Eurk, un bébé... - {FEAT. Gueule de Glouton} - abandon

Eurk, un bébé...

FEAT. Gueule de Glouton.

Hors-RP :

— Où étais-tu ?

Roseau des Tempêtes, la gueule pleine d'un corps écailleux, détourne le regard en direction du fond de la pouponnière. Gracieusement tendue sur ses extrémités, la chatte au poil ardent fixe de ses prunelles féroces ce mâle qui ose s'introduire dans l'antre. Son conjoint. Elle le toîsse avec dédain, presque insolente. Je ne peux omettre que le pauvre mâle s'est engouffré en entier dans l'impitoyable jugement de ma mère. Sa partenaire l'a convié plus tôt dans la journée, et les faits sont là ; Roseau des Tempêtes s'est mis en retard. Je ne suis en rien responsable des querelles infantiles de mes géniteurs ; ils font ce qu'ils désirent, et si se prendre la tête fait partie de leur éventail amoureux, qu'il en soit ainsi. Je ne suis qu'une créature infime, une poussière pour eux ; un vermisseau sans importance, dont l'avis ne dépend que de la chaleur et de la nourriture. Il est pourtant poignant de le constater, et non de le perdre de vue ; qui aime châtie bien. Roseau des Tempêtes bat la queue doucement, un signe révélateur du stresse enduré. Mon géniteur sait que Châtaigne le boudera, un caprice d'adulte, en somme. C'est idiot et vain, mais sa rancune est éphèmère. Elle reviendra se pavaner face à lui, pelage contre pelage, bien assez tôt pour vous surprendre.

— En fai', che ch'apporche un poichon… articule-t-il avec peine, la proie obstruant sa gueule et affectant sa diction.

Le plumeau qui sert de queue à Châtaigne Rousse fouette l'air, agacement en prévision. Son partenaire n'ose avancer, les oreilles basses et la moue embarrassée. C'est Châtaigne qui, d'un geste de la queue, lui indique de se mettre à ses côtés.

— Bon, écoute. C'est très gentil de ta part, mais évite de te trouver des excuses aussi lamentables. J'ai un petit service à te demander, ça ne sera pas long.

Roseau, ayant déposé à ses pieds la poiscaille, prend à nouveau en gueule son gibier, puis approche d'un pas lent, méfiant. Arrivé à hauteur de l'imposante féline, il y dépose la proie, tel nous y déposons des offrandes pour un dieu, puis s'assoit nonchalamment à ses côtés. Châtaigne paraît d'autant plus vexée, son œil est mauvais. Le poisson lui est alléchant, pas le comportement de son partenaire. Un grondement sourd s'échappe de sa gorge, avant qu'elle ne se présente en ma direction. Recroquevillée contre le sol douillet du nid, je ne sommeille point. Tout est éveillé chez moi, si ce ne peut être encore ma vue et mon ouïe. Mes vibrisses perçoivent les odeurs ; celle de la figure maternelle, celle du géniteur et de son poisson ; me voilà intriguée, figée. La senteur d'un presque-inconnu.

— Merci pour le poisson, murmure-t-elle sans conviction, avant de se ressaisir. J'aurai besoin que tu gardes Petite Neige le temps que j'aille me dégourdir les pattes. Feuille de Saule m'a bien expliqué qu'il fallait que je bouge quelques jours après la mise bas, pour ne pas perdre les bonnes habitudes.

Déconfiture. Le minoie du charmant compagnon de ma mère se décompose, sous l'œil exaspéré de cette dernière. Roseau des Tempêtes se doute fortement de ce que cela implique. Garder un nourrisson, à tout instant pouvant pleurer, s'agiter, couiner ; entre autres. Cela ne l'intéresse point. À dire vrai, il souhaiterait largement mieux me porter son attention la plus tendre dans plusieurs lunes, lorsque je me serais munie de parole. Encore faudra-t-il qu'il y songe, me rendre visite, s'approcher de moi. Bien ! Là n'en est pas la question. Recroquevillé, la queue molle et le poil bouffant, une grimace se dessine. On croirait l'entendre songer. Eurk, un bébé...

— Bon sang, ne fait pas cette tête ! Elle sera sage, elle a tété son saoule peu de temps avant que tu n'arrives. Il faudra seulement que tu t'occupes d'elle, le temps que je revienne. C'est dans tes cordes ?

Tout penaud, le chat acquiesce. Dans ses cordes, oui. En ces paroles, Châtaigne s'écarte pour lui laisser une place au creux du nid, encore tiède de sa présence. La féline s'empare également du trésor que lui a apporté son amant. Roseau n'a pas l'air des plus enjoué. Néanmoins, ajouter quelques paroles que ce soit aggraverait, sans équivoque, son cas auprès de sa compagne. Un silence, le père s'allonge tout près de sa fille. Une petite chose, fragile, qu'il pourrait briser sur un coup de malchance. Sa queue s'enroule autour de mon corps, son poil est frais comme à l'extérieur. Instinctivement, comme les papillons de nuit recherchent la lumière, je me dirige vers son flanc, poussant ma tête sous son ventre chaud. L'action l'agace et le gêne ; ce n'est pour autant qu'il me poussera, à ma plus grande joie. Un père et sa fille. Il m'observe de plus près, me trouve belle et pleine de vie. Tiens, mon pelage, je ne le tiendrais point de lui ? Que me voici grande et consistante pour mon jeune âge. C'est un chaton tout ce qu'il y a des plus vivaces, des plus parfaits, que son regard attendri lui offre et fait découvrir. Un sourire s'immisce sur ses traits écoeurés et embarrassés. Son visage, ravi, se dirige vers Châtaigne. Elle est déjà partie.

Nous voici donc seuls, papa.

Il a presque promis.

Et c'est ce troisième mot qui l'a fait tenir aussi longtemps sans honorer sa parole. Faut dire qu'elle lui a arraché les mots de la gueule, la sorcière rousse !
Oui mais Roseau est [son] ami; ils se connaissent depuis toujours... C'est sa première fille, et elle en vaut le détour !! Il serait si content, ça fait si longtemps...

Oh, mon pauvre Roseau. Dans quelle galère tu t'es encore fourré avec ta rouquine de malheur ?

Il attend qu'elle sorte avant de le rejoindre. Et en voyant qu'elle file avec un poisson entre les crocs, Gueule de Glouton ne se gêne pas de piquer une jolie vandoise sur la pile de gibiers. Ainsi chargé, le lieutenant traverse le Camp pour retrouver son vieil ami là où il l'a vu disparaître; dans l'ombre effrayante de la pouponnière.

Gueule de Glouton s'esclaffe aussitôt que sa tête s'ose dans la tanière.
Oh nan.
Roseau...

Son rire gras embaume l'endroit; cachant le bruit sourd de la vandoise qui heurte le sol. Le brun s'étouffe presque dans ses propres éclats, quand il parvient à articuler :

« Oh, mon vieux ! » soufflant. « Oh, Roseau ! » puis hoquetant encore un peu. Un sourire, moqueur : « Mais qu'est-ce qu'elle t'a fait ?! »

Son idiot de pote est là, lové dans la mousse de sa compagne, un ridicule petit bébé contre son flanc... Presque content que son atroce mère lui parle comme à un roquet.

« Fiouuu, sacré sort ha ha ! »

Il n'aime pas Châtaigne Rousse.
Elle a changé Roseau des Tempêtes.

Au début, ça avait l'air d'être un challenge pour le gris, de la conquérir. Et puis... et puis après il ne s'en est pas débarrassé comme il le faisait d'ordinaire.
Elle est restée.
Et elle a tout pris.

Gueule de Glouton n'a même pas un regard pour le chaton blotti contre le ventre de son ami.

Tout ce qu'il voit, c'est Roseau. Qui ploie.

HRP:

Eurk, un bébé...

FEAT. Gueule de Glouton.

HRP :

Des esclaffades éclatent à en faire exploser la pouponnière. Là, devant le seuil, se tient Gueule de Glouton. Aussitôt, un embarrassant sentiment de honte envahit le pauvre Roseau des Tempêtes, jusqu'à même atteindre les propres racines de son poil argenté. Non, non, pas lui, pas maintenant ! Mortifié, presque paralysé par la visite de cet ami qu'il connaît pourtant depuis de fortes longues lunes, Roseau grimace et écarquille les yeux d'appréhension. Le grand mâle au pelage sombre, Lieutenant de notre Clan, poursuit ses jacasseries avec ses gloussements et fous rires. Mon lamentable père ne sait où poser les yeux, tantôt vers son ami, sur sa propre progéniture ou le fond recouvert de plantes aquatiques de la pouponnière. Entre quatre rires, railleurs et gras, son compagnon d'enfance parvient à articuler quelques mots.

— Oh, mon vieux ! Oh, Roseau ! Mais qu'est-ce qu'elle t'a fait ?!

Vite ! Il lui faut une excuse, là aussi. Mon géniteur se creuse les méninges en me jetant de furtifs coups d'œil. En réalité, ce n'est pas bien facile d'imaginer de quoi renchérir. Ce qu'il se passe est très simple : Roseau est pris au piège entre ses pseudos devoirs parentaux, une compagne au caractère hautement déplaisant et la réputation de tout un chat : lui-même. Celle d'un guerrier libre, d'un charmant félin, dragueur et fougueux. Oui, bon, il est vrai que Roseau s'est égaré sur le chemin de sa propre grandeur. Sa rousse l'a bien sculpté à sa volonté depuis leur rencontre, comme les bipèdes font obéir leurs cabots jusqu'aux coussinets. Ou bien la nature serait un peu plus profonde : l'amour ça rend aveugle, et en plus de cela il est aussi devenu muet. Mouché de ses mots par sa propre partenaire.

Rapidement d'aplomb pour solidifier sa propre défense, le mâle cendré balbutie quelques phrases sous la pression. Vite !

— Non non ! Tu n'imagines pas, c'est une vraie vipère cette garce ! Elle veut que je passe du temps avec la petite… J'ai pas eu le choix, elle m'aurait fait une scènes sinon !

Mince mais non ! Il est le père, il est celui qui doit diriger cette famille, du moins c'est le peu dont il en songe. Une famille ? Une famille. Quelque chose émerge dans son poitrail. Au fond, il le ressent, c'est inéluctable : il aime sa fille, comme je l'aimerai en retour comme père. Comment montre-t-on à quelqu'un qu'on l'aime, au fond ? M'aime-t-il vraiment, ou est-ce également là que de pâles élucubrations liées à Châtaigne Rousse ? Roseau l'ignore. Roseau est perdu. Il détourne le museau, crispé par ses propres songes. Ses propres failles et mensonges putrides. Allez papa, berce nous d'illusion.

— Fiouuu ! Sacré sort, ha ha !

La honte. C'est étrange comme ce sentiment est puissant. Il nous saisit, nous bouscule comme un frêle arbrisseau en plein ouragan. On veut se cacher, s'enfuir ; on donnerait notre peau et quelques anguilles pour ne plus la ressentir. Les picotements dans les pattes et les oreilles de Roseau se font plus intenses. Gueule de Glouton porte avec lui quelques faits véridiques. Qu'est-ce qu'elle t'a fait maman, hein, papa ? La pensée ne s'articulera pas. Car rien ne vient en mon être d'autre que l'existence simplette d'un nouveau-né. Petit corps se remue à nouveau, je me mouvoie en silence. Les odeurs sont étranges.

— Chuis coincé ici, c'est nul. Te fous pas de ma gueule, dans la même situation tu serais autant malade que moi. Imagine juste, un bébé...

Mon père ne sait que dire, affreusement gêné. Alors, dans une ultime tentative désespérée, une phrase s'échappe de sa gorge avec la même dynamique que les fracas d'une grêle battante. C'est d'un lamentable à en couper le souffle, même moi me voilà honteuse, papa.

— En plus, elle pue !

Et Roseau qui se désolidarise de sa sorcière quand elle a le dos tourné. Mais quelle loque. Et quand on pense qu'il y en encore quelques lunes, ce roquet rigolait avec les copains, moquait les canards, vantait son compteur...

Le Clan de la Rivière, producteur de loques depuis hum... depuis à peu près toujours hein.

C'est étrange, ce frisson qui le bouscule. Son ami fait peine à voir. Prostré, honteux, asservi à cause du petit bout de viande fragile qui se colle désespérément à son flanc. Esclave de ce rejeton qu'il a sans doute foutu dans le ventre de sa mère en disant "merci" à la fin.

Oh non, retirez-moi ces images de Roseau et sa sorcière qui-- MERDE. C'EST DÉGUEULASSE.

« Chuis coincé ici, c'est nul. Te fous pas de ma gueule, dans la même situation tu serais autant malade que moi. » Son rire moqueur devient nerveux d'indignation. Quoi, lui ?? A sa place ? Il est devenu complètement maboule le Roseau. « Imagine juste, un bébé... »

Aïe. Une vilaine moue de dégoût lui barre la gueule et avale ses rires. Hein ?

Il a raté un épisode ?

« En plus, elle pue ! »

Coupure. Blanc.

...

Ça alors.

...

Si on lui avait dit qu'il finirait par mépriser Roseau comme les autres.

Il fouille le regard de son ami, en quête d'un soupçon d'humour maladroit. Mais non, mais non... Après s'être plié pour séduire Châtaigne Rousse, Roseau des Tempêtes se courbe pour garder Gueule de Glouton.

Ses mots résonnent, il les pèsent, les retournent, les bousculent à la recherche du moindre signe de vie de son ami d'autrefois.

Imagine, un bébé... en plus elle pue ?????

Quelle chute.

« T'es devenu complètement con. » une once de peur dans la voix. « C'est un chaton. Ton chaton. Celui que t'as pondu avec ta sorcière. » Et alors, daignant enfin couvrir l'enfant d'un regard curieux. « Si elle pue, c'est qu'elle est sale. Elle a même pas une lune ta gosse, t'es débile ou quoi ? »

Non de la tête, refus catégorique de s'associer à ce genre d'individu. De l'hypocrisie, oui. Envers soi-même ? Jamais.

Pauvre Roseau. Pauvre... c'est quoi son nom ? Pauvre Gosse.

HRP: