorge sèche alors que tout autour d’elle n’était qu’humidité. Chaque muscle de son corps s’était raidi. Ses moustaches étaient plaquées contre ses joues. Elle tremblait si fort que cela ne pouvait pas passer inaperçu.

“Je vous déteste tous.”

Mais en l’instant, elle n’était pas en colère contre tout le monde.
Elle était en colère contre le monde.
Elle sentit le sang monter rapidement dans sa tête, lui donnant l’impression que celle-ci enflait et qu’elle perdait la raison. Son cerveau fonctionnait à mille pour cent et se débridait sous une succession de pensées aussi morbides que malsaines et plus absurdes les unes que les autres, mais elle les éprouvait si fort qu’elles mettaient sa résilience à l’épreuve en lui instillant le besoin de les exaucer. Elle serra les dents et sa respiration se fit sifflante, peu rassurante.

“Je vous déteste tous, et tous autant que vous êtes” vociféra-t-elle sur un ton excessivement sinistre et alarmant, qui sonnait comme une menace lointaine. Elle déguerpit, emportant avec elle le sentiment écrasant d’un désastre imminent.

Soit : elle se laisserait, pour une fois, juger par contumace et n’aurait qu’à ignorer le résultat. La seule chose qu’elle redoutait encore dans l’idée d’une nouvelle esclandre, c’était la douleur que cela risquait de causer à son père et son frère.
Ne luttant plus contre le besoin impérieux de fuir, elle s’élança à travers les sous-bois avec la rage de quelqu’un qui vient d’être trahi. Elle courut, feula de détresse, franchit buis et feuillages, puisant toute la force dans ses muscles, prenant le plus d’élan possible, fit les plus grands bonds pour mettre de la distance entre son mentor, sa famille, son clan et toute sa vie, franchissant les limites de son être pour fuser dans l’effervescence de la tempête. Elle courut jusqu’à l’épuisement et se rendit compte qu’elle n’était plus sur le territoire de son clan. Le sol était dur et étrangement rugueux sous ses coussinets. Elle se tenait sur le chemin du Tonnerre, le pelage aplati, violenté par les vents de l’orage et ses éclairs querelleurs qui piquetaient le paysage alentour avec malveillance. Dans le lointain, elle vit la ligne des Hautes-Pierres se découper sur l’horizon comme les mâchoires d’un loup enragé chaque fois qu’un flash de lumière illuminait l’atmosphère. Hébétée, elle resta là, raide, pantelante.

Et soudain, elle entendit le rugissement et le tonnerre, vit la lumière transpercer le rideau de pluie en un flot rugissant et ressentit simultanément l’impact dans tout son corps ; un choc brutal, frappant, qui chassa l’air de ses poumons. Le monstre l’avait percutée, lui cinglant douloureusement le flanc et l’épaule. Puis elle se retrouva au sol, sans le moindre souvenir d’être tombée. Source de Secret était accroupie dans la fange à ses côtés, penchée sur elle, la mine blême.
Nuage de Rossignol inspira faiblement, une fois ; la douleur, une immense douleur, fit flamber son corps sans qu’elle puisse même gémir.