Petite princesse ~ ft. Petite Grenouille - Abandon

Petit Croc avait disparu. Quelqu’un lui avait dit qu’il était mort, « sans doute emporté par une chouette », avait-il ajouté, parce qu’elles commencent à nourrir leurs petits avec de la viande en ce moment. Vif-Argent, de son côté, lui avait dit que peu importe ce qu’il lui était arrivé, elle était sûre qu’il n’avait pas souffert et qu’il était aujourd’hui heureux au Clan des Étoiles, en train de faire des tonnes de bétises.
Petite Grenouille avait refusé d’y croire. On lui avait toujours dit de se méfier de ce que les autres lui disent, même quand ça venait de la bouche des grands. « Vous dites n’importe quoi ! leur criait-elle, Il est vivant et je vais le prouver ! » Mais jusque là, tout le monde avait refusé à ce qu’elle sorte du camp, accompagnée ou non. Depuis la disparition du chaton, la vigilance s’était accrue.

Malgré ses certitudes, la petite pleurait tous les soirs. Petit Croc lui manquait. Elle voulait jouer avec lui, avait plein d’idées de bêtises qu’ils pourraient faire ensemble. Dans deux lunes aurait lieu leur baptême, et elle ne pouvait pas se résoudre à l’idée d’être nommée avec son frère, Petit Canin et Petit Ivoire — avec tout le monde, mais pas lui. Elle gratta le sol, peiné. Elle s’ennuyait. Soudain, elle entendit qu’on l’appelait. Elle tourna la tête, ses longues oreilles bien dressées sur sa tête.

— Hé coucou ma p'tite princesse ! Comment tu vas dis donc ?

Petite Grenouille se leva, trottinant en direction de sa tante. Elle entendit Vif-Argent l’appeler : sa mère adoptive la toisa d’un air doux mais sévère. Un avertissement qu’elle comprenait parfaitement. « Ça va, grommela-elle. Je sais. Je suis grande maintenant. »
Le chaton au poil bouclé savait que la Reine se méfiait d’Esprit de Jade. Et « se méfier », c’était le mot gentil pour dire qu’elle ne l’aimait pas. Elle ignorait si un jour, à un certain point de leur vie, elles avaient été amies, si elles ne s’aimaient pas depuis le début, ou si elles avaient tout simplement été indifférentes. Vif-Argent lui parlait peu de sa famille biologique, alors Petite Grenouille partait du principe qu’elles n’avaient tout simplement jamais été proche. Mais peu importe ce qu’il y avait eu par le passé, la raison des tensions présente dans la pouponnière depuis presque deux lunes maintenant était toute simple : Esprit de Jade attendait les enfants d’un des Prophètes, Ombre Noire. Sa mère refusant qu’elle se fasse endoctriner par sa tante, elle l’avertissait de faire attention à ce qu’elle pourrait lui dire. Mais Petite Grenouille savait.

Elle s’installa près de la Reine enceinte, assise sur un petit tas de mousse. En réponse à sa question, elle haussa les épaules.

— Mon ami a disparu. Ça me rend triste, il me manque.

Il y avait, dans la présence d’Esprit de Jade, quelque chose de réconfortant. Quelque chose qu’elle retrouvait chez Vif-Argent, chez Petite Salamandre, et chez Petit Croc — ceux qu’elle considérait comme étant sa famille la plus proche. Malgré les sentiments que portaient sa mère adoptive envers sa tante, Petite Grenouille s’installa plus confortablement près d’elle, allongée, la tête posée sur ses pattes croisées. Elle entendit derrière elle sa mère soupirer, signe qu’elle abandonnait tout espoir de la faire changer d’avis. Sa fille lui répondit par un mouvement de queue. Elle n’allait pas lui répéter toute sa vie qu’elle savait. Qu’elle n’écouterait pas les propos délirants de sa tante au sujet des prophètes. Mais cet aspect là mis de côté, Petite Grenouille trouvait que sa tante était une personne très douce et gentille. C’était juste dommage qu’elle soit tombée dans le fanatisme…

— Je suis désolée pour toi ma Grenouille. Mais tu sais, des fois, le clan des étoiles appellent certains d’entre nous pour les rejoindre. Alors, la nuit, dans le ciel s’illumine de tous ces petits points lumineux, hé bien, il te regarde et il prie pour ton bonheur.

Elle baissa les oreilles, se mordant la langue pour se retenir de lui répondre, et de s’énerver. Elle refusait de l’entendre. C’était faux, Petit Croc n’était pas mort. Il était là, quelque part. C’est juste que personne ne le trouvait. Il n’y avait rien pour le moment qui l’agaçait plus que tous ces adultes qui insinuaient que son ami était décédé, sans jamais employer le terme. La prenaient-ils pour une imbécile ? Elle entendait tout ce qu’ils disaient même quand ils ne lui parlaient pas — elle savait donc très bien ce qu’ils pensaient tous réellement. Mais non, ils avaient tord. Et surtout, pourquoi toujours essayer d’enjoliver les choses ? Ils pouvaient lui dire le mot « mort », ce n’était ni une insulte ni un terme interdit. Elle savait ce que c’était. Après tout, sa mère était morte à sa naissance — on lui avait expliqué, là aussi toujours avec des jolis mots, évitant de prononcer les termes « mort », « tuée », « décédée ». C’était toujours « partie rejoindre ses ancêtres », « appelée par les Étoiles », ou « elle est ailleurs », alors que dans les faits, elle avait été digérée depuis bien longtemps dans les intestins d’un renard, et voilà. Petite Grenouille savait. Elle n’était pas stupide.

— Et puis bientôt tu auras tes cousins ! Avec Salamandre vous pourrez jouer tous ensemble. Tu es contente de ça ?

Petite Grenouille leva les yeux vers sa tante, essayant de couvrir sa mine triste avec un sourire. Elle lui en voulait, d’essayer de remplacer Petit Croc par d’autres personnes — il était irremplaçable à ses yeux. Alors bien sûr qu’elle était contente, mais ça ne changeait rien au fait qu’il n’était plus là, et qu’il ne rentrait toujours pas, et que s’il décidait de ne jamais rentrer alors il y aurait un trou dans son cœur qui ne guérirait peut-être jamais, parce qu’elle avait l’impression que c’était insurmontable.

— Oui ! lui répondit-elle, un faux entrain dans sa voix. Comme ils seront plus petits, je pourrais leur apprendre plein de trucs. Tu sais comment tu vas les appeler ?