C’est quand qu’on va où ? [Nuage de Foudre et Nuage de Papillon] - abandon

"Veulent me gaver comme une oie
Avec des matières indigestes,
J'aurai oublié tout ça
Quand j'aurai appris tout l'reste,
[...]
Si j'dois m'avaler tout ça
Alors j'dis "Halte à tout !"
Explique-moi, Papa
C'est quand qu'on va où ? "


Le début de journée avait été terrible. Que son mentor l’ait levé avant l’aurore pour partir en patrouille frontalière cela passait encore. Déjà, il comprenait bien qu’il ne faille pas être avare de ses efforts, lorsqu’il s’agissait de travailler pour son clan. Ensuite, ça, ce n’était pas la première fois qu’il lui faisait le coup de le réveiller très tôt et donc il s’y attendait. Mais lorsque son mentor lui avait annoncé son intention de lui parler des autres clans, il s’était bêtement attendu à ce que ce soit intéressant. Quelle erreur !

Il avait passé l’intégralité de la patrouille, qui pour une raison que Nuage de Foudre ignorait avait trainé, trainé, trainé en longueur, semblant inspecter chaque brin d’herbe, à lui expliquer comment faire les marquages et où pour être bien sûr que les autres membres des clans les repèrent bien. S’ils n’avaient pas été en train de marcher Nuage de Foudre se serait certainement endormi d’ennui.

« Cela fait des lunes et des lunes que les quatre clans cohabitent sur ces terres. Les limites des territoires de chacun tous les membres des clans les connaissent. S’ils les transgressent, c’est intentionnellement. Et s’ils ont l’intention de franchir la frontière, ce n’est pas un marquage qui va les empêcher. » avait-il objecté. Son mentor, sèchement lui avait intimé l’ordre de se taire avant de se lancer dans la description de quels endroits il fallait particulièrement marquer parce qu’ils avaient particulièrement la réputation d’être convoités par les autres clans. Ce n’était même pas de la connaissance, toujours théoriquement digne d’intérêt ou susceptible de l’être, même lorsqu’elle touchait à des sujets qui ne le passionnaient pas. Juste de l’information. Inutile en plus. C'était insupportable.

La première moitié de ce qu’il disait, Nuage de Foudre le savait déjà, la seconde ne méritait pas d’être retenue, l’autre méritait d’être oubliée. Nuage de Foudre aurait bien passé tout le trajet à penser à autre chose en acquiesçant vaguement de temps à autres histoire de donner l’illusion qu’il était en train d’écouter ce qu’il lui racontait. Mais son mentor, qui devait avoir compris ses intentions, ne lui en avait pas laissé l’occasion, le harcelant sans relâche de questions. Il ne l’avait pas même laissé chasser, même pour le clan et non pour lui. Pendant les premières minutes, il avait cru périr d’ennui. Pendant tout le reste de la matinée, il se prit à le souhaiter.

« N’est-ce pas là une considérablement inutile dépense d’énergie ? » avait-il fini par demander, avant de préciser « ce serait mieux à tout point de vue et pour tout le monde d’employer le temps et l’énergie que l’on occupe à marquer les frontières du territoire pour dissuader les voisins de les franchir, à plutôt chasser pour nourrir tout le monde et trouver les moyens de s’entendre afin que l’on n’ait plus intention ou intérêt à franchir les frontières ». Nuage de Foudre trouvait sa propre remarque pertinente et assez bien pensée, mais ça n’avait vraisemblablement pas été l’avis de son mentor, qui s’était contenté de lui ordonner de se taire, le menaçant de lui faire passer l’après-midi à enlever les tiques des anciens.

Pour une fois, l’apprenti contestataire et bien peu obéissant s’était tu, en manifestant tout de même son agacement par force soupirs et roulements d’yeux. Après toute une matinée à être gavé comme une oie d’informations indigestes, il avait désespérément besoin d’air pur. Ainsi il avait pris son mal en patience et aussitôt qu’à leur retour, son mentor avait tourné le dos quelques secondes et s’était désintéressé de lui, il était parti rejoindre des contrées plus agréables, se dirigeant vers ses terres qu’il ne connaissait pas, mais dont lui avait vanté les rats. Il pourrait bien essayer d’en attraper, qu’il irait ensuite déposer sur le tas de gibier. Ça au moins c’était une activité utile.

Avançant la truffe au vent, l’apprenti du clan du Tonnerre laissa son flair l’informer qu’on ne lui avait pas menti en lui affirmant que l’endroit était un repère usuel de rongeurs, mais fut surpris de sentir parmi ces effluves l’odeur du clan du vent.

S’entendant interpeller, le matou se dirigea vers l’endroit d’où venait la voix.

Il vit une jeune femelle qui ne devait pas être beaucoup plus âgée que lui. Le pelage de la jeune membre du clan du vent avait les mêmes teintes rousses que le sien, mais constitué de grandes taches emboîtées, de différentes nuances, d’un dos roux presque brun jusqu’au blanc du museau. Il remarqua surtout qu’elle avait de très jolis yeux verts. Peut-être l’avait-il déjà aperçu de loin en Assemblée, mais il ne l’avait jamais particulièrement remarqué, et en tout cas jamais il n’avait eu l’occasion de lui adresser la parole.

Que ce soit sa posture ou le ton de sa voix, tout en elle indiquait la méfiance, voire la défiance.
Calme et avenant, il s’approcha et déclara d’un ton amical et joyeux :
« Enchanté ! Je suis Nuage de Foudre, du clan du Tonnerre. Et toi ? »

Poussé par l’envie d’engager la conversation, il se rapprocha en souriant avant d’ajouter :
« Bel endroit pour chasser le rat et le mulot, n’est-ce pas ? Il y a des odeurs de rongeurs absolument partout ! C’est bien pour cela que tu es venue, non ? Moi, c’est la première fois que je viens ici, mais j’aime déjà beaucoup cet endroit. Et puis au moins on a la paix… »