Il faut être responsable, parfois - Nuage de Grenouille

« - Montre moi ce que tu as dans le bide. »

— Montre moi ce que tu as dans le bide.

Nuage de Grenouille plaqua ses oreilles sur son crane. Ça lui faisait mal d’entendre ça, prononcé sur ce ton. Ce n’était ni un encouragement, ni une parole qui se voulait motivante. C’était une menace. Ce n’était pas quelque chose qui devrait être dit d’un mentor à son apprenti, mais d’un ennemi à un autre ennemi. Branche Pâle la détestait depuis le premier jour — elle ne lui avait même pas laissé une chance. Sa seule existence ici était un problème à ses yeux, et Grenouille le savait.
Elle avait tant rêvé, durant ces six lunes à la pouponnière, de ce lien fort qu’elle partagerait avec son futur mentor. De ce qu’il lui apprendrait, lui montrerait. De ce chat qui serait là pour l’aider à se relever quand elle tomberait, qui rigolerait de ses petites erreurs, qui serait fier de la voir s’élever et grandir pour devenir une guerrière accomplie.
Branche Pâle avait envie de lui écraser la face dans la boue et d’y retenir son visage jusqu’à ce qu’elle remplisse ses poumons de vase. Elle en était sure — ça se voyait sur son regard, même aveuglé.

— Tout ce que je voulais, c’était que tu m’apprennes des choses, lâcha Nuage de Grenouille. J’en demandais pas tant.

Elle n’avait aucune fierté, aucun amusement à être ici. Elle détestait être ici, en fait. Elle voulait partir, retourner dans les profondeurs de la pinède apprendre seule parce que même si elle n’aimait pas ça, c’était toujours plus appréciable que ça. Branche Pâle n’en avait rien à foutre des progrès : elle voulait juste lui faire mordre la poussière.
Nuage de Grenouille s’approcha d’elle d’un pas vif et lui asséna un coup de griffe sur le museau, pile entre les deux yeux. Ça lui apprendra.

— J’en ai fini ici, ça me saoule, miaula l’apprentie, frustrée. D’un bon, elle s’éloigne et se mit à courir. Attrape moi si tu peux.

Ou du moins, si elle voulait. Mais fière et bornée comme elle était, son mentor répondrait sans doute à cette provocation. En revanche, l’avantage d’avoir été laissée pour compte pendant des lunes, c’est qu’à vadrouiller à longueur de journée sur leur territoire, elle le connaissait comme personne.

« - Tout ce que je voulais, c’était que tu m’apprennes des choses. J’en demandais pas tant. »

« - J’en ai fini ici, ça me saoule, attrape moi si tu peux »

« - Alors ? Cet entraînement te convient ? »

Le poids de Branche Pale la cloua au sol. Visiblement, ça ne lui suffisait pas : elle ajouta les griffes, les plantant dans sa chair, ce à quoi Nuage de Grenouille poussa un cri de douleur et de surprise.

— Lâche moi ! s’écria-t-elle, espérant qu’un autre chat de leur Clan l’entendrait et viendrait mettre fin à cet « entraînement » de l’enfer.
— Alors ? Cet entraînement te convient ?
— C’est quoi ton problème ?! lâcha Nuage de Grenouille, toujours immobilisée au sol par son mentor.

C’est vrai, quoi : c’était quoi, son problème ? Pourquoi se comportait-elle ainsi ? Pourquoi, depuis l’instant même où elle avait été baptisée, Branche Pâle s’entêtait à ne pas vouloir l’entraîner ?

— Pourquoi tu vas pas juste voir Étoile Feulante pour lui demander à me donner un autre mentor, hein ? T’aurais la paix, et moi, quelqu’un de compétent pour m’entraîner.

Elle lâcha cette dernière phrase sur un ton de raillerie qui ne lui ressemblait pas, emprunté à son mentor. Elle détestait ça, elle détestait cette situation, et elle voulait s’en sortir le plus vite possible.

— Aller lâche moi, et retourne… faire ce que tu fais d’habitude quand tu m’entraînes pas.

Peu importe si Branche Pale la tenait par le bout des griffes : elle en avait plus qu’assez.