therapie conjugale mais en fait non (masque de serpent) (assemblée) - end

- Tu me fais la gueule?

Un moment de creux dans l'assemblée, c'était normalement le moment ou je piquais du nez. Mais voilà, j'avais remarqué Masque de Serpent depuis un moment. Et Masque de Serpent n'avait rien fait. Il m'avait pas sauté dessus, il m'avait pas gueulé dessus, il avait pas crié mon nom de l'autre bout de la clairière, rien. Il était même pas venu me ricaner dessus.

Rien.

Alors comme c'est calme, je me rapproche. Je demande. Parce que c'est pas normal. Et peut-être aussi parce que la dernière fois qu'on s'est vu, on s'est cogné mais pas trop normalement. Il m'en veut pour le coup du chemin du Tonnerre?

J'y suis peut-être allé un peu fort... C'est pas le genre de Masque de Serpent de faire la tronche, pas pour ça. Il perd souvent. Des fois il se fait mal, même. Mais il m'a jamais ignoré comme ça.

Alors oui bon je m'en fous, qu'il me fasse le museau. Ce serait un problème de moins à gérer. Mais j'aimerais bien savoir, alors je demande.

Y'en a qui manquent pas d'air.

Masque de Serpent se tendit immédiatement quand un Queue de Babouin presque penaud vint le trouver, profitant d'un flottement dans l'Assemblée pour poser ses fesses de macaque près de lui. Le borgne fronça le nez. Il se prenait pour qui, lui là?

Il avait remarqué que Serpent l'avait évité jusque là, visiblement. Pas franchement étonnant. Masque de Serpent avait pour habitude de se manifester tout de suite quand un de ces amicaux rivaux faisaient partie d'une assemblée. Babouin en particulier, il adorait l'apostropher de loin pour le voir soupirer et tenter de l'esquiver. D'habitude.

Là, Masque de Serpent n'avait pas tellement envie de rigoler. Leur dernière danse lui avait laissé un goût amer dans la gueule, et il n'aimait pas trop savoir que ça se voyait que ça l'avait touché. Pas question de s'ouvrir à ce naze.

"Tch, tu crois que t'es au centre de mon univers Babou, haw? J'ai mieux à faire que d'te faire la gueule."

Faisant mine de reporter son attention sur les chefs, le matou maugréa, juste assez haut pour n'être entendu que du gros singe du clan de l'Ombre:

"Je vois pas quelle raison je pourrais avoir de t'avoir dans l'pif, hein. Pourquoi donc voudrais-je ignorer ton auguste personne, toi qu'es toujours si agréable à côtoyer?"

Qu'est-ce qu'il est désagréable quand j'y pense, Masque de Serpent. Toujours à beugler, même quand il fait la gueule. D'ailleurs, il dit qu'il la fait pas. La gueule. Ce qui est bizzare, parce que j'étais sûr que c'était ça le problème. Ca expliquait tout le comportement bizzare du guerrier du tonnerre qui était pas comme d'habitude aujourd'hui.

Mais il me dit qu'il fait pas la gueule. Qu'il a pas de raisons de me faire la gueule. Que sa vie tourne pas autour de moi ou je sais pas quoi. Bon sur ça je suis d'accord. J'espère bien. Si il avait rien à faire d'autre que de m'emmerder, il serait toujours collé à moi et ça c'est hors de question.

- Ha bon. D'accord.

Du coup je me relève et je fais mine de m'éloigner.

Si y'a pas de problème, y'a pas de problème, pas la peine de trop trainer la dessus. Si il le dit.

Masque de Serpent s'était attendu à plein de choses, après avoir lancé sa dernière petite réplique.

A voir l'autre bougonner, à l'entendre insister, voir même à le faire vraiment s'énerver. C'était jamais bien dur, de faire sortir Queue de Babouin de ses gonds. Ils manquaient tellement de patience, ces chats du clan de l'Ombre !

Mais quand le matou fit un pas en arrière avec une désinvolture carrément insultante, le borgne ne se prit même pas la peine de cacher sa surprise, dévisageant le gros chat crème, estomaqué:

"Haw? Mais?? R'viens putain !"

Forcé lui aussi de faire quelques pas, et fort fâché de devoir bouger pour suivre ce gros débile, Serpent siffla doucement:

"Mais t'es complétement con, c'est pas possible, c't'une façon de parler, haw?"

Bon, en disant ça, il se mettait un peu dans la merde. Car maintenant, il allait falloir parler. Ce que Serpent n'aimait pas tellement. Pas quand il s'agissait de parler sérieusement, en tout cas. Autant enrober ça dans autant de sarcasme que possible, ça passerait mieux...

"Parce que, ouais, gros scoop, je te fais un peu la gueule ! J'en reviens pas que t'ai réussit à capter ça, ta perspicacité nous donne à tous une leçon d'humilité, Babou."

Insulte, pique, et auto-dérision. Ça, c'était son truc. C'était tellement plus facile que d'avouer que la dernière danse l'avait un peu trop secoué. Que l'humiliation et la frustration après avoir mangé le bitume avait été un peu trop pour lui, pour une fois.

Faudrait savoir. J'ai pas fait deux pas qu'il recommence à s'agiter. Qu'il veut pas que je parte, parce qu'il a des trucs à dire en fait. Qu'est-ce qu'il peut être fatiguant ce chat...

- Pffffffffffff...

Qu'est-ce que je peux dire d'autre? Il est chiant, Masque de Serpent. Il fait celui qui veut pas parler, et maintenant il veut quoi? Que je m'excuse? C'est lui qui est venu la chercher, sa raclée l'autre fois. Comme d'habitude. Et là ce coup ci ça va pas. Va falloir m'expliquer. Je sais bien que le chemin du Tonnerre j'aurais peut-être pas du mais c'est pas comme si on s'était jamais fait mal avant. On est des guerriers rivaux en fait. Et il s'en est tiré avec juste un bobo à sa fierté.

- T'es chiant.

A ce moment, je remarque que deux trois têtes se sont retournées vers nous quand Masque de Serpent s'est mis à l'ouvrir. Et je me rappelle qu'on est à l'assemblé, quand même. On est loin des chefs et on parle pas fort, mais moi je veux pas me faire engueuler ou passer pour un con irrespectueux parce que Monsieur Serpent a sa dernière défaite en travers de la gorge!!

- Écoute les chefs plutôt. Des fois que votre insulte aux Étoiles dise un truc qui fasse sens pour changer...

Qu'est-ce qu'il pouvait être frustrant, Queue de Babouin. Soit il réagissait au quart de tour, de façon presque imprévisible, soit il restait de marbre, un marbre si solide que les sales petites griffes de Masque de Serpent ne pouvait pas espérer y faire la moindre éraflure. C'était pas faute d'essayer, pourtant. Le matou fit ouvertement la moue quand tout ce qu'il récolta fût un long soupir de la part du guerrier de l'Ombre, avec un petit "T'es chiant" grommelé tout bas.

Alors, oui, l'Assemblée c'était pas vraiment l'endroit rêvé pour se crêper le chignon, mais merde quoi ! Depuis le temps, il croyait avoir réussi à le cerner, le Babouin... Il s'était naïvement dit qu'il aurait senti qu'une sorte de limite avait été franchie, la dernière fois. Qu'il y avait un froid entre eux, un truc à réparer...

Pas que Masque de Serpent ai eu envie de le voir tenter de s'excuser. Non non. Ils étaient pas vraiment potes. Ils n'étaient même pas camarades de clan. Qu'est-ce que ça pouvait faire, qu'ils se fassent la gueule? Il avait beau essayer de se convaincre qu'il n'était pas vraiment froissé, que tout ça faisait partie du jeu... Serpent avait toujours du mal à avaler la pilule. Surtout quand il se retrouvait avec un tel mur impénétrable en face de lui.

Mur qui, maintenant, crachait sur son chef de clan. Oooh, si il n'y avait pas eu la trêve, il lui en aurait collé une !

"Mon chef, au moins, y sait causer. Le tien, il est blasé d'être à la tête de votre tribu de rats ou alors c'est juste qu'il est trop con pour aligner deux mots?"

C'était plus l'irritation de voir un abruti de guerrier rival critiquer Coup de Foudre (comme si on en avait quelque chose à foutre, de son avis !) qui lui dictait ses mots. Masque de Serpent aimait assez le leader du clan de l'Ombre, finalement. Une immense masse de muscles et de poils, sombre et taciturne, qui cause que pour cracher des mises en garde... Plutôt le genre de Serpent, en fait.

Mais ça aussi, ça faisait parler du jeu. Tu parles mal de mon chef, j'insulte le tien.

Tu m'craches dessus, je te bouffe les oreilles.

Tout ça.

Y cherche encore la merde. C'est pas possible d'être aussi chiant. Moi je voulais juste voir si il y avait une hache de guerre à enterrer, ou un truc qu'il voulait me dire, et voilà que je devais l'écouter insulter mon chef, comme ça, au calme, en plein milieu d'une assemblée. Je peux même pas lui en coller une devant tout le monde, ce serait grave. La trêve, ça profite qu'aux cons, je crois.

- C'est pas gentil, ça. Et en fait, non je me reprends. La ferme.

Ca, c'est dit. Je sais plus trop quoi ajouter. J'ai déjà insulté son chef, je vais pas non plus faire que ça de ma soirée. Ca se fait pas trop un soir d'assemblée en plus.

Alors je me décale. Je laisse ma queue lui claquer au nez quand je me retourne.

Je sens que ça va se terminer par une nouvelle bagarre nulle la prochaine fois qu'on se croise, mais pour ce soir je peux pas faire mieux. Je veux pas qu'on pense que je fraternise trop avec l'ennemi, en plus, alors je retourne avec mon clan.

Masque de Serpent ne se donna même pas la peine de dissimuler sa déception, ses petits lambeaux d'oreilles collés au crâne tandis qu'il regardait l'autre mastodonte poilu s'éloigner. C'était... Tout?

Bien évidemment, il ne pouvait pas se passer grand chose, une nuit comme celle ci. Même Masque de Serpent respectait la trêve. Et se gueuler dessus ne passerait pas non plus, pas quand les chefs parlaient et quand les guerriers autour d'eux les avaient déjà fusillés du regard à plusieurs reprises.

Mais...

Il aurait voulu en faire plus. En dire plus. Avec Queue de Babouin, ça se terminait toujours trop vite... Quel dommage qu'il soit dans ce clan de nazes ! Si le macaque habitait au Tonnerre, Masque de Serpent en était convaincu - il ne lui laisserait jamais une seconde de répit. Aaaah, si seulement il pouvait l'échanger contre un de ses camarades les moins marrants ! Corne de Taureau, par exemple. A qui il manquerait, celui là? L'Ombre gagnerait un nouveau connard, et Serpent aurait son idiot toujours partant pour lui en coller une dans le camp, rien que pour lui...

Haw haw, t'es complétement con, ricana la petite voix dans sa tête. Et, effectivement, Masque de Serpent devait bien reconnaitre que ce genre de fantasme, c'était particulièrement stupide. Il regarda Queue de Babouin s'éloigner en fronçant le nez. Non, le Tonnerre n'avait pas besoin d'un benêt de plus. Tant pis pour ses rêves de castagnes quotidiennes.

"C'est ça, casse-toi !" souffla-t-il quand l'autre fût à peine assez loin pour ne plus l'entendre.