[Baptême] Laissé Derrière - end

Il commence à faire froid - il n'y a vraiment rien d'autre à ajouter. Bientôt le soleil va se nicher plus tôt, bientôt il n'aura pas le choix de commencer ses toilettes la nuit juste pour être présentable. La fin de la saison des feuilles vertes n'est jamais facile pour personne avec les proies qui se raréfient, mais la vie continue.

Depuis des saisons personne ne dort dans "l'Antre du Chef", et on a bien fini par s'y habituer; comme on a fini par s'habituer à le voir monter sur le Rocher; comme on a fini par s'habituer, du moins il espère, aux piques de sa personnalité. Quelques lève-tôt le saluent d'un signe de la tête en le voyant revenir de sa toilette par le Tunnel de Ronces. Ne plus avoir son Aide-Mémoire à ses côtés pour lui signaler le temps qui passe lui est difficile, mais ça aussi, on s'y habitue.

De toute façon, Source a besoin du repos.

Arrivé au pied du Rocher, son oreille tique. Il inspire son air, espère s'être suffisament pratiqué devant son reflet trouble plus tôt à la Rivière, et se départ de ses tracas et une fois en haut, se pare de la rigueur que le Clan veut de lui.

Aujourd'hui, c'est le baptême de Nuage de Lézard.

— « Nuage de Lézard, approche. »

Il croit que le Clan lui fait trop confiance, que le Clan lui donne trop de pouvoir; il détient le futur d'un apprenti entre ses pattes, et, comme ses enfants avant lui, c'est à lui de le nommer. Heureusement il n'a pas été tout seul dans la décision - il ne récite aucune tradition car il s'en fout (et tant mieux, car le Clan sait qu'il s'en fout) et délègue à leur bonne vieille guérisseuse le rôle de "promettre devant les Étoiles". "Jures-tu", on demande à l'apprenti, comme s'il allait dire non, comme si un chat n'a jamais refusé de jurer.

Coup de Foudre s'est couché sur le rocher pour regarder ailleurs, laissant au futur-veilleur au moins un iota de pudeur; sa queue s'agite à la fin du serment. C'est le temps de lui donner son nom.

Ainsi, à ce frère qui a été laissé derrière par sa soeur:

— Tu seras Queue de Lézard.

Coeur de Puma pouvait se sentir fier, ou plutôt, Coeur de Puma n'avait pas le choix de se sentir fier, car pesait sur l'atmosphère comme un fantôme qui refusait de s'en aller. Mais si on détournait l'attention sur autre chose que le concerné, on risquait de le désenchanter. Et quoi que l'importance de ce fantôme eût été dans le Clan, ce n'était pas son moment: c'était celui de Lézard.

Et c'est Lézard, et Lézard seulement, qu'on scanda cette aube-là.

Ce matin, il ne se sent pas plus léger. Pourtant, l'idée de commencer un nouveau jour sans Elles ne lui effleure pas l'esprit. A la place, il se réjouit de le vivre avec Nuage de Lézard, avec Dame de Cœurs, avec Flocon d'Amour, avec Louve des Bois, avec Arc-en-Ciel, avec Nuage de la Loutre même et Coup de Foudre, Amour-en-Cage, Source de Secrets, Œil du Tigre, Masque de Serpent...

Cœur de Puma n'est plus seul. Il le sait.

Alors quand au milieu du Camp, l'on miaule : « Nuage de Lézard, approche. » il rejoint la foule qui s'amasse. Le vétéran sait bien ce qu'il s'apprête à se passer ici, au cœur de cette forêt qui a connu toutes ses aventures.

L'idée lui arrache un sourire tremblant. Il se sent apaisé, entouré; aimé. Elles sont sans doute là aussi, blotties l'une contre l'autre quelque part où Elles peuvent voir Nuage de Lézard s'arracher à la foule. Ou bien ont-Elles trouvé une place auprès de lui, parmi les vivants...

Ses yeux ne peuvent plus quitter son fils qui s'avance enfin. Le visage rond de sa mère. C'est tout ce qu'il reste de leur héritage. Un fils, et pas n'importe lequel. Nuage de Lézard marche d'un pas assuré; il rayonne. Ça fait longtemps qu'il ne se recroqueville plus à son nom, ne détourne plus les yeux et ne baisse plus la tête. Enfin, son Petit Lézard n'est plus désolé d'exister. En fait, il a l'air fier. Si fier.

Ses sourcils généreux s'affaissent tandis que ses babines se projettent en avant, ouvrant ses narines pour donner à son visage une expression tendre. Ses pupilles se dilatent en entendant sa progéniture jurer à leurs ancêtres et alors il soulève sa cage thoracique d'une respiration gigantesque; presque étouffante.

C'est différent d'avant; quand il pleurait à cause de Vide. Quand il ne savait plus où il avait mal. Maintenant, c'est trop plein. Il y a trop d'amour en lui. Ça déborde dans ses yeux.

« Tu seras Queue de Lézard. »

Ils attrapent ceux de Queue de Lézard et alors père et fils fondent en larmes. Et le plus vieux de s'approcher, ouvrant l'une de ses pattes pour inviter son petit à l'étreinte. Il le colle contre sa poitrine, ému.

Bien que reconnaissant de leur présence, les autres n'existent plus en cet instant. Cœur de Puma sert son fils unique contre lui et alors que la morve commence à envahir ses narines, il souffle à l'oreille de la chair de sa chair :

« Lézard... » Sanglot. « Mon bébé... » Sanglot. « Si tu savais c-- » Sanglot. « Si tu savais comme je suis fier. »

Précipité dans le gouffre d'amour qu'il a rempli toutes ces lunes, le rouquin reprend ses larmoiements de plus bel, serrant davantage le nouveau guerrier contre lui, sa queue encerclant le dos du jeune félin.

Queue de Lézard.

Laissé Derrière.

S'était un grand jour, avec un oui MAIS. Il le ressentait parfois, son amie elle n'était pas là. Il y avait bien Vol de Colibri, soutient de toujours, mais plus jamais il ne verrait trace d'une jeune chatte au nom chantant. Petit oiseau ayant pris son envol pour le là-haut. Rossignol. Et pourtant comme tout les autres, il s'approcha, observant l'apprenti qu'il ne connaissait pas si bien. Le scrutant de ses pupilles grises quoique lumineuse. Observant les réactions des autres, les larmes et ce câlin, cette fierté du paternel que Foudre ne saurait jamais parfaitement imiter. Pas de sincérité totale, d'émotion chez Coup de Foudre. mais Cœur Brisé le savait, jadis son père avait sus, pour l'heure, le croisé siamois lui se contentait d'observer Cœur de Puma et son rejeton, enviant un tout petit peu leur relation. Tôt où tard, il approcherait le vétéran. mais pas aujourd'hui. Aujourd'hui était un jour heureux, guère propice à la nostalgie ...